L’annonce a fait l’effet d’une bombe, ce jeudi 10 avril au Palais des Congrès de Kigobe. Présentant son rapport trimestriel de l’année 2024-2025 devant les députés et les sénateurs, le Premier ministre, Gervais Ndirakobuca, a affirmé sans ambages que les travaux de pavage du chef-lieu de la province de Cankuzo, dotés d’un budget de 1,4 milliard de BIF, affichaient « un taux d’exécution de 100% ». Cette déclaration a été immédiatement réfutée par les députés élus dans cette circonscription.
Par Fabrice Manirakiza, Rénovat Ndabashinze er Devis Gateretse
Cette déclaration a provoqué immédiatement des remous sur les bancs des élus de la province concernée. « Un rapport qui ne reflète pas la réalité sur le terrain ! », a lancé le sénateur Désiré Njiji (CNDD-FDD). Il a brandi des preuves contraires. « J’y étais, il y a une semaine, et les caniveaux n’étaient qu’à moitié réalisés ».
Le député Salvator Bigirimana issu du même bord politique que Désiré Njiji a renchéri tout en évoquant des travaux « mal exécutés et d’une lenteur inquiétante. » Et de s’interroger : « Que doit penser la population de Cankuzo qui suit ces travaux au quotidien ? »
Mis en difficulté, le Premier ministre Gervais Ndirakobuca a tenté de se justifier en invoquant des rapports ministériels potentiellement erronés : « Nous ne faisons que synthétiser les données qui nous sont transmises. S’il y a des erreurs, c’est possible. » Tout en assurant que le budget était bel et bien disponible, il reconnut que seuls les travaux de terrassement et rechargement étaient achevés, ceux d’assainissement et de la bordure étant « en cours ».
Réactions
Faustin Ndikumana : « Ce discours du Premier ministre ne suffit pas pour convaincre. »
« D’abord, cela relève des failles et de l’incompétence des services techniques de la Primature qui devaient avoir procédé à la vérification minutieuse des informations lui fournies par certains ministères parce que c’est la Primature qui assure la coordination de l’action gouvernementale », réagit Faustin Ndikumana, directeur national de Parcem.
Selon lui, les services techniques de la Primature doivent avoir des stratégies de vérification minutieuse de certains rapports avant d’élaborer le rapport qui doit être présenté au Parlement par le Premier ministre. Quand on présente le rapport au Parlement, à travers lui, c’est le rapport qui est présenté au peuple burundais. D’ailleurs, les infrastructures physiques comme celle-là sont faciles à vérifier. Ce sont des informations qu’on peut trouver après les descentes sur terrain.
Faustin Ndikumana trouve que cela relève depuis longtemps du problème du contrôle de l’exécution budgétaire. « Parcem a toujours dénoncé l’inaction du Parlement au niveau du contrôle budgétaire parce qu’on se contente de la vérification des rapports sur l’épuisement des crédits alloués à la construction de certaines infrastructures ou certains projets de développement. »
Selon le directeur national de Parcem, on ne se donne pas le temps de vérifier ce qui a été fait sur papier, si au moins la réalisation physique concorde avec les sorties de fonds consacrés à la construction d’une telle ou telle autre infrastructure. « Je crois que quelque part, cela prouve qu’il y a une sorte de négligence au niveau du pouvoir exécutif par rapport à l’importance du Parlement et de sa force. Avant de présenter un rapport, il faut vraiment de la consistance dans les vérifications physiques. »
Si le Premier ministre a essayé de se dédouaner en disant que les rapports sont transmis par les ministères techniques, poursuit-il, cela ne convainc pas parce qu’en s’occupant de la coordination de l’action gouvernementale, c’est lui qui doit être responsable parce que s’il doit présenter le rapport d’exécution du programme gouvernemental, c’est lui qui est redevable dans ce cas-là devant le Parlement.
D’après M. Ndikumana, ce discours du Premier ministre ne suffit pas pour convaincre. « Pour restaurer la confiance, il faut que le ministère des Travaux publics soit interpellé. Il faut que l’Inspection générale de l’Etat soit à l’œuvre pour établir les responsabilités des uns et des autres. Voir comment engager des poursuites judiciaires si cela l’exige. »
Faustin Ndikumana trouve qu’il faut se réjouir de la dénonciation des députés de Cankuzo qui ont osé directement dénoncer cela. « Mais, l’essentiel est de continuer de voir la suite des événements. Quelle est la suite qui sera réservée à cela parce que vous savez qu’à plusieurs reprises, le Parlement a dit qu’il va s’impliquer, mais ça se termine en queue de poissons. Il faut faire des enquêtes qui seront suivies par des poursuites. C’est cela qui va montrer que le gouvernement a donné valeur aux institutions comme le Parlement et partant au peuple burundais.»
Kefa Nibizi : « Cela montre que le chef du gouvernement n’aurait pas toutes les mains libres »
« C’est en peu aberrant, c’est même surprenant que le chef du gouvernement puisse présenter un rapport qui ne reflète pas la vérité concernant les réalisations du programme de son gouvernement surtout qui impliquent un budget de l’Etat. Il affirme que la réalisation du projet a été de 100% et que tout le budget a été consommé alors que les représentants du peuple de cette localité où cette infrastructure devait être construite prouvent le contraire », réagit Kefa Nibizi, président du parti Codebu et porte-parole de la coalition Uburundi Bwa Bose.
Selon lui, cela prouve à suffisance qu’il doit y avoir un problème dans son gouvernement compte tenu même de la réponse qu’il a donnée. « Cela montre que le chef du gouvernement n’aurait pas toutes les mains libres pour contrôler l’action gouvernementale. Parce qu’il aurait dû faire vérifier par ses services la véracité de tout ce qui est contenu dans son rapport. »
En effet, motive-t-il, « le rapport du gouvernement qu’il a présenté l’engage en tant qu’une institution du 1er ministre. Il n’aurait pas dû présenter un rapport dont il n’a pas vérifié le contenu. »
D’après M. Nibizi, cela montre le manque d’unité de l’Etat : « Là, je pense à un problème de bicéphalisme au sommet de l’Etat où on constate que c’est le chef du gouvernement qui devait coordonner les actions du gouvernement mais aussi le chef de l’Etat fait un contrôle direct aux membres du gouvernement sans passer par le chef du gouvernement. »
Ce qui, peut-être, gène en quelque sorte le 1er ministre pour pouvoir faire un contrôle efficace sur les membres de son gouvernement, analyse M. Nibizi.
Pour lui, certaines prérogatives lui échapperaient. « Comme il l’a dit, il ne fait que présenter un rapport qu’on lui a donné. Il n’a pas toutes les prérogatives pratiques pour vérifier si tout ce qu’on lui dit est vrai. »
D’après M. Nibizi, c’est encore très grave qu’un projet qui devait être exécuté à 100% et que le budget a été consommé, mais les travaux soient à moitié. « Là, on se demande où est allé l’argent qui devait être utilisé jusqu’à l’achèvement de ces infrastructures. On risquerait de soupçonner des actes de mauvaise gestion, de soustraction, de détournement de ces fonds que le 1er ministre n’a pas pu pouvoir détecter, punir ou corriger en un temps réel. »
Il trouve que c’est un problème de dysfonctionnement au haut sommet de l’Etat. Peut-être qu’il y aurait aussi d’autres problèmes qui font qu’il n’y ait plus la concentration suffisante pour faire ce travail de contrôle.
Gabriel Rufyiri : « Ce qui est important, ce sont des sanctions qui vont suivre. »
« Je pense que le message du Premier ministre est compréhensible du simple fait qu’effectivement, il s’est contenté du rapport qu’on lui a transmis », indique Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome. Ce qui devrait normalement suivre, poursuit-il, il faut d’abord qu’il vérifie les informations à travers ses émissaires. « Une fois que le rapport lui est transmis en bonne et due forme, il faut qu’il prenne des mesures qui s’imposent à l’endroit de ces personnes qui ont donné des rapports erronés. »
Selon Gabriel Rufyiri, c’est courant au Burundi. « Nous pensons que le phénomène des mandataires publics, des administratifs qui donnent des rapports erronés n’est pas nouveau. Ça s’est passé depuis longtemps. Ce qui est important, ce sont des sanctions qui vont suivre. S’il n’y a pas de sanctions, ça va être un problème. »
Gabriel Rufyiri fait savoir que ce n’est pas le Premier ministre qui va sur le terrain. C’est pour cette raison qu’il doit y avoir des institutions qui fonctionnent normalement. Le grand problème, c’est ce dysfonctionnement où n’importe quel administratif ou n’importe quelle autorité peut lancer des messages qui ne reflètent pas la vérité et ceux qui l’ont fait continuent de se la couler douce sans qu’ils ne soient sanctionnés. « Il faut que les députés continuent de suivre et de nous dire réellement ceux qui l’ont fait et les sanctionner. »
Hamza Venant Burikukiye : « Il faut un choix minutieux lors des nominations. »
Le représentant légal de l’Association Capes+ trouve que c’est très dommage qu’un tel cas soit arrivé. « C’est le mal de la corruption qui fait que la chose publique n’est plus respectée. Un choix minutieux devrait être entrepris dans les nominations aux postes de l’Etat. »
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