Samedi 27 avril 2024

Économie

Pénurie de carburant : aveu d’impuissance…

26/12/2023 8
Pénurie de carburant : aveu d’impuissance…
La ministre Chantal Nijimbere : « Il n'y a pas assez de devises. Sinon on pourrait même constituer des stocks stratégiques. Des stocks pouvant couvrir des mois, voire une année »

Présente au Sénat pour une séance des questions orales, mercredi 20 décembre, la ministre du Commerce était attendue au tournant par nombre de Burundais excédés par cette nième pénurie de carburant. Fait très rare, à demi-mots, elle a reconnu que les temps risquent d’être durs, si rien n’est fait dans l’immédiat pour renflouer les caisses en devises de l’Etat.

« Il n’y a pas assez de devises. Sinon, on pourrait même constituer des stocks stratégiques. Des stocks pouvant couvrir des mois. Voire une année », a répondu, très gênée Chantal Nijimbere, ministre du Commerce.

Très réputé pour sa verve, Emmanuel Sinzohagera, président du Sénat, va même jusqu’à la pousser dans ses retranchements : « Si la population en manque comment avez-vous pu vous déplacer jusqu’ici alors que vous dites qu’il n’y a pas de carburant ? » A la ministre Chantal de concéder : « Au vu de la quantité sur place, il est difficile pour toutes les stations de servir tout le monde. Mais certaines personnes arrivent à être servies. » Comme si le carburant, dorénavant tend à devenir une denrée rarissime pour quelques privilégiés. Seul mérite : cette sortie médiatique bien qu’elle ait douché les espoirs de tous les Burundais, ironise un chauffeur de camions-citernes, au moins au lieu de prétexter comme elle l’avait laissé entendre quelques jours plutôt, le 12 décembre à l’Assemblée nationale, arguant comme quoi l’actuelle pénurie serait due au retard de procédures de dédouanement. Ce camionneur est ravi du fait que cette fois-ci, elle a semblé accepter que la question dépasse ses compétences. « En tout cas, la gêne était perceptible dans sa voix ». De quoi se demander jusqu’à quand les Burundais devront faire preuve de leur légendaire résilience. Certains gens se demandent comment, même au plus fort de l’embargo (1996-1998), le pays n’a pas vécu pareille situation.

  Faire face à l’adversité

Depuis qu’a resurgi cette pénurie, vers fin novembre, sur tous les visages, c’est l’abattement, la désolation. « Au moins si cette pénurie ne paralysait pas toute la vie socio-économique du pays, une situation à laquelle nous commencions à nous habituer », glisse Marc, fonctionnaire. En effet, alors qu’il était rare de voir autant de gens rentrer à pied après le travail vers 17h. Aujourd’hui, c’est le contraire. L’on s’étonne de voir des personnes rentrer en voiture.

Pourtant, selon nombre d’économistes contactés, une situation qu’il aurait été possible de contenir fin octobre, lors de la dernière visite d’une délégation du FMI, surtout que son constat était sans appel. Elle avait laissé entendre que la quantité des réserves en devises ne peut pas couvrir deux semaines d’importation. « Mise de côté les réformes macro-économiques en cours, dans tous les cas, les autorités habilitées auraient dû prendre certaines précautions qui s’imposent », opine A.F., cadre de la BRB.Il explique : « C’est un calcul très simple compte tenu des consommations en carburant. Si présentement, la quantité de carburant consommée mensuellement s’élève à 25 millions de litres. Quand bien même certains Etats font face à une crise économique difficile, je suis sûr que le gouvernement ne manquerait pas un créancier auprès de qui s’endetter ». Avant de poursuivre : « Mais pour cela, mis de côté le degré de solvabilité, il faut faire preuve d’une gestion rigoureuse. La question : est-ce le cas ? »

Plusieurs sources soutiennent justement qu’en grande partie cette pénurie serait liée au désistement de certains fournisseurs, désormais peu enclins à octroyer de crédit-fournisseur au pays, rendant pratiquement impossible l’importation sans pour autant au moins qu’ils s’acquittent une partie de leur commande.

Déplorable, à en croire certains témoignages, certaines sociétés importatrices se cacheraient derrière cette situation pour vendre le peu de carburant en République Démocratique du Congo. Hélas, se désolent nos sources, une situation connue de certaines autorités du pays. Allusion faite aux camions pendant le dédouanement qui entrent au Burundi sous des documents de transit. Toutefois, une aubaine pour elles surtout qu’elles vendent en devises.

 La Regideso, une bonne solution ?

Quoi que la situation semble devenir intenable, en août 2022, bon nombre de Burundais ont pensé ne plus revivre cet état de fait. En permettant à la Regideso, en plus de la production de l’électricité et de l’eau, d’importer et de vendre les produits pétroliers, une nouvelle ère venait de s’ouvrir.  Plus besoin de parler du monopole d’Interpetrol. Cette transition laissait libre place à la transparence et à la libre concurrence. Partout, dans les salons, sur les comptoirs de certains bars huppés de Bujumbura, la nouvelle avait été accueillie avec grande ferveur. Sauf que le relatif répit n’a duré que le temps de la rosée.

La problématique liée aux devises a refait surface. Problème de prévisions ? Absence d’expertise technique de nouvelles sociétés chargées d’importation ? D’après J.F, cadre du ministère des Finances, des questions qui resteront sans réponses, surtout que jusqu’à maintenant, il n’a y a pas de registre des marchés publics pour savoir quelles sociétés ont été chargées par la Regideso d’importer le carburant du pays. « En principe, elles devaient être connues par la population. C’est cela la culture de la redevabilité. Les Burundais doivent savoir à qui demander des comptes ». Au moment où nous mettons sous presse, sur Chawamata Tv, une chaîne en ligne zambienne, a montré environ 200 camions d’Interpetrol en attente d’embarquement sur la frontière tanzano-zambienne vers la RDC. Une nouvelle qui a peu réjoui la population burundaise qui ne cesse de se demander : « Si on importe pour revendre au plus offrant, c’est-à-dire nos voisins Congolais qui achètent en dollars, pourquoi pas ne pas laisser nos concitoyens s’y approvisionner pourvu que le peu qui reste de notre économie continue de tourner ? », s’interroge John, commerçant à la frontière burundo-congolaise. Ou dans carrément, glisse-t-il, refaire recours à Interpetrol, même en période de disette continue à fonctionner « Car, après tout, c’est la loi de l’offre et de la demande qui prévaut. »

La voie maritime, l’autre alternative

Structure des coûts de transport dans la région
(Source : Rapport de 2011 du ministère de l’Energie intitulé « Elaboration de la Stratégie sectorielle pour le secteur de l’énergie au Burundi »)

En août 2022, Julienne Bakenda Mutabihirwa, directrice générale de Shegema Shipping Company, une agence maritime de Kigoma, avait indiqué avoir du mal à comprendre pourquoi les Burundais préfèrent la voie routière alors que la voie maritime est plus avantageuse pour l’importation du carburant et les autres marchandises. Elle soutient que le transport du carburant par le lac Tanganyika ne poserait pas de problème : « ARNOLAC a des bateaux qui peuvent transporter 550 m³. » La directrice générale indique que le trajet Dar-Es- Salaam jusqu’à Kigoma par train dure deux jours lorsqu’il n’y a pas de problème. Un bateau qui est lent fait Kigoma- Bujumbura en 12h, le plus rapide en 6h. « Le camion peut dépasser cette durée en faisant Dar-es-Salam-Bujumbura ».

Julienne Bakenda Mutabihirwa donne un exemple : « Un seul voyage d’un bateau de 3000 T équivaut à un voyage de 100 camions. » Et d’ajouter qu’un seul wagon transporte 40 à 42 T alors qu’un camion transporte entre 30 et 33 tonnes. « Le coût de transport sur la route est élevé et vous transportez peu de carburant. Sur le lac, le coût de transport entre Kigoma- Bujumbura est de 50.000 BIF par tonne ».

D’après les statistiques de Global Port Services de 2017, la connexion voie ferroviaire-voie lacustre permet d’économiser plus de 90 USD par tonne de marchandises. Selon les experts, les transporteurs du Burundi ont une quinzaine de bateaux capables de transporter 9590 tonnes. Pour le carburant, c’est une capacité de 550m3 de carburant équivalent à la quantité transportée par au moins 15 camions. Certains bateaux peuvent transporter 40 containers par convoi alors que via la voie terrestre, ces containers sont transportés par 40 camions.

Selon Eric Ntangaro, secrétaire exécutif de l’Association des Transporteurs du Burundi (ATIB) à l’époque, un train Dar-es-Salam-Kigoma possède 20 wagons-citernes. « Par voyage, un wagon transporte 50.000 litres, c’est-à-dire que 1 million de litres peuvent être transportés en un seul voyage. La quantité transportée par 20 wagons-citernes, c’est plus de 25 camions sur la route ».

D’après lui, un tas de raisons qui explique l’avantage, surtout que tout cela impacte sur le prix à la pompe, et qu’en retour, c’est le consommateur qui trinque. « Par la voie lacustre, le temps est plus court, moins cher et moins risqué. De plus, avec le transport routier, le tonnage diminue. » Nombre de personnes s’accordent à dire que le corridor central (Dar es Salam – Kigoma par train et Kigoma-Bujumbura par le lac Tanganyika) présente beaucoup d’avantages.

Pour rappel en 2017, la Banque mondiale avait promis de financer le projet destiné à améliorer le corridor central notamment dans la mise en place des infrastructures de transport. Et cela à hauteur de 600 millions de dollars américains. Libérât Mpfumukeko, alors Secrétaire général de l’East African Community (EAC), avait indiqué que ce projet permettra de réduire d’environ 40% les coûts de transport des marchandises dans les pays du corridor central ce qui devait se répercuter sur le prix au détail.

Forum des lecteurs d'Iwacu

8 réactions
  1. Mutima

    J ai écouté une audio virale (sur les réseaux sociaux ) de sa majesté le président du parlement burundais.
    C’est terrible d’entendre des raccourcis ahurissant.
    Tout au long de la longue audio, il voue aux gémonies un pauvre DAF de la Regideso.
    Ce qui m’a étonné, les gens applaudissaient dans la salle.
    Pathétique Burundi.
    Ni le le DG, ni le DAF Regideso ne peuvent importer le fuel sans devises.
    Elementaire, mon Cher Watson.
    Sire, demandez aux autres pays de l EAC how they proceed to import fuel

  2. Pablo

    Comment alors démarrer pour être une puissance économique d’ici-2040???

    • Kabizi

      Les histoires de Vision 2040/2060 sont des mirages ou fables.
      Le seul constat au Burundi: s’enfoncer et s’enfoncer.
      Aucun pays ne peut se développer avec une corruption pareille

      • Yan

        Ne te moque pas de Neva car il y a Stephen Smith qui ignore l’existence de Neva et qui prévoit qu’en 2080 plus aucun africain ne voudra émigrer car la différence de niveau de vie entre l’Afrique et le reste du monde sera devenue (négligeable) presque nulle.

    • Stan Siyomana

      @Pablo
      Meme dans leurs exaggerations/demagogie au plus haut degre, les hauts dirigeants burundais n’ont jamais dit que le Burundi allait etre une puissance economique en 2040.
      Mais meme en pleine crise economique actuelle, Ils ne cessent de parler de Vision Burundi pays emergent en 2040.
      « Un pays émergent, ou économie émergente, ou encore marché émergent est un pays dont le PIB par habitant est inférieur à celui des pays développés, mais qui connaît une croissance économique rapide, et dont le niveau de vie ainsi que les structures économiques et sociales convergent vers ceux des pays développés avec une ouverture économique au reste du monde, des transformations structurelles et institutionnelles de grande ampleur et un fort potentiel de croissance. Il convient de noter que le PIB par habitant n’est qu’un critère partiel (et partial) de l’émergence : le Koweït, économie émergente, a un PIB par habitant proche de la moyenne de l’Union européenne… »
      https://fr.wikipedia.org/wiki/Pays_%C3%A9mergent

  3. Nzojiyobiri

    Iki kibazo c’ibitoro, uwu mudamu kiramurengeye. Nibamuhe amahoro. Bimeze nka wa mudamu yari umushikiranganji w’amagara y’abantu bakura ngo abaganga basigaye ari benshi bava mu Burundi baja gukora hanze. Kirya kibazo caramurengera. Mwene ivyo bibazo nibabe babishikiririza umukuru w’igihugu sebarundi.

  4. Nduwimana Jacobin

    Si les burundais ne produisent rien d’exportable pour collecter des devises,c’est normal qu’il n’y ait de devises pour acheter du carburant.Nous devons arrêter de vivre au dessus de nos moyens en empruntant à l’extérieur.Il faudrait s’atteler à produire des biens et services exportables.Les temps ont changé,le Burundais sont ramenés à ce qu’ils sont vraiment:un pays pauvre qui ne veut pas se mettre au travail pour créer de la richesse.

  5. Ririkumutima

    Things fall apart
    La pénurie du carburant est une conséquence de tous les désastres de la gestion du guide supreme du patriotisme
    Gabégie et corruption érigés en mode de gouvernement

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