L’agenda caché des missionnaires
A la fin du 19ème siècle, viennent les premiers missionnaires, les Pères Blancs. Selon Joseph Gahama, ils s’installent au sud du pays, à Rumonge. Cependant, leur démarche pour convaincre les Burundais à abandonner l’Imana ne réussit pas : « Le peuple burundais soutenu par les chefs locaux procède à leur intimidation en leur envoyant des sorciers la nuit pour leur faire peur.»
La résistance continua et trois des cinq missionnaires seront tués. Vaincus, confie l’historien, ils se replient d’abord à Masanze au Congo voisin, puis en Ouganda. De là, renchérit Pr Gahama, ils amènent des catéchistes qui servent d’interprètes afin de faciliter l’échange avec les autochtones. Au deuxième tour, ils entrent à partir de l’est du Burundi à Misugi, tout près de la paroisse Muyaga (Cankuzo) : « L’enseignement de la parole de Dieu ne fût pas leur priorité parce qu’ils étaient au courant que les Burundais connaissaient déjà Dieu. » Ils portent cette fois-ci la casquette de bienfaiteurs qui apportent de l’aide.
En effet, Pr Gahama déclare qu’ils commencent à distribuer des vêtements, du sel et des médicaments pour guérir des maladies comme la malaria, la mouche tsé-tsé ainsi que les plaies. Petit à petit, ils commencent à évangéliser en groupes restreints : « Ils font comprendre aux Burundais que le Dieu qu’ils viennent leur apprendre s’appelle Mungu. Ce vocable pour signifier Dieu en swahili devient très vite d’usage. »
Au lieu de vénérer les mauvais esprits, renchérit Mgr Madaraga, les missionnaires apprennent aux Burundais l’histoire des saints et ce qui les ont caractérisés. Ils estiment que c’est la meilleure façon d’atteindre Dieu. Ils leur apprennent des prières sans passer par Kiranga. En plus, ils construisent des églises qui constituent des lieux de rencontre.
Entre 1926 et 1933, la plupart des chefs coutumiers, qui au départ s’étaient montrés hostiles, se convertissent au catholicisme : « Les Ganwa ont pris le devant dans l’apprentissage de la catéchèse et se sont fait baptisés. Pour avoir la parole, il fallait présenter sa carte de baptême. » Ainsi, les autres ont suivi parce qu’ils avaient compris que ces missionnaires étaient incontournables dans le développement.
Le mot « Imana », réalise Pr Gahama, sera repris dans la liturgie après le concile de Vatican II qui a accordé le droit à tous les catholiques du monde entier de célébrer la messe et prier dans leurs propres langues et cultures.
La complicité du duo missionnaires-colons
« Les missionnaires et les colons ont collaboré étroitement », soutient Mgr Antoine-Pierre Madaraga. Sans le concours des premiers qui étaient devenus plus ou moins familiers aux Burundais, remarque-t-il, la tâche n’allait pas être facile aux seconds.
En 1903, récite Joseph Gahama, les Allemands débarquent au Burundi. C’est le début de la colonisation. Le peuple essaie de résister mais en vain. L’inoubliable résident allemand Von Grawertz, surnommé « Digidigi », une onomatopée en référence au crépitement de mitrailleuses utilisées par ses hommes, ne fait qu’une bouchée des « Badasigana », les guerriers de Mwezi Gisabo à Ndago (Muramvya).
Selon Pr Gahama, les missionnaires sont allés voir Rugema, fils du roi Mwezi Gisabo et Ntarugera pour convaincre le roi d’accepter que les Allemands s’installent dans la paix : « Une rencontre fut organisée entre le roi Mwezi et les Allemands. Elle est sanctionnée par la signature du traité de Kiganda.»
L’installation de la religion catholique en tant que religion d’Etat n’ayant pas réussie par la voie pacifique, ce traité de ’’capitulation’’ y parvient par les articles de réparations contraignantes, visant à faciliter le travail d’évangélisation des missionnaires. Pour le professeur Gahama, l’Eglise catholique devient alors super puissante religion d’Etat : « Elle vient nous diriger, nous coloniser. »