Dimanche 28 avril 2024

Société

Un cadavre autorisé à recouvrer sa liberté

Un cadavre autorisé à recouvrer sa liberté
Mevain Shurweryimana était âgé de 33 ans au moment de sa mort. - Félicité Nishemezwe a refusé le transfert de Mevain à Bujumbura pour bénéficier des soins appropriés

Comme cynisme, peut-être qu’il n’y a pas pire dans l’histoire de la justice burundaise. La décision de la procureure générale près la Cour d’appel de Gitega restera dans les annales. Elle a refusé de signer un mandat d’élargissement de Mevain Shurweryimana acquitté par la justice. Malade, il est décédé en prison, à 33 ans, malgré les appels de la directrice de la prison de Gitega qui demandait l’application de ce qui était un droit pour Mevain : sa libération. C’est quand elle a appris la mort du jeune homme que la procureure a signé finalement le mandat d’élargissement. D’un mort. Enquête.

Il s’appelait Mevain Shurweryimana, il était animateur dans l’Association pour la défense des droits humains et lutte contre le SIDA (MUCO). Cette association agréée en 2018 avait comme objectifs : la défense et la promotion des droits de tous les groupes discriminés, la lutte contre le VIH/SIDA/IST au sein de ces groupes et la promotion de l’épanouissement tant moral que matériel de tous les groupes discriminés. Cette association a été radiée sous l’injonction du parquet.

Mevain Shurweryimana a été arrêté, le 22 février 2023, avec 24 autres personnes par la police et le Service national de renseignement (SNR) alors qu’ils suivaient une formation sur l’entrepreneuriat organisée par l’Association Muco. « Dans un premier temps, ils ont été arrêtés pour homosexualité. Par après, le parquet a ajouté une autre infraction d’incitation à la débauche pour les 7 membres du staff de Muco. Mais le parquet n’avait pas de preuves tangibles. »

Le 21 août 2023, Mevain Shurweryimana et 17 coaccusés poursuivis pour homosexualité et incitation à la débauche sont acquittés par le Tribunal de Grande Instance de Gitega.

Pour la famille de Mevain, c’est le soulagement, car le jeune homme est très malade. Sauf que la Procureure Félicité Nishemezwe refuse de signer le mandat d’élargissement, le sésame pour sortir de la prison. Sans ce mandat, la directrice de la prison ne peut pas laisser sortir un détenu. Ce qui est logique.

Un médecin a ordonné un transfert, mais la procureure générale a signé un mandat d’élargissement après la mort de Mevain

A cette demande, assure une source à la Cour d’appel, elle aurait répondu : « Il ne faut pas être des avocats du diable. Vous savez combien de personnes acquittées, mais qui sont toujours en prison. Je les libérerai au moment opportun. »

Entretemps, l’état de santé de Mevain continue de se dégrader. Le 24 août 2023, un jour avant sa mort, la directrice de la prison de Gitega, Josiane Nishimwe, va rappeler au procureur l’article 262 du Code de Procédure pénale.

Dans une correspondance officielle, elle demande les mandats d’élargissement pour les détenus acquittés, dont Mevain, dans le dossier RMPG 8022/ND.J.D. L’article avancé par la directrice de la prison de Gitega, très professionnelle, rappelle que : « Le prévenu qui au moment du jugement est en état de détention préventive et qui est acquitté ou condamné à une simple amende est mis immédiatement en liberté, nonobstant appel, à moins qu’il ne soit détenu pour une autre cause. » Mais la procureur Félicité Nishemezwe ignore la correspondance et la loi.

Le détenu Mevain Shurweryimana mal en point a été évacué vers l’hôpital de Gitega. Le 25 août 2023, Mevain meurt. Son décès est constaté par un médecin de l’Hôpital de Gitega. « Il est mort à 3 heures du matin », confie un infirmier.

Ainsi fini à 33 ans la vie de Mevain Shurweryimana détenu jugé et acquitté par la justice et mort en détention faute d’un mandat d’élargissement refusé par la procureure.

Et c’est alors que commence ce qui sera le cynisme qui entrera dans l’histoire. En apprenant la mort de Mevain Shurweryimana, confie une source à la Cour d’appel de Gitega, Félicité Nishemezwe va signer un mandat d’élargissement pour Mevain. La signature de ce mandat d’élargissement à une personne décédée a choqué l’opinion.

Au moment où nous mettons sous presse, d’après les familles des détenus et les avocats de la défense, la procureure générale près la Cour d’appel de Gitega rechigne toujours d’appliquer la loi, de libérer les jeunes acquittés.

L’adieu à Mevain

Son épouse et sa fille en train de déposer une gerbe de fleurs sur la tombe de Mevain

Il est 11 heures ce mardi 29 août 2023 au cimetière de Mushasha. Les fossoyeurs s’activent. Une tente est érigée pour abriter la famille de Mevain Shurweryimana. Les amis du défunt commencent à arriver. Après quelques minutes, le corbillard arrive. Six jeunes gens soulèvent le cercueil où se trouve la dépouille de Mevain. C’est un cercueil simple avec des couleurs blanches et bleues. Devant la famille, un jeune homme porte la photo de Mevain en costume. La famille et les amis s’installent sous la tente. L’épouse de Mevain porte sa fillette de 4 ans sur les genoux. Elle garde le visage penché sur le sol. Elle ne veut pas montrer sa peine. Elle murmure tout le temps quelques mots à son enfant qui est assis sur son genou. Cette dernière ne comprend peut-être pas ce qui se passe. La mère de Mevain pleure discrètement. Derrière la famille, des gens pleurent à chaudes larmes. La douleur se lit sur leurs visages.

En prenant la parole, le grand frère de Mevain prévient d’emblée que la cérémonie sera courte. « Il n’y aura pas de discours de ses amis ni de ses collègues. Continuez seulement de prier. »  Il brosse une biographie succincte de son frère. « Mevain est né en 1990 sur la colline Higiro en commune Gitega. Il a fait ses études primaires et secondaires avant de venir « chercher la vie » dans la ville de Gitega. Il s’est marié il y a 4 ans et il laisse une petite fille. J’arrête là, car les mots sont inutiles. » Lorsque le cercueil est mis en terre, son épouse ne parvient plus à se retenir. Elle éclate en sanglots. Elle est inconsolable. Elle vient peut-être de réaliser que c’est la fin. Des gerbes de fleurs sont déposées : l’épouse accompagnée de sa fille, la mère, les autres membres de la famille et c’est tout. La cérémonie n’a pas duré plus de 45 minutes.

Toutefois, quelques personnes suscitent l’attention du public. Un homme circulait dans l’assistance en écoutant ce que les gens sont en train de dire. « Je le connais. C’est un juge de la Cour d’Appel de Gitega. Il n’est pas membre de la famille. Je ne sais pas ce qu’il est venu faire ici. Peut-être qu’il est venu pour le compte de la procureure générale », murmure un homme venu assister à l’enterrement. « J’ai vu aussi certains informateurs du Service national de renseignement », renchérit une autre personne à côté de lui.

Au cimetière de Mushasha dans la ville de Gitega, la tombe de Mevain Shurweryimana se démarque de celles qui se trouvent aux alentours. Pas d’épitaphe. Pas de photo ni de croix. Une tombe anonyme. Selon les proches, c’est la coutume chez les membres de la communauté des Témoins de Jéhovah, son Eglise. Quelques gerbes de fleurs sont déposées sur la tombe avec quelques inscriptions : « Nous, tes frères et sœurs, nous t’aimions beaucoup. On se reverra dans un Nouveau Monde. » ou « Tu as été un ami cher et fidèle, on ne t’oubliera jamais ».

Choquée et traumatisée, la famille n’a pas souhaité s’exprimer, un proche du disparu a confié : « Nous avons perdu un être cher, je n’ai rien à ajouter. Tout ce qu’on a écrit sur les réseaux sociaux est vrai. » 

Mevain Shurweryimana (fleur de Dieu), arrêté pour « homosexualité », jugé, acquitté et décédé en prison. Parce que la procureure lui a refusé ce que la justice avait décidé: la liberté.

 

Le comportement de la procureure a choqué. Mais que dit la loi ?
Un juriste interrogé sur les sanctions prévues pour un tel comportement des magistrats cite l’article 427 du Code pénal de 2017 : « Tout acte arbitraire et attentatoire aux libertés et aux droits garantis aux particuliers par des lois, décrets, ordonnances et arrêtés, ordonné ou exécuté par un fonctionnaire ou officier public, par un dépositaire ou agent de l’autorité ou de la force publique, sera puni d’une servitude pénale de quinze jours à un an et d’une amende de dix mille francs burundais ou d’une de ces peines seulement. » Et d’ajouter : « Et puis, administrativement, elle peut ou devrait être relevée de ses fonctions de responsable de parquet. »Contactée, Félicité Nishemezwe n’a pas voulu répondre à nos questions. Iwacu a tenté de joindre, sans succès, la porte-parole de la Cour suprême, Agnès Bangiricenge.

Forum des lecteurs d'Iwacu

11 réactions
  1. Nkurunziza Ignace

    A force de mettre au monde de façon incrontrolée la vie des burundais ne vaut plus rien,elle n’a plus aucune valeur.Laisser un jeune homme mourir montre à quel point les burundais n’ont plus de respect pour la vie.Même les femmes qui donnent la vie s’en moquent éperdument.C’est grave.
    Madame Nishemezwe,sachez que vous n’échapperez pas à vos mauvaises décisions.Chacun payera ses crimes ici bas y compris vous même.

  2. Mapoka

    La mauvaise gestion du Burundi fait pitié et donne la nausée. On est en face des gens sans foi et sans loi.

  3. Anonyme

    Ce n’est plus Madame la Procureure, elle se fait passer pour ou elle veut s’attribuer le titre de « juge des vivants et des morts ».

  4. Gacece

    Par définition, un procureur est avant tout un simple avocat qui représente l’État lors des procès. Depuis quand les procureurs ont-ils des pouvoirs qui ne sont pas de leur compétence? Parce que la loi les leur a accordés. Eh bien!… Que la loi change!

    Un procureur ne devrait pas avoir le pouvoir de remettre en question une décision du tribunal. Mais il y a aussi des précisions qui doivent être faites par le juge lors du prononcé de son jugement : les conditions de mise en liberté.

    Parmi ces conditions, le juge peut exiger que le prisonnier soit libérée dans x nombre de jours, qu’il doive respecter des exigences telles que : se présenter devant une autorité locale au moins x nombre de fois par période donnée (semaine, mois, etc.), avoir une conduite irréprochable, respecter une distance entre lui et la ou les victimes du délit pour lequel il a été condamné, suivre une thérapie, … sous peine de retourner en prison sans aucune autre forme de procès. Mais apparemment, au Burundi on aime tout faire de travers.

    Aussitôt le jugement prononcé le juge, c’est à l’autorité administrative de l’appliquer.

    • arsène

      @Gacece
      J’aimerais réagir à ce passage de votre commentaire:
      « le juge peut exiger que le prisonnier soit libérée dans x nombre de jours… »
      Le juge n’a pas à exiger un nombre de jours à respecter puisque la loi est clair sur ce point. Par ailleurs, si la procureure l’avait ignoré, la directrice de la prison le lui avait rappelé.

      Loi n°1/09 du 11 mai 2018 portant modification du Code de procédure pénale du Burundi

      Art.262.‐ Le prévenu qui, au moment du jugement est en état de détention préventive et qui est acquitté ou condamné à une simple amende, est mis immédiatement en liberté, nonobstant appel, à moins qu’il ne soit détenu pour une autre cause.

      Art.264.‐ Le prévenu en détention préventive dont la condamnation est déjà absorbée par la durée de sa détention préventive est aussitôt mis en liberté malgré l’appel du Ministère Public ou de la partie lésée ayant agi par voie de citation directe

    • Gacece

      @arsène
      Ce sont ces « immédiatement » et « aussitôt » qui causent problème. Après un jugement, il doit (il devrait!) raisonnablement y avoir un délai pour permettre à l’autorité administrative de préparer la libération du détenu.

      Je donnerai un exemple. Supposons qu’un jugement vient d’être prononcé un vendredi à 16:00 à Rumonge, en faveur d’un détenu résidant à Kirundo. Personne de sa famille n’était présent à l’audience. Et le directeur de la prison (ou tout autre responsable de sa libération) est absent. Il y a des jugements à rédiger (le juge ne se présente pas à l’audience avec un jugement déjà tout prêt), des ordonnances et des papiers à signer et à acheminer à qui de droit, des communications (appels, lettres, …) à envoyer, etc.

      Tout cela exige des délais. Et pour s’assurer qu’on ne va pas libérer quelqu’un et le laisser à lui-même, on doit s’assurer qu’il ait au moins le moyen de se rendre chez lui. Et ce n’est pas le juge qui paiera de sa poche. Et encore, si l’État ne peut pas le conduire à sa destination, on devrait lui donner la possibilité et le délai nécessaires pour obtenir ce moyen de déplacement par lui-même.

      « Le juge n’a pas à exiger un nombre de jours à respecter puisque la loi est clair sur ce point. » Oui! Je vous l’accorde! Et j’ajouterais que cette loi a tort! Et qu’il est impossible de la respecter telle quelle actuellement!

      Il fut un temps où les prisonniers étaient détenus à la prison de leur commune ou province et que c’est l’administrateur ou le gouverneur qui rendait les jugements. Si cette loi a été rédigée et promulguée pour la réalité de l’époque, elle est devenue obsolète pour la réalité actuelle.

      C’est pour cela que j’ai indiqué qu’elle doit changer.

      En précisant ce délai, le juge donnerait un délai raisonnable que toute personne impliquée dans le processus de libération doit respecter. C’est à la fois une facilité et une exigence. Et a mon avis, un délai d’une semaine à un mois est amplement suffisant selon la complexité d’un dossier…

      C’est ce genre de « vide juridique » laissé (sciemment ou pas) par les premiers créateurs de ces articles de loi qui laisse ces procureurs agir comme ils veulent.

      • Un Burundais qui en a Marre

        Chers @Gacece & @ Arsene
        C’est bien amusant de lire vos discussions légales qui, en fin de comptes ne servent à rien du point de vue du citoyen qui a de vrais soucis à gérer. Pour moi, un enfant grandira sans son père et une femme est devenue veuve, tout cela parce que le Burundi prouve tous les jours qu’il est devenu un pays où la vie humaine ne vaut plus rien. C’est devenu presque une culture Burundaise. Combien de Burundais qui sont dans la même situation? Combien d’orphelins ces faux juristes du ont créés?
        Remarquez, chers Mrs, que le prisonnier en question est tombé malade et personne n’a soulevé le plus petit dois pour l’aider. Dites mois chers Mrs, est ce que un prisonnier n’a t’il pas de droit aux soins médicaux en cas de besoin? Ou ce chapitre n’existe pas dans vos facultés de droit! Oublions un peu le fait qu’il devait être chez lui. Est ce que vous rendez compte de la gravité de la situation? Sortez un peu vos têtes du sable. Quelqu’un est directement coupable de sa mort et cette personne doit passer devant la justice!

      • Gacece

        Je ne sais pas si vous l’aviez remarqué, le médecin a ordonné un transfert du défunt vers l’hôpital le 9 août 2023, soit exactement 12 jours avant le jugement du 21 août 2023. Et 4 jours après le jugement, le pauvre patient est décédé!
        Non seulement la procureur a remis en question la décision d’un juge, mais aussi celle d’un médecin. C’est un meurtre!

        Un médecin est la seule autorité qui n’a pas besoin d’une autorisation d’un juge pour ordonner le transfert d’un détenu qui a besoin de soins de santé. Pourquoi alors un simple procureur devrait s’en mêler? Toujours ces fo*utus intermédiaires!

        Cette procureure devrait être emprisonnée et subir les mêmes traitements qu’elle a infligés aux autres.

        Cela étant dit, ce sont les lacunes dans les lois qui conduisent à des conséquences comme celle-ci. Et vous voulez qu’on se taise? Non merci!

        Le Journal Iwacu devrait ouvrir un dossier spécial pour tous les services publics et semi-publics où l’organisation desdits services se trouve paralysée à cause des intermédiaires.
        Ce n’est qu’une suggestion.

  5. Didicov

    Le développement c’est pas le nombre de bâtiments, de routes goudronnées, …. c’est la capacité d’une société a accordé la valeur a la vie. Par ce geste, la procureure vient de nous rappeler que le Burundi est une République bananière, sa vision de pays émergent, pays développé…SLOGAN: YOUTUBE, PHOTOSHOP, rien de plus. Le Burundi peut compter autant de lièvre et de lapins qu’en compte l’Australie mais, tant que des procureurs comme N. Félicité continueront de représenter la justice au Burundi, ne vous attendez point à aucun développement : AUCUN. La frustration finira par générer ce que je ne veux pas nommer et ramenera le pays à case départ.

    Mevin, nous vous disons: ayez votre repos éternel. A la famille, restez débout, ce pays finira par mettre chacun dans sa vraie place!

  6. Un Burundais qui en a Marre!

    Un jour viendra ou, les gens prendront la justice dans leurs mains! C’est le seul et le dernier espoir qui reste au Burundi.

    Cette histoire fait vraiment mal.

  7. Mafero

    Felicite Nishemezwe peut ne pas s’inquieter pour le moment et peut-etre qu’elle va continuer a prester ( ce qui est tout-a-fait normal au Burundi) mais la morale la condamne a rester la « Procureure des morts » toute sa vie! N’ayez pas peur de le lui rappeler si un jour vous la croisez se pavoiner sur les rues de Gitega.

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