Mardi 19 mars 2024

Économie

Pillage des deniers publics : Le chef de l’Etat parie sur la bonne foi des voleurs

Pillage des deniers publics : Le chef de l’Etat parie sur la bonne foi des voleurs
Le président Evariste Ndayishimiye : « La première chose qui montre le changement, c’est la restitution des biens dérobés »

Ce samedi 21 janvier, le président Evariste Ndayishimiye a invité tous ceux qui se sont rendus coupables de malversations économiques à se rendre au niveau de la BRB pour restituer l’argent public volé. Des personnalités politiques et de la Société civile interrogés appellent plutôt à l’application de la loi anti-corruption.

La veille du congrès ordinaire du parti Cndd-Fdd dans la province de Gitega, au cours d’une séance de moralisation spirituelle à l’endroit des leaders du parti Cndd-Fdd, le chef de l’Etat a invité les dirigeants de l’Etat à “remettre les choses en ordre” pour le relèvement économique du pays. « La première chose qui montre le changement, c’est la restitution des biens dérobés », a-t-il déclaré.

Le président Ndayishimiye a ensuite précisé que trois comptes sont ouverts à la Banque de la République du Burundi(BRB) à la restitution de l’argent volé. Questions : dans quelle mesure une telle volonté se traduirait en actes, quid des instruments pour que pareils desiderata se traduisent réellement en actes.

Selon plusieurs observateurs, plus que tout, il faut la force de coercition dont disposent les instances habilitées à traiter les infractions de nature économique (Vol, fraude, tromperie, chantage, corruption, blanchiment d’argent …) pour que la procédure aboutisse.

N’ayant pu joindre la Cour des comptes (son président, Elysée Ndaye, nous a informés qu’il n’est pas au pays en ce moment), une source au sein du ministère de la Justice nous a fait savoir que les affaires en rapport avec le vol de l’argent public souvent traitées par les instances de lutte anticorruption relèvent de la concussion (Profit illicite que l’on fait dans l’exercice d’une fonction publique). « Les cas qui impliquent de gros montants d’argent ne se présentent presque jamais à nous ».

Ce fonctionnaire du ministère de la Justice indique ensuite que la somme totale recouverte par l’Etat depuis la mise en place de la Cour anti-corruption (2006), s’élève à 1.861.411.772 BIF. Ces sommes ont été obtenues après des procédures judiciaires qui partent de la Brigade anti-corruption jusqu’à la Cour anti-corruption en passant par le Parquet général Près la Cour anti-corruption. Concernant l’annonce faite par le président de la République, l’employé ministériel estime que c’est « une décision politique » et que les personnes qui répondront à l’appel du chef de l’Etat ne feront point l’objet de poursuites par les services habilités.


Réactions

Gabriel Rufyiri : « Personne ne peut rendre l’argent volé à l’Etat de son gré.»


Le président de l’Olucome se montre sceptique quant à l’application de l’annonce faite par le président de la République. « Personne ne peut rendre l’argent volé à l’Etat de son gré, sans aucune contrainte. Déjà, en 2007, celui qui était alors ministre de la Bonne gouvernance avait invité ceux qui ont détourné les deniers de l’Etat à remettre l’argent volé, mais ça n’avait donné aucun résultat ».

Le leader de la lutte anticorruption estime que les pouvoirs publics ne mettent pas suffisamment les mesures de lutte contre la corruption. « En matière de lutte contre la corruption, il y a d’abord les stratégies de prévention. Or, jusqu’à présent, il n’y a aucune action qui va dans ce sens sauf des discours. Et cela ne suffit pas. Loin de là ».

Gabriel Rufyiri juge qu’il faut une application de la loi en termes de lutte contre les malversations économiques. « Il y a la loi de lutte et de répression contre la corruption qui, par exemple, en son article 29, invite les dirigeants de l’Etat à déclarer leurs biens. Or ceci n’a jamais été fait ».

M. Rufyiri appelle enfin à des réformes profondes. « Feu le président Nkurunziza avait mis en place une stratégie de bonne gouvernance qui, aujourd’hui, n’est évoquée nulle part. Il faut des experts pour plancher là-dessus »

Faustin Ndikumana : « Les lois sont claires.»


Le président de la Parcem indique que la loi en matière de lutte contre la corruption est claire quant à la répression des crimes financiers. « Le détournement des biens, la concussion, le blanchiment … toutes ces infractions sont répertoriées dans la loi anticorruption. Il faut une application de la loi ».

L’économiste de formation rappelle qu’il existe des institutions dont la lutte contre la corruption figure parmi les missions. « L’inspection générale de l’Etat, la Cour des comptes, la Brigade anticorruption, la Cour anticorruption, la Cour suprême … toutes ces institutions sont là pour faire appliquer la loi en la matière. Par ailleurs, ni le président de la République, ni le Gouvernement, personne ne peut outrepasser la loi ! »

En outre, selon lui, l’annonce faite par le président Ndayishimiye remet quelque peu en cause le rôle des instances en charge de la lutte contre la corruption. « Est-ce que les conseillers juridiques au plus haut sommet de l’Etat peuvent défendre que les gens coupables de vol dans les caisses de l’Etat se contenteront juste de rembourser de façon anonyme l’argent dérobé ? On empêche même les institutions habilitées de faire leurs investigations. »

Et de conclure. « Il faut une application des lois et si elles sont lacunaires, il faut les réviser ou les amender. Personne ne doit outrepasser les lois. Il faut un Etat moderne qui sache faire appliquer la loi »

Gaspard Kobako : « Un propos qui ne rassure pas.»

Le président du parti Cndd soutient qu’il y ait des sanctions contre les coupables de malversations économiques. « Les coupables doivent remettre l’argent dans les caisses de l’Etat et être poursuivis par la justice. C’est cela la procédure. »

De même, cet ancien ministre tient à souligner que le propos tenu par le chef de l’Etat n’est pas limpide. « Nous avons besoin de savoir les montants qui doivent être rendus dans les caisses de l’Etat. En plus, la loi est là pour sanctionner et empêcher les récidives. »

Par ailleurs, ce dirigeant de parti politique considère que l’annonce du chef de l’Etat ne rassure pas le peuple et qu’en l’état, s’il n’y a aucune sanction, le propos du chef de l’exécutif peut être perçu comme un moyen de couvrir les détournements de l’argent public.

Hamza Vénant Burikukiye :« C’est un clin d’œil qui invite les Burundais à respecter le patrimoine commun. »


Pour le représentant légal de CAPES (Collectif des associations des personnes infectées et affectées par le VIH/SIDA), l’annonce du président de la République est une mesure salutaire qui mérite encouragements et soutien. « C’est l’occasion pour les auteurs de ces manquements citoyens de se repentir pour ne plus jamais retomber dans cette sale besogne qui ne fait que freiner le développement du pays ».

Aussi, ajoute cet activiste de la société civile, c’est un clin d’œil qui invite les Burundais à respecter le patrimoine commun. « Cela renforce l’esprit patriotique et la responsabilité civique »

M. Burikukiye se prononce en faveur de sanctions, mais précise que l’annonce du magistrat suprême accorde une chance aux concernés d’agir en âme et conscience en remettant volontairement l’argent public volé et avance aussi que c’est à la fois une sanction morale et une meilleure manière de faire acte de repentance.

Pierre Claver Nahimana : « Le chef de l’Etat a donné la consigne, au ministère de la Justice de se saisir de l’affaire.»

« Certes, c’est une orientation politique donnée par le chef de l’Etat, mais c’est à la justice de les poursuivre. La Cour anticorruption, la Cour des comptes…des institutions qui sont là pour se saisir de telles affaires », explique le président du Sahwanya Frodebu. Et de poursuivre : « Sinon, je vois mal comment une personne pourra rendre de lui-même l’argent qu’elle a volé parce que le président l’a édicté ainsi ».

D’après cet ancien député, quand bien même le Saint-Esprit venait à inspirer les détourneurs de deniers publics comme aiment ironiser les Burundais, et qu’ils se présentent à la Banque centrale : « Tenez, voici l’argent que j’ai volé. Vous pensez que s’il y en a certains d’entre eux qui ont volé un milliard, ils rendront tout ce montant en entièreté ? Je doute. C’est pourquoi le ministre de la Justice doit faire son travail »

Concernant une partie de l’opinion qui pense que le mieux serait d’amnistier les personnes en question, ce politique refuse catégoriquement : « Une loi d’amnistie ne peut être anticipative. Les gens doivent comprendre que l’on n’amnistie que des affaires qui ont été jugées ». De surcroît, précise-t-il, comment pourrait-on amnistier anticipativement des gens qui ne sont pas connus ? Pour lui, avant tout, ces personnes devront répondre de leurs délits devant la justice. Et de conclure : « Là aussi, peut-être, elles pourront être amnistiées d’aller en prison, mais elles ne pourront pas être amnistiées de rendre ce qu’elles ont volé dans les caisses de l’Etat ».

L’exemple tunisien

Au pays du jasmin, la loi dite de « réconciliation économique » a été proposée en 2017 par le Gouvernement et prévoyait une amnistie aux fonctionnaires et autres employés de l’État pour des actes liés à la corruption financière et aux détournements de fonds publics. 2000 fonctionnaires de l’ancien régime de Ben Ali étaient concernés.

Très contestée par l’opposition et la société civile, mais néanmoins votée par le parlement tunisien, cette loi annulerait les peines ou arrêterait les poursuites engagées contre des hommes d’affaires ou des représentants gouvernementaux ayant bénéficié personnellement d’actes de corruption financière ou de détournements. De surcroît, elle les autoriserait à négocier un accord de « réconciliation » avec une commission gérée par l’Etat pour rembourser au trésor public les montants spoliés.

L’ancien président de ce pays, feu Beji Caïd Essebsi, avait déclaré que son adoption « améliorerait le climat de l’investissement » et augmenterait la restitution de l’argent par les chefs d’entreprises corrompus, argent qui, disait l’ancien chef d’Etat, servirait à des projets de développement du pays.

Cette loi précise que la commission mise en place à cet effet dresse alors un accord d’arbitrage entre la personne coupable de corruption et le gouvernement ou les victimes. L’accord comprend une reconnaissance écrite et une excuse de la personne responsable et précise les versements de réparation à effectuer au gouvernement ou aux victimes (ou les deux). Les déclarations de l’auteur des méfaits et les preuves recueillies par la commission doivent être rendues publiques pour aider l’instance à identifier les institutions et les réseaux qui ont permis à la corruption de se développer.

L’accord final met fin aux poursuites intentées dans l’affaire, mais ces dernières peuvent reprendre si l’on découvre que la personne responsable des actes de corruption en question a délibérément dissimulé la vérité ou l’ampleur des gains illégaux.

BRB

Forum des lecteurs d'Iwacu

5 réactions
  1. Samandari

    J adore les commentaires de Hamza Burikikiye. Ses commentaires sont toujours le reflet des avis des grands qui nous dirigent.

    Mais voyons , quand notre cher president a ete intronisé, le Burundi etait le pays le plus corrompu au monde. Avons nous amelioré notre classement? Que nenni.
    Dans tous les pays du monde entier, la corruption est faite par ceux qui ont la protection du pouvoir.
    Reka menere inda ku rutoke. Nyakwubahwa adutwara ari mu bakuru kuva 2005
    Abo bantu rero bibihangange batembeje igihugu, abishatse ntivyomugora kubatora.
    Natwe tutari mu batwara twotora 90 %

    • Don't worry

      Il fait partie des commentateurs politiques dont il faudrait me dispenser de mon côté. Mais il n’est pas le seul. On dirait que c’est toujours les mêmes. Pitié !

  2. Jereve

    J’ai failli tomber de ma chaise quand j’ai lu « la bonne foi des voleurs ». Des voleurs de bonne foi? C’est peut-être dans les romans et les films de série B où certains voleurs volent aux riches pour donner aux pauvres (style Robin des Bois). Voler et bonne foi sont irréconciliables comme deux lignes parallèles qui ne se rencontrent jamais. Compter sur la bonne foi des brigands, c’est tout simplement se mettre le doigt dans l’œil. Personnellement je ne vois que l’échec au bout de l’opération, ou de maigres résultats par rapport aux attentes.

  3. Ririkumutima

    Appliquez la loi et cessez de prendre les barundi pour des Ngombe za …, SIRE 😇🫠
    ABIBA URABAZI, TURABIZI twese
    Mbega nyene, abaronse des marchés nta publics nta mahera qu’ils doivent verser au parti Cndd/Fdd?🤑🤑🤑
    None ga muhanyi ava hehe?😄😄😄

    Il y a des Lois, en commençant par la déclaration safest biens des bihangange, des Généraux.
    Ne tourney pas autour du pot

    • Patrick N

      « Appliquez la loi et cessez de prendre les barundi pour des Ngombe za …, SIRE 😇🫠 » euhhhh…vous etes des Ngombe ZA. Nous sommes mignons, les Burundais !!! Il y a un adage anglais qui dit que  » Insanity is doing the same thing over and over again, expecting different results! ».

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