Mardi 19 mars 2024

Société

Kirundo/Gribouillage : Affaire scolaire ou pénale ?

22/03/2019 Commentaires fermés sur Kirundo/Gribouillage : Affaire scolaire ou pénale ?
Kirundo/Gribouillage : Affaire scolaire ou pénale ?
L'école fondamentale Akamuri a bénéficié de la part du lycée Kirundo des manuels de 9è et non de 7è.

Trois des six élèves de l’école fondamentale Akamuri poursuivis pour des gribouillis sur la photo du président seront transférées à la prison de Ngozi. La faute, quand a-t-elle été commise ? De quoi le procureur les accuse-t-il ? Quelle est la position de l’établissement ? Enquête.

Sur la route nationale vers la frontière avec le Rwanda, à moins d’un kilomètre du rond-point appelé  » Bretelle « , Kirera, une petite colline de la commune Kirundo.

Un sentier, quelques bananiers…Personne ne travaille dans les champs. Le silence est total. Le chemin mène à un petit établissement scolaire : l’école fondamentale Akamuri.

C’est là que le 7 mars, Freddy Anne Kaniwabo, une jeune écolière de la 7e année, remarque une rature sur la photo du président de la République dans son manuel. Inquiète, elle informe la direction de l’école. Ce manuel, elle l’avait prêté à un condisciple. La jeune écolière vient, sans le savoir, de lancer une affaire qui va défrayer la chronique.

La rature se trouve à la page 190. C’est la leçon sur la lutte contre la corruption. Elle reprend un extrait du discours d’investiture du président Nkurunziza d’aout 2010. Sa photo illustre l’extrait. Pour rappel, son discours avait été marqué par la politique  » Tolérance zéro  » envers la corruption.

Après, l’enquête va commencer au sein de l’établissement. Tous les livres du cours concerné seront collectés le lendemain. Ils sont au nombre de 20 d’après Isaïe Nkinzingabo, directeur de l’établissement.

Ces manuels n’ont pas été empruntés au Lycée Kirundo : « Ceux que nous avons acquis pour cette école sont ceux de la 9ème année seulement, et cela pour tous les programmes », assure le directeur.

Les 41 élèves, que compte la classe se les ont partagés au début de l’année scolaire. Un livre pour deux élèves. Un des élèves est désigné responsable devant la direction. C’est lui qui en répond en cas de perte, etc.

Dans les cinq manuels collectés par la direction, le constat est que la photo du chef de l’Etat souriant a fait l’objet des gribouillis. Une rature sur les dents dans l’un. Deux ratures dans l’autre. Etc.

Dans la foulée, 7 élèves, 6 filles et un garçon, sont identifiés pour en répondre. Il s’agit de Bélyse Iradukunda, d’Eliane Ingabire, de Micheline Ciza, d’Ange Carrelle Emerusabe, de Vestine Niyinyitungiye, de Freddy Anne Kaniwabo et de Kenny Mberamiheto.

La direction pour le règlement scolaire

Isaïe Nkinzingabo est favorable à la gestion de l’affaire par l’établissement.

Avec les emprunts, le manuel présenté par Freddy Anne Kaniwabo est passé entre les mains de trois élèves. L’enquête va porter sur tous les trois.
Pour les quatre autres concernés, chacun est responsable d’un manuel. C’est en son nom que le livre a été enregistré.

Après, le directeur convoque les parents des 7 élèves pour lundi 11 mars. A l’issue de cette rencontre, les deux parties se quittent après avoir trouvé un terrain d’entente.

Le directeur de l’établissement leur donne un délai d’une semaine pour le remplacement des cinq livres. Les élèves sont autorisés à continuer à suivre les cours en attendant l’aboutissement de l’enquête en cours à l’interne depuis jeudi 7 mars lorsque la direction a appris ces cas de gribouillis.

Les choses semblent claires : au terme de l’enquête, les auteurs seraient sanctionnés conformément au règlement scolaire. Le directeur invoque l’article 31, alinéa 18. Dans le règlement en vigueur depuis juillet 2017, cette disposition porte tout de même sur la « falsification prouvée des documents scolaires ».

La sanction correspondant est le renvoi de l’établissement. Aussi, l’auteur ne peut être admis dans un aucun autre établissement pour l’année scolaire en cours.

Avec le procureur, l’affaire prend une autre dimension

Mardi, les élèves se présentent à l’école comme à l’accoutumée. Sauf que l’affaire, jusque-là locale et apparemment en bonne voie de résolution, va prendre une autre tournure. En effet, entre-temps, le procureur en a eu écho. Le parquet décide de s’en mêler. Les 5 livres sont confisqués à des fins d’enquête.

Les 7 élèves, 6 filles et un garçon, sont mis en garde à vue. Kenny Mberamiheto est vite relâché. Il n’a pas l’âge de la majorité pénale fixé à 15 ans. Les autres sont toutes enfermées dans les cahots du parquet.
Trois d’entre elles, Carrelle Emerusabe, Vestine Niyinyitungiye, Freddy
Anne Kaniwabo, bénéficieront vendredi 15 mars « de la liberté provisoire ».

Lundi 18 mars, les trois élèves toujours sous les verrous comparaissent devant la chambre du conseil du Tribunal de Grande Instance (TGI) Kirundo. Cette juridiction promettra de se prononcer sur leur sort dans les 48 h, c’est-à-dire mercredi. Ce jour-là, elle confirmera leur détention provisoire. Elles devront être transférées à la prison pour mineures à Ngozi. Le conseil disciplinaire de l’école Akamuri de ce même jour décidera du renvoi pour 5 élèves. En plus des trois encore en prison, cette mesure frappe Ange Carrelle Emerusabe et Kenny Mberamiheto.


Des familles désemparées

Chanelle (à droite) a du mal à supporter l’absence de Micheline qui lui tenait compagnie en l’absence de son mari.

Les familles des trois élèves toujours sous les verrous sont dans le désarroi. L’absence de Bélyse Iradukunda, appelée Vanessa dans le voisinage, marque beaucoup sa famille.

Sa mère n’a pas le courage de parler. Elle appelle discrètement son mari. Il tue le temps dehors avec des voisins. Ildéphonse Murengerantwari, ne tarde pas à arriver.

Il s’assoit sur l’une des chaises de son salon. Trois de ses cinq libres enfants sont sur place. Il leur dit de fermer la porte donnant à la cour intérieure. Il a tenu à le faire pour celle par laquelle il est entré.
Cet ancien chef de quartier Runanira III s’efforce de rester serein. Mais une voix un peu tremblante trahit sa peur. Bélyse ne mange plus comme avant. Le père est inquiet.

Sa femme, habillée de pagnes, reste assise sur un tabouret. Elle paraît réservée. Pendant que son mari parle, elle fixe, prostrée, une photo de baptême de sa fille accrochée sur le mur. Elle essaie de se retenir, en vain. Elle est visiblement désemparée. Elle n’est pas convaincue que sa petite  » Vanessa  » ait gribouillé la photo du président. Elle parle d’une fille obéissante, pieuse, toujours polie.  » Non, pas elle « , murmure la mère, éplorée.

Elle ne comprend pas pourquoi le parquet a relâché une partie des présumées gribouilleuses : « Quand elles étaient toutes en prison, nous étions rassurés », glisse-t-elle. Elle appelle la justice à éviter du  » deux poids deux mesures  »

Cléophas Karenzo, père de Micheline Ciza, une autre présumée gribouilleuse, habitant à Rugero I, quartier Kigarama, prie pour que sa benjamine ne soit pas condamnée « injustement ». Croisé sur le chemin en fin d’après-midi du dimanche 17 mars, en route vers le parquet. Ce vieux de 64 ans, vêtu d’un pull bleu, apporte le souper à sa fille.

« Recours à la jurisprudence en cas de condamnation »

Du coup, sa belle-sœur, Chanelle, 22 ans, un bébé sur le dos, passe. Elle va aussi voir Micheline. Elle fait semblant de ne pas le voir. Elle regarde tout droit vers son chemin. Cléophas l’appelle pour qu’elle l’attende.

Chanelle approche. Elle va témoigner avoir du mal à supporter la solitude. Micheline Ciza lui tenait compagnie. Son mari, militaire, est en mission à l’étranger.

Rivera Kanama, 57 ans, mère d’Eliane Ingabire, la troisième présumée gribouilleuse, appelle à son tour à une enquête minutieuse : « Rien n’indique que ce sont les responsables des livres qui sont les auteurs de la faute ». Elle voudrait que la justice réserve un même sort à toutes les 6 élèves.

De son côté, le procureur indique que l’enquête est en cours. Il n’est pas favorable à la gestion de l’affaire au niveau de l’établissement. »Est-il exclu que des élèves soient justiciables? », s’interroge-t-il, avant d’invoquer les articles 393 et 394 du Code pénal. Ces dispositions portent sur l’outrage envers le Chef de l’Etat. Il indique tout de même qu’elles restent toutes des présumées innocentes.

Pour la Fenadeb, il faudra recourir à la jurisprudence en cas de condamnation. Des élèves accusés de la même infraction ont bénéficié du pardon en 2016.

Agées de moins 18 ans, ces présumées gribouilleuses risquent 5 ans de prison.

Quand est-ce qu'il y a outrage envers le chef de l'Etat ?

Selon l'article 394 du Code pénal : "Constituent des actes d'outrage les paroles, gestes ou menaces, les écrits de toute sorte ou l'envoi d'objets quelconques adressés à une personne chargée d'une mission de service public, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de sa mission et, de caractère injurieux ou diffamatoire, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie".

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