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Opinion – Burundi : les reflux repoussant des médias de la haine !

05/12/2019 Commentaires fermés sur Opinion – Burundi : les reflux repoussant des médias de la haine !
Opinion – Burundi : les reflux repoussant des médias de la haine !

Par Athanase Karayenga

La réaction d’Anicet Niyonkuru au billet d’Antoine Kaburahe a suscité de nombreux commentaires . Iwacu vous propose celle du journaliste Athanase Karayenga. Ce routier de la presse estime que M. Niyonkuru, même s’il a droit à la présomption d’innocence, reste malgré tout comptable des propos du journal Le Témoin Nyabusorongo qu’il dirigeait en 1993

Les propos infâmes qui l’accompagnent ainsi que la caricature publiée dans le numéro 07 du Journal Nyabusorongo, en date du 28 octobre 1994, sont horribles, ignobles, insupportables. D’autant plus qu’ils ont été publiés au lendemain du génocide des Tutsi du Rwanda pendant lequel les fameux « médias de la haine rwandais » ont joué un rôle particulièrement atroce.

Dès lors, à peine quatre mois après le génocide commis au Rwanda, comment un journal burundais a-t-il pu publier cette caricature abominable que l’on découvre aujourd’hui dans un article d’archive vieux de 25 ans et publié sur les réseaux sociaux ?

Gros malaise !

Les réactions que cette caricature a soulevées sont outrées, indulgentes ou gênées. Selon l’opinion que les uns et les autres se font de M. Anicet Niyonkuru, Directeur des Publications « Nyabusorongo » à l’époque de la publication de la caricature. Or, l’actuel Président du CDP, une formation politique nouvelle faisant partie de la plateforme du CNARED, M. Anicet Niyonkuru a clairement indiqué qu’il s’engageait dans le processus électoral de 2020. Et de ce fait, il aspire tout naturellement à de hautes fonctions politiques. Si les électeurs votent massivement pour sa formation. Et c’est là que le bat blesse.

Comment, un ancien Directeur d’un des « médias de la haine au Burundi » peut-il briguer de hautes fonctions politiques sans réveiller les traumatismes profonds provoqués par des crimes épouvantables comme le supplice des jeunes élèves du Lycée de Kibimba ?

Pour rappel, ces jeunes élèves ont été brûlés vifs dans le cadre des massacres de la population qui ont suivi l’assassinat du Président Melchior Ndadaye. Ces massacres de masse ont plongé le pays dans un deuil monstrueux dont il ne s’est d’ailleurs jamais relevé.

Pour mesurer le choc immense que provoque la publication de l’article du journal Nyabusorongo cité plus haut, il faudrait essayer de se mettre à la place des familles dont les enfants ont été immolés, ce jour funeste, dans le feu à Bubu. Un de ces enfants dont il convient ici de taire le nom des parents, par décence et respect, a été torturé de façon particulièrement ignoble et cruelle. Les tortionnaires lui ont arraché les doigts, un à un, les lui ont fait manger avant de le jeter dans la fournaise où il a été dévoré par les flammes comme les autres enfants. De la pure folie typiquement burundaise.

Cependant, faut-il le souligner avec insistance, il n’y a pas eu de jugement incriminant M. Anicet Niyonkuru, en tant que Directeur du Journal Nyabusorongo. Par conséquent, la présomption d’innocence doit lui être absolument reconnue.

Du point de vue du droit pénal international, et ce depuis une jurisprudence du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), les professionnels des médias qui ont préparé et accompagné un génocide, peuvent être condamnés à la perpétuité pour complicité avec le crime des crimes.

Or, l’immolation par le feu des jeunes élèves tutsi de Kibimba constitue au minimum un crime contre l’humanité et au pire un élément du génocide des Tutsi du Burundi attesté par le rapport des Nations Unies de 1996. Ni le crime contre l’humanité ni le génocide ne sont amnistiables. Donc, tôt ou tard, tous les médias de la haine du Burundi, répondront de leur responsabilité pénale éventuelle au cours de la guerre civile de 1993 à 2006.

Le trouble immense que soulève la publication de la caricature de presse publiée par le journal Nyabusorongo en 1994 est provoqué par le fait qu’il réveille chez les Burundais de tous bords politiques, de toutes les communautés (Hutu, Ganwa, Twa et Tutsi), l’horreur de l’amnistie provisoire devenue définitive, que les politiques se sont octroyés à l’issue des négociations de l’Accord de Paix et de Réconciliation d’Arusha signé le 28 août 2000. A l’abri de cette amnistie, beaucoup d’hommes politiques, présumés coupables, pourtant, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide, exercent de multiples et hautes fonctions politiques dans l’appareil de l’Etat burundais et en briguent d’autres. En toute impunité.

« Les médias assassins »

Un bref rappel historique aussi pour situer le Journal Nyabusorongo cité plus haut dans son contexte historique. Celui-ci faisait partie, en effet, de la galaxie des journaux et radios décrits avec précision dans un livre publié en 1995 par Reporters Sans Frontières sous le titre explicite de « Médias de la haine ». Ce livre regroupe une série d’articles rédigés par plusieurs chercheurs ayant enquêté sur les dérives criminelles des médias dans plusieurs pays : Rwanda, Burundi, Niger, ex-Yougoslavie, Roumanie, Crimée, Caucase, Israël-Palestine, Egypte.

Ces enquêtes étaient placées sous la Direction de Renaud de la Brosse et l’article concernant les médias de la haine burundais publié dans ce livre collectif a été rédigé par Jean-François Barnabé, sous le titre
« Les médias assassins au Burundi ».

Au Burundi, donc, les médias de la haine, privés et écrits, à cette époque de guerre civile particulièrement cruelle et d’intolérance politique exacerbée, se regroupaient en trois catégories. La première catégorie regroupait des journaux publiés par des milieux extrémistes tutsi et comprenait les titres suivants : Le Carrefour des Idées, l’Etoile, Patriote, l’Indépendant et La Balance.

« La virulence des journaux  tutsisants , relève Jean-François Barnabé, s’est exacerbée après le coup d’Etat » du 21 octobre 1993 au cours duquel le Président Melchior Ndadaye a été assassiné par des éléments de l’armée nationale burundaise.

La deuxième catégorie comprenait des journaux publiés par des milieux radicaux hutu auxquels il convient d’ajouter la radio privée « Rutomorangingo ». Cette dernière émettait à partir d’une chambre d’un hôtel situé à Uvira, ville congolaise construite sur la rive du lac Tanganika en face de Bujumbura. La liste de ces journaux virulents comprenait : Le Témoin Nyabusorongo, Le Miroir, L’Eclaireur, Nankana et Kanura Burakeye.

La troisième catégorie des journaux professionnels, respectueux de l’éthique et de la déontologie du journalisme et qui n’ont jamais versé dans la catégorie des médias de la haine regroupait trois journaux : La Semaine, Panafrika et Le Phare. Il en fut, heureusement, des journalistes burundais intègres et remarquables qui n’ont pas sombré dans la fange de l’ignominie et de la haine. Dont, faut-il le souligner pour l’honneur des médias burundais, Antoine Kaburahe qui dirigeait à l’époque Panafrika ou le regretté Patrice Ntibandetse alors patron de l’hebdomadaire La Semaine.

« Equilibre de l’horreur »

Dans le chapitre consacré aux médias de la haine au Burundi, Jean-François Barnabé cite un passage du journal Le Carrefour des Idées qui constitue, en quelque sorte, l’autre face de la médaille de Nyabusorongo. « Les Tutsi, lit-on dans un article du 22.10.1993, sont menacés de cannibalisme, les Hutu sont donc absolument capables de mettre à exécution ce plan s’ils le pouvaient…pour mettre fin à cette espèce animale ».

Athanase Karayenga
Fondation Bene Burundi
Le 04.12.2019


Annexe 2 : Les médias de la haine Couverture

 

Annexe 2 : Les médias de la haine
Note introductive

Dans les situations de crise, de troubles ou de guerre, la désinformation et la propagande ont toujours été utilisées pour mobiliser les foules et tromper l’ennemi. Mais, aujourd’hui, les médias sont devenus beaucoup plus sophistiqués qu’autrefois, et le bourrage de crâne a fait place à de véritables médias tueurs.

En Afrique, au Moyen-Orient ou dans les républiques de l’ex-Union soviétique, des organes de presse sont directement utilisés pour lancer des appels à la haine et à la violence.

Au Rwanda, la tristement célèbre Radio des Milles Collines a ainsi préparé et accompagné le génocide, n’hésitant pas à appeler à remplir les fosses encore à moitié vides. Les miliciens, une radio dans une main, une machette dans l’autre, ont été les auditeurs les plus fidèles de cette véritable machine de mort.

Devant la montée de ces médias de la haine, Reporters sans frontières, une organisation de défense de la liberté de la presse dans le monde, a envoyé des journalistes dans une dizaine de pays (Rwanda, Burundi, Niger, ex-Yougoslavie, Roumanie, Crimée, Caucase, Israël-Palestine, Égypte), pour comprendre pourquoi et comment fonctionnent ces journaux et ces radios. Pour les dénoncer, et obtenir leur mise hors-la-loi.

Ce lïvre devrait permettre au grand public de savoir qui sont les journalistes de ces médias, qui les contrôle, qui les finance et, surtout, quels ravages ils sont susceptibles de provoquer si rien n’est entrepris pour les combattre.

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