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Bientôt, une CVR sans justice : à Bugendana et aux alentours, la population diverge

05/05/2013 Commentaires fermés sur Bientôt, une CVR sans justice : à Bugendana et aux alentours, la population diverge

Le projet de loi élaboré par le gouvernement sur la Commission Vérité Réconciliation (CVR) va bientôt arriver au parlement pour analyse et adoption. Il prévoit des enquêtes sur les crimes commis au Burundi, mais met en avant une amnistie. Témoignages.

<doc6421|left>« Avec la mise en place de la Commission Vérité Réconciliation, nous avions l’espoir de connaître la vérité sur tous les événements douloureux et particulièrement ce qui s’est passé ici à Bugendana. Nous pensions que cette commission allait nous aider à nous réconcilier, aider à ce que les coupables reconnaissent leurs crimes et demandent pardon », indique Innocent Nibirantije, un des représentants du site des déplacés des Tutsi à Bugendana, en province de Gitega. Il ajoute que certains des occupants du site sont des jeunes qui ont besoin de savoir la vérité : « Sans connaître la vérité, on grandit avec l’idée que les gens de l’autre ethnie sont mauvais. Une généralisation. La vérité permettra de dire que tel ou tel autre nominativement a commis tel crime ».

Innocent Nibirantije indique que le pardon est une bonne chose. Mais, précise-t-il, les victimes ont besoin de savoir les vrais bourreaux. « Nous ne voyons pas comment accorder le pardon à quelqu’un qu’on ne connaît pas et qui ne le demande pas. On se demande le sens de ce pardon au moment où tout le monde n’a pas tué », s’interroge-il.
Selon lui, il faut commencer par identifier tous les bourreaux qui sont encore libres. Il déplore le fait que même ceux qui avaient été appréhendés sont aujourd’hui libres. « Nous voulons qu’on arrête d’abord ceux qui ont tué le président Ndadaye. Ce sont eux qui nous ont causé ces problèmes. Qu’on commence à punir les hauts dignitaires coupables, et puis qu’on vienne chez nous. Nous sommes prêts à dénoncer les assassins », suggère-t-il.

Pas question d’amnistie

« Il n’est pas question d’amnistie. Je veux voir, d’abord, celui qui a tué mes parents avouer sa culpabilité et demander pardon. Sans la justice, rien ne peut marcher », indique N.B., un autre homme du site de Bugendana. Quant au pardon, cet homme souligne que cela dépend des gens. « Le pardon général ou l’amnistie ne veut rien dire pour moi. Comment devrais-je aller demander pardon à mon ancien voisin alors que je ne lui ai rien fait ? Qu’on laisse plutôt la justice juger les coupables. Car, tout le monde n’est pas criminel », précise-t-il.

Il reste optimiste que l’Etat est conscient des crimes inamnistiables comme le génocide et les crimes de guerre. Ces derniers, souligne-t-il, ne peuvent pas restés impunis. « La justice doit aussi travailler pour les autres crimes. Une fois pardonné ou puni, cela peut servir de leçon pour l’avenir. Cela constituera une libération pour les victimes », fait-il remarquer. « Nous avons trop souffert. Si, on nous impose le pardon sans justice, rien ne nous garantira que demain la même chose n’arrivera pas ».

Il appelle les parlementaires à voter une loi contenant les doléances du peuple. « Nous voulons une loi qui nous rassure », conclut-il. « Je suis jeune. Je conseille aux députés de ne pas accepter de subir les pressions politiques en votant une loi qui ne frappera que les petits exécutants tout en épargnant les planificateurs sous prétexte que ce sont aujourd’hui des personnalités importantes », ajoute un jeune de l’école secondaire de ce site des déplacés.

Oublions le passé et réconcilions-nous

De l’autre côté, les habitants des collines avoisinantes, à majorité hutu, ne le voient pas de cette façon : « La crise n’a épargné personne dans cette commune. Nous avons tous perdu nos proches : les Twa, les Tutsi et les Hutu. Personne ne souhaite retourner dans la guerre. Je me demande vraiment l’objectif de ceux qui réclament de retourner en arrière. A quoi leur serviraient la vérité et la justice ? A ressusciter les leurs ? Ou à les traumatiser encore plus ? Oublions le passé et réconcilions-nous », telle est la position de Barnabé de la colline Bubenga.
D’après lui, la plupart des habitants de sa colline natale connaissant bien ceux qui ont tué leurs parents en 1965 et en 1972. Mais, malheureusement, indique-t-il, certains de ces bourreaux sont morts. Mais par contre, souligne-t-il, certains bourreaux de 1993 sont encore en vie. Et de conclure : « Les victimes peuvent réclamer justice. »

Cependant, Barnabé trouve que cela risquerait de provoquer des mécontentements, puisque, « ce sera rendre justice à une partie de la population ». « Qui paierait pour tous ces Hutus tués en 1972 ? Et en 1996, des militaires ont attaqué notre colline, 14 personnes d’une même famille ont été massacrées. Depuis lors, je n’ai jamais vu un militaire Tutsi venir demander pardon. On ne voit pas l’importance d’être les premiers à le faire », indique-t-il.

Selon lui, pour arriver à une paix durable, il faut le pardon mutuel. « Si on se pardonne entre victimes et coupables, la justice ne devrait pas intervenir dans des affaires déjà réglées. Mais cela n’exclut pas que la vérité soit établie », précise-t-il.

On n’est pas obligé de pardonner 

« La justice doit faire son travail. Les victimes ne sont pas obligées d’accorder le pardon. Elles peuvent faire recours à la justice pour qu’elle s’occupe des bourreaux. Il revient alors à la justice de réconcilier les deux parties », c’est l’avis de Félicien de la Commune Butaganzwa, province Kayanza.
Pour lui, que ce projet de loi soit étudié par le conseil des ministres, c’est une bonne chose. Mais, signale-t-il, ce projet de loi devrait prendre en compte les propositions de la population exprimées lors du travail du Comité de Pilotage Tripartite. De surcroît, il estime qu’une CVR, c’est une fois dans la vie d’une nation et un tel mécanisme sans justice n’aboutira à rien. 

«Une CVR sans justice est inconcevable. Il serait mieux de me donner l’occasion de témoigner sur ce qui m’est arrivé, puis de dénoncer le bourreau et que ce dernier se justifie. Il peut même demander pardon et je serai prête à le lui accorder. Mais, il faut qu’il sache que je n’ai pas oublié ce qu’il m’a fait. Ces histoires d’amnistie et de pardon forcé ne rassurent pas », souligne Véronique Minani de la Colline Musema, commune Butaganzwa. C’est une victime des événements sanglants de 1972.

D’après cette veuve, ce projet de loi ne vise que la protection de certains ténors des différents pouvoirs qui se sont succédé, soupçonnés d’avoir trempé dans les tueries ou d’autres crimes. Pour Véronique Minani, il est préférable de reconnaître à temps ses crimes et de demander pardon. Ceci est appuyé par Théogène Niyongabo de la même colline. Selon lui, on peut lire en filigrane dans ce projet de loi, dont certains articles sont décriés par les associations des victimes, un esprit égoïste de certains dirigeants.

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