A Bujumbura, la question de gestion des déchets reste problématique. Les gestionnaires ne remplissent pas convenablement leur rôle. Des tas d’immondices s’amoncellent au centre-ville. Et l’usage des poubelles publiques laisse à désirer. Prof Patrice Bigumandondera, spécialiste dans le traitement des eaux usées, des déchets et leur valorisation, fait le point. Il propose aussi des solutions.
Quelle analyse faites-vous de la gestion des déchets dans la ville de Bujumbura ?
Parlons d’abord des différents types de déchets parce que l’analyse en dépend. Il existe les déchets liquides (eaux usées) et les déchets solides. La gestion des eaux usées se fait de deux manières : l’assainissement collectif et l’assainissement non collectif.
Quelle est la différence ?
Pour le premier cas, ce sont ces eaux usées gérées au niveau de la station de Buterere. Cela concerne les quartiers connectés comme Bwiza, Nyakabiga, Ngagara et une partie du centre-ville de Bujumbura. Leurs déchets y sont envoyés directement pour être traités en suivant les mécanismes de traitement.
Le second cas concerne les quartiers non-connectés à cette station. Les ménages traitent leurs déchets dans les fosses septiques suivis des puits perdus. D’autres ménages disposent de latrines traditionnelles. Ils n’ont pas de fosses septiques. Ils envoient dans les matières fécales et les urines dans les latrines.
Est-ce que la gestion se fait de manière convenable ?
Elle n’est pas satisfaisante. Malgré l’existence de ces deux types d’assainissement, nous remarquons que des eaux usées sont envoyées dans les caniveaux destinés à transporter les eaux pluviales. Elles proviennent des lavages des ustensiles de cuisine, des douches, etc. Or, leur destination ne devrait pas être les caniveaux. Elles devraient être dirigées vers les ouvrages de traitement avant d’être envoyés dans la nature.
Est-ce que la station de Buterere est capable de faire son travail convenablement ?
Elle en est capable si les activités de maintenance sont régulièrement faites. Quand on l’a construite, elle avait été dimensionnée pour recevoir la plupart des déchets de la ville de Bujumbura. Bien sûr, on devrait aménager une autre dans le sud pour recevoir les déchets générés dans les zones du sud de la ville.
A côté des ménages, certaines entreprises laissent partir leurs eaux usées sans traitement. Votre commentaire ?
C’est déplorable car elles polluent l’environnement. Il devrait y avoir une gestion interne de ces déchets. Cela se remarque via les résultats des analyses faites au niveau des collecteurs des eaux pluviales.
Concrètement ?
Ils montrent que ces collecteurs véhiculent une grande pollution. Prenons, par exemple, le collecteur de Kumase qui traverse le quartier industriel. Il est très chargé en matière polluante qui est acheminée dans le lac. Le cas aussi du collecteur sis entre le port de Bujumbura et l’ancien Cercle Nautique. Les analyses réalisées démontrent qu’il collecte des déchets venant des entreprises mais aussi des ménages. Des garages, des stations-services génèrent aussi des déchets et participent à la pollution du lac.
Quid des conséquences ?
C’est d’abord le lac Tanganyika qui souffre et sa biodiversité : la production du poisson a sensiblement diminué. Aujourd’hui, la Regideso chargée de potabiliser l’eau consommée à Bujumbura est obligée d’aller la capter à 3,5 km et à 25 mètres de profondeur.
Cela prouve que les berges du lac sont polluées à tel point que cette eau ne peut pas être potabilisée facilement pour être distribuée à la population.
Ce qui entraîne sans doute des coûts importants…
Ces travaux occasionnent en effet des dépenses supplémentaires énormes. Et c’est à la charge de la population consommatrice de cette eau. Si l’entreprise traite l’eau à des coûts élevés, elle va exiger aux consommateurs une contribution élevée pour la potabilisation de l’eau.
Les conséquences de la mauvaise gestion de ces déchets affectent donc l’homme qui en est producteur.
Quels sont les produits nuisibles à la santé contenus dans ces déchets ?
Il y a d’abord la matière organique qui est une matière biodégradable. Elle réduit la quantité d’oxygène qu’on trouve dans le lac. Et cela a des impacts néfastes sur la santé des êtres aquatiques, dont les poissons. Nous avons aussi des produits toxiques d’origine chimique provenant de ces entreprises, notamment les métaux lourds. Ils peuvent être consommés par les poissons. Et quand l’homme mange ces poissons, il se retrouve avec ces produits dans son corps. Et ces produits pourraient se retrouver dans cette eau que la Régideso potabilise pour la consommation si elle n’a pas tiré beaucoup d’attention. Ces produits sont nocifs pour la santé parce qu’ils peuvent entraîner des maladies liées au cancer.
Quid de la gestion des déchets solides ?
Ils sont aussi catégorisés dans plusieurs groupes principalement en déchets solides ménagers, les déchets solides produits par les activités économiques, notamment les déchets provenant des marchés et des bureaux, les déchets industriels et les déchets hospitaliers. Pour les déchets solides ménagers, ils sont constitués en grande partie par les déchets putrescibles.
C’est-à-dire ?
Il s’agit des matières qui se dégradent au cours du temps. Ils sont normalement gérés de manière différenciée en fonction des quartiers, du niveau de vie du ménage, de l’importance que le ménage accorde à leur gestion.
La plupart de ces déchets sont transportés par les entreprises privées qui les ramassent au niveau des ménages sans tenir compte de leurs catégories et les envoient au dépotoir de Mubone. C’est une décharge sauvage qui n’est pas aménagée. C’est un dépôt pur et simple, il n’y a aucune autre activité qui est réalisée.
Les non-abonnés à ces coopératives jettent leurs déchets dans les espaces libres. Vous remarquez des dépotoirs improvisés à côté des routes ou ailleurs. Les immondices y sont jetées la nuit car ils savent que cela est interdit.
Pour les déchets industriels, ce sont des déchets spécifiques à chaque entreprise.
Sont-ils bien gérés ?
Ces déchets sont moins étudiés et donc moins connus. Les entrepreneurs n’ouvrent pas facilement les portes de leur entreprise pour que les chercheurs puissent se renseigner, voir comment ils sont gérés. On a donc moins de connaissance sur cette catégorie.
Pour les déchets d’activités économiques, on voit que les marchés s’organisent aussi en s’abonnant à ces coopératives. Les déchets sont transportés à Mubone. Ils sont plus ou moins putrescibles et mélangés à d’autres déchets.
Il y a enfin les déchets biomédicaux, plus problématiques que les autres.
Pourquoi ?
Les déchets d’hôpitaux contiennent des substances contagieuses. On y trouve des déchets liés aux activités de soins. Ils devraient être gérés de manière spécifique. Ils ne sont pas en grande quantité mais leur caractère contaminant est plus élevé que les déchets ménagers. On doit donc les gérer catégorie par catégorie en fonction de leur dangerosité. Et ce, sans oublier qu’il y a des déchets assimilés aux déchets ménagers. C’est le cas pour les déchets provenant des restaurants des hôpitaux.
Enfin, il y a les déchets d’équipement électriques et électromécaniques (DEEE).
Quid de leur gestion ?
Elle pose un problème. Ce sont des déchets d’un type nouveau. On voit que les ordinateurs, les écrans, les onduleurs, etc., tombent en panne. On les stocke dans une salle. On n’arrive pas jusqu’à maintenant à savoir où ils sont gérés. Ce genre de déchets ne peuvent pas être gérés avec les autres catégories. Dans les DEEE, on y trouve de la matière première. Si on prend l’exemple d’un ordinateur en fin de vie, à l’intérieur, nous avons des métaux, des fils électriques, etc. On peut récupérer des parties valorisables. Notons que la quantité moyenne des déchets solides ménagers produits est de 0,6 kg/habitant/jour, soit environ 219 kg/habitant/an.
Comment évaluez-vous le travail de ces coopératives chargées de la gestion des déchets ?
Elles ne font pas leur travail convenablement. Elles le font en dehors d’une réglementation stricte.
Que proposez-vous ?
Il faut qu’on mette en place une réglementation via un partenariat public-privé pour que ces coopératives aient une ligne directrice de leur gestion. Il faut qu’elles signent un partenariat avec les pouvoirs publics afin de montrer qu’elles en sont capables et ont les moyens de bien les gérer. Ce que l’on fait, pour le moment, c’est les déplacer des ménages ou des collectivité économiques pour les amener dans un autre endroit à Mubone. Malheureusement, ce site crée des problèmes pour le voisinage.
La mairie de Bujumbura a décidé d’installer des poubelles publiques dans certains endroits. Comment jugez-vous cette initiative ?
L’initiative est en soi louable. Malheureusement, elle compte des faiblesses. D’abord, ces poubelles accueillent toutes les catégories de déchets sans distinction de leur origine et de leur nature. Cela va affecter la valorisation si on doit la faire. On devrait installer des poubelles par catégorie de déchets.
Ensuite, la population n’est pas éduquée à gérer ces déchets, à bien protéger ces poubelles. Il devrait y avoir des sensibilisations pour qu’une fois ces poubelles installées, la population les utilise convenablement et de manière séparée. Si nous voulons évoluer vers la bonne gestion des déchets, nous devons faire le tri à la source.
Des déchets comme matière première …
Là où on gère bien les déchets, ils sont considérés comme une matière première. Actuellement, le monde se trouve dans une logique de ce que l’on appelle économie circulaire.
Ce qui signifie ?
On valorise les déchets pour fabriquer d’autres objets utiles à l’homme. Les déchets putrescibles peuvent être valorisés en fabriquant du compost, en faisant du biogaz, en utilisant l’énergie issue de ces déchets pour la cuisson, l’éclairage, etc. On peut également recycler la plupart de ces déchets. Par exemple, les verres et les métaux peuvent être recyclés pour préserver les ressources naturelles, notamment les gisements en métaux.
Que dites-vous de ce comportement des citadins qui se soulagent dans les caniveaux, devant les murs des maisons ou qui jettent des déchets plastiques n’importe où ?
Il manque une éducation, une sensibilisation en matière d’hygiène mais aussi en matière d’environnement. On devrait initier des activités du genre à l’endroit des populations de la ville de Bujumbura. On a pensé qu’on peut gérer les déchets en se focalisant seulement sur les techniques de gestion. Mais pour bien gérer les déchets, il faut commencer par l’homme qui les génère. L’homme devrait être la plaque tournante dans la gestion des déchets. Tout ce qu’on pourra faire, on devra le centrer sur lui.
Est-ce que le Burundi dispose d’une décharge au vrai sens du terme ?
Nous n’en avons pas. Si on veut gérer une décharge, elle doit recevoir une catégorie de déchets et non des déchets sans distinction. Parfois, ce sont des déchets qu’on ne pourra pas valoriser avec les technologies actuelles.
Et les autres catégories ?
Elles devraient d’abord passer par la valorisation. Alors, il restera la catégorie des déchets ultimes qui devraient être envoyés dans une décharge qu’on appelle le Centre d’Enfouissement Technique (CET).
C’est-à-dire ?
Ce sont les centres aménagés pour contenir ces déchets sous terre au point de limiter les contaminations par rapport à ces déchets-là. Ce qu’on a maintenant, ce sont des dépotoirs. On n’a pas de décharges qui sont aménagées en suivant les règles de l’art du point de vue scientifique.
Votre message aux décideurs et à la population
Aux pouvoirs publics, il faut mettre en place une réglementation forte et la faire respecter. Et ce pour que toutes les catégories de déchets puissent suivre une certaine orientation donnée. Et le contenu de cette réglementation devrait s’orienter vers leur valorisation et les restrictions auprès de la population pour qu’elle sache ce qui est interdit ou permis. Quand on parle des restrictions, il doit y avoir des mesures d’accompagnement comme punir les gens qui ne voudront pas s’ajuster et gérer les déchets conformément à la réglementation.
Les pouvoirs publics devraient aussi éduquer la population en élaborant des mécanismes d’éducation pour leur montrer comment ils doivent se comporter vis-à-vis des déchets. Le constat est que la population reste dans la méconnaissance de leur gestion.
A la population, il faut qu’elle se considère comme responsable de ces déchets. Quand on génère des déchets, on doit être responsable et les gérer conformément aux règles de l’art.
Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze
Tubaze Kigali ingene yakemuye ikibazo c’isuku
Kigali yakemuye ikibazo c’isuku hanyuma icayitaye ku w’amazi n’ikibazo ca dictature.