Dimanche 28 avril 2024

Société

Ordonnance du ministère de l’Education nationale : Mettre la charrue avant les bœufs ?

19/09/2023 Commentaires fermés sur Ordonnance du ministère de l’Education nationale : Mettre la charrue avant les bœufs ?
Ordonnance du ministère de l’Education nationale : Mettre la charrue avant les bœufs ?
François Havyarimana : « Les écoles (les lycées et lycées communaux) deviennent des lycées techniques »

Le ministre de l’Education a sorti une ordonnance N°1128/01/09/2023 portant ouverture des sections dans les écoles post fondamentales d’enseignement technique. Un programme qui vient répondre aux besoins du pays, pour certains. Mais pour d’autres, il risque de se heurter à de nombreux défis comme le manque d’enseignants qualifiés, du matériel, d’électricité, etc.

Selon l’article 1 de ladite ordonnance, la section informatique de gestion est ouverte dans 17 établissements, dont la plupart sont des lycées communaux. Et celle d’informatique de télécommunication est ouverte dans 4 établissements.

Par ailleurs, lit-on dans la même ordonnance, la section informatique de maintenance est créée dans 13 établissements et celle de conducteur des travaux est ouverte dans 3 établissements.

La même ordonnance autorise l’ouverture de la section agriculture dans 11 écoles, la section vétérinaire est ouverte dans 7 écoles et celle eaux et forêts implantée dans 3 établissements

En outre, précise la même ordonnance, la section TIAA va démarrer dans 2 établissements et l’électromécanique ouvre ses portes dans 3 lycées communaux tandis que l’électricité industrielle est autorisée dans 4 lycées communaux.
Selon l’article 11 de la même ordonnance, le lycée de Gishubi est la première école au Burundi qui se voit confier l’ouverture d’une section géologie, mine et carrières.

Ledit lycée change d’appellation et devient désormais lycée technique de Gishubi en commune de Gishubi et ouvre en même temps la section électrotechnique.

L’article 13 énonce que les écoles qui disposaient d’une ou des sections de l’enseignement général et pédagogique sursoient au recrutement des candidats dans ces sections dès la rentrée scolaire 2023- 2024. Ils accompagneront ceux qui sont déjà inscrits jusqu’à leur diplomation/ certification.
« Les écoles (les lycées et lycées communaux) deviennent des lycées techniques », précise l’article 14 de la même ordonnance.

Le ministre de l’Education instruit le directeur général de l’enseignement technique, de la formation professionnelle et des métiers, celui en charge des ressources humaines et le directeur général des curricula et des innovations pédagogiques de mettre en application la présente ordonnance.


Réactions

Gaspard Kobako : « Un programme improvisé »

« Sans risque de se tromper, les problèmes vont s’amplifier dans ces lycées communaux. C’est dans ces derniers où on oriente des élèves qui ont obtenu les plus basses notes, les meilleurs étant orientés dans des lycées d’excellence et d’autres lycées généralement à performances avérées », fait remarquer Gaspard Kobako, ancien cadre du ministère de l’Education. Et d’énumérer de nombreux défis qui attendent ces établissements dont un rendement bas dû à un faible encadrement.

Il fait savoir que ces écoles accusent un manque de matériel adéquat. Or, fait-il observer, ces sections techniques sont exigeantes en termes de la qualité de la formation. « Certaines écoles n’ont pas d’électricité pour permettre aux élèves de meilleures conditions d’études ou de révision, encore que tous rentrent à la maison », indique cet ancien enseignant, tout en recommandant : « Il faudra veiller à ce que la formation ne soit pas théorique. Elle devra être basée sur la pratique. »

Pour lui, cela implique l’équipement desdites écoles en machines, en outils pour la manipulation et autres matériels appropriés. Il en est de même des manuels scolaires pour différentes filières. Sinon ce sera un échec. A la fin de la formation, martèle-t-il, les lauréats devraient être capables de se prendre en charge afin de devenir leurs propres employeurs. Ils devront être utiles et utilisables de façon à ne pas tourner les yeux vers les services publics qui ne peuvent plus les embaucher.

Par ailleurs, tient-il à ajouter, les formateurs devront être compétents pour assurer cette formation technique. D’après lui, la pratique implique un coût. « Est-ce que la planification a prévu cela dans le budget de l’Etat ? », s’interroge-t-il. Et de préciser qu’une réforme ou une introduction de nouveaux programmes improvisés produisent toujours de mauvais résultats.

« La qualité de l’enseignement au Burundi a dangereusement baissé. Celui des lycées communaux encore plus. Cela est dû à une mauvaise conception des programmes non encore évaluée », tient à rappeler ce détenteur d’un DESS en politique sectorielle et gestion des systèmes éducatifs.

Il recommande aux décideurs dans le système éducatif d’éviter un tel projet d’ouvrir des filières techniques dans l’impréparation.

Al Hadj Harouna Nkunduwiga : « Elles viennent répondre aux besoins du pays »


« Nous l’avions demandé depuis longtemps que les programmes devraient répondre aux besoins du pays. Qu’on ouvre ces sections techniques dans les lycées communaux presque exclusivement, il y a aussi une raison. Au niveau de la carte scolaire, ils se trouvent un peu partout dans les communes », fait savoir Al Hadj Harouna Nkunduwiga, enseignant et activiste de la société civile.

Cependant, il épingle quelques défis. Selon lui, ces sections techniques nécessitent du matériel qui coûte cher notamment les ordinateurs mais aussi du matériel pour la section géologie qui doit être importé et qui coûte très cher.

« Sans le matériel approprié, ces sections techniques ne peuvent pas répondre au souci du pays », martèle cet ancien chef d’établissement.
Même si ce matériel est trouvé, fait-il remarquer, il y a des écoles qui ne sont pas électrifiées. Les ordinateurs et autres machines ont besoin du courant électrique.

Il fait savoir qu’il y a une électrification solaire qui a été proposée dans la plupart de ces écoles. Mais, tient-il à nuancer, elle risque d’être insuffisante et au niveau de l’éclairage ne pas pouvoir fournir le courant nécessaire.

« On n’a pas suffisamment d’enseignants qualifiés pour la plupart de ces sections comme la géologie et d’autres », ajoute-t-il.
Pour lui, il faut des ressources humaines qualifiées, capables et compétentes pour pouvoir dispenser les leçons.

Il salue l’ouverture de ces sections techniques. Ce détenteur d’un master en Leadership éducationnel met en garde les concepteurs de ce programme : « Quand on a pensé à l’école fondamentale, l’idée en soi était bonne mais ce sont les préparatifs qui n’avaient pas été bien menés. Quand on essaie de faire une évaluation, ce n’est pas une grande réussite comme tel parce qu’il y a des disciplines qui ont été introduites sans le matériel nécessaire comme les TIC. » Et de déplorer que les enseignants ne soient pas suffisamment outillés et dispensent le cours des TIC de façon théorique.

« Même pour ces sections techniques, c’est une bonne chose pour le pays mais les préparatifs n’ont pas été suffisants, on est allé un peu vite », fait-il observer.

Antoine Manuma : « La problématique d’enseignants qualifiés reste posée »

« L’ouverture de nouvelles sections comme celle de géologie, mines et carrières est louable », apprécie Antoine Manuma, président de la Fédération nationale des syndicats du secteur de l’enseignement et de l’éducation du Burundi (Fnaseeb).
Cependant, s’inquiète-il, ces nouvelles sections risquent de ne pas avoir des enseignants qualifiés pour dispenser les leçons.

« Les chefs d’établissement seront obligés de recourir aux vacataires ou aux bénévoles », fait-il remarquer. Selon lui, les vacataires ont parfois un volume horaire surchargé parce qu’ils travaillent déjà dans d’autres établissements. Les bénévoles, quant à eux, n’ont pas d’expérience. « Le rendement sera faible », renchérit-il.

Par ailleurs, ajoute ce syndicaliste, la problématique d’effectuer les stages va se poser avec acuité. Et de s’interroger : « Est-ce que le ministère a prévu où ces élèves vont effectuer leur stage pour s’imprégner bien de la pratique ? » On ne voit pas d’usines, de sociétés, explique-t-il, qui sont implantées dans ces communes.

En outre, M. Manuma évoque son inquiétude quant à la question de l’adéquation formation-emploi : « Est-ce que les lauréats qui sortiront de ces sections, comme la géologie ou mines, auront-ils des opportunités d’être embauchées ? »

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