Mardi 30 avril 2024

Société

Féminicide à Kabezi, Un meurtre sans nom

17/04/2024 1
Féminicide à Kabezi, Un meurtre sans nom
Deux maisonnettes se trouvant sur RN°3 et appartenant à Raymond Ncamubiniga

Des cas de féminicide prennent des allures inquiétantes dans certains coins du pays. Au moins 8 cas recensés pour ce premier trimestre dans les provinces de Cibitoke et Bujumbura. Le cas le plus emblématique et odieux s’est passé dernièrement dans la commune de Kabezi de la province de Bujumbura. Mais, pourquoi ce crime ? Quelles en sont les causes. Iwacu a fait le déplacement vers le lieu du drame. Le récit.

Mardi 2 avril 2024, il est 10. Nous sommes sur la route nationale N°3 Bujumbura-Rumonge à 20 km de Bujumbura. C’est sur la colline Migera, dans la commune de Kabezi, province Bujumbura.

Les habitants de la localité vaquent normalement. Mais, le cas de féminicide qui s’est produit dans la localité semble avoir suscité de graves indignations. Visiblement, les résidents sont toujours sous le choc.

Raymond Ncamubiniga, la cinquantaine et sa femme Lydia Irishura, la trentaine vivent au bord de la route nationale Bujumbura-Rumonge (RN°3) dans une maisonnette de fortune à quelques 20 m du lac Tanganyika et à quelques 200 m de l’Ecole fondamentale (Ecofo) de Migera. Mais la femme n’est plus. Les voisins rencontrés nous brossent le film du drame.

Un crime effrayant, épouvantable.

Tout commence quand Raymond Ncamubiniga contracte un second mariage. Il vit en union libre avec sa seconde femme. Mais la vie n’a pas été facile. La femme rentrait toujours ivre. Le couple se chamaillait et se battait.

« Ce couple se battait jusqu’à se blesser. Et c’est la femme qui prenait toujours le dessus », révèle un voisin du couple.

A un certain moment, l’administration et les notables ont été dépassés par les querelles interminables du couple. Le mari accusait sa femme d’avoir des concubins. Selon les témoignages des proches et des voisins, la femme avait plusieurs partenaires. Malgré les conseils des voisins, elle n’a pas abandonné ce comportement.

« Toutes les tentatives de réconcilier le couple ont été vouées à l’échec », se désole une des leaders communautaires de la localité.

Tantôt, la femme quittait temporairement le toit conjugal, tantôt elle revenait mais le conflit, au lieu de finir, il s’est exacerbé.

L’eau déborde le vase

A un moment donné, témoignent-les voisins, les deux conjoints ont juré de s’éliminer mutuellement. « Si tu ne me tues pas, je vais te tuer. Moi aussi, si tu ne me tues pas, je vais te tuer », avaient-ils déclaré tout haut devant les voisins.

Un jour, l’irréparable a failli se reproduire. Pendant la nuit, la femme blesse son époux au niveau de ses parties intimes. Il se fera soigner à l’hôpital pendant plus de deux mois.

Dès lors, le conflit monte d’un cran. Le mari cherche par tous les moyens à en découdre avec sa femme. Le jour fatal, il est 2 h du matin. Le diable pousse Raymond à mettre fin aux jours de sa femme qu’il égorge.

Ne voyant pas quoi faire avec le cadavre de sa femme, il appelle la fille-aînée d’à peu près 12 et lui demande de récupérer l’enfant qui dormait avec sa mère. Raymond Ncamubiniga prend la cavale.

La même nuit, raconte un voisin, la fille-aînée quitte la maison avec ses frères et sœurs vers son grand-père qui habite à 1km du lieu du drame et lui raconte l’horreur.

« La femme sera enterrée dans la douleur. La belle famille, inconsolable et sous le choc, a failli se venger n’eut été l’intervention de l’administration », informe un des élus collinaires ayant assisté aux funérailles.

Selon les voisins, le grand-père a la peur dans le ventre et vit des fois en cachette craignant d’être lynché par la belle famille.

Iwacu a essayé de contacter l’administration collinaire pour savoir les mesures prises pour protéger cette famille du criminel, mais sans succès.

Les enfants sous le choc

Un proche de ces enfants fait remarquer que l’assassinat de leur mère hante toujours leur sommeil. Ils sont sous le choc. « La fille qui a vu la mère dans une mare de sang reste dépassée par les événements. Il lui est difficile de se remettre du traumatisme ».

Selon les mêmes sources, la prise en charge psychologique de six enfants pose problème. Leur grand-père est démuni. Il ne sera pas en mesure de les prendre en charge. Le risque qu’ils abandonnent l’école est grand.

Quant au sort de Raymond, ils indiquent que la justice a fait son travail. Après le forfait, racontent nos sources, il se serait caché dans un buisson au bord du lac Tanganyika où il passera quelques jours.

Menacé par le froid et la faim, il décide de se rendre à la Police. Il avoue que c’est bel et bien l’auteur du crime. L’instruction et l’enquête s’en suivront.

Au niveau du jugement, le criminel écope d’une peine principale à perpétuité. La garde des enfants est confiée au grand-père du côté paternel.


Eclairage

« Une personne normale ne peut pas commettre un homicide »

Haine entre les membres de la famille ; développement du traumatisme chez les enfants, esprit de violence qui peut grandir chez les enfants… telle est la liste non exhaustive de quelques conséquences possibles du féminicide. Pierre Claver Njejimana, spécialiste en santé mentale et psychothérapeutique, fait le point et propose des mesures de prévention.

Des cas de féminicide prennent de plus en plus une allure inquiétante. Quelle interprétation donnez-vous à ce genre de crime ?

Les cas d’assassinat dans les couples est un phénomène qui arrive et qui est fréquent au Burundi comme ailleurs.
Des études faites dans les pays occidentaux, notamment en France, montrent que c’est un phénomène qui existe mais qui n’est pas du tout normal. Une personne normale ne peut occasionner la mort de l’autre.

C’est un phénomène qui est occasionné normalement par la notion de jalousie. Une jalousie qui s’observe dans les couples où l’un des conjoints accuse l’autre d’une infidélité conjugale, de vagabondage sexuel. Ce phénomène grandit et aboutit à des querelles de tous les temps.

Si l’homme ne parvient pas à digérer cette situation, il développe une haine accrue envers sa femme. Une haine qui aboutit souvent à un assassinat.

Donc, ce n’est pas un phénomène normal parce l’homme normal devrait gérer ses émotions. Il ne devrait pas passer à l’acte de tuer quelles que soient les conditions dans lesquelles il se trouve.

Quid des conséquences sur les enfants et pour la famille ?

Les conséquences des homicides dans un couple sont très nombreuses. D’abord au niveau du noyau familial, il y a cette mésentente entre les membres de la famille. Il y a des enfants qui vont développer un traumatisme secondaire.

Un enfant qui observe son papa en train d’étrangler sa maman va grandir avec cet esprit de violence. A la longue, cet enfant sera amené à commettre des actes de violence qu’il a observés dans la famille.

Au sein de la communauté, cela va créer un climat de tensions permanentes. Des tensions qui peuvent occasionner d’autres situations dramatiques dans la communauté.

Des familles vont se regarder en chiens de faïences et, avec le temps, elles peuvent s’entrer dedans.

Comment gérer le traumatisme de ces enfants ?

Il faut regarder la réalité en face et chercher d’abord à savoir comment l’enfant a vécu l’événement.

Il faut ensuite effectuer des évaluations sur des échelles et voir comment l’enfant a été atteint au niveau psychologique et travailler sur ces traumas secondaires par des techniques de gestion du stress psychosomatique.

Il faut aussi que ces enfants soient encadrés par spécialistes de la santé mentale. Ces derniers vont créer progressivement une approche de prise en charge de ces enfants afin de les accompagner vers une guérison qui soit un peu effective.

Qu’est-ce que vous proposez comme mesures de prévention de ces crimes ?

Être en conflit avec une personne avec qui vous partagez le toit conjugal est tout à fait normal. Mais le recours à la violence est à combattre.

Si une situation de conflit se présente dans le couple, il faut d’abord que les membres du couple s’asseyent ensemble pour discuter, échanger sur les causes de leur différend et essayer de dégager des solutions par le dialogue.

Et s’ils ne parviennent pas à s’asseoir ensemble, il faut que l’un des conjoints fasse un pas vers la recherche de la justice. La personne lésée peut se confier à l’administration locale pour trouver une solution.

Les autres peuvent aller contacter les parrains et les marraines juste pour échanger sur la problématique. De là, une lumière peut jaillir. Sinon, le recours à la violence conduit toujours à des situations dramatiques.

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. Anonyme

    A un moment donné, témoignent-les voisins, les deux conjoints ont juré de s’éliminer mutuellement. « Si tu ne me tues pas, je vais te tuer. Moi aussi, si tu ne me tues pas, je vais te tuer », avaient-ils déclaré tout haut devant les voisins.

    A la lecture de ce paragraphe ci-dessus, de cette phrase, la Communauté environnante du Couple, l’Etat Burundais ont tous failli à leurs missions. Dans un Pays qui se respecte, ils devraient rendre des comptes pour n’avoir pas agi pour éviter ce qui est arrivé.

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