Vendredi 26 avril 2024

Politique

1972, des conséquences multiformes

01/05/2013 Commentaires fermés sur 1972, des conséquences multiformes

En 1972, Festus Ntanyungu avait 27 ans. Il terminait en Belgique des études à l’Ecole Royale Militaire. Il est parmi les rares, sinon le seul à l’époque, rescapé officier hutu de la purge ethnique opérée dans l’armée burundaise.

Certes, il n’en a pas été témoin directe, mais il était à l’affut de ce qui se passait au Burundi, jour pour jour, à travers les journaux dont il garde jalousement des coupures « à des fins utiles ». C’est d’ailleurs aussi grâce à celles-ci qu’il tire des conséquences aussi bien douloureuses que (curieusement) positives des événements de 1972.

Sur la plan sociodémographique, Festus Ntanyungu dresse un tableau très sombre des conséquences des atrocités de 1972 : « Des intellectuels avaient fui le pays même avant : en 1965 et 1969. Mais au niveau de 1972, c’est la première fois, depuis des millénaires, depuis qu’on connaît le Burundi, que Hutu et Tutsi se séparent en se disant qu’ils ne sont pas du même pays. Ils ne sont plus du même terroir », constate-t-il.

Selon lui, il y a eu une grave scission au niveau de la population avec d’énormes conséquences : « On ne va plus dire qu’on est des frères, mais des ennemies en tant que hutu et Tutsi. Cela veut dire que désormais, on peut se faire la guerre, on peut s’entretuer. »

D’après M. Ntanyungu, cette triste réalité a aussi comme racine des événements malheureux comme ceux de 1965 où des gens sont tués, en 1969 où des officiers hutu sont également tués et l’assassinat de leaders politiques comme les Kamatari, Mirerekano, le prince Louis Rwagasore, le premier ministre Pierre Ngendandumwe et d’autres personnalités. Elle a aussi comme conséquence l’exil de nombreux Burundais dont des Baganwa (Princes) dont la descendance croupit actuellement dans la misère en Europe : « C’est donc des faits cumulatifs, un fait a entraîné un autre. »

Une politique pourrie

Au niveau politique, 1972 a eu des effets dévastateurs sans précédent, selon l’actuel député du CNDD-FDD: « 1972 a été le paroxysme de la violence politique au Burundi. » Mais, d’après son analyse, la naissance d’ennemis politiques s’est bien passée bien avant. Ainsi, M. Ntanyungu parle du bicéphalisme hutu-tutsi au sein de l’Uprona après la mort de son charismatique leader, le prince Louis Rwagasore : « On a commencé à se chamailler sur qui, entre Hutu et Tutsi qui entouraient le prince, allait reprendre le flambeau. Ces dissensions perdurent même de nos jours et c’est regrettable », pense-t-il en projetant les répercussions de ces divisions sur la gestion politique calamiteuse du pays en 1972 et même après.

Pour lui, une autre conséquence de cette mauvaise gestion du pays va être le regroupement des intellectuels de la diaspora dans des mouvements politiques : « Au Rwanda, il a y eu l’UBU ({Umugambwe w’abakozi b’Uburundi} ou le parti des travailleurs du Burundi) créé par ceux qui travaillaient à Kigali, dont moi, et le mouvement Bampere des étudiants de Butare, dont le président Melchior Ndadaye était membre », se rappelle l’ancien fonctionnaire du gouvernement rwandais à l’époque.

Mais contrairement à l’idée selon laquelle la mauvaise cohabitation ethnique au Rwanda aurait eu des effets négatifs sur l’évolution politique au Burundi par l’action de cette diaspora, M. Ntanyungu affirme que l’exil rwandais leur a plutôt permis de s’imprégner des principes démocratiques : « Nous avons fait une formation politique pour apprendre les principes de la démocratie. D’ailleurs, ceux qui sont issus de ce courant, à l’instar de MM. Ndadaye et Ntaryamira, brillaient en la matière. Vous l’avez vu ! » justifie-t-il en qualifiant la façon ségrégationniste de gouverner des Hutu rwandais de l’époque (1972) d’exemple qu’il ne fallait jamais exporter au Burundi.

Dans l’optique justement de prouver cette soif de changer positivement le paysage politique au Burundi dominé par le parti unique, Uprona, ces étudiants et fonctionnaires burundais vivant au Rwanda ont essayé d’infiltrer le parti-Etat pour conclure des alliances avec des Badasigana dits progressistes : « Nous savions qu’il y avait quelques Tutsi de ce parti qui aspiraient à des changements profonds au sein de leur famille politique. Nous avons établis des contacts avec eux et M. Jean Baptiste Manwangari en sait quelque chose. MM. Ndadaye et un certain Bacinoni ont été chargés de les contacter », indique M. Ntanyungu soulignant que le but était de former une Alliance Nationale des Forces Progressistes Burundaises (ANFPB).

Une armée complètement monoethnisée

Au sujet des purges ethniques dans l’armée, l’ancien étudiant de l’école royale militaire en Belgique se souvient que 1972 n’a épargné aucun officier hutu : « Par exemple, je suis le seul officier hutu de ma promotion qui ait échappé à ces tueries. Tous ceux qui sont rentré sont morts. Au Burundi, seuls quelques uns qui ressemblaient physiquement aux Tutsi et originaires des provinces du sud du pays ont pu continuer leur carrière militaire », déclare le Lieutenant Ntanyungu, qui aurait été promu Capitaine s’il avait foulé le sol burundais avec sa promotion, en 1972.

Honorable Festus Ntanyungu a été envoyé en 1972 au Rwanda et en Tanzanie, par d’autres compatriotes qui vivaient en Belgique, pour savoir ce qui se passait au Burundi : « J’ai récolté une foule d’informations accablantes. »

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