Samedi 27 avril 2024

Économie

L’heure est grave

L’heure est grave
De longues files s’observent devant les stations-service depuis plusieurs semaines

Le Burundi vit au rythme de pénuries :  carburant, sucre, ciment, médicaments … Hausse des prix de denrées de première nécessité, inflation galopante, dette publique non maîtrisée … D’après des économistes, l’économie burundaise est en danger d’implosion. Le Conseil d’administration du Fonds monétaire international (FMI) vient d’approuver une facilité élargie de crédit (FEC) d’environ 271 millions USD avec un décaissement immédiat de 62,6 millions USD. Pour nombre d’économistes, c’est une goutte d’eau dans un océan de problèmes.

Par Fabrice Manirakiza et Egide Harerimana

En mairie de Bujumbura, se déplacer est devenu un casse-tête. Il faut se réveiller très tôt le matin pour espérer trouver un bus et ne pas être en retard au travail. Chaque soir, de longues files d’attente de passagers se forment dans les parkings desservant les différents quartiers de la mairie. Parfois, il y a des bousculades pour gagner une place dans le bus et il arrive que l’on dénombre des blessés. Des pickpockets en profitent pour puiser dans les sacs à main, voler argent et téléphones.

Certains citadins, surtout ceux habitant dans les zones non éloignées du centre-ville comme Musaga, Bwiza, Nyakabiga, Buyenzi, ne pensent même plus à prendre le bus. « Tuharya i reggae ! » : le matin ils vont au travail à pied et rentrent le soir à pied également. C’est plus difficile pour les habitants des quartiers périphériques. « On pense au déplacement tout le temps. Lorsqu’on se réveille le matin, on pense comment se déplacer pour ne pas être en retard. On doit s’excuser aux chefs chaque jour pour les retards répétitifs. Se déplacer est une obsession. A 15 heures, on commence déjà à penser à ces longues files dans le centre-ville. C’est révoltant », regrette un habitant de la zone urbaine de Kamenge.

De plus, les passagers dénoncent des conducteurs qui n’arrivent plus aux arrêts connus. Certains passagers doivent parcourir un long trajet à pied pour arriver à la maison après avoir payé leur trajet ! « La semaine passée, j’ai pris un bus de Mirango à 18 heures. Arrivé à la gare du nord, le chauffeur nous a dit que le bus n’a pas suffisamment de carburant pour y arriver. Mais, il voulait retourner en ville. J’ai marché pendant 30 minutes pour arriver à la maison », confie une habitante de Mirango, rencontrée sur une file d’attente au centre-ville, ce 19 juillet.

Devant les stations-service, un capharnaüm

Nombre de citadins ont délaissé leurs voitures personnelles. « Comme je ne peux pas aller passer deux ou trois jours sur une station, j’ai décidé de garder ma voiture à la maison jusqu’à ce que la situation se renormalise », confie un habitant de la zone Ngagara.

Devant différentes stations-service dans la capitale économique ce 20 juillet, plusieurs véhicules forment de longues queues. Des véhicules assurant le transport en commun, des voitures des particuliers, poids lourds, des tracteurs, tous attendent devant des stations qui n’ont aucune goutte de carburant. Certains propriétaires de véhicules amènent même des draps. Ils savent qu’ils peuvent y passer au moins deux ou trois jours pour être servis.

Après cette longue attente, la douche froide.  Les véhicules faisant le transport en commun ont droit à 15 litres et ceux d’affaire-promenade obtiennent 20 litres. « C’est vraiment décevant de passer trois ou quatre jours plantés à une station-service pour n’obtenir qu’une quantité de carburant ne pouvant pas suffire pour une journée. Cela perturbe notre travail et le transport en commun en général », déplore un taximan. Pourtant, d’après lui, des véhicules de certaines personnalités avec des bons de commande repartent avec des réservoirs pleins.

Des conducteurs accusent certains cadres de l’Etat d’approvisionner le marché noir pour gagner plus d’argent. Selon eux, 20 litres de carburant au marché noir coûtent entre 200 mille et 250 mille BIF, ce qui fait qu’un litre s’achète autour de 10 mille BIF : « Comme ces cadres présentent des bons, ils sont les premiers à être servis et peuvent avoir des réservoirs pleins. Cela empire la pénurie ». Ils en appellent aux autorités pour ordonner les gérants des stations-service de privilégier plutôt les bus et les taxis faisant le transport en commun pour le bien d’une plus grande partie de la population.

Des spéculations sur les prix de transport

Des passagers disent passer la nuit devant les agences de transport vers l’intérieur du pays attendant des bus en vain

Sur les parkings desservant l’intérieur du pays, les bus viennent à compte-gouttes. Certains passagers passent la nuit dans les parkings en attente de bus. Les prix fixés par le ministère de Transport ne sont plus respectés. Les prix de transport ont été augmentés souvent du simple au double, voire au triple. Suite à la pénurie du carburant, les bus font la queue devant les stations-service au moment où les passagers sont sur de longues files d’attente dans les parkings. Une situation inédite.

Malgré cette hausse du prix de transport, on observe parfois des bousculades lors de l’embarquement. Il est rare d’avoir le bus qui va dans les provinces les plus éloignées de la ville de Bujumbura comme Muyinga, Kirundo, Cankuzo et Ruyigi. Le peu de bus dont disposent les agences de transport ne dessert que les provinces du centre du pays.  « Je n’ai pas d’argent pour survivre en ville. Je dois retourner à la maison à Muyinga aujourd’hui. Malheureusement, il n’y a pas de bus. Un véhicule des particuliers est passé ici et a exigé 30 mille BIF. Je n’ai que 15 mille BIF. Je vais rester ici jusqu’à ce que les bus des agences reviennent », indique avec amertume un passager désabusé.

Sur un autre parking devant le marché de Cotebu, des passagers y passent toute la journée en attente de bus. En vain. Pour le peu de bus ayant du carburant, les prix de transport sont plus exorbitants. Certains passagers s’informent sur les prix et retournent à la maison. D’autres paient le prix exigé par les conducteurs « pourvu qu’on arrive à destination ». Pour le trajet Bujumbura-Ngozi, le prix varie entre 20 mille et 30 mille BIF alors que le prix normal est de 9 500 BIF.

« Le plus perdant dans cette pénurie du carburant est le citoyen lambda. Toutes les conséquences s’abattent sur nous. En ce moment, le transport est paralysé. Les prix de presque tous les produits ne cessent pas de monter. On est vraiment fatigué », soulève F.B., un passager originaire de la province Kayanza.

Les prix des denrées alimentaires montent en flèche

Sur certaines stations-service, des véhicules faisant le transport des denrées alimentaires de l’intérieur du pays à Bujumbura font la queue parmi les autres. Des chauffeurs affirment avoir passé plus d’une semaine sans s’approvisionner à l’intérieur du pays, suite au manque du carburant.

En moins d’un mois, le prix du haricot connaît une hausse entre 300 et 500 BIF. Le prix du maïs a monté de 1800 BIF à 2000 BIF dans certains marchés de la ville de Bujumbura. Les transporteurs et les vendeurs évoquent le problème de transport des denrées alimentaires de l’intérieur du pays à Bujumbura.

Au marché de Cotebu au nord de la ville de Bujumbura, un kilogramme de haricot de variété Kinure s’achète à 2 800 BIF alors qu’il était à 2 300 le mois dernier. Un kilogramme de la variété Kirundo est à 2 600 BIF alors qu’il était à 2 200 BIF au mois de juin dernier. Les prix sont les mêmes au marché de Kinindo au sud de la ville de Bujumbura.

« Il y a plein de haricots à l’intérieur du pays. Mais les véhicules assurant le transport des denrées alimentaires n’ont pas de mazout. Certains passent presque une semaine sur les stations-service », explique un commerçant de denrées alimentaires rencontré au marché de Kinindo.

Il estime que les prix risquent de monter davantage si ce problème de carburant n’est pas résolu dans l’immédiat. Et d’appeler les autorités publiques à exiger aux stations-service de servir en premier lieu les véhicules faisant le transport des denrées alimentaires et ceux exerçant le transport en commun.

« Les Burundais veulent le carburant à Bujumbura et non à Dar Es-Salaam !»

Rosine Guilène Gatoni : « Les stocks burundais à Dar es Salaam disposent d’une quantité suffisante de carburant. »

Lors de l’émission des porte-paroles en province Muramvya, le 13 juillet dernier, la porte-parole du président de la République, Rosine Guilène Gatoni, a fait savoir que les stocks burundais à Dar Es-Salaam en Tanzanie disposent d’une quantité suffisante de carburant : « Un grand défi est son transport de la Tanzanie au Burundi. Il y a des non-patriotes qui refusent d’assurer le transport du carburant alors qu’ils ont des camions-citernes. D’autres importent le carburant et approvisionnent une partie des stations-service ».

Pour pallier à cette pénurie, elle explique que l’Etat prévoit l’achat des camions-citernes pour assurer l’importation des produits pétroliers depuis Dar Es-Salaam et la construction des entrepôts pétroliers au Burundi. La porte-parole du président de la République indique que les hommes d’affaires ayant reçu des devises pour importer le carburant et qui ne l’ont pas fait risquent des poursuites judiciaires.

Les explications de Mme Gatoni ont du mal à passer. « Je m’inscris en faux contre ces explications. C’est un secret de polichinelle. Outre le contexte économique difficile de pénurie de devises, on voit que le circuit d’approvisionnement du pays en carburant a été mal organisé. C’est un échec complet. Il faut penser à changer les bénéficiaires de ce marché », propose Faustin Ndikumana, directeur exécutif de la Parcem. Selon lui, les Burundais ne veulent pas le carburant à Dar Es-Salaam, ils le veulent à Bujumbura.  « Est-ce qu’on importe pour stocker à Dar es-Salaam ou bien à Bujumbura. C’est un argument qui ne tient pas. Est-ce que c’est la société Prestige qui importe jusqu’à Dar Es-Salaam ? Alors pourquoi attribuer ce marché à cette société ? Est-ce la Regideso qui doit l’acheminer à Bujumbura ? On peut alors se demander si elle a la logistique pour le faire. » Faustin Ndikumana s’interroge sur les raisons qui ont poussé le gouvernement à écarter les autres sociétés qui pourraient remplir les conditions logistiques nécessaires. « Comment a-t-on choisi l’entreprise Prestige ? N’y aurait-il des intérêts des uns qui seraient cachés pour la maintenir dans ce circuit ? Il faut réorganiser ce marché et ajouter au moins 5 autres partenaires.  Pour le moment, il y a anguille sous roche. »

Ce qui répugne M. Ndikumana est que certains trouvent que cette situation est normale. « Les gens souffrent énormément. Si on organise la distribution en privilégiant certains hauts cadres de l’Etat, peut-être qu’ils ne sentent pas cette pénurie. »

Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome, situe la pénurie de carburant à trois niveaux : le manque de devises, le monopole et la mauvaise gouvernance. « Les explications du gouvernement changent tout le temps. Tantôt, ce sont des JPS, tantôt des transporteurs et des non-patriotes à qui on a donné des devises qui les détournent. Nous observons cette pénurie depuis janvier 2022, est-ce toujours le problème des transporteurs ? » Pour lui, on donne un marché à des incapables. « Comment se fait-il qu’on puisse donner un marché à une société qui n’est pas capable de transporter le carburant jusqu’au Burundi ? Le gouvernement   est en train d’hypothéquer la vie sociale et économique des Burundais. »

J.K, investisseur et chef d’entreprise burundais, a du mal à trouver une raison qui pourrait expliquer le fait qu’une société privée accepte de perdre de l’argent en gardant en stock un produit, au lieu de le vendre au plus vite.  « Si le carburant en stock à Dar Es-Salaam appartient au gouvernement burundais, alors dans ce cas, celui-ci pourrait dûment annuler le contrat qui le lie à son transporteur actuel et passer un appel d’offres international pour engager rapidement les services d’un transporteur capable d’acheminer le carburant en question jusqu’au Burundi. La solution est simple, mais sa mise en œuvre semble difficile pour des raisons qui sont, pour l’instant, mystérieuses. »

J.K rappelle qu’il y a quelques années, le gouvernement a attribué un monopole de fait à la société Interpetrol pour importer du carburant, en lui allouant la grande majorité des devises étrangères prévues à cet effet. « Après 2020, la nouvelle administration a voulu revisiter l’importation du carburant, et répartir le volume d’importation entre plusieurs sociétés. Une fois de plus, le manque de transparence a caractérisé cette dose de libéralisation, ce qui donne lieu à toutes formes de spéculation. Cela pourrait peut-être expliquer le discours opaque et peu crédible du gouvernement. » Et d’ajouter : « Il existe aussi d’autres facteurs aggravants, notamment l’augmentation de la consommation nationale de carburant. Une part importante et croissante de notre électricité est produite à partir du carburant. En 2022, nous étions à 37% de la production électrique d’origine thermique. »


Pression fiscale  : la population trinque

Dans le budget 2023-2024, le gouvernement a introduit environ 50 nouvelles taxes. Pour nombre d’observateurs, cette pression fiscale vient enfoncer encore plus le citoyen dans la misère.

Faustin Ndikumana : « Il faut un nouvel ordre de gouvernance dans ce pays »

Au regard du nouveau budget, les recettes et dons passent de 2 194,8 milliards de BIF en 2022/2023 à 3 224,07 milliards de BIF en 2023/2024 soit une augmentation de 46,9%. Les recettes intérieures (fiscales et non fiscales) hors exonérations en 2023/2024 sont estimées à 1 929,3 milliards de BIF contre 1 769 milliards de BIF en 2022/2023, soit une augmentation de 9,05%.

Les dépenses totales de l’Etat passent de 2 392,3 milliards de BIF en 2022/2023 à 3 952,9 milliards de BIF pour l’exercice 2023/2024, soit un accroissement de 65,23%. Le déficit global s’élève à 728,9 milliards de BIF contre 197,4 milliards de BIF en 2022/2023.

D’après le ministère des Finances, le budget 2023/2024 a été préparé dans un contexte marqué par l’engagement du Burundi dans un programme de réformes macroéconomiques et budgétaires soutenu par une facilité de crédit élargie. Ce programme devrait se traduire par une mobilisation accrue des ressources extérieures pour soutenir les efforts du gouvernement de stabiliser le cadre macroéconomique et budgétaire et déclencher la relance économique.

Lors de l’accord, en avril dernier, de 38 mois au titre de la facilité élargie de crédit (FEC)  entre Gitega et les services du Fonds monétaire international (FMI), l’économiste André Nikwigize avait indiqué que   la pression fiscale risque d’être élevée en termes de nouveaux impôts et taxes, qui vont être appliqués aux contribuables, pour financer le programme. « Contrairement à ce que les experts du FMI affirment, durant les 40 mois du programme, ce sont plus les populations pauvres qui vont être affectées. »

Le cabinet d’avocats Rubeya & Co-Advocates a analysé les innovations et modifications fiscales apportées par la loi n◦ 1/16 du 28 juin 2023 portant fixation du budget général de la République du Burundi pour l’exercice 2023-2024.

 

Entre autres innovations, il y a une obligation d’une carte d’agrément pour les établissements d’auto-écoles, les garages et les professionnels de transport individuel. Les frais acquisition sont respectivement de 1 000 000 BIF, 1 500 000 BIF et 500 000 BIF.  Pour les frais d’acquisition d’une carte d’agrément par une agence de transport international terrestre des marchandises par des poids lourds enregistrée à l’étranger, les frais sont fixés à 2000USD. La redevance d’un montant de 50 000 BIF est exigée pour l’institution d’une redevance annuelle pour l’obtention d’un code importateur ou exportateur.

Pour les télécoms, 3 taxes ont été instituées à savoir une taxe spécifique de messagerie mobile, une redevance sur les messages internationaux entrants et une taxe OTT (Over The Top) et communication IP « Internet Protocol ». Respectivement, la taxe est d’un montant de 5 BIF/message, 0.08USD ainsi que la taxe de 100 BIF par jour par souscription et de 100 000 BIF par abonnement mensuel.

Dans l’immobilier, une taxe sur la fortune sur l’opération de vente à partir du troisième immeuble ou d’une fraction d’immeuble, bâti ou non bâti a été appliquée. Le taux applicable est de cinq pour cent (5%) du montant de vente hors TVA. La taxe est supportée par l’acquéreur. De plus, il y a une exigence de l’obtention d’un permis de bâtir soumis à une taxe de bâtisse en cas de construction d’une maison dans le périmètre urbain, sur les terrains viabilisés et non viabilisés. La taxe de bâtisse est de 0.8% calculée sur le devis d’un montant inférieur ou égal à 250 000 000 BIF et de 2% sur le devis d’un montant supérieur à 250 000 000 BIF.

Comme modifications apportées aux lois et règlements existants, Rubeya & Co-Advocates revient sur la révision des taux du prélèvement forfaitaire libératoire d’impôts sur les opérations d’achats locaux auprès des fabricants des boissons alcoolisées et non alcoolisées, les limonades, les jus de toute nature et l’eau minérale.

Il y a eu également révision à la hausse du prélèvement libératoire d’impôt sur l’opération d’abattage par les bouchers. Avec la nouvelle loi budgétaire, le prélèvement libératoire sur l’opération d’abattage par les bouchers passe de 1000 BIF à 4000 BIF/tête pour les bovins de 500 BIF à 2000 BIF pour les capridés, ovidés, porcs.

Pour l’annulation ou la modification d’une déclaration, les frais visés passent de 150 000 BIF à 250 000 BIF. Concernant la pénalité antipollution par véhicule importé âgé de 10 ans et plus, la pénalité passe de 2 000 000 BIF à 3 000 000 BIF. Pour l’impôt forfaitaire libératoire trimestriel sur le transport rémunéré pour les camions de plus de 10 tonnes, l’impôt passe de 81 000 BIF à 200 000 BIF.

Une ordonnance ministérielle conjointe des ministères des Finances et de la Sécurité publique a annoncé la modification des tarifs des documents administratifs délivrés au Commissariat général de la police judiciaire.

Pour Faustin Ndikumana, comme il n’y a pas suffisamment d’entreprises pour étendre cette assiette fiscale sur l’impôt des revenues de ces dernières, il y a toujours tendance à mettre des taxes sur les biens et services. « Cela va limiter la demande. On ne sait pas si on va récolter cet argent. Cela contribue au coût de l’inflation alors que la capacité d’achat des citoyens va toujours decrescendo. Cela n’augure rien de bon parce qu’au niveau de la mobilisation des financements, il y a un déficit budgétaire de plus de 700 milliards de BIF qui risquerait d’être financé à partir de l’emprunt sur le marché intérieur. » D’après lui, s’il n’y a pas une rectification de tir, le Burundi va s’enfoncer. « Il faut un nouvel ordre de gouvernance dans ce pays. »

Pour Gabriel Rufyiri, toutes ces taxes viennent enfoncer le citoyen dans la misère dans laquelle il se trouve déjà. D’après lui, il nous faut un budget d’austérité pour aller vers le développement. « Nous voulons vivre dans l’opulence sans les moyens. Les dettes que nous contractons sont orientées vers cette opulence-là. »


Facilité élargie de crédit (FEC): Ouf de soulagement ou asphyxie ?

Le conseil d’administration du FMI a approuvé un accord de 38 mois d’un montant de 271 millions USD en faveur du Burundi au titre de la facilité élargie de crédit. Dans la foulée, il est prévu un décaissement immédiat de 62,6 millions USD. Certains y voient une bouffée d’oxygène, d’autres trouvent que c’est insignifiant au regard du contexte actuel. 

Le FMI et Gitega ont signé un accord de 38 mois d’un montant de 271 millions USD en faveur du Burundi au titre de la facilité élargie de crédit.

D’après le FMI, le Burundi est confronté à des besoins structurels de balance des paiements avec un déficit de la balance des transactions courantes qui s’amplifie et une faible couverture des réserves de change et des défis macroéconomiques.  Cet accord de 38 mois au titre de la FEC vient contribuer à amortir l’ajustement du Burundi et à soutenir le programme de réformes des autorités destiné à réduire les vulnérabilités liées à la dette publique, à recalibrer les politiques monétaires et de change afin de rétablir la viabilité extérieure, ainsi qu’à favoriser une croissance économique inclusive et la bonne gouvernance. A l’issue de la réunion du conseil d’administration, M. Okamura, directeur général adjoint et président suppléant, a dit qu’il s’agit du premier accord de qualité de tranche supérieure de crédit du Burundi avec le FMI depuis 2016. « Cet accord au titre de la FEC devrait catalyser le financement des donateurs, ce qui est essentiel pour répondre aux importants besoins de financement du Burundi et pour soutenir une sortie de la fragilité ».

« Cette somme ne va pas booster le nombre de mois de réserves de change immédiatement »

Selon Faustin Ndikumana, le Burundi a des problèmes structurels comme une balance commerciale lourdement déficitaire. « Le Burundi est le dernier pays au niveau des exportations au monde. C’est le pays qui bénéficie le moins d’investissements directs étrangers au monde. C’est le pays qui bénéficie de moins de visites touristiques au monde. C’est le pays qui ne peut accéder au marché financier classique pour avoir du cash frais. La seule marge de manœuvre est l’aide publique au développement. »

Le directeur exécutif de la Parcem rappelle que cette aide exige des conditionnalités et une discipline budgétaire alors que nous sommes rompus dans des pratiques de mauvaise gestion de la chose publique et de la corruption. « Là où le bât blesse, est que tout cela se fait dans l’impunité. »

D’après Faustin Ndikumana, la bouffée d’oxygène de 62 millions USD du FMI est pour encourager des réformes, mais au niveau quantitatif, cette somme ne va pas booster le nombre de mois de réserves de change immédiatement.

Pour M. Ndikumana, le gouvernement doit changer de mentalité en acceptant les réformes. « Il faut accepter l’autonomie de la Banque centrale.  Cette dernière doit être le conseiller du gouvernement en matière monétaire au lieu que c’est le gouvernement qui prend des mesures en lieu et place d’une Banque centrale où les autorités sont kidnappées et politisées ».

D’après cet économiste, la Banque centrale est devenue une entité de la présidence de la République. « Tout le monde n’est pas dupe. C’est une façon de mettre la main sur les devises. » Pour lui, il faut accepter le coût réel des devises par rapport à l’offre. Pourquoi entretenir une différentielle de change ? De plus, indique-t-il, il faut prendre des mesures allant dans le sens à ouvrir tous les canaux de devises, notamment l’investissement direct étranger, le tourisme et mobiliser l’aide publique au développement. « Dans le budget actuel, on prétend avoir une manne de 929 milliards de BIF avec un appui budgétaire de 256 milliards de BIF, cela exige des réformes. »

Pour Gabriel Rufyiri, cette facilité du FMI va peut-être contribuer à initier des réformes.  « Par mois par exemple, le Burundi a besoin d’au moins 26 millions de dollars américains pour importer les produits pétroliers. Probablement que dans un mois, on aura besoin d’au moins 100 millions de USD pour couvrir les importations des produits essentiels. Est-ce que ce crédit, échelonné sur 38 mois, va-t-il changer grand-chose pour l’instant. Je ne pense pas. C’est une goutte d’eau dans un océan. » Et d’ajouter : « Aujourd’hui, tous les produits importés qui exigent des devises sont introuvables. Les produits pétroliers viennent de passer plus d’une année et demie, les médicaments dits « spécialités », les fertilisants … La même situation pour les produits fabriqués au Burundi, mais qui exigent des matières premières importées : le ciment de Buceco, les limonades de la Brarudi … »

Toutefois, le président de l’Olucome trouve que c’est quand même une lueur d’espoir. « Le FMI donne le ton pour les autres bailleurs. Mais, tous ces bailleurs ont entre autres une demande principale : les principes de bonne gouvernance à savoir le bon fonctionnement de la justice, la transparence des marchés publics … »

Gabriel Rufyiri fait savoir qu’il a peur. « L’actuel budget de l’Etat est un budget de consommation. Nous avons une dette publique de plus de 5000 milliards de BIF. Aujourd’hui, nous ajoutons une autre dette. »

Pour J.K, cette facilité de crédit n’est pas la panacée. « Il ne s’agit que d’un pansement sur une plaie déjà infectée. »  Pour lui, les problèmes auxquels notre économie est confrontée ne peuvent pas se régler à coups de millions de dollars. « Nous devons, et les autorités de ce pays en tête, nous avouer cette réalité et arrêter de sous-traiter la résolution de ces problèmes à nos partenaires au développement. Les causes profondes sont parfaitement identifiables. La subjugation de l’Etat par le parti au pouvoir en est une. Ce problème peut être rapidement réglé par une réforme structurelle du système politique, et aucun appui financier venant de l’extérieur n’est nécessaire à l’exécution de cette tâche. »

Quid des recommandations ?

Faustin Ndikumana estime qu’il faut reprendre la culture d’analyse de la situation du Doing Business au Burundi pour l’environnement des affaires. Il faut également reprendre la Country Policy and Institutional Assessments (CPIA) qui était pratiquée par la Banque mondiale où on évalue progressivement la capacité des institutions d’un pays. « Le Burundi avait l’habitude d’avoir une note en dessous de la moyenne. Il faut relever cela. Il faut que le Burundi se donne le luxe d’être évalué par les maisons d’annotation en l’occurrence Moody’s qui évaluent les économies du pays pour attester qu’elles peuvent bénéficier des crédits. »

J.K met un accent particulier sur la relance du secteur agricole. « Nos producteurs agricoles, ainsi que tous les autres acteurs de la chaîne de valeur agro-alimentaire, ont besoin d’un appui institutionnel massif. » Cet investisseur prend, à titre d’exemple, la filière café.  « Sur les trois dernières années (2020-2022), nous avons exporté en moyenne 11,291 tonnes de café par an. Sur les cinq années précédentes (2015-2019), nous avions exporté en moyenne 16,443 tonnes de café par an. Nous constatons que les exportations de café ont chuté de 45% et que l’année 2019 de la dé-libéralisation du secteur café est une année charnière. Il faut donc tirer les leçons de cette réforme catastrophique, entreprise dans la panique sans tenir compte ni de l’avis, ni des intérêts des acteurs de la filière café. » Parmi les réformes économiques prioritaires, souligne-t-il, devrait figurer la re-libéralisation du secteur café, assortie à un appui spécifique à la réhabilitation des entrepreneurs de la filière.

Toujours dans le domaine agricole, il trouve que toutes les filières gagneraient à avoir une chaîne logistique aussi bien structurée que celle du café. « Aujourd’hui, le maillon faible de nos chaînes logistiques agricoles, c’est la distribution et le conditionnement des produits. Un dispositif incitatif orienté devrait être mis en place pour encourager les entrepreneurs et les investisseurs à se lancer dans ces activités. »

D’après lui, afin de sortir le pays de la récession économique, il est primordial de développer les capacités d’exportation du Burundi. « Nul besoin de rêver d’exporter vers l’Europe ou les Amériques, si nous ne pouvons pas réussir à commercer avec les pays voisins. Le gouvernement devrait entreprendre la mise en place de Bassins de développement transfrontalier (BDT), en collaboration avec chacun de nos pays voisins. Il s’agirait juste d’opérationnaliser, à notre niveau, un dispositif déjà décidé par les Chefs d’État de la CIRGL en 2006. »

Selon cet investisseur, Ces BDT permettraient au Burundi de se constituer en point d’ancrage commercial et logistique dans l’EAC. « Cela nous permettrait, en effet, de connecter nos chaînes d’approvisionnement nationales, aux chaînes d’approvisionnement régionales, tout en accroissant la zone de chalandise de nos services, notamment nos services financiers et services d’appui à la gestion des entreprises. Exporter des produits, c’est bien. Exporter des produits et des services, c’est encore mieux. »

Comme troisième axe d’intervention majeur, J.K préconise la politique énergétique. « Depuis 2009, le Burundi a renoncé au 100% énergie renouvelable dans la production de son électricité. Actuellement, 37% de l’électricité est produite par des centrales thermiques, alimentées en carburant importé, donc payé en devises étrangères. Ce qui est une aberration économique. » Pour lui, il serait primordial de réformer le mix énergétique du pays, et de renouer avec l’indépendance énergétique et le 100% énergie renouvelable, produit par des centrales hydroélectriques et solaires.

Forum des lecteurs d'Iwacu

6 réactions
  1. Jérôme

    « Actuellement, 37% de l’électricité est produite par des centrales thermiques, alimentées en carburant importé… »

    Pourtant d’après les chiffres de la banque mondiale 2021 c’est moins de 5% de l’électricité qui serait produite par du pétrole.

    d’où vient cette énorme différence de proportions?…

  2. St-James

    Le Président de la République doit prendre ses responsabilités. soit il limoge les incompétents soit il démissionne lui-même faute de pouvoir trouver une solution viable à ce problème qui paralyse le pays et ce, à plusieurs reprises ces derniers temps.

  3. Ntakirutimana Pascal

    Finalement le pays est pourri !! 🤔🤔🤔

  4. Kabizi

    Ecoutez moi cet argument.
    Des gens à qui on donne des devises et qui ne les utilisent pas à importer du carburant.
    Iki Gihugu kirafise abatwara?
    On invoque tout le temps l’entreprise Prestige.
    Ou a t on la tête?
    Est il normal de dépendre d’une seule Entreprise?
    A quoi servent les Bikorane mensuels au pays le plus pauvre et le plus corrompu au monde

    • Rivuzumwami

      Thinks fall apart.
      Hariho ibihangange qui sont plus riche wie le pays.
      Amahera yabo yavuye muri iyo désodre

    • Je t'embête

      A quoi servent les bikoranes ailleurs que dans le pays le plus pauvre?

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