Vendredi 26 avril 2024

Société

Gouvernement & Cosesona : ‘’L’accord de la Saint-Valentin’’ enterre la hache de guerre

Gouvernement & Cosesona : ‘’L’accord de la Saint-Valentin’’ enterre la hache de guerre
De gauche à droite. Le ministre chargé de l’Education, François Havyarimana et le président de la Cosesona, Victor Ndabaniwe.

Test de niveau, cherté de la vie et politique salariale… Le Gouvernement et la Cosesona semblent émettre désormais sur la même longueur d’ondes. Un accord obtenu loin de convaincre les syndicats enseignants non affiliés à la Cosesona.

Réalisé par Alphonse Yikeze, Clarisse Shaka, Hervé Mugisha et Rénovat Ndabashinze

Une coïncidence heureuse. Lundi 14 février, c’est la Saint-Valentin, ‘’ fête des amoureux’’. Ce jour-là, la presse est invitée à assister à la signature d’un accord entre le ministère de l’Education nationale et de la Recherche scientifique et la Coalition des Syndicats des Enseignants pour la Solidarité nationale et la défense des droits socioprofessionnels (Cosesona) sur la manière de relever les défis qui gangrènent le système éducatif burundais.

Les deux parties se sont trouvé un terrain d’entente sur les trois principales revendications que cette coalition avait adressées, via un mémorandum, au ministre de l’Éducation nationale et de la Recherche scientifique et à celui de la Fonction publique, du Travail et de l’Emploi, le 6 janvier 2022.

A la fin des discussions, le président de la Cosesona, Victor Ndabaniwe et Frédéric Bangirinama, secrétaire permanent au ministère de l’Education nationale et la recherche scientifique, échangent une poignée de mains tout sourires. Sans doute un miracle de la Saint-Valentin !

Quelques semaines plus tôt, la Cosesona menaçait d’entamer un mouvement de grève et contestait la mesure d’organiser un test de niveau à l’endroit des enseignants des trois premiers cycles, l’organisation des examens en réseaux scolaires. Elle dénonçait aussi la cherté de la vie et la politique salariale.

Selon cet accord, les deux premières questions ont fait l’objet de négociations entre une délégation du ministère de l’Éducation nationale et de la Recherche scientifique et des représentants de la Cosesona.

Pour le troisième point de divergence, l’accord signale que la CNDS est en contact avec les partenaires concernés (le Gouvernement et les syndicats) pour une négociation en vue de la concrétisation de ce qui est déjà convenu. La Commission a engagé les partenaires concernés à poursuivre les négociations.

Défis du système éducatif répertoriés

« Le manque de vision holistique du système éducatif national ; l’instabilité des programmes d’enseignement ponctuée par plusieurs réformes sans évaluation préalable, et dans une période relativement courte. » Entre autres défis du système éducatif burundais relevés par la Cosesona et le ministère ayant l’Education. Via cet accord, les deux parties évoquent aussi des mesures prises pour la réduction du taux de redoublement sans tenir compte des compétences réelles de l’apprenant. Elles notent en outre la baisse du temps consacré au suivi-encadrement des écoliers/élèves par leurs parents, les conséquences négatives des crises répétitives, …

Autres défis listés sont l’insuffisance des moyens financiers et logistiques affectés au secteur de l’éducation malgré les efforts consentis par le Gouvernement et celle des compétences pédagogiques de certains enseignants.

Les deux parties s’accordent aussi sur les conséquences négatives du redéploiement des enseignants. « Il engendre la fatigue et l’absentéisme ou le retard au service des enseignants. »

A cela, s’ajoutent la démotivation des enseignants, les effectifs pléthoriques qui hypothèquent la qualité et l’équité des enseignements et apprentissages.

Des engagements réciproques

Des enseignants affiliés à la Cosesona en train de défiler à l’occasion de la fête du Travail et des Travailleurs célébrée le 1er mai de chaque année.

Dans cet accord à la « Saint-Valentin 2022 », des engagements ont été pris. Il s’agit entre autres de mener des actions concertées et coordonnées pour remédier aux problèmes auxquels fait face le système éducatif national. Et ce, dans le respect des compétences que les lois relatives à l’enseignement reconnaissent à chacune d ‘elles.

Elles ont soutenu la mise en place et l’exécution d’une stratégie nationale de suivi et d’encadrement de l’ensemble des personnels du système éducatif. Ce qui passera, selon elles, par le perfectionnement des compétences des gestionnaires du système éducatif à tous les niveaux (les cadres et hauts cadres de l’administration centrale, les directeurs provinciaux de l’enseignement, les directeurs communaux de l’enseignement, les Inspecteurs, les directeurs des écoles). L’objectif étant d’en faire des promoteurs et gardiens efficaces de la qualité de l’enseignement.

Elle se sont convenues aussi sur l’organisation régulière des sessions de recyclage des enseignants conformément au cadre légal et règlementaire en vigueur ; la mise à niveau des enseignants qui n’ont pas bénéficié de formation pédagogique et l’amélioration continue des dotations en ressources humaines, en infrastructures et équipements scolaires.

Les deux parties se sont engagées à toujours collaborer pour promouvoir un enseignement équitable et de qualité au Burundi dans l’honneur, la dignité et la considération de l’enseignant.

Pour montrer sa bonne volonté, le ministère de l’Education nationale et de la Recherche scientifique a promis de prendre toutes les dispositions nécessaires pour que les organisations représentatives des enseignants, dont la Cosesona, soient représentées dans d’autres initiatives visant l’amélioration de la qualité du système éducatif.

Redéfinition des objectifs du test de niveau

En ce qui est du test d’évaluation des performances dans les trois premiers cycles du fondamental, les deux parties ont convergé sur de nouvelles orientations :« Le test est destiné à diagnostiquer les besoins réels en renforcement des capacités afin de proposer un contenu des modules de formation ; le test vise l’amélioration de l’équité et de la qualité de l’éducation à travers le renforcement des capacités. »

Il servira uniquement à aider dans l’organisation des programmes de mise à niveau et de perfectionnement des compétences techniques et pédagogiques des enseignants responsables des trois premiers cycles du fondamental. L’accord mentionne que ce test permettra également d’identifier les formateurs lors du recyclage.

Pour plus de confidentialité, l’accord indique qu’un code sera attribué à chaque candidat et à chaque école pour garantir la confidentialité des résultats obtenus. « La correction du test sera réalisée par une équipe de correcteurs choisis pour cette fin. »

Et les modules de formation seront élaborés par une équipe technique dont les membres seront choisis parmi les concepteurs des programmes et les inspecteurs. « Ils seront validés en collaboration avec des enseignants des écoles à section pédagogique ou instituts supérieurs formateurs des enseignants pour garantir la qualité de leur contenu. Ici, on cite la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation (FPSE), l’Ecole normale supérieure (ENS), l’Institut de Pédagogie appliquée (IPA). »

En ce qui est de l’organisation du recyclage, le Gouvernement s’engage à associer la Cosesona à tous les niveaux et à toutes les étapes du processus. A son tour, cette coalition se dit prête à contribuer efficacement à la réussite du recyclage à tous les niveaux de son organisation.

Via cet accord, le ministère de l’Éducation Nationale et de la Recherche scientifique rassure la Cosesona et promet que le test n’aura aucun impact négatif sur la vie socioprofessionnelle des enseignants.

Quid des examens en réseau ?

Sans plus de détails, les deux parties disent qu’elles se sont convenues sur le contenu du projet d’ordonnance ministérielle portant révision de l’ordonnance ministérielle n° 620/21602 du 19/12/2019 portant création, mission, organisation et fonctionnement des réseaux scolaires au sein de l’Enseignement Fondamental. « Dès sa signature, l’ordonnance sera transmise à la Cosesona. »

Pour rappel, c’est par ordonnance ministérielle du 19 décembre 2019, que le ministère de l’Education a mis en place des réseaux scolaires. Un réseau scolaire étant composé de 5 à 6 écoles dans un rayon de 5 km. Une école centrale est sélectionnée en fonction des opportunités matérielles qu’elle propose : salles, bibliothèques, laboratoires équipés et des enseignants expérimentés ou qualifiés. Une ordonnance à mettre en application depuis l’année scolaire 2020-2021, où les élèves du même réseau passent un même examen de fin du trimestre dans l’établissement choisi.

Dans l’accord signé le 14 février, les parties se sont engagées aussi à collaborer pour la mise en application et le suivi-évaluation de l’ordonnance susmentionnée.

En cas de divergence, elles s’engagent à recourir au dialogue et en cas d’absence de consensus, faire recours à la médiation de la CNDS.


Le test d’évaluation, l’étincelle de la fronde

Le président Ndayishimiye : « Qui t’a demandé d’enseigner par la force ? Si tu veux abandonner, personne ne te poursuivra. Va élever des porcs, des poulets… »

Dans un communiqué de presse du 13 janvier, le ministère de l’Education nationale et de la Recherche scientifique a annoncé la mise en place d’un test d’évaluation pour 33 mille enseignants des trois premiers cycles (De la 1ère à la 6ème année du fondamental). « Et ce, dans le but de détecter les forces et les faiblesses des enseignants par matière. » Il a rassuré ceux qui se disaient inquiets de l’issue des résultats de ce test que la note obtenue sera « encodée » et qu’aucun enseignant ne se verra renvoyé de la Fonction publique pour avoir obtenu un résultat médiocre.

D’après toujours le même ministère présidé par François Havyarimana, l’évaluation du niveau de compétences des enseignants par un test, n’est pas une nouveauté au Burundi. Il a rappelé qu’une évaluation par test a été organisée en 2019 au Burundi à l’endroit des enseignants et des élèves. « Ce test n’a suscité aucune lamentation ni de la part du public, ni de la part des enseignants soumis au test. Il est donc incompréhensible que certaines personnes s’insurgent contre l’organisation d’un tel test. »

Il n’en fallait pas plus pour soulever une levée de boucliers de la part des syndicats enseignants.

Les syndicats ruent dans les brancards

Dans une déclaration du 14 janvier, les syndicats des enseignants affiliés à la Cosesona s’étaient insurgés contre ce test : « Il s’agit d’une remise en question des institutions délivrant les diplômes, les réussites au test de recrutement et les cotations des performances des enseignants. »

Selon cette coalition, ce serait en outre une violation de la procédure légale de perfectionnement des fonctionnaires de l’Etat dont la charge ne revient pas au ministère, mais à un comité interministériel de perfectionnement mis en place par le ministère de la Fonction publique selon l’article 73 du Statut général des fonctionnaires.

Par conséquent, ces syndicats ont accusé le ministère de faire diversion en escamotant les réels défis auxquels est confronté le corps enseignant : classes saturées, l’insuffisance des supports pédagogiques, l’insuffisance des équipements, l’absence de laboratoires et de bibliothèques, etc.
Par ailleurs, pour les enseignants, ‘’organiser un test de niveau à leur endroit équivaut à une forme de culpabilisation de l’enseignant et une fuite en avant face aux droits des travailleurs’’.

A cet effet, les enseignants se sont interrogés sur les motivations du ministère à vouloir passer à côté de ce qui est préconisé par les textes légaux et réglementaires et l’accusent de préférer adopter « une voie qui ne vient que pour ternir l’image du système éducatif en général et celle de l’enseignant en particulier ».

Les enseignants ont dénoncé également un deux poids deux mesures. « On se demande pourquoi le reste des fonctionnaires de l’État n ‘est pas soumis à de tels tests s’il s’agit de leur perfectionnement. Cela constitue une injustice notoire à l’égard de l’enseignant et porte préjudice à sa moralité et à son professionnalisme ».

Le 18 janvier, sous la médiation de la Commission nationale de Dialogue social (CNDS), le ministère en charge de l’Education nationale avait décidé de suspendre temporairement cette évaluation. Et ce, en attendant les conclusions des négociations.

Le Gouvernement ne lâche pas du lest

A l’occasion du Conseil des ministres tenu le 3 février, le porte-parole du Gouvernement, Prosper Ntahorwamiye, a fait savoir que le test d’évaluation n’avait pas pour but de « renvoyer les faibles ou pour dévaloriser qui que ce soit ».

Le Gouvernement a déploré ensuite que les enseignants aient refusé ce test d’évaluation et ont soulevé « d’autres questions qui n’ont rien à voir avec ce test comme l’organisation des examens en réseau et la politique salariale, allant jusqu’à menacer de déclencher un mouvement de grève ».
Enfin, le Conseil des ministres s’est ensuite dit surpris par ce refus de recyclage de la part des enseignants et a estimé que c’est la seule façon d’accroître les compétences des enseignants.

Cependant, malgré les contestations exprimées par les enseignants, le Gouvernement a signifié vouloir organiser ce recyclage et faire signer aux enseignants un contrat de performance qui servira de base pour leur cotation annuelle.

Les menaces du président

Face aux menaces de grève émises par la Cosesona, le chef de l’Etat n’a pas mâché ses mots : « Eh bien, enseigner n’est pas une obligation. Tu peux abandonner même aujourd’hui si tu veux. Qui t’a demandé d’enseigner par la force ? Si tu veux abandonner, personne ne te poursuivra. Va élever des porcs, des poulets. Ainsi, quiconque veut arrêter, eh bien, qu’il le fasse ». Des déclarations faites, jeudi 27 janvier, lors de la prière interconfessionnelle des Bagumyabanga (les membres du parti au pouvoir).

Avec un ton très menaçant, le président Evariste Ndayishimiye a mis en garde les enseignants :« Être en grève contre son employeur ? L’Etat est formé par 12 millions de Burundais et toi tu es à leur service. Les citoyens sont tes patrons. Et oseras-tu te pavaner dans les bars en ayant refusé d’enseigner à leurs enfants alors qu’ils te paient pour ça ? Je te jure, ils vont te gifler ».

Le chef de l’Etat est allé plus loin et a défié les enseignants de créer une rébellion : « Si tu t’absentes et que je te remplace, va prendre les armes comme ça nous allons nous battre. Nous allons voir si tu vas vaincre tous les citoyens burundais. Penses-tu vaincre 12 millions de citoyens, à qui tu refuses d’enseigner à leurs enfants ? »

Pour le président Ndayishimiye, rien n’est plus aisé qu’une formation destinée aux futurs enseignants. « Personne ne peut se former au métier d’enseignant plus de trois mois. Si nous disons, toi tu vas enseigner en deuxième année, nous allons te former pour enseigner uniquement les matières de la 2ème année. Nous allons voir si dans trois mois tu ne seras pas bien rodé pour enseigner aux enfants ».

Nouveau basculement le 29 janvier quand le chef de l’Etat, en visite au Centre Jeunes Kamenge, a exigé des comptes aux syndicats en ce qui est de la gestion des cotisations : « Cet argent-là les pousse à l’arrogance et ils veulent amener les enseignants à se révolter alors qu’ils leur prennent leur argent. D’où provient l’argent des syndicats ? Ne sont-ce pas les cotisations des enseignants ? Combien y a-t-il d’enseignants au Burundi ? N’y a-t-il pas au moins 500.000.000 BIF dans les caisses des syndicats?»

D’après lui, les leaders syndicaux se gavent des fonds issus de la collecte des cotisations des enseignants depuis au moins dix ans. « Ils ont dépouillé les enseignants et maintenant ils veulent mettre le pays à feu et à sang. », surenchérit le président Ndayishimiye.

De l’argent qui servirait, selon le président Ndayishimiye, à commettre des actes de violence : « Qu’ils amènent cet argent pour qu’il serve à reconstruire le pays. D’ailleurs, j’exige la mise en place d’une Commission pour mener le contrôle de l’argent cotisé par les enseignants aux syndicats. Parce que c’est ce genre d’argent non soumis à aucun contrôle qui sera employé pour des actes de terrorisme et autres crimes. »


>>Réactions

Antoine Manuma : « Le test de niveau est une panacée »

Le président de la Fédération nationale des Syndicats du Secteur de l’Enseignement (FNSEEB) déplore que cette fédération ait été exclue dans ces négociations, d’autant plus qu’elle est aussi concernée et préoccupée par les questions soulevées lors des négociations.

D’après lui, les conclusions issues de ce dialogue ne reflètent pas les vraies questions qui hantent le système éducatif. « La Cosesona n’a fait qu’approuver ‘’aveuglement’’ les décisions du ministère de l’Education qui ne tiennent pas compte des grandes préoccupations des enseignants. »

Pour ce syndicaliste, c’est une preuve que le dialogue inclusif et constructif est loin d’être privilégié. Or, sans ce dernier, déplore-t-il, les efforts consentis pour asseoir une éducation de qualité seront vains.

Reconnaissant d’une part que l’accord conclu entre la Cosesona et le ministère inclut les grands défis liés à la qualité de l’éducation, M. Manuma estime toutefois que l’accent mis sur le test de niveau des enseignants comme moyen de régler tous les défis qui se posent, fait du test de niveau une panacée. « Car la réponse à apporter à d’autres problèmes ne semble pas être une urgence. »

Cette fédération demande qu’un dialogue franc et sincère soit organisé autour des « vraies questions » qui minent le secteur de l’éducation.
Légende : Antoine Manuma

Eulalie Nibizi : « L’harmonisation des salaires a été totalement occultée de l’accord »

Eulalie Nibizi, ancienne syndicaliste tient d’abord à souligner l’aspect positif de cet accord : « Il est appréciable de voir que les tests d’évaluation des compétences des enseignants et le renforcement de leurs capacités seront réalisés avec le concours de tous les acteurs habilités. C’est ce qui normalement devrait se faire, mais c’est nécessaire de saluer cela ».

Cependant, elle demande aux syndicats enseignants d’être vigilants pour que la passation des tests se fasse loin de toutes considérations d’ordre partisanes ou sans rapport avec la pédagogie enseignante.

L’ancienne égérie syndicale déplore l’absence d’un point important dans cet accord : l’harmonisation des salaires longtemps réclamée par les enseignants. « Cette question était au cœur de leurs revendications. La mesure liée au test d’évaluation a été juste la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ».

Et de prévenir : « L’accord qui vient d’être conclu ne ramènera pas la paix sociale tant que cette question liée à l’harmonisation des salaires n’est pas résolue. » A cet effet, Mme Nibizi demande aux pouvoirs publics de respecter les clauses convenues avec les syndicats lors des négociations sur ce sujet en 2015.

Sur les plaintes exprimées par les syndicats enseignants sur le bien-fondé des tests d’évaluation, l’ancienne présidente du syndicat STEB apporte une mise au point : « Faire passer un test d’évaluation avant des séances de formation est une chose assez inédite. De surcroît, que les enseignants soient soumis à un test écrit est problématique. »

Eulalie Nibizi explique que l’enseignant, plutôt que d’être évalué par écrit, doit l’être sur base de sa capacité à gérer sa classe, à suivre la méthodologie prévue, sur sa maîtrise des matières enseignées … Des critères qui, d’après elle, exigent que l’enseignant soit noté à l’œuvre.
Concernant les multiples défis de l’enseignement soulevés dans l’accord, elle souligne que les leviers d’action manquent à un ministre de l’Education pour venir à bout de ces obstacles. « Il faut une planification financière et matérielle pour relever les défis qui se posent. Ce qui n’a malheureusement jamais été fait. Au lieu de cela, nous avons toujours assisté à des sous-réformes imprévues qui chamboulent le système éducatif ».

Elle cite, à titre d’exemple, la mesure de gratuité de l’enseignement dans le primaire adoptée par feu président Pierre Nkurunziza pour la rentrée scolaire 2005-2006. « Une décision salutaire, mais qui, appliquée dans la précipitation, a omis des paramètres essentiels. »

Selon elle, personne ne pouvait s’opposer à ce que tous les enfants aient accès à l’éducation : « Le problème, c’est que cette mesure, entrée en vigueur très rapidement, n’a pas pris en compte le manque de classes vu le surnombre d’enfants qu’une telle annonce allait drainer dans les écoles, l’insuffisance de bancs pupitres, la carence de matériel didactique, le déficit d’enseignants qualifiés face à la nouvelle situation, sans oublier que les parents et toute la communauté n’ont même pas été impliqués pour prendre part à l’effort général. »

Pour cela, Eulalie Nibizi plaide pour que le ministère ait les outils lui permettant de mettre en œuvre ses réformes de la part du Gouvernement.
Une façon de limiter, d’après elle, les abandons scolaires dus parfois aux mauvaises conditions d’apprentissage : « Si un ministre ne pouvait supporter de voir son enfant étudier assis à même le sol, pourquoi n’en fait-il autant pour l’enfant du bas peuple ? »
Légende : Eulalie Nibizi


Eclairage/ Libérat Ntibashirakandi : « De la poudre aux yeux ! »

Après l’accord conclu entre la Cosesona et le ministère de l’Education et de la Recherche scientifique, Libérat Ntibashirakandi, chercheur et conseiller pédagogique, trouve que rien n’a encore été fait. Motif : aucune réponse concrète par rapport aux questions de fond qui les opposent.

Lundi 14 février, la centrale syndicale des enseignants (Cosesona) et le Gouvernement sont parvenus à un accord. Votre commentaire ?

Peut-on réellement parler d’accord ? je doute. C’est de la poudre aux yeux ! Bien sûr que la Commission nationale du Dialogue social a intérêt à justifier sa raison d’être. Sinon, le différend qui oppose les enseignants et le Gouvernement ne date pas d’hier. Et au vu du document paraphé, je ne vois pas de réponses concrètes face aux dissensions entre ces deux protagonistes. Souvenez-vous des grèves de 2010 et 2013. A chaque fois, il y a eu des médiations. Au finish, des paroles en l’air. Pour tout dire, l’actuel différend est une conséquence de ces précédentes crises qui n’ont jamais été résolues. Notamment, cette question en rapport avec la formation continue : le recyclage. Il suffit de se replonger dans les recommandations des Etats Généraux sur l’Education nationale de 2014.

Concrètement ?

Dans la feuille de route convenue au cours de ces Etats Généraux, au point 26, il était recommandé d’établir un centre de formation des enseignants à tous les niveaux (du primaire au supérieur en passant par le secondaire). Il était recommandé aussi de financer les programmes de mobilité des enseignants du supérieur. C’était le ministère en charge de la Recherche scientifique qui a été mandaté pour concrétiser cette recommandation au plus tard en 2016. Aujourd’hui, nous sommes en 2021. Dans le même ordre d’idées, la recommandation 27 proposait de doter les enseignants du primaire et du secondaire d’un plan de carrière. Une façon d’améliorer l’encadrement et de les fidéliser. L’action était de mettre en place une commission pour le suivi de la mise en œuvre dudit plan. Une proposition restée lettre morte.

Idem que la recommandation 29. Elle proposait d’instaurer une prime d’éloignement pour les enseignants du primaire et du secondaire. Une chose qui n’a jamais même été étudiée. Sauf changement de dernière minute, en mars, se tiendront les Etats Généraux. Et je ne doute point qu’ils répèteront la même chose. Sinon, à voir de près, l’essentiel des questions a été reporté aux calendes grecques. Soyez-en sûr, si le statu quo persiste, d’ici un ou deux ans, un autre conflit va éclater.

Quid des propositions concernant le test de niveau des enseignants des trois cycles ?

C’est déplorable. A mon avis, les syndicalistes ont cédé par peur plutôt que par raison. Ce qui est sidérant, c’est que l’accord stipule que ces tests de niveau permettront de former les formateurs. C’est-à-dire, les formateurs seront choisis parmi les meilleurs enseignants qui auront réussi le test. Certes, l’accord indique qu’ils mettront un code sur les feuilles. Mais, reste un grand problème. On dirait qu’il y a des non-dits. Avec les problèmes liés aux appartenances politiques, les problèmes liés au fichage ethnique, etc. Un tas d’éléments qui montrent qu’il y a risque de parti-pris.

D’un autre côté, pour une évaluation diagnostique (test donné à l’apprenant pour voir s’il a les prérequis de base), ils oublient que le niveau des enseignants n’est pas le même. Par exemple, il y a des enseignants qui ont suivi un cursus pédagogique, ceux qui ont fait le post-fondamental couplé d’une formation de 3-6 mois. A ce niveau, il fallait catégoriser les enseignants, avant d’élaborer une identification et traitement des compétences. Aussi, je dois ajouter qu’il n’était pas nécessaire de privilégier le test. Plutôt, il fallait privilégier la formation. Le formateur lui-même devrait proposer un test qui rentre dans la formation. Et non un test pour évaluer.

La question de la politique salariale, visiblement, n’a pas eu toute l’attention qu’elle mérite. Votre réaction ?

C’est un drame national lorsque l’on voit les conditions dans lesquelles travaillent les enseignants. Certes, un non-averti dira que cette précarité touche l’essentiel de la population, les enseignants y compris. En tant que dispensateur du savoir, leur situation doit être reconsidérée. Revoir à la hausse leurs salaires est une urgence. Les autorités, à la tête desquelles le président de la République, doivent savoir que restaurer l’honneur et la dignité des enseignants est une nécessité. Ce sont eux qui sont les principaux pourvoyeurs des cadres du Burundi de demain.

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. Mbayahaga

    « Si un ministre ne pouvait supporter de voir son enfant étudier assis à même le sol, pourquoi n’en fait-il autant pour l’enfant du bas peuple ? »
    Très bonne question ! Le ministre répondra-t-il ? Ou ses collègues ?

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