Jeudi 18 septembre 2025

Économie

TVA : Où vont les 1 600 milliards de BIF ?

03/08/2025 3
TVA : Où vont les 1 600 milliards de BIF ?
Nestor Ntahontuye : « Ce qui fait mal est que cette TVA est collectée, mais elle n’atterrit pas dans les caisses de l’Etat pour aider les Burundais. »

Selon le ministre des Finances, Nestor Ntahontuye, l’Etat accuse un manque à gagner annuel de 1 600 milliards de BIF à cause de la non-utilisation de la machine de facturation électronique (MFE). Et pourtant, la loi de 2020 instituant la taxe sur la valeur ajoutée « TVA » rend obligatoire l’utilisation d’une MFE à toute personne assujettie à la TVA. D’aucuns s’interrogent sur cette inertie des services chargés de la collecte des taxes.

« Après la distribution de plus de 3 000 machines de facturation électronique seulement, la TVA a augmenté de plus de 30%. La TVA est le quart de toutes les recettes fiscales de l’Etat. Elle varie entre 400 et 500 milliards de BIF », annonce le ministre Nestor Ntahontuye.

« Aujourd’hui, l’Etat accuse un manque à gagner de 1 600 milliards de BIF à cause de la non-utilisation de ces machines de facturation électronique. Ce qui fait mal est que cette TVA est collectée, mais elle n’atterrit pas dans les caisses de l’Etat pour aider les Burundais. Elle reste dans les poches du commerçant. »
M. Ntahontuye fait savoir que son ministère et l’Office burundais des recettes (OBR) se sont donnés 3 mois pour que tous les contribuables aient cette MFE. « Nous allons faire des inspections. C’est bel et bien écrit que celui qui n’utilise pas cette machine doit payer une amende. De même que celui qui sort une facture sans utiliser la MFE. »

Et pourtant, la loi est disponible depuis des années

Le 10 juillet 2025, le ministre des Finances, accompagné du commissaire général de l’OBR, a procédé à la fermeture de certains magasins dans la ville de Bujumbura. Selon l’OBR, ceux qui étaient visés sont les contribuables qui ne délivrent pas la facture via la machine de facturation électronique. D’autres ne l’utilisent pas convenablement et certains n’étaient pas en ordre avec le fisc. Dans la foulée, le ministre Ntahontuye a exhorté tous les contribuables à
délivrer la facture générée par la machine de facturation électronique, sous peine de sanctions.

« Cette campagne ayant commencé aujourd’hui va se poursuivre quitte à ce que tous les
contribuables et même les clients sachent que la facture électronique est une exigence pour que les choses se remettent en ordre dans le but d’enrayer la fraude ».

Un économiste qui a requis l’anonymat se pose des questions. « Pourquoi l’OBR semble supplier les commerçants à utiliser ces MFE alors que le pays perd des milliards chaque année ? Pourquoi les sanctions ne tombent pas alors que la loi existe depuis 5 ans ? »

Quid des dispositions légales ? L’article 47 de la loi n°1/10 du 16 novembre 2020 portant modification de la loi n°1/12 du 29 juillet 2013 portant révision de la loi n°1/02 du 17 février 2009 instituant la taxe sur la valeur ajoutée (TVA ) stipule que « toute personne assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée a l’obligation d’utiliser une machine de facturation électronique qui imprime des factures mentionnant la TVA. Cette machine doit préalablement être agréée par l’Administration fiscale. »

L’article 55 renchérit. « Toute personne tenue d’utiliser la machine de facturation électronique et qui vend des biens ou services sans délivrer une facture électronique est passible d’un amendement administratif de cent pour cent (100 %) de la valeur de la taxe sur la valeur ajoutée éludée. En cas de récidive, l’amendement administratif est de 200 % de la valeur de la taxe sur la valeur ajoutée éludée. »

Quant à l’article 58, il mentionne que : « Tout assujetti altérant délibérément ou constatant un dysfonctionnement de la MFE, ou qui n’a pas signalé à l’administration fiscale ce dysfonctionnement dans un intervalle de 3 jours ouvrables, est passible d’un amendement administratif de trois millions (3 000 000) de francs burundais. »

De plus, depuis la Loi nº1/20 du 25 juin 2021 portant fixation du budget général de la République du Burundi pour l’exercice 2021/2022, cette disposition sur l’obligation d’utiliser une MFE est rappelée chaque année budgétaire.


Réactions

Alexis Nimubona : « Le pouvoir de certains commerçants semble supérieur à celui des institutions de collecte de taxes. »

« Ces derniers jours, on assiste à une évasion fiscale très remarquable. Cette situation se présente ainsi alors que l’OBR a mis en place des moyens de déclaration électronique et des machines de facturation », s’indigne le porte-parole de l’Olucome. Selon Alexis Nimubona, les contribuables rechignent à utiliser ces MFE. Ils préfèrent plutôt négocier avec des agents de l’OBR pour échapper au fisc grâce à la corruption et aux pots-de-vin. « Ce qui est un danger pour le trésor public. »

M. Nimubona souligne qu’un autre facteur qui pourrait causer cette évasion fiscale est le fait que certains cadres de l’Etat s’adonnent au commerce. Ces hauts dignitaires ainsi que les grands commerçants sont très puissants que les agents de l’OBR. Ce qui fait que ces derniers ont peur d’imposer ou de taxer les produits des entreprises leur appartenant.

Dans ce pays menacé par l’absence de la bonne gouvernance dans pas mal d’institutions publiques et gangrené par la corruption, poursuit-il, il est difficile que les nouveaux moyens de collecte d’impôts et de taxes soient efficaces. « Il est nécessaire que ces moyens soient complétés ou accompagnés par d’autres mesures. Il est nécessaire aussi que l’OBR organise des campagnes d’éducation fiscale et d’utilisation de ces nouveaux moyens. »

Et d’ajouter : « Le gouvernement devrait interdire formellement aux responsables administratifs de faire du commerce et punir ceux qui outrepassent la mesure afin de mettre en application la Constitution et la Loi de 1989 sur les incompatibilités. » Il exhorte le gouvernement à appliquer le principe de libre-échange et à promouvoir la transparence dans la passation des marchés publics. « Cela empêcherait certains commerçants de s’enrichir énormément à tel point que leur pouvoir tente de dépasser celui des institutions publiques. »

Faustin Ndikumana : « La taxation électronique ne viendra pas faire des miracles. Il faut combiner plusieurs facteurs. »

Selon le directeur national de Parcem, plusieurs facteurs entrent en jeu pour optimiser la collecte des recettes : l’environnement macroéconomique, la politique fiscale et ses objectifs, l’état de l’institution qui collecte les recettes, les lois et procédures fiscales, l’environnement des affaires, le détournement et la corruption qui renforcent le désintérêt et partant l’incivisme fiscal, l’état de la modernisation du système de collecte dont l’usage des machines électroniques et autres.
« Si on analyse chaque facteur, on remarque qu’il n’est pas en situation d’influencer l’augmentation des recettes fiscales. D’abord, l’environnement macroéconomique actuel ne favorise pas l’augmentation de l’assiette fiscale et partant l’augmentation progressive des recettes fiscales. »

M. Ndikumana donne l’exemple de l’inflation actuelle de plus de 40%. « Elle diminue drastiquement le pouvoir d’achat de la population. Si la demande diminue, la consommation diminue. Si cette dernière régresse, toutes ces taxes liées à la consommation doivent immédiatement baisser. De plus, l’environnement macroéconomique actuel limite l’entrée des investisseurs. Tout cela handicape la collecte des recettes fiscales. »

Il déplore qu’au lieu de considérer que la politique fiscale est pour relancer l’économie, on considère que la politique fiscale, c’est augmenter les taux de taxation. « Alors qu’en matière d’impôt, les hauts taux tuent les totaux. »

M. Ndikumana trouve que les agents de l’OBR restent gangrénés par la corruption. « Vous avez vu les directions de l’OBR qui n’ont pas pu faire le travail correctement suite à la volonté de détourner une partie des recettes collectées. L’OBR lui-même n’est pas audité régulièrement. Il n’a pas d’audit indépendant de contrôle de ses actions. »

Cet activiste de la société civile trouve qu’au lieu de faire du contribuable un partenaire, on le considère comme un adversaire, quelqu’un à abattre avec des sanctions sévères. « On se précipite à prendre des sanctions au lieu de privilégier le dialogue, l’écoute, les conseils pour que l’acteur contribuable soit considéré, valorisé. »

Il fait savoir que l’environnement des affaires, l’état des infrastructures, le manque de carburant, le transport, la justice, le détournement au plus haut sommet, les exonérations, les conflits d’intérêt, …, tout cela inhibe et décourage les efforts pour augmenter les recettes fiscales. « Le secteur privé est fait en grande partie par le capitalisme de copinage où les hauts dignitaires se sont transformés en véritables commerçants. Ils essaient de s’affranchir de toutes les procédures et de toutes les charges fiscales. Tout cela crée une concurrence déloyale. Cela limite les taxes et les investissements étrangers. Ce qui pourrait agrandir l’assiette fiscale. »

Quid de la machine de facturation électronique ? « Elle pourrait venir peut-être améliorer. Mais, si tous ces six autres facteurs ne bougent pas, les résultats seront toujours mitigés. Elle a été introduite depuis l’année 2024, mais le constat est que même au moment de la révision budgétaire, on a avoué que les recettes fiscales ont diminué suite, par exemple, à la chute des importations et au manque de devises. »

Les boissons Brarudi sont rares, explique-t-il. Comment collecter les recettes, les taxes de transaction et la TVA alors que les boissons ne sont pas sur le marché ? « C’est un véritable problème. On est dans des difficultés économiques énormes. La taxation électronique ne viendra pas faire des miracles. Il faut jouer sur tous ces facteurs. Combiner avec cette taxation, ça pourra améliorer les choses. »


Interview avec Jean Ndenzako

« Tant que des fraudes massives restent impunies, l’adhésion des commerçants restera limitée. »

L’économiste Jean Ndenzako analyse les enjeux liés aux machines de facturation électronique au Burundi. Selon lui, sans une lutte déterminée contre la corruption et une application impartiale des lois, les efforts de modernisation resteront vains.

Ces machines ont-elles un potentiel à booster l’économie ?

Les machines de facturation électronique représentent un outil clé pour améliorer la traçabilité des transactions et limiter la fraude fiscale. Le ministre des Finances a souligné leur impact positif avec une augmentation de plus de 30 % de la TVA collectée grâce à leur déploiement partiel (3 000 machines en service).

Mais …

Cependant, leur efficacité est compromise par des détournements persistants où une partie des recettes n’atteint pas les caisses de l’Etat. Des études sur les systèmes fiscaux numériques montrent que leur réussite dépend d’une réforme institutionnelle plus large, incluant une meilleure transparence et une lutte renforcée contre la corruption.

Ainsi, ces machines pourraient effectivement dynamiser l’économie si leur utilisation s’inscrivait dans une stratégie globale de modernisation et d’assainissement des finances publiques.

Quid de la réticence des commerçants ?

Plusieurs facteurs expliquent la résistance des commerçants face à ces machines. D’abord, leur adoption implique des coûts initiaux (achat du matériel, formation) qui peuvent être dissuasifs pour les petites entreprises. Ensuite, certains commerçants bénéficient de complicités au sein de l’OBR leur permettant de contourner les obligations légales sans crainte de sanctions.

Enfin, la méfiance envers le système fiscal. Alimenté par des cas de corruption et d’impunité, il décourage les acteurs économiques de se conformer à une réglementation qu’ils jugent inéquitable. Tant que des fraudes massives restent impunies, l’adhésion des commerçants restera limitée.

Que dire de l’OBR face aux commerçants influents ?

C’est un défi de gouvernance. Malgré les dispositions légales (article 179 de la loi budgétaire 2023-2024), l’OBR peine à appliquer des sanctions efficaces contre les récalcitrants. Cette inertie suggère l’existence de pressions politiques ou de réseaux d’intérêts protégeant certains acteurs économiques puissants.

Le scandale des 110 milliards de BIF disparus en 2024, impliquant des responsables de l’OBR, illustre ces collusions. Sans une volonté politique ferme de lutter contre l’impunité, les réformes techniques resteront inefficaces et la crédibilité des institutions fiscales continuera de s’éroder.

Quelles solutions pour renforcer la collecte fiscale ?

Pour réduire le manque à gagner annuel de 1 600 milliards de BIF, plusieurs pistes peuvent être envisagées. Premièrement, il est crucial d’appliquer strictement les sanctions prévues par la loi, en ciblant notamment les grands fraudeurs, y compris ceux proches du pouvoir. Deuxièmement, un accompagnement technique et financier (subventions, formations) pourrait faciliter l’adoption des machines par les petits commerçants. Troisièmement, une plus grande transparence dans la publication des données fiscales permettrait de restaurer la confiance des contribuables. Enfin, comme le propose le ministre Ntahontuye, une collaboration interministérielle (conditionner l’accès à certains services publics à la conformité fiscale) pourrait renforcer l’efficacité du système.

En bref ?

Les machines de facturation électronique constituent une avancée technique importante, mais leur succès dépend avant tout d’une réforme politique courageuse. Sans une lutte déterminée contre la corruption et une application impartiale des lois, les efforts de modernisation resteront vains. Le Burundi a besoin d’une fiscalité plus juste et plus transparente pour garantir des recettes stables et financer son développement.

TVA

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. jereve

    Le problème ici c’est que l’économie burundaise est passée en mode sous-marin et souterrain depuis longtemps: la fraude, la contrebande, le détournement, la corruption…bref les pratiques et trafics illégaux ou mafieux de tout genre se sont imposés et privent l’économie nationale de ses ressources. Et évidemment cette économie souterraine ne paye jamais de TVA. Le carburant par exemple, qui est détourné et n’arrive pas aux stations officielles, imaginez les sommes colossales que l’état perd dans ce domaine. On pourrait en dire autant pour la bière, le sucre, les engrais…

  2. Nshimirimana

    « Ce qui fait mal est que cette TVA est collectée, mais elle n’atterrit pas dans les caisses de l’État pour aider les Burundais. » selon le Ministre. Mais ce qui fait encore plus mal, c’est que le peuple doit renflouer les caisses de l’État pour se retrouver, au final, sans aucun service qui fonctionne: pas de carburant depuis 4 ans, pas de médicament dans les hôpitaux, pas de bancs dans les classes, pas de sucre, pas de bière etc…
    Question: QUOI FAIRE?

  3. Nkanira

    La machine est un outil utilisé ou programmer par l’homme. C’est cet homme sur tout repose !!

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