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Kirundo n’est plus le « grenier » du Burundi

05/05/2013 Commentaires fermés sur Kirundo n’est plus le « grenier » du Burundi

Autrefois des camions lourdement chargés de haricots, de sorgho descendaient du nord est du Burundi. Suite aux aléas climatiques et l’impréparation des agriculteurs, les choses ont changé …

<doc5868|left>Il n’y avait pas eu de pluies pendant tout le mois de mars et même pendant la première quinzaine du mois d’avril à Mago, Rwibikara, Gatare, Gatete, Vyanzo, Kibonde, une partie de Marembo, Ruzyege I et II : « Deux semaines sans pluie pour ces localités au sol qui ne retient pas l’eau, c’est la catastrophe assurée. Il ne faut pas trop attendre du haricot, du maïs et du sorgho semés dès les premières gouttes de pluie du mois de février », déplore l’Ir. Adolphe Mbonimpa, responsable de la DPAE (Direction provinciale de l’agriculture et de l’élevage) à Kirundo.

Mais par contre, explique-t-il, les paysans qui ont semé leurs champs au mois de mars ont des récoltes plus ou moins bonnes même s’il y a une diminution très sensible par rapport aux années antérieures. D’une manière générale, poursuit-il, les pertes estimées à terme à 25% pour le haricot, sont pour le moment revues à 15%. Pour le maïs, ajoute l’Ir. Adolphe Mbonimpa, c’est un peu grave, les pertes tablées à 30% sont de 40%. « Et c’est encore pire pour le sorgho dont les pertes sont de l’ordre de 50% », fait remarquer le responsable de la DPAE à Kirundo.

Des points positifs, dans ce tableau un peu sombre

« Pour la banane, les enquêtes menées dans toute la province donnent des résultats positifs. Par rapport aux récoltes des années précédentes, c’est plus du double. Et pour le riz, c’est pareil », fait savoir l’Ir. Adolphe Mbonimpa, satisfait de ces récoltes. Selon lui, pour le manioc et la patate douce, les récoltes seront bonnes.

D’après cet ingénieur agronome, il y a plusieurs catégories de personnes vulnérables dans ces localités qui accusent une précarité alimentaire chronique : il y a tout d’abord les familles dégagées de la réserve de Murehe, elles sont aujourd’hui installées à Ruzyege I et II. A côté de ces gens, il y a des sans terres, des enfants chef de ménages, des femmes abandonnées ou des veuves et des vieillards non assistés. « Quand le ciel n’est pas clément, toutes ces personnes vulnérables sont les premières à le sentir, à souffrir  », explique le responsable de la DPAE à Kirundo. « Et ce ne sont pas les seuls problèmes auxquels ces populations  font face », souligne-t-il.

Tout sevrage est difficile

Ces gens, poursuit-il, viennent de passer plus de 10 ans à bénéficier des aides d’urgence de la part des ONG humanitaires : « Avec ce programme, il est impossible de penser développement. Ces populations sont habituées à recevoir des aides, elles ne peuvent pas être des éternelles assistées ». D’après Adolphe Mbonimpa, il leur faut changer de mentalité. « Au lieu de cultiver le demi-hectare de terres donné, ces gens ont préféré mettre en location ces champs croyant que des aides en vivres allaient venir à la moindre alerte de disette. », dénonce ce responsable de la DPAE à Kirundo.

L’impact du changement climatique

La région naturelle du Bugesera qui englobe les communes de Kirundo, Busoni, Bugabira et une partie du sud du Rwanda est victime du changement climatique. Selon l’ingénieur, la situation évolue en dents de scie : « Quand le ciel est clément Kirundo devient le grenier du pays et quand le ciel se fâche, c’est la famine, les hommes abandonnent leurs familles, les femmes, impuissantes devant la force de la fatalité et de la calamité, se suicident pour ne pas voir leurs bébés mourir d’inanition.»

Pour cet ingénieur agronome, l’état des lacs du nord du Burundi qui pourraient « booster » la production avec l’irrigation, est alarmante. Ils s’assèchent de plus en plus et deviennent vaseux. Le lac Rweru, le plus large, n’a plus que 4 mètres de profondeur. Le lac Cohoha, 11 mètres de profondeur. Une forte irrigation pourrait avoir un impact négatif sur ces lacs qui reculent de plus en plus. Avec cette méthode culturale, l’eau utilisée ne retourne pas dans le lac : « Le lac Rweru a reculé de plus de 10 mètres. Pour le lac Cohoha, c’est plus de 25 mètres et c’est la catastrophe pour les autres petits lacs comme la Gacamirindi dans la commune de Bugabira, où les bananeraies ont remplacé le papyrus », s’indigne le responsable de la DPAE à Kirundo.

Un stock stratégique à tout prix

Selon l’Ir. Adolphe Mbonimpa, il faut commencer à collecter des vivres dans les localités qui ont eu de très bonnes récoltes pour secourir ces populations vulnérables avant qu’il ne soit trop tard : « C’est du porte à porte et l’administration est déjà mobilisée, on demande à chaque ménage de donner au moins 1 kg de vivres : cela peut être du haricot, du maïs, du sorgho ou du riz. Il n’y a pas longtemps, la province de Mwaro a bénéficié de 30 tonnes de vivres collectées à Kirundo », se souvient cet ingénieur agronome.
En attendant que la saison des pluies apporte, peut-être, son lot de consolations …

Fuir Gatete ou mourir

Mai, à Gatete, dans la commune de Busoni, au bord du lac Rweru. Les derniers nuages gris chargés de pluie s’éloignent. Aucun grondement du tonnerre qui annonce cette « manne » qu’attend cette population plongée dans le désespoir depuis des mois : « Après les pluies du mois de février lors des semailles, Gatete a connu plus de six semaines de sècheresse, pas une seule goutte de pluie. Une malédiction. », déplore Capitoline Nyabenda. Elle affirme être veuve mais les voisines me chuchotent que son mari l’a abandonnée. « Probablement qu’il est allé en Tanzanie ou en Ouganda pour chercher une vie meilleure », me lance une autre dame en me faisant un clin d’œil, complice.

<doc5867|left>Que de verdure mais…

Les apparences sont trompeuses, tous les champs sont verts et pourtant le cultivateur vous dira, la mort dans l’âme qu’il ne faut pas trop compter sur une pluie tardive. Bientôt, toute cette verdure va disparaître. « Les gousses de haricot commençaient à peine à pousser, les épis de sorgho ne portent pas encore de graines viables. Tout cela va se faner et s’assécher dans quelques jours, la grande saison sèche s’annonce », souligne avec amertume Léocadie Kabihogo, la trentaine. Quand les feuilles de haricot se mettent à flétrir, poursuit-elle, les cheveux des enfants se décolorent aussi. Un euphémisme pour ne pas nommer le kwashiorkor. Quelques enfants de ce village portent déjà les signes de cette ’’maladie des pauvres’’. Son spectre plane sur cette localité.

A Gatete, le ciel est de plus en plus dégagé, les cumulonimbus s’éloignent petit à petit pour aller arroser d’autres contrées lointaines, laissant cette localité dans la désolation. Selon la population, le ciel n’a été clément qu’à partir de la deuxième quinzaine du mois d’avril. Tous les champs de haricot, de maïs et de sorgho qui avait commencé à flétrir ont repris vie. « Les jeunes plants ont ressuscité mais pas tous. Ironie du sort, de toutes ces cultures, on n’attend pas beaucoup de récolte. On ne pourra même pas avoir ce qu’on a semé », s’indigne Joceline Nizigiyimana, portant sur la tête quelques feuilles de manioc et un peu de farine de maïs bien emballées dans un vieux sac en polyéthylène.

Travailleurs émigrés

Cette brave dame, avec son bébé au dos, venait du Rwanda, à quelques encablures. La plupart des habitants de cette localité se lèvent de bonne heure pour aller travailler dans les champs de tomates, de l’autre côté de la frontière. C’est pour un salaire de 500 Frw, à peu près 1000 Fbu : « C’est 1 Kg de farine de maïs de 800 Fbu et du sel pour 100 Fbu. Le reste, c’est pour l’huile de palme et c’est tout pour toute une journée de dure labeur », explique cette mère de 4 enfants.

Ces derniers passent toute la journée sans manger, ils ne se contentent que des tiges de sorgho un peu sucrées qu’elles mâchent. Ces bambins dont la plupart devraient être à l’école, restent à la maison comme la plupart de leurs camarades à attendre le retour de leurs mamans parties travailler et apporter de quoi manger. Ils disent qu’ils ne peuvent pas aller à l’école le ventre creux.
Pourtant, au Rwanda, explique la jeune maman, c’est l’eau du lac Rweru qui est utilisée pour irriguer d’immenses champs de tomates. Ils ont des moteurs pour pomper l’eau. Au Burundi, ceux qui ont des associations d’agriculteurs ont des pompes à pédale, mais disent qu’ils ne peuvent pas actionner ces machines à jeun.

Plus de 40 familles sont déjà parties

La situation à Gatete devient intenable. Le chef de colline, Faustin Bizimana affirme que plusieurs chefs de ménage s’en vont de l’autre côté de la frontière. « Quelques jours après, ils sont rejoints par le reste de leurs familles mais il y a des femmes qui rebroussent chemin, elles ne retrouvent pas leurs époux », fait savoir Bizimana. D’après lui, plus de 27 chefs de ménage sont déjà partis en Ouganda. Un de ses collaborateurs rectifie les chiffres et parlent d’une quarantaine de chefs de ménage qui ont déjà abandonné leurs familles. Un peu plus tard, j’apprends que plusieurs maisons ont été déjà vendues.

Un constat inquiétant

Les conclusions partielles d’une équipe d’enquêteurs de la DSIA (Direction des statistiques et de l’information agricole) et de l’ISTEEBU (Institut de Statistique et d’Etudes Economiques du Burundi) dépêchés au nord est du Burundi pour s’enquérir de la situation, sont alarmantes : « La plupart des ménages dans des localités comme Cimbogo, Gatete, Rwibikara, Cabariza et Vyanzo n’auront eu que 20 kg de haricot et pas plus de 15 kg de sorgho pour la saison culturale de février à mai 2012. »
Selon ces enquêteurs, ces paysans n’ont rien récolté lors de la saison culturale précédente. Par expérience et surtout par déception due aux mauvaises récoltes successives, ces paysans se méfient des caprices du ciel. La disette y est presque chronique. Au lieu de semer au mois de septembre les quelques kilos de haricot, de sorgho ou de maïs mis de côté difficilement, expliquent ces enquêteurs, ces paysans qui sont parmi les plus démunis, préfèrent braver les interdits et consommer ces semences. Sacrilège. Oser consommer la petite quantité de graines destinées pour les semailles est une injure, une malédiction, c’est s’attirer toutes sortes de calamités.

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