Lundi 29 avril 2024

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OPINION* | Burundi : Une réconciliation inachevée, une approche alternative s’impose

14/04/2024 1
OPINION* | Burundi : Une réconciliation inachevée, une approche alternative s’impose
Exhumation des restes humaines par la CVR

Par Blaise Baconib Nijimbere et Réné Habarugira

Neuf ans après la crise de 2015, la réconciliation nationale au Burundi demeure fragile. Des tentatives de réécriture de l’histoire et la pression sur le président Ndayishimiye pour reconnaître le « génocide des Hutus » de 1972 menacent l’unité nationale. Une approche alternative s’impose pour rétablir la vérité historique et apaiser les tensions.

Un passé lourd de violences

Depuis son indépendance en 1962, le Burundi a été marqué par des violences cycliques entre les groupes ethniques Hutus et Tutsis, atteignant leur paroxysme dans des massacres de masse en 1972 et 1993. L’Accord d’Arusha de 2000, qui a mis fin à la guerre civile de 1993-2005, avait posé les bases d’un partage du pouvoir et d’une réconciliation nationale.

Cependant, la décision controversée du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat en 2015, en violation de l’Accord d’Arusha et de la Constitution qui en est issue, a ravivé les tensions et plongé le pays dans une nouvelle crise politique. Et pour donner raison aux manifestants pacifiques, la Cour de justice de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) a jugé cette décision illégale en 2015.

Une commission de vérité et réconciliation très contestée

Le régime du CNDD-FDD, au pouvoir depuis 2005, a mis en place en 2014 une Commission Vérité et Réconciliation (CVR), prétendument pour respecter l’accord d’Arusha. Toutefois, le timing de sa création, à la veille des élections de 2015, et la composition de la CVR par des personnes dont la partialité, la probité et l’intégrité sont douteuses, ont suscité de nombreuses interrogations quant à son impartialité et ses véritables intentions. Quant aux travaux et résultats de cette Commission, ils sont loin de faire l’unanimité au sein de l’opinion.

Vers la reconnaissance forcée du « génocide des Hutus » au Burundi ?

Les inquiétudes se sont intensifiées avec l’adoption, en décembre 2021, d’un rapport par le Parlement burundais qualifiant les massacres de 1972-1973 de « génocide contre les Hutus ».

Cette décision a suscité de vives réactions et des inquiétudes quant à une possible polarisation ethnique de la société burundaise en établissant des parallèles avec le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994.

Une analyse nuancée de l’histoire du Burundi

Face à cette initiative douteuse et dangereuse, de nombreux observateurs nationaux et internationaux remettent en question la pertinence historique de cette qualification de « génocide » et soulignent que l’histoire du Burundi ne se résume pas aux seuls événements de 1972. Ils insistent sur le fait que l’histoire du Burundi est jalonnée de violences ayant touché aussi bien les Hutus que les Tutsis, et qu’une approche plus nuancée s’impose pour établir la vérité.

Une campagne publique contre le Président Ndayishimiye et le Cndd-Fdd

Fait étonnant, certains militants extrémistes du parti CNDD-FDD au pouvoir, qui exigent qu’il reconnaisse le « génocide des Hutus » de 1972, ne se cachent plus pour faire campagne publiquement contre une éventuelle candidature du Président Ndayishimiye en 2027, ainsi que contre les candidatures du Cndd-Fdd. Leur seul argument est que le Président n’a toujours pas entériné la qualification de « génocide des Hutus de 1972 » après son approbation par le Parlement en 2021. Cette pression extrémiste sur le Président Ndayishimiye illustre la gravité de la situation et le risque potentiel de nouvelles tensions politiques si le chef de l’État cède à ces revendications.

Vers une vérité historique consensuelle

Pour surmonter ces défis, au lieu de se concentrer sur la reconnaissance de multiples « des génocides », il serait plus crucial de mettre en place une Commission Vérité et Réconciliation véritablement indépendante de tout pouvoir national, neutre et mixte, composée de membres nationaux et internationaux, connus pour leurs honnêteté, intégrité, compétences techniques et capacité à transcender les divisions de toute nature.

Cette commission devrait avoir pour mandat d’établir la vérité sur l’ensemble de l’histoire du Burundi, de manière impartiale. Suite aux enquêtes, un rapport commun pourrait être rédigé, des dates de commémoration communes fixées et un monument mémoriel érigé en hommage à toutes les victimes, sans distinction ethnique. Enfin, la création d’un Tribunal spécial pour le Burundi, conformément à la résolution 1606 (2005) du Conseil de sécurité, est également essentielle pour rendre justice aux victimes. Cette démarche, axée sur la recherche de la vérité, de la réconciliation et de la justice, sera plus à même de panser les plaies du passé et de construire une paix durable pour le Burundi.

Vers une réelle réconciliation durable

Pour conclure, la quête d’une vérité historique consensuelle, d’une réconciliation durable et d’une justice réparatrice au Burundi est indispensable pour prévenir la résurgence des conflits et des divisions.

Le Président du Burundi, Evariste Ndayishimiye, parviendra-t-il à faire taire la voix des extrémistes de son camp pour mettre en avant l’intérêt et le bénéfice de tous les Burundais ? Où va-t-il chercher à séduire sa base électorale à quelques mois des échéances électorales législatives ?

Malheureusement, des doutes persistent quant à la volonté politique et la capacité du président Ndayishimiye à mener les réformes nécessaires et à incarner un leadership rassembleur.
Face à cette situation, il est impératif que la communauté internationale accompagne le Burundi et son président dans leurs efforts pour surmonter les défis actuels. Cet accompagnement doit se baser sur le respect de l’esprit et des principes de l’Accord d’Arusha de 2000, qui met l’accent sur un dialogue sincère et inclusif, la réconciliation nationale et le respect des droits de l’homme. Seule une vision politique inclusive et participative, ancrée dans le respect de la dignité de tous les Burundais, permettra de construire une paix durable et de redonner espoir au peuple burundais. Toutefois, la question qui demeure est de savoir si le Burundi et son président sauront saisir cette opportunité d’unir leurs forces avec celles de la communauté internationale pour surmonter les défis du passé et bâtir un avenir meilleur.

L’espoir réside dans leur capacité à choisir la voie de la réconciliation, de la vérité et de la justice pour tous les Burundais, plutôt que de laisser les fantômes du passé continuer à hanter leur présent.

Blaise Baconib Nijimbere : grand lecteur et ouvert, est un « cyberactiviste » burundais passionné de la politique, de l’information et des réseaux sociaux.

René Habarugira : intellectuel burundais engagé dans la compréhension des défis de l’histoire et de la cohésion sociale de son pays.

*Les articles de la rubrique opinion n’engagent pas la rédaction

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. W

     » Quant aux travaux et résultats de cette Commission, ils sont loin de faire l’unanimité au sein de l’opinion. »

    Je défie quiconque de réaliser des travaux sur l’histoire du Burundi qui feront l’unanimité des opinions. Comment voulez-vous que les bourreaux et les victimes aient une opinion unanime sur les mêmes crimes? Insensé!

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