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Les aventures de sa Majesté Rukara Ier

05/05/2013 Commentaires fermés sur Les aventures de sa Majesté Rukara Ier

C’est l’histoire d’un homme entre Berlusconi et Bourvil. Bienvenu dans les méandres de la relation passionnelle qu’entretient Mohamed Rukara avec la machinerie médiatique. Surtout, ne souriez pas, car le personnage a échappé de peu à la mort ! C’est grave.

<doc4146|right>Le rythme est langoureux, et c’est au choix : soit on fredonne, comme les danseuses, {« Hongera Rukara »} – Félicitations Rukara, soit on fixe résolument ces derrières imposants, enroulés dans des pagnes multicolores des supportrices qui bougent, bougent, descendent, remontent, foi de médiateur, traçant dans l’air des arabesques pas du tout sérieuses, tendancieuses même, comme montés sur des billes … Cela s’appelle du {taraab} et c’est en l’honneur de l’ombudsman adulé que l’on danse. Sur sa chaîne. Télé Salama.

On se croirait en une Corée où l’on pose pour le grand leader bien aimé. Les informations tournent en boucle sur les réalisations d’El Hadj, on le voit inaugurer une école, visiter un dispensaire, donner des ballons à des gamins de la cité… La télé chante les hauts faits de l’ombudsman. A côté de lui, le président Nkurunziza et son émission fétiche {Ku kivi} font pâle figure.

Ô vous tous qui avez attendu, haletants, la journée de ce 27 mai et ses révélations, nous allons vous consoler. Découvrons un peu cette personnalité, combien riche, de l’autre médiateur de notre histoire multiséculaire (après Kiranga, ok?). L’ombudsman et les médias, c’est l’histoire d’un grand amour.

Bain de foule à Mpimba

Fin août 2011. Dix mois après son élection par le Parlement, l’ombudsman se rend dans la plus importante des prisons burundaises. Mpimba la lugubre. Il s’agit de « se rendre compte des conditions de vie carcérale des détenus…» Caméras en mode zoom in autour de lui, le médiateur explore coins et recoins de la place, s’offre un bain de foule, soulève dans ses bras paternels un enfant né «là-bas». Dans la misère et la poussière, les milliers de prisonniers applaudissent.

Quelques semaines après, Valentin Bagorikunda, le procureur général de la République, se rend lui aussi à Mpimba pour faire libérer plus de 300 prisonniers. Chez l’ombudsman, on jubile « C’est grâce à lui… », explique un membre important du bureau du médiateur, dans une soirée à la résidence de l’ambassadeur de France au Burundi. Pourtant, au Parquet général de la République, on apprécie peu ces mots, vécus comme une récupération malhonnête.

La réplique fusera dans les colonnes d’Iwacu, de la bouche même de M. Bagorikunda : « …cette libération rentre dans le cadre de notre travail quotidien. Nous y avons pensé longtemps avant [la visite de l’ombudsman]. » C’est la première grave friction entre le médiateur et les autres institutions. Mais comme on est entre Burundais, on fait comme si de rien n’était… On se tait. Depuis que l’on est petit, on nous a toujours seriné que « la meilleure parole est celle que l’on n’a pas dite ».

La vie passe. M.Rukara est sur un nuage. Et c’est avec des gardes, mitraillettes au poing, que l’ancien caddie (ramasseur de balles) devenu, par la force du destin, ou Allah – c’est comme on voudra -, grand consommateur de swings, se rend désormais au très huppé Cercle hippique de Bujumbura pour une partie de golf.

Fureur à Bruxelles

Comment ne pas comprendre, de ce fait, la colère de ce Commandeur de l’Ordre de la Couronne par arrêté royal venu express de la Belgique, lui qui découvre un jour qu’on a oublié de lui dérouler le tapis rouge à l’aéroport de Zaventem (Bruxelles)? Le pauvre ambassadeur du Burundi en Belgique aura publiquement droit à un savon mémorable, inscrit depuis dans les annales de la diplomatie burundaise. L’ombudsman qui ne passe pas par le salon d’honneur ? Crime de lèse-majesté. Il est en colère, l’ombudsman. Et il ne tolère pas qu’on le traite simplement. Furieux, son excellence boudera la Mercedes de l’ambassade et gagnera la capitale belge en taxi. Nan !

Friand de publicité, l’ombudsman va trouver une nouvelle croisade et marque des points dans l’opinion avec la gestion du conflit opposant les taxi-motards à la police et l’administration. Il ne tient pas en place. Parbleu, on ne l’a pas élu pour rester dans les bureaux !

Les caméras le suivent donc dans les ruines d’un stade où il rencontre les motards. En avril 2012, il lance un tournoi entre corporations (coiffeurs, taxis-vélos, démobilisés, travailleurs dans les ménages, etc) et corps constitués (police, FDN) dans le cadre de la prévention des conflits. « Aimez-vous, mes enfants! », semble leur dire le vice-président du Conseil des sages du Cndd-Fdd dans un grand sourire…

<img4148|right>Bref, tout semble bien aller pour le médiateur dont la seule grosse ombre avait été, à vrai dire, la véracité de son CV mis en doute lors de son élection. Tout un pan de son passé académique, notamment, avait soulevé de menus doutes. Et, d’après nos investigations, l’université de la Paix du Costa Rica ne semble pas se souvenir du passage d’un étudiant du nom de Rukara. Bof, peut-être que les archives de l’établissement sont mal tenues.

Tout baigne donc. Jusqu’à ce jour fatidique du 9 mai 2012. Auparavant, le médiateur a été dans une longue tournée en Europe. Il s’est notamment fait applaudir par les Burundais vivant aux Pays-Bas, résidents permanents mais confrontés à des expulsions, auxquels il a promis solidarité et engagement dans la résolution de leurs tracas.

On passe sur l’histoire de cet interrogatoire par les services de douanes de l’aéroport de Bruxelles au sujet de grosses sommes d’argent qu’aurait eues sur lui notre cher médiateur. C’est en toute discrétion que Bruxelles et Bujumbura ont géré l’affaire. Et quand on s’adresse aux Affaires Étrangères sur le cas, la réponse est immédiate : « No comments ! Ouste, circulez !»

Le 9 mai donc, le porte-parole de l’ombudsman annonce que des menaces de mort pèsent sur son patron, appelant à une autopsie et un test ADN après sa mort. Bien évidemment, les médias ont été invités. Sauf que, d’après un document dont Iwacu a pu se procurer la copie, les questions posées, comme par hasard, par une consœur de Radio Salama (propriété de M. Rukara) avaient été rédigées à l’avance. Et les réponses aussi. On a vu le porte-parole, Jérôme Ndiho, réciter son texte, s’efforçant de donner un air tragique à la comédie. En bon acteur, l’affaire prend en effet une ampleur inédite en une journée.

Comme en pareils cas, les théories fusent. L’une d’elles parle d’un coup monté avec {Mzee} (le Vieux, entendez le président), pour mobiliser l’opinion nationale contre ces fameux « corrompus » qui sucent les caisses de l’État et s’attirer, aussi, les yeux doux des partenaires internationaux. Sauf que les propos de l’ombudsman apportent plus de discrédit sur le pouvoir qu’ils n’en effacent.

Car, s’il est l’un des créneaux dont le gouvernement Nkurunziza s’est efforcé, coûte que coûte, de préserver l’image, c’est la sécurité. Qu’une personnalité donc de rang protocolaire de vice-président se méfie de tout l’appareil sécuritaire pour lui préférer les micros et caméras des médias (par ailleurs souvent associés à la propagande de l’opposition), c’est l’incompréhension totale. Une trahison même.

La machine du Cndd-Fdd se met sourdement en marche. Et bientôt, on annonce déjà un congrès extraordinaire pour sanctionner celui qui n’est pas parvenu à rester un Mugumyabanga – un gardien-du-secret. Si secret il y a, bien sûr… Mais redoutant un effet boomerang à la Manassé, avec un impact médiatique bien plus saignant (l’incriminé en sait des choses, sur le Cndd-Fdd), le parti présidentiel préfère temporiser. On gère. Plutôt, on gèle.

Quand Tonton-flingueur se retient

Une fois n’est pas coutume, le porte-parole du gouvernement va se retenir. Il lancera quand même une petite phrase assassine, traitant cette affaire d’« insaku », rumeurs. Il n’ira pas plus loin. Apparemment, Philippe Nzobonariba, notre Tonton-flingueur qui se paie bien les journalistes et autres activistes des droits de l’homme, avait reçu la consigne de ne pas jeter de l’huile sur le feu. Sinon, Tonton se serait lâché. Lui qui n’hésite pas à traiter les journalistes de « vendeurs de cadavres » aurait fait de Sieur Rukara une bouchée. Retenue donc.

Des visites de courtoisie, de soutien, de consolation et de commisération vont se succéder auprès de Mohamed Rukara. Au Cndd-Fdd, on grince des dents. Malin, l’acteur principal poste des journalistes en embuscade et à la sortie de ses bureaux, les augustes visiteurs sont invités à s’exprimer. Haaa ! Et bien sûr, ils tombent dans le panneau. Ils annoncent leur soutien à l’ombudsman. Tous. Sauf Buyoya. Le vieux dinosaure a flairé la manip. À la sortie de l’audience, mine impassible, l’ex-major souffle dans les micros : « Je ne ferai aucun commentaire. »

Dans les rues, les chancelleries et, certainement, dans les tendres cœurs des danseuses de TV Salama, la question qui demeure entière est : quelles magouilles impliquant quels magouilleurs vont emporter le médiateur bien-aimé ?

Les premières sources font état de « deux grosses affaires », un chiffre multiplié par quatre au sortir de l’audience du président de l’Olucome chez l’ombudsman, ce 21 mai. Pourtant, M. Rukara n’hésitera pas à faire part à un diplomate en visite de courtoisie qu’il est menacé « par le système » pour cause de son ethnie.

Entre-temps, alors que sa garde rapprochée est renforcée, la succession d’audiences de personnalités les plus diverses permet à l’ombudsman de renforcer sa stature d’homme incontournable dans le pays. En raflant au président de la République le flambeau de la lutte annoncée contre la corruption, Mohamed Rukara fait preuve de grand instinct en matière de communication.
Il a compris que le système médiatique actuel burundais est centré sur quatre axes : les Droits de l’Homme et la sécurité, la vie chère, les négociations et la corruption. Les deux premiers sont accaparés par la société civile, avec des paramètres extérieurs trop complexes (géopolitiques, diplomatiques, historiques, etc), le troisième semble figé. Il ne reste que la quatrième thématique, la plus juteuse en matière d’image … Sauf qu’en refusant de donner les noms, l’ombudsman a fonctionné sur le même mode que ceux qu’il prétend combattre : user du silence. Et entame du coup cette crédibilité qu’il avait mis du temps – et que d’énergie ! -, à se construire.

La vengeance est un plat qui se mange froid, dit-on. Au Cndd-Fdd, on sait avaler des couleuvres. Le président reste fidèle à sa technique de l’escargot qu’il a annoncée : en cas de turbulences, se taire, ne pas faire de vagues.
Car, au final, que reste-t-il ? L’impression d’avoir vécu un feuilleton de seconde zone, où il est question d’une soupe dont on connaît le maître-cuistot, les ingrédients et le temps de cuisson, mais pas le mode de préparation. Et surtout, ne parlons pas du goût. Comme sur la TV Salama.

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