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Chronique d’un désamour

30/07/2011 Commentaires fermés sur Chronique d’un désamour

Comment le Premier Vice-président Térence Sinunguruza en est-il arrivé à se tromper, décrivant l’ambassadeur Joseph Weiss de persona non grata? Parallèlement, la sentence prononcée par la justice burundaise à l’encontre du Français Patrice Faye à l’issue d’un procès controversé jette le discrédit sur la justice burundaise. Tout ceci n’est pas pour arranger l’image d’un pays qui veut attirer les investisseurs, créer et consolider des liens avec des pays « amis ».

Consternation à l’Auswärtiges Amt (Office des Affaires Étrangères), à Berlin, en apprenant les déclarations du responsable du Premier vice-président, Sinunguruza : « Est-ce que vous connaissez les circonstances dans lesquelles il (l’ambassadeur d’Allemagne) est rentré? Il a été déclaré persona non grata », a annoncé le 1er vice-président de la République, sûr de lui-même, devant un parterre de responsables politiques. C’était le 25 juillet 2011. Au delà de cette énorme bourde diplomatique, c’est une désunion qui éclate au grand jour. Le lendemain, le très populaire quotidien allemand Stern reprenait la nouvelle dans ses colonnes…

La réaction n’a pas tardé à venir, le ministère allemand des Affaires Étrangères exige des excuses au gouvernement burundais. Et pour cause : l’ambassadeur Joseph Weiss a quitté le Burundi pour des vacances annuelles, avant qu’une note de départ définitif ne soit envoyée au ministère des Relations Extérieures. Il n’a jamais été fait mention de persona non grata ni à Berlin ni à Bujumbura. A moins que le lapsus ne soit le symptôme du rejet qu’inspirait désormais sa personnalité au gouvernement burundais. Car il n’en a pas toujours été ainsi…

Un attachement …

Au-delà des devoirs professionnels, M. Weiss a aimé le Burundi. Quand il est accueilli par la Rédaction d’Iwacu en novembre 2008, il évoque « le fort lien d’amitié qu’il ne faut pas sous-estimer et unissant nos deux peuples », puis annonce, -déjà-, le soutien de l’Allemagne au « processus électoral, pour que toutes les conditions soient réunies en vue du déroulement d’élections transparentes et équitables. » Pour prouver cet attachement, le diplomate allemand n’hésite pas à passer des nuits dans le Burundi profond, loin de tout confort pour connaître les conditions réelles du pays. Et, confiant, jusqu’à son départ, on ne le verra jamais avec des gardes du corps durant ces déplacements à l’intérieur du pays. Le message était clair.

Le 8 octobre 2009, il signe avec le ministre Samuel Ndayiragije (Énergies et Mines), des accords pour une aide bilatérale de 22,5 millions d’Euros de 2010 à 2011. De ce montant, 18,5 vont dans l’alimentation en eau potable, 4 dans la promotion de la décentralisation et la lutte contre la pauvreté.
Deux jours avant, la presse officielle titrait « La coopération entre le Burundi et l’Allemagne va bon train », alors que l’ambassadeur d’Allemagne venait de promettre une aide en formation aux journalistes de la RTNB.

… volontariste

Et c’est avec animosité que l’opinion politique anti-Cndd-Fdd voit ce drôle d’ambassadeur monter presque deux fois par mois à l’intérieur du pays, pour voir tels petits projets à Cankuzo, ouvrir des postes de police modernes à Makamba, lancer un projet d’adduction d’eau potable à Gisozi (Mwaro). La ressemblance entre ces présences assidues d’un diplomate allemand « sur terrain » et la « politique de proximité avec le peuple » du Président Nkurunziza est saisissante.

Quand on lui dit qu’il est le plus « cnddiste » des diplomates à Bujumbura, M. Weiss sourit poliment. Puis, les traits tirés, explique (avec raison), qu’il faut sortir de la capitale pour comprendre les vrais besoins du peuple, sa psychologie. Bref, la culture du pays.

Bien plus, ses nombreuses apparitions dans les médias n’arrangent pas les choses. Dans certaines missions diplomatiques à Bujumbura, on est agacé par « ce Monsieur qui aime se faire voir ». M.Weiss, lui, pense sûrement à l’image de son pays qui était, en 1980, le premier bailleur extérieur du Burundi, notamment à travers l’ex-GTZ (Coopération Technique Allemande) devenue G.I.Z. Il investit, certes modestement, dans la « diplomatie douce » : cours d’allemand au Lycée du Saint-Esprit et à l’École française, cinéma allemand (et burundais), dans la bien nommée case des Amitiés Allemagne-Burundi, événements culturels (cinéma, littérature, semaines dédiées à l’Allemagne à l’ex-CCF).

Puis les élections

A moins de deux mois des élections de 2010, l’ambassadeur met un beau matin ses souliers de montagne, prend son parapluie et avec quelques journalistes, des membres de son équipe et un député du coin, monte à Bujumbura rural. Iwacu titre, sur cette marche de 11 km, [« Sur la Chaussée d’Astrida » : …Verdict après trois heures de voyage, dont une heure de marche: «L’ouverture de la route est urgente et évidente», conclut l’ambassadeur Joseph Weiss.
Puis le 24 mai arrive. Quelques jours auparavant, le diplomate allemand confiait à un confrère sa confiance dans la CENI, dont la mise en place était un « cas rare » en Afrique : « Combien de présidents africains accepteraient de nommer une telle institution avec des gens si peu ‘contrôlables ‘ ? »

Quand l’opposition crie au « hold-up électoral », consternation. Les grandes ambassades à Bujumbura, dont la Belgique, la France et l’Allemagne envoient discrètement tous les signaux possibles aux leaders de la future ADC – Ikibiri pour qu’ils reprennent le chemin des urnes, s’installent au Parlement pour construire un combat politique « dans le long terme », plus efficace et surtout, qui évite de briser les étapes franchies par ce processus de paix dans lequel les Européens ont tant investi.
Non seulement l’ADC Ikibiri refuse, mais des menaces proviennent de cette dernière contre l’ambassadeur Weiss, « trop pro-Cndd-Fdd ». Un des ténors de l’opposition l’insultera même, ce qui a laissé meurtri M. Weiss.

Parler développement

« La vie d’un pays, ce n’est pas seulement la politique », analyse M. Weiss. Le 29 mai 2010, il est à Gitega pour évaluer l’action d’associations financées par l’Allemagne et œuvrant dans la réconciliation communautaire. Le 12 septembre 2010, il est de retour avec une délégation de 12 parlementaires allemands venus évaluer l’impact de l’aide dans cette province. En décembre 2010, en jean et sous une petite pluie, chaussé comme un randonneur, M. Weiss avec des responsables de l’ex-GTZ sont à Kanyosha, dans Bujumbura rural, où les premiers assassinats à caractère politique sont déjà signalés. [Objectif : parler développement. ->http://www.iwacu-burundi.org/old/index.php?option=com_content&view=article&id=2319]
L’ambassadeur allemand annonce que six pistes d’une longueur totale de 53 km vont être réhabilitées pour un montant d’un 1,565 milliard de Fbu en 2011.

Le 17 janvier 2011, c’est en compagnie du chef de la diplomatie burundaise, M. Augustin Nsanze, que l’ambassadeur Joseph Weiss [visite un hôpital moderne construit à Kajaga par la Fondation Stamm->http://www.iwacu-burundi.org/old/index.php?option=com_content&view=article&id=2522], et financé par l’Allemagne. L’établissement jouxte une école avec deux sections de pharmacie et techniques médicales.

Puis les choses se gâtent!

Telle n’est la surprise, dans les milieux de la presse burundaise, en apprenant que le gouvernement burundais s’est plaint auprès du ministère des Affaires Étrangères allemand d’un ambassadeur « trop proche de l’opposition », qui « s’ingère dans les affaires internes burundaises »…
Comment expliquer ce soudain revirement ? Est-ce son appel du vendredi 17 septembre 2010 à « faire la lumière sur les attaques de Rukoko », dans lesquelles ouvriers d’un champ de cannes à sucre et vaches ont été tués ?

Pourquoi pas ? « Possible. Tellement la susceptibilité sur le sujet de la sécurité est grande, dans le langage officiel », commente un analyste.
Dans les dizaines d’hypothèses qui seront échafaudées pour expliquer ce changement d’attitude envers l’hôte germanique, les critiques se focalisent sur la « crudité » du langage du diplomate allemand, qui a la réputation de dire les choses « sans nuances ».

Ces fameux sketchs

Mais le véritable ras-le-bol a peut-être été atteint quand l’Ambassade d’Allemagne finance une série de 18 sketchs télévisés réalisés par … Patrice Faye ! Diffusées par Télé Renaissance (un autre médium classé ‘opposition’ par une certaine opinion) dès la fin mars, ces courtes séquences de cinq minutes en moyenne ne sont pas tendres avec certaines pratiques ayant cours dans le pays (corruption, violation des droits de l’homme, etc.)

L’objectif annoncé par M. Joseph Weiss lors du lancement de cette série à l’IFB est de « sensibiliser à la promotion des Droits de l’homme au Burundi ». Ambiance de l’un des sketchs : « Allô, ici ministère des Affaires Impossibles! »… C’est le quotidien d’un « imaginaire » ministère burundais, où les secrétaires passent leur temps au téléphone au lieu de servir le peuple. Plus loin, un autre sketch fustige une police corrompue. Pour marquer son implication dans ce travail qu’il croit utile pour « secouer les mentalités », l’ambassadeur allemand devient lui-même acteur, jouant un malade blanc qui obtient toutes les faveurs des infirmières alors qu’un malade burundais à côté, agonise. Un ambassadeur, si « atypique » soit-il (M. Weiss jouait publiquement du violon), a-t-il le droit de faire toute cela ? Il peu probable toutefois que M. Weiss se soit mis en avant aussi publiquement sans l’aval de sa hiérarchie. Toujours est-il que tout cette exposition du diplomate fait bondir d’indignation certains milieux.

Avant que la note verbale soit envoyée à son ministère, la machine « anti Weiss » était déjà en marche.

Le silence

Selon des sources au ministère burundais des Relations Extérieures, quand il a appris l’existence d’une note envoyée à sa charge l’accusant de « s’ingérer dans les affaires internes », M. Weiss aurait été très surpris. A plusieurs reprises, il aurait cherché à savoir les vrais motifs de ce mécontentement de Bujumbura. Réponse de ses interlocuteurs : des sourires calmes, gênés. Et le silence. A la burundaise.

Retour en arrière. [ Dans l’interview accordée à Iwacu avant son départ->http://www.iwacu-burundi.org/spip.php?article420], il a comme dernière phrase : « « J’ai constaté que le Burundi n’a pas beaucoup d’amis. Sans un grand effort supplémentaire pour se les trouver et garder ceux qui sont déjà là, la survie, le financement et la gestion du pays seront très difficiles ». Du pur Weiss.

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