Mardi 02 décembre 2025

Société

« Igichose » rend la vie intenable au Lycée Kirundo

« Igichose » rend la vie intenable au Lycée Kirundo
Les jeunes filles du Lycée Kirundo demandent une assistance en serviettes hygiéniques et en eau potable.

Au Lycée Kirundo, les jeunes filles vivent un véritable calvaire pendant leurs menstruations : infections récurrentes, absences en classe, humiliations… En cause, l’absence totale d’eau potable dans l’établissement. À l’occasion des 16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre, elles lancent un cri d’alarme.
Reportage.

Sur la colline Rugero, commune Kirundo, se dresse le Lycée Ndadaye, plus connu sous le nom de Lycée Kirundo. Au premier regard, rien ne le distingue d’un établissement public ordinaire : bâtiments anciens, terrains de jeux, salle polyvalente… À la pause, des élèves circulent entre les dortoirs et les salles de classe, uniformes impeccablement lavés. En apparence, tout semble normal.

Mais derrière cette normalité se cache une réalité lourde et silencieuse. Les jupes noires et chemises blanches dissimulent un sujet encore tabou : les menstruations. Deux adolescentes chuchotent. L’une murmure : « Ndi mu gichose wangu ». Ce terme, incompréhensible pour les non-initiés, désigne dans leur jargon les règles. Une élève explique : « Igichose, c’est notre façon pudique de dire que nous sommes en période de menstruation. Et ici, c’est une période très difficile à vivre. »

Sans eau potable, vivre ses règles devient un supplice

Dans cet internat mixte, la pénurie d’eau potable est un problème quotidien. Pour les filles, elle transforme chaque cycle menstruel en épreuve.
Jeanne d’Arc Iteriteka, 18 ans, élève en 3e année Sciences A, raconte :
« Le matin, tu peux aller en classe sans savoir que tes règles commencent. L’écoulement te surprend. Tu restes assise pour ne pas attirer les regards. Quand tu te lèves enfin pour rejoindre le dortoir, certains ricanent ou se moquent. C’est humiliant. »

Même arrivée au dortoir, le problème persiste. « Ici, chacune garde un petit bidon d’eau pour sa toilette du matin. Il n’y a jamais d’eau dans les douches. Quand tes règles commencent, tu dois te laver avant de mettre une serviette. Et s’il n’y a plus d’eau, tu ne sais pas quoi faire », confie-t-elle.
Certaines manquent aussi de serviettes hygiéniques. « Si le flux est intense, tu peux utiliser un paquet en trois jours », poursuit-elle. « Quand tu n’en as plus, tu fais avec… ce que tu trouves. »

Medine Uwingabire, 19 ans, en 3e année Langues, souligne que pour les filles issues des familles modestes, impossible d’avoir des stocks suffisants. Les serviettes réutilisables ? « Encore plus compliquées. Il faut les laver et les sécher au soleil. Sans eau, c’est impossible. Et mal lavées, elles provoquent des infections. »

Les conséquences se font sentir jusque dans les douches : « L’eau rougie coule, le lieu devient malodorant, faute d’une quantité suffisante pour nettoyer. Et cela entraîne des infections. »

Les absences en cours sont fréquentes. « Certaines ont des règles très douloureuses. Elles restent au dortoir. Mais un professeur peut donner une évaluation ce jour-là. Quand tu demandes un rattrapage, on te demande un certificat médical. Or on ne va pas à l’hôpital pour ça », regrette Medine.

Un risque sanitaire permanent

Infections vaginales, typhoïdes, manque d’hygiène… Les impacts sanitaires sont réels.
« Beaucoup de filles souffrent d’infections. C’est à cause du manque d’eau », déplore Medine Uwingabire. « On n’a pas assez d’eau pour laver correctement nos assiettes et les ustensiles de cuisine. »

Kenthia Arakaza, 18 ans, en 3e année Langues, évoque la propreté des sous-vêtements :
« Ils ne sont pas lavés régulièrement. On porte parfois un sous-vêtement déjà souillé, faute d’eau. C’est une source d’infection. »
Les trois jeunes filles demandent un soutien d’urgence : serviettes hygiéniques, eau potable, réservoirs fonctionnels. « Le lycée doit absolument être alimenté en eau », insistent-elles.

« Elles préfèrent rester dans les dortoirs »

Agnès Ntahompagaze, enseignante et Tante École, confirme l’ampleur du problème :
« La pénurie d’eau est un casse-tête. Pendant leurs règles, les filles ont tellement peur d’être ridiculisées qu’elles restent dans les dortoirs. Elles ne se confient pas aux professeurs, qui sont majoritairement des hommes. Elles ratent des évaluations, et leurs résultats en pâtissent. »

Agnès Ntahompagaze : « Faute de moyens, certaines élèves utilisent des bouts de tissu. Cela provoque des infections. »

Une petite salle a été aménagée pour permettre aux filles de se changer en cas de besoin, mais… elle est, elle aussi, dépourvue d’eau.
« Le réservoir du lycée est sec depuis trois ans. Les filles doivent descendre dans la vallée pour puiser de l’eau. Là-bas, elles se retrouvent dans des files interminables, parfois violentes. Certaines personnes utilisent même des lames de rasoir pour se frayer une place. Les filles rentrent souvent les mains vides. »
Les infections sont monnaie courante. « La semaine dernière, quinze lycéennes en période de menstruation ne sont pas allées en classe. Elles manquaient d’eau pour se préparer », confie-t-elle.

Quant aux serviettes hygiéniques, la situation est critique :
« Certaines utilisent des morceaux de tissu, ce qui provoque des infections. Nous avons quelques serviettes d’urgence, mais 60 % de nos élèves sont des filles. C’est insuffisant. Nous avons approché une ONG pour des serviettes réutilisables, mais sans eau, ça reste un mirage. »

L’administration promet… sans calendrier précis

Interrogé, l’administrateur communal de Kirundo, Jean Berchmans Ndikuriyo, reconnaît l’urgence :
« La distribution d’eau potable au lycée Kirundo sera une priorité. Je ferai tout mon possible. Mais l’établissement doit aussi prendre des initiatives, par exemple en installant un système de collecte d’eau de pluie et des réservoirs. »

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