Mardi 18 mars 2025

Les billets d'Antoine Kaburahe

BILLET – UN SALON POUR L’HISTOIRE

05/03/2025 13
BILLET – UN SALON POUR L’HISTOIRE

Lorsque j’ai appris l’existence de ce budget ahurissant de la CNIDH pour l’année 2024-2025, j’ai immédiatement pensé aux nombreux cris d’alarme du président Ndayishimiye qui, dans plusieurs de ses discours, dénonce la mauvaise gouvernance et la gabegie de certaines institutions étatiques. Tenez-vous bien : la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) avance, pour 2024-2025, un budget vertigineux, au vu du contexte économique.

Des chiffres incroyables. Personnellement, j’ai d’abord cru à une intox, un canular grotesque. Mais après plusieurs recoupements facilités par diverses sources proches du dossier, scandalisées, il s’est avéré qu’effectivement, ce budget, qui entrera certainement dans les annales, est authentique.

Prenons, pour commencer — car ce sera un feuilleton —, cette affaire d’un « salon VIP » prévu dans le budget pour la modique somme de 150 millions de FBU (environ 46 000 dollars, selon le taux officiel). Scandalisé, j’ai publié sur X un post contenant quelques chiffres incroyables de ce budget, dont Iwacu a reçu une copie. Soit dit en passant, dans un souci de transparence, les budgets de certaines institutions devraient être publics, comme c’est le cas dans de nombreux pays.

Les « Misega » d’Iwacu

Après mon post, les réactions ont commencé à pleuvoir, en public comme en privé. Apparemment, le président de la CNIDH a allumé des contrefeux. Une personnalité m’a appelé pour m’informer qu’elle venait d’échanger avec le président de la CNIDH, en mission en Europe.

D’après lui, cette information serait « fausse ». Ce serait un coup monté par « des informateurs malintentionnés ». Cette personnalité, visiblement proche du président de la CNIDH, m’a demandé mes sources ! Elle est même allée jusqu’à me souffler quelques noms de personnes supposées être nos informateurs. Choqué, j’ai répondu, comme tout journaliste digne de ce nom, que la question n’est pas de savoir qui sont nos sources, mais de vérifier si les chiffres avancés dans ce budget sont vrais ou faux. La conversation s’est terminée en queue de poisson.

Puis, sur X, un compte manifestement en service commandé est venu au secours du président de la CNIDH, avançant un autre chiffre, tiré d’un document émis par les marchés publics et disponible en ligne : le montant prévu pour l’achat du fameux salon ne serait “ que de 127,118 644 millions de FBU ” et non 149 544 352 millions de Fbu. Soit 22 425 708 millions de moins, ce qui reste toujours scandaleusement élevé. Les lecteurs apprécieront. Mais, jusqu’à preuve du contraire, Iwacu maintient le chiffre de 149 544 352 millions, qui se trouve dans le budget transmis à la Cour des comptes. Pour rappel, depuis 17 ans, Iwacu n’est pas connu pour diffuser des « fake news ». Ce ne sont pas nos méthodes.

Puis, les messages ont continué d’affluer. Beaucoup nous ont soutenus (merci à eux), d’autres nous ont insultés (nous avons l’habitude). Plusieurs messages ont circulé : une autorité de la CNIDH a qualifié les journalistes d’Iwacu d’« Imisega » — chiens faméliques, en kirundi. Soit. Au nom de la liberté d’aboyer, nous assumons le qualificatif. Iwacu fait son travail.

Un budget scandaleux

Revenons aux questions essentielles : comment le président d’une institution censée défendre les citoyens ose-t-il proposer un tel budget dans un pays où tous les indicateurs économiques sont au rouge ?

Alors que des milliers de justiciables burundais demandent presque chaque jour au président de la République et à la ministre de la Justice un traitement rapide de leurs dossiers, le président de la CNIDH concocte un budget où presque 62,5 % des fonds sont alloués aux voyages à l’étranger !

Le travail du président de la commission des droits de l’homme au Burundi se fait-il à Genève, Paris ou New York ? Oui, certainement, le président de la commission peut voyager et assister à quelques conférences internationales importantes. Mais est-ce normal que le budget « voyages » soit doté de près d’un demi-milliard de FBU (476 000 000 de FBU), alors que le budget pour la promotion des droits de l’homme — un travail essentiel de la commission — ne dispose que de 90 000 000 de FBU, soit 11,8 % du budget ? Le travail de la commission se fait-il en avion ou sur le terrain, au plus près des Burundais qui ont besoin d’aide et dont les dossiers sont en souffrance ?

Visiblement, les comptes de la CNIDH posent problème. Il y aurait déjà eu un rapport d’audit de la Cour des comptes très alarmant. Ce rapport aurait créé des tensions terribles entre la présidente de la Cour des comptes et son adjoint, tensions à l’origine du limogeage de ces deux autorités à la tête de la Cour des comptes.

Il semblerait que depuis la présentation du rapport annuel de la CNIDH en février dernier, l’affaire fait scandale à l’Assemblée nationale. Nous osons espérer que, cette fois-ci, les Burundais auront droit à toute la vérité. De son côté, Iwacu continue à enquêter.

Un salon pour l’Histoire

Face à ce budget qui fait la part belle au luxe et aux voyages, que doivent penser les juges et magistrats de nos provinces, ceux-là mêmes à qui la ministre de la Justice demande — à raison — d’accélérer le traitement des dossiers pour désengorger les prisons notamment ? Tout le monde sait que le personnel judiciaire travaille avec des moyens modestes.

Que vont penser les donateurs internationaux qui financent la CNIDH d’un tel budget ? Pour rappel, cette commission a déjà perdu son statut A, un indicateur fort du respect des standards internationaux en matière de promotion et de protection des droits humains. Ce n’est pas avec de tels engagements budgétaires, qui prévoient, entre autres, un salon VIP et des voyages représentant 62 % du budget, qu’elle le retrouvera… Après, bien sûr, on accusera « les colons qui ne veulent pas soutenir le travail de la commission ».

Quant à ce salaud… pardon, ce salon (je me perds parfois dans les subtilités de la langue française), je suggère qu’il trouve une place de choix au Musée national de Gitega. Il pourrait ainsi remplir une fonction pédagogique en illustrant, pour les générations futures, les dérives de la gestion fantaisiste des deniers publics.

Après tout, l’histoire retient aussi bien les exploits que les extravagances…

Diplômé de l’ ESJ (Ecole Supérieure de Journalisme) de Paris et Lille, Antoine Kaburahe a fondé le Groupe de Presse Iwacu. Il est aussi écrivain et éditeur https://iwacu.online
En 2015, faussement accusé d’être impliqué dans le coup d’Etat au Burundi, comme de nombreux responsables de médias, il est contraint à l’exil.
Analyste reconnu, défenseur de la liberté de la presse (membre de Reporters Sans Frontières) ; il poursuit une carrière internationale.

Contact: [email protected]

Forum des lecteurs d'Iwacu

13 réactions
  1. Kibinakanwa

    Merçi beaucoup à Monsieur Kaburahe d’avoir aboyé
    Nous ajoutons silencieusement nos aboiements au votre.
    A vomir, réellement à vomir.
    Le président de la CNDIH a une excuse, si on peut appeler cela une excuse.
    C’est tout le système qui est coupable.
    Il n’est malheureusement pas le seul gestionnaire qui se permet une telle monstruosité
    C’est un cancer. Comme au Zaïre de Mobutu

  2. Jean-Claude NDORERE

    Merci Antoine d’oser dénoncer. Sagemment comme vous savez le faire. Ensuite, je voudrais ici aboyer comme ils disent. Je suis très assomé par ce budget. Un salon qui coûte des centaines de millions pour s’assoier dans un pays où le salaire mensuel d’un fonctionnaire normal ne peut pas 10kg de viande. Non. C’est même grave cette façon de vouloir vivre dans le luxe abérrant en gaspillant le peu du peuple qui existe. Faisons le calcul: Imaginer ce que ce montant peut faire si on voulait acheter les pupitres des classes qui n’en ont pas? Un demi milliards pour les voyage à l’étranger. C’est quoi ce problème de certains africains d’être aussi impitoyables face aux concitoyens? De quoi le peuple gagne à faire des aller-retour Paris-Génève avec des milliards alors que les prisoniers politiques parfois, souffrent, certains meurent dans les géoles suite aux défauts des procédures pénitentielles ou au refus tout simplement de leur donner le droit de se soigner? C’est même inhumain. Parfois, je me sens fatigué d’y penser même. Toujours et toujours la même chose: Maximiser la vie luxueuse sur le dos du peuple affamé. Qu’est ce qui ne va pas réellement? Crise morale? Abaturoze? Inhumanité? C’est quoi réllement le problème! Parfois, j’ai honte d’être Burundi. Oui vous avez bien entendu: Honte est le mot que j’ose utiliser.
    Ce président dont il est question a fréquenté les belles écoles. Il a vécu ailleurs, il a vu ce qui fonctionne et ce qui ne l’est pas. Pourquoi il ne peut pas faire ce qui sensé être logique?
    Vous savez, à l’époque où les projets de la bonne gouvernance, appuyé par la B.M et la Belgique exigeait une transparence, des bugets étaient affichés sur les bureaux communaux au vu de tous. Un jour j’ai vu le budget d’une commune qui etait aux alentours de 60millions si ma mémoire ne me fait pas défaut. J’ai tout suite pensé à un Général qui venait de construire un complexe évalué de plus d’un milliard. Ce général n’était ni commerçant ni détenteur d’un brêvet d’invention. Il était plutôt géstionnaire des biens publics. Sur les collines voisines, des enfants parfois nus mal nourris, des hommes et des femmes extrênement affamés. Dans ma tête, j’avais milles questions: comment on parvient à dormir quand on vit dans l’opulence alors que son voisin,…ses compatriotes n’ont strictement rien? J’avais tellement mal à apprehendre cette triste réalité. Comment se fait-il que personne dans l’entourage de la sphère politique ne pose pas de question? La peur. La Lachêtè. La normalisation de l’immoralité. Pour moi, ce qui est plus grave n’est pas ceux qui le font mais ceux qui les regardent sans rien dire. C’est vraiment révoltant qu’au 21è siècle, on en est encore à budgetiser 62% pour les voyages à l’étranger. Et allouer moins de 15% du budget à ce qui devrait être réalisé. Si ce n’est un vol organisé, trouver moi un autre moi approprié! Sérieusement mon pays va très très mal.

  3. TM

    La fameuse CNIDH!!! C’est un scandale de plus, espérons que c’est le dernier. Un jour, le même président a sapé le processus de recrutement du personnel, retenant ceux n’ayant pas passé les épreuves au détriment des concurrents réguliers. Les commissaires auraient décrié le jeu et Sixte Vigny de rassurer qu’il ne récidivera pas.
    En 2015, Baribonekeza banalisation avec le gouverneur de la province Buturi d’alors le meurtre d’un détenu au cachot par le tristement célèbre Nyiganga. Il défendais mordicus les violations des droits politiques par le pouvoir, niait l’evidence quant aux disparitions forcées…que sais-je encore?
    Mais à cette heure où je tape sur le clavier de mon portable, où est-il?
    Hélas rien n’interpelle personne pour une prudence dans l’avenir.
    Monseigneur E. Ntakarutimana doit être sérieusement chagriné pour avoir dirigé l’institution avant sa « nyakurisation ».

  4. Nshimirimana

    Monsieur ,
    Je viens de lire le démenti du président du Cndh. Et si le vous le diffusiez ? Avec ce qu’il raconte , son discours ne tiendra pas trois secondes. Bravo d’avoir aboyer ! Votre aboiement vient de faire la première victime: un démenti sans démentir !

  5. Abisindabazi

    Si Ndayishimiye était capable d’exercer son pouvoir aujourd’hui même le président de la CNIDH devrait passer sa premier nuit à la prison central(Mpimba)

  6. Nshimirimana

    Cher Monsieur,
    S’ils estiment que vous êtes des « Imisega », heureusement que vos « museaux » échappent encore à leurs muselières!
    Courage!

  7. saleh

    Joli post.

    Mis à part le problème central, traité majestueusement par Antoine, un autre problème, récurrent se pose, dans la population Burundaise (les dirigeants n’en étant qu’une représentation).

    Quand on soulève un problèmes, les discussions tournent très souvent, trop souvent , autour des questions très périphériques. Trop souvent même, au lieu de débattre, on insulte, on cherche à blesser l’autre, à le rabaisser, les tensions montent sur base des émotions ainsi suites et ces questions périphérique au grand dam de la question centrale.

    Exemple ici : on pose le problème du budget inhabituelle et injustifiable de la CNIDH mais les questions se posent sur les sources de l’information, on insulte l’auteur, etc…

    Je me rappelle un autre billet qui soulevait exactement le même problème :
    https://www.iwacu-burundi.org/billet-la-pacification/

    Tiens , il y a un gars qui a dit que l’émotion est nègre comme la raison est hélène. Avant je le critiquait. Je me demande si j’avais raison…surtout en ce qui concerne les burundais

  8. Jean Pierre Hakizimana

    What else?

    Rien ne devrait choquer les Burundais concernant l’administration sur place. L’autre jour j’ai vu une video dans laquelle Evariste Ndayishimiye, palre d’un barrage de Panda, et une stock d’essence de 4 mois qui a disparue, comme cela ‘Poofff! ». C’est qui est triste est qu’il avait l’impression de croire ce qu’il rancontait ! Et les autres devant lui prenaient des notes! et la je me demadais de quoi il parlait.

    • Munezero

      Cher Pierre,
      Nous aussi avons été abasourdis.
      Personne alors dans la salle ne lui a demandé le rôle du Président et son gouvernement.
      It’s shocking and unbelievable.
      A propos du barrage de Mpanda, un ministre a donné par patriotisme un building au gouvernement du Burundi (Le ministre a été décoré 1er Juillet).
      Nous nous demandons où ce ministre a trouvé cette richesse qui justifie sa magnanimité

    • Stan Siyomana

      @Jean Pierre
      Ca fait des annees que l’on parle de corruption au Burundi, ca fait des mois que l’on parle de problemes dans l’approvisionnement en essence/petrole, COMMENT EST-CE QUE UNE QUANTITE DE PETROLE QUE LE PAYS PEUT CONSOMMER EN QUATRE MOIS PEUT DISPARAITRE COMME CA. Est-ce que Mr le president n’a pas de services de renseignement?

  9. Riraniga

    Tout de même, n’a t on pas honte?
    Un pays qui n’est plus capable d’importer du carburant peut il se permettre une telle gabegie?
    Pathétique

  10. Kibinakanwa

    Merçi beaucoup cher Kaburahe.
    Sans commentaires.
    Dans les républiques bananières, il ne faut pas trop gloser.

  11. NDAYISHEMEZA Denis

    La CNIDH, dans les rapports des années antérieures, elle ne rapportait aucun cas de disparitions forcées. Dans son rapport 2024, elle rapporte au moins 18 cas de disparitions, mais évite soigneusement de les qualifier de « disparitions forcées » en disant que les auteurs ne sont pas connus.
    Des milliers de Burundais lui soumettent les dossiers des leurs, mais ne communique jamais le résultat de ses enquêtes. Les citoyens maintenus illégalement en détention après avoir purgé leur peine, ne cessent de demander à la CNIDH d’intervenir, mais cette dernière brille par un silence assourdissant et complice.

    Je pense qu’en contrepartie, le président de la commission obtient le feu vert de gérer le budget de la commission comme son propre argent de poche.

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