Jeudi 03 octobre 2024

Société

Lutte contre les VBG : un cadre légal brumeux

Lutte contre les VBG : un cadre légal brumeux
Edouard Minani : « On ne peut pas avoir une loi spécifique sur chaque matière. Il faut un code pénal unifié »

Des textes flous, inadéquation entre la loi sur les VBG et le Code pénal, l’analphabétisme, des pratiques culturelles teintées de misogynie, … Iwacu met les pieds dans le marécage des violences faites aux femmes.

« La loi du 22 septembre 2016 portant prévention, protection des victimes et répression des violences basées sur le genre contient quelques lacunes qu’il faut corriger pour harmoniser la lutte des VBG sur la plan pénal », affirme S.N., un cadre de l’Association des femmes juristes du Burundi (AFJB).

Il épingle les contradictions entre cette loi spécifique de 2016 et le code pénal révisé de 2017. Selon lui, au niveau de la répression, la loi sur les VBG renvoie aux articles du code pénal de 2009 qui n’est plus en vigueur.

Il s’agit, précise-t-il, de l’article 33 qui renvoie aux articles 554 à 555.Et de marteler : « Le juge ne pourra pas appliquer des articles d’une loi qui n’est plus en vigueur ». Cet activiste des droits des femmes évoque aussi la problématique sur la réparation des victimes des VBG. La loi étant muette sur cette matière.

Par ailleurs, il ajoute les distorsions entre la loi sur les VBG et le code pénal au niveau des peines. Selon lui, l’article 27 de la loi spécifique mérite une attention particulière.

Cette disposition stipule que « toute personne coupable de viol conjugal tel que défini à l’article 2 litera i est punie d’une servitude pénale de quinze jours à trente jours et d’une amende de dix mille à 50 mille francs burundais ou d’une de ces peines seulement ».

D’emblée, fait-il observer, la disposition ne précise pas les éléments constitutifs du viol conjugal. En outre, dans le cas d’espèce, le viol est considéré comme une contravention alors dans le Code pénal, il est dans la catégorie des crimes punissables de plus de cinq ans de servitude pénale. « Il faut que le législateur éclaire le juge pour qu’il n’y ait pas confusion ou tâtonnement dans la prise de décision », renchérit-il.

Des obstacles à la répression

De prime à bord, cet activiste de la société civile évoque la non dénonciation des auteurs présumés des viols du fait de la peur. « Le présumé auteur peut être une haute personnalité et la dénoncer peut causer des ennuis à la victime ou à sa famille ».

Par ailleurs, il ajoute l’impunité des crimes tout en précisant que même s’il y a eu dénonciation, il peut arriver qu’il n’y ait pas une suite judiciaire appropriée.

En outre, ce cadre de l’AFJB épingle l’arrangement à l’amiable entre la famille de la victime et celle du présumé auteur. « On commence à instruire un dossier et chemin faisant, on constate que les parents se sont entendus entre eux au grand dam de la victime », fait-il savoir.

Enfin, il mentionne des cas de corruption qui freinent l’instruction des dossiers ou l’issue n’est pas ce que l’on escomptait. Une procédure longue et lente, la pression sur la victime ou sa famille, la problématique des preuves en cas de viol obstruent la répression. Et de regretter : « Les victimes souffrent au moment où les présumés auteurs se la coulent douce ».

Un déficit dans l’application de la loi

Edouard Minani, juriste et directeur du Centre de formation professionnelle au ministère de la Justice, reconnaît le manque d’harmonisation de la loi spécifique sur les VBG par rapport au code pénal.

Il parle d’un problème d’application de tout l’arsenal juridique en matière de lutte contre les VBG. Un problème lié au manque d’information et de connaissance des intervenants en la matière.

Selon lui, il y a plusieurs instruments juridiques internationaux, régionaux et sous régionaux applicables aux VBG et qui ont été signés et ratifiés par le Burundi.

Et de préciser que tous ces instruments juridiques font partie intégrante de l’arsenal juridique burundais à travers l’article 19 de la Constitution. « Si la loi nationale est lacunaire, il faudra la compléter par le cadre légal international, régional, et sous régional », fait-il savoir.

Quant aux obstacles à la répression, M. Minani situe le problème au niveau de la culture. Selon lui, la loi spécifique a érigé en infraction certains faits liés à la culture. Et de faire remarquer qu’il n’est pas facile de faire le changement des mentalités. Il suggère de ne pas bousculer la culture au risque qu’elle peut résister à la loi.

« Il faut un code pénal unifié »

M. Minani suggère d’intégrer les dispositions de la loi spécifique dans le code pénal. « Il faut l’harmonisation pour qu’il n’y ait pas des distorsions entre la loi spécifique et le code pénal qui a été promulgué postérieurement. Il faut qu’il n’y ait pas des dispositions qui soient dispersées dans plusieurs instruments. Il faut un document unique qui contient toutes les dispositions pénales ».

Selon lui, manier à la fois la loi spécifique et le code pénal constitue un problème. Et de préciser qu’on aura un chapitre sur les VBG qui est intégré dans le code pénal.

Il recommande l’intégration des lois spécifiques dans le code pénal. « On ne peut pas avoir une loi spécifique sur chaque matière. Il faut un code pénal unifié ».


Une prise en charge des victimes parasitée par l’analphabétisme et la précarité

Emerencienne Kamariza, coordinatrice du Centre Seruka, déplore que les unités de prise en charge des victimes des VBG aient été largement revues à la baisse au niveau de la Police.

Emerencienne Kamariza

Quels sont les types de violences basées sur le genre ?

Elles sont de plusieurs ordres. Il y a les violences sexuelles, les violences physiques, les violences psychologiques et les violences économiques.

Quel accompagnement est offert aux femmes victimes de violences basées sur le Genre qui viennent vers vous ?

Nous offrons une prise en charge sur plusieurs plans : médical (quand la victime présente des blessures dues à des violences physiques), psychosociale (Ecoute et conseils) et un accompagnement juridique et judiciaire (Quand il est question de porter des cas de violences en justice).

A l’instar de cela, nous menons des actions de sensibilisation à l’endroit des communautés en vue d’un changement des mentalités et des comportements.
Enfin, nous offrons également un hébergement transitoire pour les victimes qui craignent pour leur sécurité. Là-dessus, sont principalement concernées les nounous victimes de viol de la part de leur employeur.

Les hommes sont-ils parfois l’objet d’une attention particulière dans le cadre des campagnes de sensibilisation que vous menez ?

Vu que dans grande majorité des cas de violences basées sur le genre, les agresseurs sont des hommes et les victimes des femmes, nous misons aussi sur la gent masculine à travers la sensibilisation en direction des communautés et des couples qui traversent des conflits.

Est-ce que vous constatez une évolution au niveau de la société sur la question des VBG ?

Il y a une légère parce qu’actuellement, de plus en plus de femmes témoignent de ce qu’elles subissent notamment dans leur foyer. Des hommes aussi (en faible nombre) victimes de formes de violences dans leur couple, brisent un tabou en acceptant de se faire accompagner. En tout cas, dans nos zones d’intervention (Bujumbura-mairie, province Cibitoke et Muramvya), on observe des progrès notables.

Quels sont vos liens avec la police dans le cadre de la répression des VBG ?

Il y a quelques années, nous avions réussi à ce qu’il y ait un point focal VBG au niveau de chaque poste de police dans nos zones d’intervention. Par exemple, nous disposions de points focaux dans tous les postes de police répartis dans toutes les zones de la mairie de Bujumbura. Or, aujourd’hui, la seule unité opérationnelle en la matière, c’est la police des mineurs où doivent converger toutes les victimes désormais.

Que demandez-vous aux pouvoirs publics ?

Le vote d’un budget spécial dédié au genre. La multiplication des centres de prise en charge des victimes des VBG à l’échelle nationale. La gratuité pour l’accès au rapport médical en faveur des victimes des VBG et des campagnes de sensibilisation massives sur les VBG pour aboutir à une évolution des mentalités. A l’endroit de la société, il nous apparaît convenable que soient mis un terme à des pratiques culturelles qui encouragent les VBG.


Marie-Ange Kezimana : « Le viol conjugal est un grand tabou »

Juriste au Centre Seruka, Marie-Ange Kezimana pointe du doigt la lassitude des victimes à aller au bout des procédures judiciaires due souvent à la pauvreté.

Marie-Ange Kezimana

La juriste du centre Seruka dresse d’abord l’état des lieux législatif en matière de violences domestiques. « La loi sur les VBG de 2016 évoque ’’Gukanda umuvyeyi’’, une forme de viol conjugal tolérée par la culture qui consiste dans le fait qu’un homme force sa femme à avoir des rapports intimes avec lui après l’accouchement avant que celle-ci ne soit rétablie ; Guteka ibuye rigasha qui est une pratique culturelle qui consiste, pour un homme, à forcer sa femme ou sa fille d’avoir des rapports sexuels avec un guérisseur traditionnel pour que le remède prescrit ait ses effets escomptés ».

La militante de la cause féminine et juriste revient également sur l’Article 535 qui stipule que quiconque soumet son conjoint, son enfant ou toute autre personne habitant le même toit à des traitements cruels, inhumains ou dégradants est puni de la servitude pénale de trois ans à cinq ans et d’une amende de cinquante mille francs.

Selon elle, le législateur a mis en place des protections extérieures pour les victimes notamment pour celles qui sont salariées. « L’article 14 de la loi sur les VBG prévoit que l’employé victime de violences basées sur le genre dans ou hors de l’entreprise a droit, sur sa demande et après avis conforme du médecin, à la réduction temporaire ou à la réorganisation de son temps de travail, à une mutation géographique, à une affectation dans un autre établissement, à la suspension de son contrat de travail et à la démission sans préavis ».

D’après Mme Kezimana, le problème avec cette loi, c’est que les victimes ont souvent peur de témoigner des violences auxquelles elles sont soumises à domicile auprès de leurs employeurs.

« Il faut un amendement de la loi sur le devoir conjugal »

Pour ce qui est de l’aide légale apportée aux victimes, la juriste du Centre Seruka dit aider les victimes à constituer leurs dossiers pour le procès. « Par après, je suis amenée à suivre le dossier de la victime au niveau du parquet ».

Son rôle est loin de se limiter là. « Comme elles se laissent souvent intimider par les juges, je prends le soin de leur expliquer que l’important, c’est de dire la vérité. Et d’insister sur certaines preuves, de contacter des témoins si elle en dispose. Je leur recommande aussi parfois de reporter le procès si elles ne se sentent pas à l’aise ou si leurs obligations professionnelles ne leur permettraient de prendre part au procès

Marie-Ange nous informe ensuite que les frais de justice engagés par la victime sont pris en charge par le Centre Seruka

Selon la femme de loi, les défis rencontrés dans l’accompagnement juridique des victimes sont cependant nombreux : stigmatisation de la victime dans la communauté qui peut l’amener à renoncer à aller jusqu’au procès

Il y a également la précarité, certaines victimes n’ont pas le loisir de se payer régulièrement le transport pour suivre l’affaire au tribunal, la non-exécution des jugements comme les dédommagements qui ne sont souvent pas appliqués. Des victimes peuvent, à un moment donné, opté de régler le différend à l’amiable comme le recours aux Bashingantahe.

« Sans parler bien sûr des procédures judiciaires longues qui découragent les victimes et l’analphabétisme qui fait que nombre de femmes ignorent les lois les concernant », complète la juriste Kezimana.

Autre grand problème pour certaines victimes : le viol conjugal. « C’est un grand tabou parce que les victimes confondent cela avec le devoir conjugal contenu dans le code des personnes et de la famille ».

Pis, s’indigne Marie-Ange, même les gens sont en déphasage avec cette réalité. « Je remarque souvent que les juges et magistrats sont gênés lors des audiences à l’écoute d’une femme qui se dit avoir été contrainte sexuellement par son époux ».

Dans leur esprit, fait-elle savoir, c’est inconcevable qu’une femme se refuse à son époux et cela aboutit à la minimisation de l’infraction. En plus, les femmes n’ont souvent aucune preuve sauf quand il y a eu une pénétration anale que la loi interdit.

Et de plaider à ce que soit amendée la loi sur le devoir conjugal pour mettre aussi en avant le consentement.

VBG

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. Gacece

    Je dirais de d’abord commencer par définir la VBG, de dresser une liste aussi complète que possible des infractions qu’on peut qualifier de VBG et ensuite de les classer dans des catégories bien spécifiques.

    Autant le dire tout de suite, la violence peut être physique et/ou psychologique. La privation de relations sexuelles de l’un des époux à l’autre est aussi considérée comme de la violence conjugale. Se venger de la privation de l’autre en refusant à son tour de coucher avec son épouse ou en allant la tromper avec une autre en est un autre exemple.

    Divorcer (ou menacer de divorcer) est une violence conjugale…celle est une opinion personnelle!… Avez-vous remarqué à quel point le divorce peut détruire des vies? Non seulement les vies des époux, mais aussi celles des enfants, des amis (qui divorcent eux aussi parce qu’ils se sont disputés parce l’un a pris la défense de l’autre plutôt que celle de l’autre ;-)), des voisins (qui ne sont plus invités pour jouer aux cartes… ou pour un verre… ou les deux), du chien, des frères, des soeurs…
    Certaines VBG sont parfois des coups pendables! Les femmes y jouent autant que les hommes. Et le plus étonnant, c’est qu’on ne peut même pas écrire une loi contre ce genre de coups.

    Essayez de créer une loi qui interdit à un homme de ne pas être un homme ou à une femme de ne pas être une femme… je parle de l’instinct!… Aucune intention de misogynie ici! Psychologiquement et physiologiquement, c’est dans la nature d’un homme de se comporter comme un homme. Le même raisonnement s’applique à une femme!… Je ne sais pas laquelle, mais il y en a sûrement une!… Arrêtez d’avoir raison de deviner mon genre!… de femme! 😉

    Puisqu’il y existe déjà toute cette panoplie d’organismes, pourquoi ne commenceraient-ils pas par faire un inventaire des infractions observées et/ou susceptibles d’être commises… et les soumettre aux ministères concernés? Simple suggestion!

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