Lundi 29 avril 2024

Politique

Suppression des conseils d’administration : Une mauvaise idée ?

26/08/2023 1
Suppression des conseils d’administration : Une mauvaise idée ?
André Nikwigize : « Face aux interventions de l'Etat, les conseils d'administration ne peuvent rien faire »

Le 9 août dernier, le Conseil des ministres a émis le souhait de supprimer les conseils d’administration dans les établissements publics et les administrations personnalisées de l’Etat. Est-ce une bonne chose ? Les avis sont mitigés.

« Le législateur de l’époque n’a pas tenu en considération la gouvernance de certaines institutions en termes d’efficacité et d’efficience. Ce qui fait qu’à l’heure actuelle, il y a des conseils d’administration qui ont été mis en place et qui font dépenser beaucoup de fonds, alors que ces structures ne génèrent pas de revenus » Peut-t-on lire dans le compte-rendu du Conseil d’administration du 9 août 2023.

Le ministre des Finances, du Budget et de la Planification Economique, Audace Niyonzima, présentait deux dossiers à analyser, à savoir le projet de loi portant modification du décret-loi n°1/024 du 13 juillet 1989 portant cadre organique des administrations personnalisées de l’Etat ainsi que le projet de loi portant modification du décret-loi n°1/023 du 26 juillet 1989 portant cadre organique des établissements publics burundais.

Dans le souci de se conformer à la Constitution en vigueur, souligne le compte-rendu, il a été décidé de revoir le cadre légal régissant les établissements publics et les administrations personnalisées de l’Etat pour l’adapter à l’environnement actuel en supprimant les conseils d’administration.

« Ces structures ne génèrent pas de recettes. Avec cette suppression des Conseils d’administration, les missions qui leur revenaient seront confiées aux inspections générales des ministères ».

Toutefois, le Conseil des ministres a, entre autres, formulé une observation : « Si les conseils d’administration sont supprimés pour certaines institutions, il sera difficile pour certaines d’entre elles de prendre des décisions pertinentes. Il serait mieux de penser à mettre en place un autre organe pouvant remplacer le conseil d’administration ».

Il a été demandé au ministre de la Justice, en collaboration avec l’équipe des ministres qui avait travaillé précédemment sur ces deux textes, de les retravailler.

« Une erreur politique importante »

Selon l’économiste André Nikwigize, le rôle du conseil d’administration, dans toute entreprise, publique ou privée, est de remplir des missions stratégiques et de contrôle de la gestion de ces établissements, afin que ces derniers s’acquittent bien de leur double mission de service public et de bonne gestion, et pour les entreprises publiques, de rentabilité financière, à l’instar des entreprises privées.

Dans ce contexte, poursuit-il, tout établissement de l’Etat doit répondre à ces impératifs de double ou triple mission, selon le cas. « Par conséquent, supprimer cet organe de définition de stratégie et de coordination de l’action de ces établissements serait les laisser à la merci du pouvoir de tutelle. A mon avis, ce serait une erreur politique importante ».

Et d’ajouter : « N’ayant plus d’autonomie de gestion, n’étant plus soumis à des règles de stratégie et de contrôle, telles que prévues par les conseils d’administration, dépendant, désormais, du seul dictat du ministre de Tutelle, ces établissements vont devenir des canaux privilégiés pour la mauvaise gestion et les détournements des deniers publics. Et ce sera dommageable pour la relance économique du pays. »

J.K., économiste et investisseur burundais, abonde dans le même sens : « C’est une très mauvaise idée. Un conseil d’administration assure un rôle de gouvernance alors que l’Inspection générale assure un rôle de contrôle et de vérification, comparable à celui d’un auditeur externe. Les deux rôles sont très différents et n’apportent pas la même valeur ajoutée. Ils ne sont donc, à ce titre, ni superposables, ni substituables réciproquement ».

D’après lui, l’intérêt d’avoir une équipe d’administrateurs dont les aptitudes, parcours et réseaux sont diversifiés, c’est de pouvoir appuyer le directeur général et son équipe de dirigeants, au niveau de l’élaboration et de la mise en œuvre du plan stratégique de l’entreprise.

« Les administrateurs jouent également un rôle de supervision quant au respect des normes de gestion. Il est donc évident que les administrateurs sont d’une certaine manière co-responsables de la réussite de l’entreprise».

Pour Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome, la décision du Conseil des ministres de confier les missions de ces conseils d’administration à des inspections générales des ministères est une bonne chose.

Mais, nuance-t-il, ces inspections n’ont pas les moyens et le personnel suffisants pour mener leurs missions. « De plus, les responsables de ces sociétés sont plus puissants que ces enquêteurs parce qu’ils ont du poids au niveau du parti. Tout tourne autour du parti qui gouverne ».

Gabriel Rufyiri estime qu’il faut renforcer ces inspections pour que réellement le contrôle soit fait de façon professionnelle. « Ce qui n’est pas le cas malheureusement », déplore-t-il.

Les ingérences sont-elles la cause des mauvaises performances des sociétés publiques ?

Le président de l’Olucome estime que ce sont les membres des conseils d’administration qui participent aux malversations économiques : « Ce sont des gens qui sont nommés sans une mission claire en matière de rendement et de redevabilité. Ils débarquent dans ces conseils d’administration parce qu’ils ont milité dans le parti au pouvoir ».

Au lieu d’engager des personnes qualifiées avec un contrat de performance échelonné sur un nombre d’années, poursuit-il, on cherche des militants zélés du parti au pouvoir pour gérer ces sociétés.

Gabriel Rufyiri déplore également l’ingérence du parti au pouvoir : « L’objectif principal des gestionnaires de ces sociétés n’est pas le rendement mais plutôt de satisfaire leurs chefs au niveau du parti. Il faut une réforme profonde de ces entreprises publiques car la plupart de ces sociétés sont presque tombées en faillite ». D’après Gabriel Rufyiri, il est clair que l’Etat burundais est un mauvais gestionnaire d’où il faut repenser la manière de gérer la chose publique.

« Au Burundi, c’est l’Etat qui fait couler les entreprises publiques par non-assistance en termes d’investissements et de renouvellement de l’équipement. Face à ces interventions de l’Etat, les conseils d’administration ne peuvent rien faire. C’est dommage », estime André Nikwigize.

D’après l’économiste, les causes de ces faillites sont multiples : l’absence d’une planification stratégique pour définir les objectifs à atteindre, les ressources nécessaires, les défis à relever ; les multiples interventions de l’Etat à travers des nominations de personnels aux postes de responsabilité des entreprises, sans tenir compte de leurs compétences techniques et managériales ; une administration politisée de l’entreprise avec des conseils d’administration dont les rôles sont souvent réduits à des chambres d’enregistrement des  décisions du pouvoir de tutelle ; une gestion laxiste des entreprises, sans tenir compte de l’environnement économique national, régional et international.

Quid de l’Onatel ?

André Nikwigize donne l’exemple de l’Onatel, mais il précise que la situation que vit cette société est valable pour toutes les entreprises publiques burundaises. La dette des entreprises publiques s’élevait à plus de 1500 milliards de BIF au cours de l’exercice 2021.

Sociétés Dette
ONATEL 123 952 588 736 BIF
ONPR 1 047 729 666 BIF
MFP 5 714 596 405 BIF
REGIDESO 30 945 421 871 BIF
OTB 9 053 993 519 BIF
COGERCO 4 017 806 785 BIF
ONATOUR 2 412 855 986 BIF
OTRACO 99 794 635 BIF
SRDI 3 305 591 669 BIF
BURUNDI AIRLINES 855 911 572 BIF
BHB 254 548 508 000 BIF
BNDE 63 753 439 000 BIF
BBCI 116 229 370 000 BIF
BANCOBU 913 645 267 000 BIF
GPSB 4 597 000 706 BIF
LONA 34 511 247 BIF
Hôtel source du Nil 347 711 085 BIF
CHUK 5 916 992 940 BIF
HPRC 1 960 602 846 BIF
HPNB 4 756 250 BIF
RMC/ROCA CONSTRUCTION 368 938 210 BIF
HMK 2 909 877 769 BIF
PPB 58 509 634 BIF
RTNB 2 965 697 822 BIF
TOTAL     1 548 747 473 353 BIF

Source : Ministère des Finances

L’économiste relève quelques aspects importants sur la situation de l’Onatel. D’après lui, la détérioration financière de cette entreprise a débuté en 2008, et depuis lors, cette entreprise a affiché des résultats négatifs, qui sont passés d’une diminution de 1,0 milliard de BIF en 2008 à 17,6 milliards de BIF en 2019.

« Pourquoi, depuis cette période, aucune action de redressement n`a été prise par les organes dirigeants de l`entreprise ? » Il assure que, malgré les appels répétés de la direction de la nécessité de renouveler les équipements, aucune action n`a été prise pour répondre à ces appels. « Comment l`ONATEL pouvait-il rester compétitif sur le marché intérieur, avec des équipements qui datent de la création de la société, il y a 40 ans ? »

De plus, indique-t-il, la décision de créer l’Onatel avait pour but de permettre à la population de s`intégrer dans le marché régional et international par les moyens de la technologie moderne. « Qu’a fait l’Etat pour permettre à l’Onatel de couvrir une plus grande proportion de la population ?

Dans tout système de gestion financière d’une entreprise, qu’elle soit publique ou privée, relève-t-il, il y a des indicateurs de base que les gestionnaires doivent suivre régulièrement et sonner l’alerte lorsque leurs niveaux dépassent les limites acceptables. Par exemple, souligne l’économiste, on estime que dans une entreprise, la masse salariale doit être comprise entre 65 et 85% de la valeur ajoutée. « Or, pour l’Onatel, depuis 2015, la masse salariale a dépassé largement le niveau de la valeur ajoutée de l’entreprise, pour s`élever à 10 fois en 2019. Comment le parti au pouvoir, qui dirige le pays depuis 2005, peut-il prétendre ignorer cette situation de quasi-faillite de l’Onatel ? », conclut-il.

 

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. Stan Siyomana

    1. Vous ecrivez: « Selon l’économiste André Nikwigize, le rôle du conseil d’administration, dans toute entreprise, publique ou privée, est de remplir des missions stratégiques et de contrôle de la gestion de ces établissements…. ».
    2. Mon commentaire
    Ce n’est pas du tout l’idee d’avoir un conseil d’administration qui est mauvaise, le probleme est qu’au Burundi c’est surtout le militantisme au sein du parti au pouvoir CNDD-FDD qui compte, donc il y a beaucoup de chances que les membres des conseils d’administration ne sont pas du tout a la hauteur de leur tache (pour s’assurer que les interets du proprietaire de l’entreprise, donc les interets de l’Etat burundais SONT BIEN PROTEGES.

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