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« L’ADC doit être plus concrète »

26/06/2011 Commentaires fermés sur « L’ADC doit être plus concrète »

Mgr Simon Ntamwana est une grande autorité morale du pays. Respecté pour son courage et son esprit d’analyse, l’Archevêque de Gitega parle de la situation sécuritaire, du dialogue politique nécessaire. Voici ce qu’il souhaite du pouvoir et de l’opposition, pour éviter une nouvelle crise.

Vous avez suivi le déroulement des élections. Certains leaders politiques estiment qu’elles ont été truquées. Etes-vous du même avis ?

Je suis très heureux de voir que le peuple a légitimé un groupe de politiciens qui sont maintenant au pouvoir. Quelques défectuosités ont pu se manifester ; mais en général, on a vu que les électeurs avaient une certaine liberté. Il y a eu une sorte de sympathie autour de la personne du Président de la République et de certains dirigeants. Un Président de la République qui passe cinq heures sur un chantier avec la population, ce n’était pas fréquent dans le passé. Se demander si son parti allait gagner ou pas, je n’ai pas eu le moindre doute. Cependant, cela ne signifie pas que je suis tout à fait d’accord avec toutes les mesures politiques prises par le gouvernement actuel.

Comment jugez-vous la situation politico-sécuritaire ?

Même la mort d’un seul l’homme touche profondément l’Eglise. Je suis donc très préoccupé d’entendre que dans la province de Bujumbura, il y a des personnes blessées ou tuées à la suite d’attaques de personnes non encore identifiées ou même identifiables. Cette violence n’est pas normale. On se pose beaucoup de questions d’autant plus qu’il y a trois mois, nous avions sorti un communiqué à ce propos pour dire à quiconque veut nous entendre que cette préoccupation devient de plus en plus grande pour nous. Il faudrait être plus sensible à cette situation et même en interpréter une signification. Une année face à la violence, c’est assez long. Elle risque de s’installer et on ne sait pas dans quel sens.

Voyez-vous un rapport entre ces assassinats et le contentieux électoral de 2010?

Il est encore difficile d’affirmer que les violences actuelles sur les collines de Bujumbura rural et ailleurs sont directement liées aux dernières élections. Les auteurs laissent souvent des tracts. Il est encore une fois difficile de traiter le contenu. Il faut réunir beaucoup de cas de figure pour comprendre le message qui est ainsi livré. Mais sûrement, il y a des règlements de compte, des manifestations de refus, les uns par rapport aux autres : ainsi nous apprenons que les victimes sont tantôt du Cndd-fdd tantôt des FNL d’Agathon Rwasa. Il est probable que cette clé d’interprétation puisse nous aider à comprendre cette violence.

L’opposition réclame le dialogue et le Président de la République répond qu’il faut attendre 2015. Pensez-vous que ce dialogue [ou ces négociations] sont opportuns ?

La nature du dialogue, quel qu’il soit, manifeste deux êtres qui existent, deux êtres concrets. Je ne crois pas qu’en politique, le dialogue perde cette quintessence. Le dialogue manifeste que je suis là. L’ADC Ikibiri dit qu’elle ne reconnaît pas le pouvoir actuel en réclamant le dialogue. Elle affirme en d’autres termes qu’elle le reconnaît. Et ceux qui sont au pouvoir devraient avoir la fierté de savoir qu’ils sont là. A ce niveau, je voudrais que les uns et les autres découvrent cette valeur du dialogue. Si hier, ceux qui sont au pouvoir ont raflé une bonne majorité qui leur permet de gouverner, c’est tout à fait normal. Cette fierté est tout à fait légitime. Cette affirmation devrait se faire sans beaucoup d’ambages et avec beaucoup de clarté. Quand l’ADC dit qu’elle ne les reconnaît pas, cela signifie qu’elle veut combattre le pouvoir. Automatiquement, le pouvoir leur endosse la responsabilité de toutes ces violences.

Vous soutenez donc la position du gouvernement ?

L’attitude du gouvernement est à prendre dans le sens de demander à l’ADC d’être plus concret. C’est une tactique politique de dire que votre affirmation est absolue sans aucun doute. Cependant, il est nécessaire de se parler.

Selon vous, sur quoi porterait ce dialogue une fois accepté ?

Sur des questions permanentes comme la liberté d’expression, la gouvernance politique, économique, etc. sans remettre en cause les acquis comme ce choix démocratique, la réconciliation faite à Arusha, le partage de pouvoir, etc. Si de 2000 à 2005, nous avons pu vivre la démocratie consensuelle où nous avons vu tous les responsables des partis politiques participer au gouvernement, aujourd’hui, ce n’est plus cela. Nous sommes passés de la démocratie consensuelle à la démocratie électorale plus authentique, qui se légitime par le peuple. Attendre 2015, il n’y a plus que cinq ou quatre ans. Est-ce que c’est une éternité pour que des politiciens se crispent et chambardent tout ?
Désirer qu’il y ait {tabula rasa} dans son action ne serait pas non plus une prudence politique. Dialogue ne signifie pas négociations dans le sens de remettre tout à zéro. D’ailleurs, la montre ne peut pas aller à zéro heure.

Précisément, qu’est-ce qui bloque pour que l’opposition et le gouvernement passent au dialogue ?

L’ADC n’a jamais demandé une reconnaissance au niveau du ministère de l’Intérieur. En outre, on est parti d’une situation qui n’était pas juste : les uns disent que les élections ont été volées. D’autres demandent comment. Du côté de l’opposition, je n’ai jamais entendu la matière sur laquelle il faut dialoguer. Elle a de surcroît commis l’erreur de ne pas reconnaître le pouvoir en place. Il faut absolument rectifier le tir.

Par le passé, la hiérarchie de l’Eglise catholique a eu à jouer un rôle d’observateur et de médiation entre les protagonistes du conflit burundais. Que comptez-vous faire aujourd’hui pour assainir ce climat de tension ?

La médiation se fait de plusieurs manières, de la moins visible à celle faite au grand jour. Cette médiation avec cette gradualité est déjà en cours. Il y a trois mois, nous avons lancé un communiqué où on appelait tout le monde à commencer le dialogue de nature à ne pas mettre en cause certains acquis. Cette voie est médiatrice. Si les protagonistes nous appellent demain, pourquoi nous le refuserons ? Nous le ferons très volontiers. Même aujourd’hui, je le fais de façon personnelle.

On vous entend de moins en moins alors que vous étiez considéré comme un Archevêque engagé. Pourquoi avez-vous opté pour la voie du silence?

Pendant plus de dix ans, j’ai occupé le siège de la présidence ou alors de la vice-présidence de la conférence des Evêques. J’avais, en plus de mon travail quotidien, la responsabilité immédiate de porte-voix de l’église. N’étant pas dans ces fonctions, j’ai laissé les autres s’en charger.

A une époque, vous aviez l’oreille des autorités. Qu’en est-il aujourd’hui ? Seriez-vous en contact par exemple avec le Président de la République?

En visite dans cette région, il m’a accueilli à son palais. Je suis resté toujours disponible vis-à-vis de mes frères et sœurs qui portent la responsabilité de nous guider. Par ailleurs, personne n’a voulu me parler parmi ceux qui se définissent comme opposants du pouvoir actuel et je ne pourrais pas le leur refuser.

On ne vous a jamais vu dans les croisades d’évangélisation organisé par la famille présidentielle. Pourquoi ?

Il faut vraiment dire qu’elles ne rentent pas dans les nouvelles voies d’évangélisation du monde actuellement. Pour l’Eglise catholique, nous avons toute une filière qui nous semble satisfaisante. Que nous soyons portés à ce type de convocation de tout le monde, cette façon de faire n’est pas la nôtre. En outre, le lieu ne nous convient pas pour une évangélisation en profondeur.

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