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Santé

Covid-19 : Plus les jours passent, plus la pandémie tue en silence

20/06/2020 Commentaires fermés sur Covid-19 : Plus les jours passent, plus la pandémie tue en silence
Covid-19 : Plus les jours passent, plus la pandémie tue en silence
Les citadins deviennent réticents à participer à des funérailles.

Avec un seul décès déclaré pour 104 cas testés positifs, le Burundi semble épargné. Pourtant, dans les hôpitaux, dans les ménages, les témoignages recueillis par Iwacu révèlent une maladie qui prend de l’ampleur. Entretemps, le gouvernement a déjà lancé son plan de riposte national.

Dossier réalisé par Alphonse Yikeze, Rénovat Ndabashinze, Clarisse Shaka, Hervé Mugisha et Mariette Rigumye

La psychose s’installe…

Pas de deuil, pas de réunion préparatoire des funérailles, un nombre très limité à l’enterrement… Le soutien moral en cas de décès d’un proche, si cher aux Burundais, semble être en train de disparaître.

Avec l’ampleur de la pandémie de la Covid-19, les citadins se montrent de plus en plus réticents à soutenir moralement les familles qui perdent les leurs.

Il y a quelques jours, une fratrie de quatre enfants, du quartier Kinanira, au sud de la mairie de Bujumbura, a perdu son père qui frôlait la cinquantaine. Ce dernier avait été hospitalisé pendant une semaine à l’hôpital Bumerec selon le témoignage d’un de ses proches. Officiellement, le père de famille souffrait de la malaria.

Durant une semaine passée sur un lit d’hôpital, il n’a reçu aucune visite. « Ses proches soupçonnaient qu’il avait la Covid-19. Et pourtant, il n’y avait aucune confirmation », s’étonne ce témoin.

Après sa mort, personne n’est allé faire le deuil, chez lui, à la grande déception de sa famille. « La mère était tellement déçue, triste, qu’elle a pleuré sur mon épaule. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait », témoigne un voisin qui a rendu visite à la famille, quelques jours après la mort du père.

Le jour des funérailles, cette famille se sent toujours abandonnée. A la morgue, aucun proche pour un dernier adieu au défunt. Ceux qui devaient transporter le cercueil sont absents. La famille se rabat sur les jeunes du quartier.

C’est sur les réseaux sociaux que ça se passe désormais
Certaines familles préfèrent désormais éviter tout contact avec les autres et organisent les funérailles sur les réseaux sociaux, notamment WhatsApp.

M.B. est un jeune homme qui vient d’assister à deux réunions de funérailles sur WhatsApp. Il a perdu deux membres de sa famille, morts tous le 2 juin dernier.

L’un est un banquier âgé de 45 ans, du quartier Kinanira, décédé à l’hôpital Bumerec. « Les rumeurs disent qu’il est décédé suite au coronavirus», raconte ce jeune homme.

La famille organise deux réunions de préparation de l’enterrement, mais aucune présence. C’est ainsi qu’elle décide de créer un groupe WhatsApp à cet effet. Le jour de l’enterrement, M.B. confie que personne n’est venu à la morgue. C’est la Croix-Rouge qui est intervenu pour transporter le cercueil.

M.B. ne doute pas que ce défunt est mort de la Covid-19. L’hôpital avait interdit toute visite aux membres de sa famille. « Seul le domestique lui apportait à manger. Lui-même sera testé positif à la Covid-19, par la suite».

M.B. parle de trois autres cas, où il a assisté aux réunions sur WhatsApp. Notamment une femme, 56 ans, qui travaillait dans une agence onusienne, du quartier Kinindo, morte à l’hôpital Kira, il y a deux semaines.


Des gestes barrières négligés

Le lavage des mains n’est plus obligatoire dans certains endroits de Bujumbura.

Se laver régulièrement les mains, ne pas se saluer ou s’embrasser… Face au danger du coronavirus, Iwacu fait le constat d’un respect des gestes barrières qui s’étiole depuis un moment au sein de la société.

Alors que dans les structures sanitaires, le port de masque est devenu obligatoire pour le staff, dans d’autres endroits, un relâchement s’observe, ces derniers temps. Ce qui multiplie les risques de contamination.

Aux entrées de certains marchés, se laver les mains n’est plus obligatoire. Les jeunes qui étaient postés-là, comme aux marchés de Jabe, Ex-Cotebu, Kinama, Kamenge… ne sont plus exigeants. Les gens entrent sans se laver les mains. Idem à l’entrée de certaines églises catholiques et protestantes. Sur les parkings des bus et autres points de rassemblements publics, la situation est identique. Un laisser-faire total. L’hygiène manuelle est devenue désormais facultative.

Récemment, l’organe dirigeant de l’association des motards (Amotabu) avait recommandé à ses membres d’attacher à leurs motos un petit bidon d’eau accompagné de savon. Et ce, pour permettre à leurs clients de se laver les mains avant de monter à bord. Une mesure qui n’est plus observée.

Pire encore, à l’entrée de certains marchés, églises et écoles, malgré la présence du kit de lavage, pas de trace de savon. « Ça ne sert à rien de se laver les mains avec de l’eau seulement », critique un citadin, croisé à l’entrée d’un des marchés de Bujumbura.

Outre le manque d’hygiène manuelle, les gens ont repris l’habitude des étreintes chaleureuses et des bises sur la joue. . « Laissez ces jeunes vivre leur temps. Il ne faut pas paniquer pour rien. La Covid-19 n’est pas plus mortelle que d’autres pathologies. Par ailleurs, il n’y a qu’une seule personne morte, selon nos officiels », lâche I.K., un homme croisé à l’endroit communément appelé « Kuri Kiosque », en plein centre-ville de Bujumbura. Il venait d’assister à une scène d’élèves en uniforme en train de s’embrasser. Ils ne sont pas les seuls à se comporter ainsi. Même des adultes ne se gênent plus.

Sur un ton sérieux, il lâche : La pandémie est en train de tuer en silence même si les officiels ne veulent pas le confirmer. C’est regrettable de voir que des gens ne respectent plus les mesures barrières. » Avant de redémarrer sa voiture, cet homme estime qu’il faut des mesures contraignantes pour le respect de ces mesures. Un rôle qui revient aux autorités, glisse-t-il.

A la recherche de solutions alternatives

Face à la pandémie de la Covid-19, une bonne partie des citoyens, notamment à Bujumbura, adopte certaines pratiques préventives. ‘’Des solutions alternatives’’ pour se prémunir ou « guérir du coronavirus ». Ainsi, la médecine traditionnelle se retrouve aujourd’hui à l’honneur.
Dans les rues de Bujumbura, des vendeurs ambulants d’un nouveau genre apparaissent : des feuilles d’eucalyptus de couleur blanche sont proposées aux passants.

Mélangées avec d’autres plantes comme umuravumba, un des vendeurs affirme que la vapeur que dégage celle-ci, guérit le coronavirus : « Il suffit de bouillir de l’eau dans une marmite dans laquelle on plonge quelques feuilles d’eucalyptus. Après une vingtaine de minutes, assis autour de la marmite et la tête inclinée, on se recouvre à l’aide d’un drap. Par la suite, il faut aspirer la vapeur. Cela résout directement les problèmes de respiration. » Et de rappeler que l’usage des feuilles d’eucalyptus ne date pas d’aujourd’hui pour les cas d’affections respiratoires.

Ce vendeur indique que quelques feuilles d’eucalyptus sont vendues à 500BIF. Un business florissant selon lui. . Chaque matin, il doit quitter sa localité, sis dans la commune Isare, pour venir vendre ces feuillages à Bujumbura. Interrogé sur sa clientèle, il souligne qu’elle est constituée surtout d’adultes : « Il y en a même qu’on rencontre chez eux, à Mutanga-Nord, à Kigobe, etc. »

Les usagers se disent satisfaits des effets de ce ‘’remède’’. « C’est vraiment une meilleure alternative pour se prémunir de la Covid-19 », témoigne Gaspard, un sexagénaire de Mutanga-Nord. Il s’approvisionne chaque jour en feuilles d’eucalyptus et de citronnelles… Le sexagénaire raconte effectuer cet exercice au moins quatre fois par semaine. «  Après cet exercice, on se sent relaxé. Aucun malaise. La respiration redevient plus normale. Et on transpire beaucoup ».

Dans les quartiers tels que Bwiza, Buyenzi, le soir ou le matin, ils prennent des tasses d’aloès verra mélangé à la citronnelle. La préparation est effectuée dans des bonnes conditions d’hygiène, raconte Issa, un habitant de Bwiza. « On prend de grandes feuilles d’aloès verra. On enlève les parties piquantes. Puis, on les lave et les coupe en morceaux ». Ensuite, poursuit-il, on prend une poignée de feuilles de citronnelles. « On les lave et les découpe. Le tout est alors mis dans la marmite dans de l’eau bouillante. Et on couvre ». Après une journée, Issa affirme qu’il prend un verre le matin et un autre le soir. D’autres mélangent aussi avec des oignons, gingembre, citron, miel, etc.

La tisane de mise aussi

La tisane Kira 2020 devient de plus en plus prisée

Ce produit fabriqué à base de plantes traditionnelles devient très recherché dans la capitale. Conçue au départ pour traiter la malaria, ce résultant aiderait l’organisme à guérir et à se prémunir de la Covid-19, à en croire les témoignages.

600 à 1.000 clients par jour, pour un paquet coûtant 10 mille BIF. Tout commence par un audio qui circule sur les réseaux sociaux depuis quelques jours. Une femme vante les bienfaits de la tisane Kira 2020 « contre la Covid-19 et les états grippaux ». Elle affirme que « plusieurs patients testés positifs à la covid-19 sont en train de guérir grâce à cette tisane». Par après, le bouche à oreille a pris le relai, faisant, du coup aujourd’hui, le bonheur d’une petite entreprise.

Jeudi 28 mai, vers 10h, « Karire Products », l’entreprise qui fabrique des produits naturels à base de plantes traditionnelles est déjà bondée de clients venus chercher la tisane Kira 2020, fabriquée à base de mélange de quatre plantes : artémisia, quinquina, umubirizi (vernonia) et la Stevia. Hommes et femmes en uniforme de banquier débarquent nombreux. D’après une employée de cette entreprise, trois patients testés positifs à la Covid-19, qui étaient hospitalisés, lui ont témoigné avoir été guéris après la prise de cette tisane.

Sous forme de thé noir consommé à chaud, cette tisane « renforce l’immunité, prévient contre les maladies opportunistes d’origine virale et parasitaire », peut-on lire sur l’étiquette. Le produit a été conçu pour traiter la malaria. La plupart de clients rencontrés à l’entreprise disent acheter la tisane pour se prémunir de cette pandémie. « Nous avons entendu qu’il est efficace. On ne sait jamais… »

Un jeune homme se montre convaincu de son efficacité : « Nous avons ouï-dire qu’à Madagascar, l’artémisia est efficace. Certains pays d’Europe utilisent la chloroquine qui traite la malaria. Si je vois cette tisane qui a tous ces composants, j’ai du mal à douter. »


‘’Des morts suspectes’’ au sein de la communauté musulmane

Les rites funéraires islamiques continuent malgré la covid-19.

Certains Imams en mairie de Bujumbura confient que, depuis l’existence de la pandémie du coronavirus au Burundi, le nombre de décès dans la communauté musulmane a considérablement augmenté.

Lundi 15 juin, nous sommes à la 4e avenue de la zone Buyenzi de la commune Mukaza. L’Iman Id Hatungimana de l’association initiative pour le développement de la nation (Idena) et ses amis s’apprêtent à aller laver le corps d’une personne décédée à l’hôpital militaire de Kamenge. A un moment donné, le téléphone du secrétaire permanent de l’association sonne. Une autre famille du quartier Nyakabiga cherche des personnes pour les aider à enterrer une parenté morte la veille. « Depuis l’annonce de l’existence de l’épidémie du coronavirus, le nombre de décès a considérablement augmenté », témoigne l’Imam Id Hatungimana.

« En plus de ces deux personnes que nous allons enterrer à 13 h, nous avons enterré 19 autres personnes la semaine passée », révèle un autre Imam, membre de cette association.

Cependant, Id Hatungimana confie que même si les familles ne leur révèlent pas la cause du décès de leurs proches, la plupart des fois, l’association enquête pour savoir de quoi sont morts ses membres.
Depuis un certain temps, ces fonctionnaires laïques de la mosquée confient être inquiets du nombre croissant des décès.

Les toilettes mortuaires continuent

Malgré les risques de contamination à la Covid-19, l’Imam Id Hatungimana fait savoir que les rites funéraires continuent. « Mais depuis l’annonce du premier cas de la Covid-19, le port des gants et des masques de protection est obligatoire pendant les pratiques de la toilette mortuaire d’un corps ».Toutefois, il reconnaît une rupture de stock des produits utilisés lors des toilettes mortuaires.

Malgré les risques de contamination, ce fonctionnaire laïque de la mosquée indique que les autres rites, comme le deuil et la prière du défunt, sont toujours observés comme à l’accoutumée. Sauf dans un cas précis. « Mais lorsqu’il s’agit d’un deuil d’une personne suspectée morte de la Covid-19, nous désinfectons la chambre dans laquelle nous avons lavé le défunt avant de la fermer pour deux jours ». Face au risque de développer des foyers de contamination, les Imams exhortent les familles de leur révéler la vraie raison de la mort des leurs. « Au moins, cela nous fait redoubler de vigilance ». Et de faire savoir : « Lors de chaque prière, nous appelons le reste de la communauté à respecter scrupuleusement les mesures barrières établies par le ministère de la Santé, notamment le port des masques de protection dans les grandes assemblées ».


Le non-dit qui alimente l’inquiétude

La Clinique Prince Louis Rwagasore qui abrite le Centre de Traitement de la Covid-19.

A l’heure actuelle, le ministère de la Santé fait état de 104 personnes testées positives à la Covid-19, dont un cas décédé. Iwacu s’est entretenu avec des professionnels de la Santé. Ces derniers dressent un état des lieux alarmant.

« La situation est grave, cher ami », affirme O.M., un employé du centre de traitement de la Covid-19 sis à la Clinique Prince Louis Rwagasore. L’homme que nous rencontrons aux portes de cet établissement nous informe que les patients atteints du virus viennent de toutes parts : de chez eux, de différentes structures sanitaires de Bujumbura mais aussi de l’Hôtel Méridien Source du Nil.

« En fait, le ministère de la Santé met uniquement en avant le nombre de patients admis ici. Or, ailleurs, comme à l’Hôtel Méridien Source du Nil, en tout cas à l’heure où je vous parle, toutes les chambres sont occupées. Sans parler de nombreux cas suspects qui peuplent les lits d’hôpitaux et de centres de santé, auxquels s’ajoutent des malades sous traitement à domicile».

Ainsi, nous apprenons auprès de lui que l’Hôtel Méridien Source du Nil (doté de 70 places) est devenu, depuis la fermeture des frontières nationales, un lieu d’accueil des patients testés positifs à la Covid-19. « Les patients objets de suivi dans le centre de traitement de la Covid-19 servent en fait à se faire de la publicité de la part des autorités du ministère sur une maladie qui serait peu répandue et qui guérit assez vite», dénonce O.M.

Au fil de la discussion, ce dernier affiche son pessimisme : « En l’état actuel des choses, il se pourrait que nous soyons tous atteints. » L’employé affecté au seul centre de traitement de la Covid-19 du pays demande aux pouvoirs publics « de dire la vérité à la population et de cesser de minimiser l’ampleur de cette pandémie».

Au CHUK, des risques de contagion très élevés

Au Centre Hospitalo-Universitaire de Kamenge, plusieurs cas suspects sont signalés.

U.R. effectue son stage de médecine au Centre Hospitalo-Universitaire de Kamenge. Il nous a donné rendez-vous près du logement qu’il loue avec des amis dans un quartier sud de Bujumbura. « Depuis des semaines, je vois arriver plusieurs cas suspects du coronavirus au CHUK », atteste le jeune homme, avant d’ajouter : « Malheureusement, les cas qui nécessitent l’hospitalisation sont souvent regroupés dans des salles communes, par conséquent en contact direct avec des patients atteints d’autres pathologies.»

Selon U.R., dans les dites salles communes de l’établissement, la distanciation physique n’est souvent pas respectée. « En principe, les lits devraient être séparés par des rideaux, mais ce n’est souvent pas le cas », indique l’interne au sein de l’Hôpital Roi Khaled.

Et de nous révéler que les cas suspects et les malades souffrant d’autres affections partagent la salle de bain, cuisinent au même endroit, etc. « Et c’est sans parler de certains cas suspects de la Covid-19 qui disposent de plusieurs garde-malades qui se relaient à leurs côtés et qui leur apportent aussi de la nourriture de l’extérieur. Dans ces conditions, vous imaginez vous-mêmes l’ampleur des contaminations », témoigne U.R., visiblement dépassé.

Il souligne par la même occasion un autre risque de contagion au sein de l’hôpital : « Les cas suspects qui en ont les moyens peuvent bénéficier d’une chambre individuelle. Une fois vidée par la personne suspecte d’être atteinte du virus, la chambre n’est point désinfectée. » Pour lui, cela est assez inquiétant étant donné que la pièce pourra, par la suite, être éventuellement mise à la disposition d’un patient non atteint de la Covid-19.

Et de poursuivre avec une pointe d’amertume : « Là-bas, depuis un bon moment, nous recevons en moyenne 10 cas suspects par semaine. Durant un weekend-end que je ne suis pas prêt d’oublier, sept à huit personnes présentant des signes patents de la pandémie ont rendu l’âme dans les enceintes de l’hôpital.»

Et de souligner également l’insuffisance du matériel de protection : « Les masques, par exemple, existent en quantité limitée par rapport au personnel. Cela a pour conséquence que nous nous retrouvons à user, durant une semaine, de masques de protection qui ont une durée de validité d’à peine quelques heures. »

Et de demander à l’Etat d’établir « un ordre de priorités » dans sa stratégie de lutte contre le virus. « Il faudrait, par exemple, que les pouvoirs publics investissent davantage dans l’achat de matériel de protection suffisant à direction du personnel soignant».

« Je suis infectée au coronavirus »

Nous sommes à l’Hôpital Bumerec (Commune Mukaza). En bas des escaliers qui mènent vers l’accueil, un kit d’hygiène a été disposé pour le personnel et les usagers de cet établissement sanitaire privé. Une fois à l’intérieur, nous sommes soumis à un prélèvement de température. «Votre température est de 36°, c’est bon, vous pouvez entrer », nous lance le gardien de sécurité dans son uniforme bleu ciel, le thermoflash en main. Pour la somme de 2000 BIF, nous en profitons pour nous procurer un masque auprès du même gardien de sécurité.

Au bout du couloir à droite, P.M., la petite trentaine, est venue en consultation accompagnée de sa mère. Elles portent toutes les deux un masque au visage. La discussion s’engage aussitôt. « Cela fait deux mois que j’ai attrapé le virus », raconte-t-elle d’emblée. Dans un premier temps, la jeune femme témoigne avoir ressenti des courbatures. « Pendant longtemps, j’ai cru que c’était dû au fait que je passais beaucoup de temps assise au bureau ». Jusque-là, P.M. n’est pas inquiète outre mesure. Mais, au fil des jours, elle apprend que deux de ses collègues au travail ont été testés positifs à la Covid-19.

La panique s’empare assez vite de la société qui l’emploie, mais qui poursuit tout de même ses activités. Toutefois, un changement majeur s’opère : outre le passage obligé au lavage des mains à l’entrée, les salariés ont désormais l’obligation de porter un masque au visage. De son côté, P.M. voit son état de santé se détériorer. Elle développe une toux sèche qui l’oblige à faire le tour de différents centres de santé de son quartier pour tenter de trouver un remède pouvant calmer son mal. «Faute d’un test de dépistage au coronavirus, à chaque fois, on me prescrivait du sirop». Après plusieurs jours à prendre ce traitement, plutôt que de connaître une amélioration, son état de santé empire. « Mes douleurs à la gorge s’accentuaient. J’avais de plus en plus de mal à respirer. Pire, j’avais aussi perdu mon odorat», dit-elle d’une voix faible sous son masque.

P.M. décide finalement d’aller consulter à l’hôpital Bumerec où une radiographie thoracique va dévoiler un état pulmonaire critique. « Les médecins m’ont tout de suite informée que j’étais atteinte d’une infection au Coronavirus».

Dans le même temps, de ce que nous apprend la trentenaire, l’établissement alerte les services du ministère de la Santé en vue d’effectuer des prélèvements sur elle en vue d’un test de dépistage au coronavirus. En vain. Aujourd’hui, certaine d’être porteuse du virus, elle s’inquiète pour son entourage : « Je n’ose imaginer le nombre de personnes que j’ai pu contaminer pendant tout ce temps. » Avant le 30 mai, date à laquelle elle dit avoir bénéficié d’un congé-maladie auprès de son employeur, elle avait poursuivi son activité professionnelle sur son lieu de travail.

Sa mère, la cinquantaine et de santé fragile, affiche son indignation : «Normalement, nous devrions tous avoir été soumis au test.» Du côté de sa fille, depuis qu’elle a appris que les médecins la soupçonnent d’être porteuse de la pandémie, elle a été mise sous traitement. Notamment l’amoxicilline destinée à soigner la pneumopathie. Une cure qui, chez elle, a rapidement provoqué des effets secondaires : « Je mange assez difficilement et je souffre constamment de douleurs abdominales.»


Un plan de riposte à la hauteur des attentes ?

Pour le ministre de la Santé, ce plan saura répondre aux aspects cliniques et épidémiologiques de la maladie.

Deux semaines après l’annonce des grandes lignes de ce plan par le ministre de tutelle, bon nombre de professionnels de santé ont déjà émis des doutes quant à son efficacité.

Tout en reconnaissant que la « politique » s’est quelque peu invitée dans la lutte contre cette pandémie, c’est un ministre conquérant, fier du pas qui venait d’être franchi, qui a présenté ce manuel de procédures pour le personnel soignant. C’était vendredi 5 juin. Entre autres grandes lignes de ce plan: décentralisation des centres de dépistage, refonte du service du centre des opérations d’urgence publique (Cousp) en rendant plus actif et accessible le numéro vert 117, amélioration de la protection du personnel soignant, révision du système de référence et contre référence des patients… Sur le long terme, glissera même un responsable d’une ONG présente, si toutes les directives sont bien mises en œuvre, c’est un plan qui peut contenir la progression de la pandémie.

Une lueur d’espoir de courte durée. Depuis sa restitution, bon nombre de médecins approchés estiment que pour plus d’efficacité, d’autres paramètres auraient dû ou doivent être pris en compte.

Sur le terrain, la décentralisation du dépistage tant chère au ministre de la Santé peine à entrer en vigueur. Deux semaines après l’annonce de ladite mesure, les médecins des hôpitaux publics et privés approchés sont unanimes : « Aucun hôpital n’a effectué son 1er dépistage. » Pour eux, c’est une embûche énorme. « A défaut d’un test de confirmation, nous ne pouvons pas certifier que le patient souffre de la Covid-19 ». Et d’ajouter : Bien que le scanner thoracique permette désormais d’avoir une idée de la pathologie du patient, c’est une lacune énorme, tant au niveau du protocole médical à suivre que de l’infographie réelle en rapport avec les chiffres.»

De forts risques de contamination

Et quand le patient est encore asymptomatique, poursuit-il, sans dépistage au PCR, les risques d’une contamination de toute la communauté sont réels.

Autre grief, selon le personnel soignant, le plan national de riposte ne préconise pas les unités de transit pour les patients avec des signes éloquents de la Covid-19. Allusion aux blocks que l’hôpital Militaire de Kamenge a aménagés en pareilles circonstances. Pour eux, c’est une faille importante. « En plus d’être exposés, les risques de saturation seront accrues, si le nombre d’hospitalisations va croissant ». Plus important, demandent-ils, l’équipement de protection (EPI). Mais aussi faut-il que le personnel soignant soit suffisamment formé.

Ne transférant que les cas compliqués, les hôpitaux de l’intérieur du pays sont appelés à traiter au cas par cas en fonction de la suspicion. A bien d’égards, reconnaît J.K, médecin de l’hôpital Kayanza, une directive qui nous sera difficile à mettre en œuvre. Il ne cache pas que peu sont les hôpitaux suffisamment équipés, même pour faire le diagnostic de la radio du thorax.

D’après lui, « le flou » sur les chiffres doit être levé. « C’est essentiel pour sensibiliser la population, surtout celle rurale. Faute de quoi, elle peut baisser sa garde. Et par conséquent, on verra certaines provinces devenir des foyers de contamination».

Le personnel soignant soutient également qu’il est plus qu’urgent que le gouvernement rende le port du masque obligatoire. «  Ne fût-ce que dans les endroits susceptibles de rassembler beaucoup de monde, tels les églises, les transports en commun… 

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