Mercredi 24 avril 2024

Politique

Lusenda : «On n’a pas fui suite aux rumeurs, mais aux menaces réelles»

08/11/2016 14

Après les appels lancés par Bujumbura aux réfugiés burundais à regagner le bercail, la plupart d’entre eux n’entendent pas quitter leurs tentes de fortune. Ils invoquent des raisons de sécurité. Reportage

Une vue du camp des réfugiés burundais de Lusenda
Une vue du camp des réfugiés burundais de Lusenda

10 heures à Lusenda. Cette localité située en plein territoire de Fizi à plus de 60 Km au sud d’Uvira à l’est de la RDC, était il y a une année presque méconnue.

Il a fallu que l’administration congolaise et le HCR décident d’y ériger des tentes pour accueillir des milliers de Burundais fuyant la crise politico- sécuritaire de 2015 pour que ce village se métamorphose.

Des quelques maisons en pisée aux tôles ondulées entamées par la rouille se trouvant de part et d’autre de l’unique axe reliant ce coin perdu à la ville de Baraka à une quarantaine de kilomètres de là, il faut désormais compter ces milliers de maisonnettes en bâches blanches estampillées HCR.

S’étalant à perte de vue, ces abris de fortune disséminés sur plusieurs collines donnant sur le lac Tanganyika, font dorénavant partie du paysage.

L’entrée de ce camp est gardée par des forces de l’ordre congolaises, mais le va-et-vient de gens en provenance ou en partance de ce ’’nouveau village de Burundais’’ ne semblent pas les intéresser. Ces agents ne se lèvent pour se mettre au garde-à-vous que quand des véhicules 4×4 s’apprêtent à franchir la barrière.

L’allée principale grouille de monde, plusieurs activités se font déjà : une pancarte indique qu’une des maisonnettes est un salon de coiffure. Quelques écrits en lettres capitales irrégulières indiquent qu’à l’intérieur d’un autre abri, on y sert du thé, du haricot et des crêpes.

A quelques pas de là une grande salle pour les enregistrements des nouveaux venus et juste en face une aire de jeux pour les enfants avec des balançoires.

Soudain, un sifflet strident annonce la récréation, c’est le remue-ménage, les élèves accourent vers cet espace, chacun veut être le premier à s’installer sur la balançoire.

Un peu plus loin, d’autres jeunes, des ados s’affairent dans une autre salle, une sorte de centre culturel. Les uns font une partie de baby-foot, des spectateurs assistent à ces matches, encouragent leurs équipes. Dans un coin de la salle des jeunes gens sont occupés par une partie de jeu d’échec ou de dames tandis que d’autres jouent aux cartes.

C’est une ambiance bon enfant. «C’est pour tuer le temps et être avec les autres pour ne pas déprimer. Je ne peux pas rester seul dans ma tente, j’ai peur d’avoir des idées noires», me confie un des jeunes un peu à l’écart.

«On nous a chassés du Burundi, on ne peut pas chasser le Burundi de nos cœurs»

Pendant la nuit, raconte-t-il, j’ai toujours des cauchemars, un film d’horreur se déroule sur le toit blanc en plastique, c’est mon écran plat ! Je me garde de rire.

«Des images de barricades enflammées, des coups de feu sur les manifestants, des cocktails Molotov, des blessés criant au secours, de requiem, d’enterrements au cimetière de Mpanda hantent mes nuits aux funèbres silhouettes. »

Tout à coup mon attention est attirée par d’autres jeunes gens qui jouent à la guitare, ils répètent la célèbre chanson de Ngabo Léonce, « Sagamba Burundi » d’ouverture d’antenne à la radio nationale, devenue un chant de ralliement patriotique.

«Quand nous jouons cette chanson, cela nous rapproche de notre mère-patrie. On l’exécute comme l’hymne national à gorge déployée et avec des larmes dans la voix. On nous a chassés du Burundi, mais on ne peut pas chasser le Burundi de nos cœurs», se console Pierre Muhayimana.

«J’étais mécanicien à Buyenzi avec une équipe de cinq personnes, on gérait un petit magasin de pièces de rechange. Avec les manifestations et les tirs à balles réelles, j’ai dû fermer et partir à l’intérieur du pays», raconte-t-il.

Quand je suis arrivé chez moi à Cibitoke, raconte cet apprenti musicien, il n’y avait plus personne, on m’a dit que ma famille avait traversé la frontière et j’ai décidé de les rejoindre, la mort dans l’âme.

Et son ami de renchérir : «Il faut qu’il y ait la paix dans notre pays pour que nous puissions rentrer. Nous suivons l’actualité et ce que nous entendons n’est pas encourageant. Les mesures prises par la Communauté internationale contre notre pays et les décisions de nos autorités nous attristent. »

Des nuits à la belle étoile devant l’ambassade des Etats-Unis aux tentes de Lusenda

La chanson « Sagamba Burundi » est adorée ici au camp
La chanson « Sagamba Burundi » est adorée ici au camp

Charles Nininahazwe, un jeune homme intrigué par le nouveau venu, s’approche pour savourer la musique. Je comprends vite qu’il n’est pas attiré par la chanson de Ngabo mais qu’il a un message qu’il veut livrer : «J’étais en deuxième candidature à la Faculté des Sciences et j’ai passé beaucoup de nuits en face de l’ambassade des Etats-Unis avant d’être chassé avec mes camarades. Les intimidations ne se sont pas arrêtées là. Nous étions épiés au campus et nous avons décidé de partir. »

Il poursuit son récit : «On est environ 200 étudiants, il nous faut retourner dans les auditoires, nous appelons Maggy de la Maison Shalom à tout faire pour que nous puissions étudier comme elle l’a fait pour les étudiants réfugiés au Rwanda. »

Et de me faire une confidence : «Nous avons essayé de la joindre via les réseaux sociaux mais elle nous a rétorqué qu’il est difficile de venir à Lusenda au vu de l’insécurité. Il faut trouver d’autres moyens pour nous sortir de ce pétrin.»

Il se dit opposé à toute idée de retourner au Campus Mutanga : «Pour l’instant je n’y pense même pas, les raisons qui nous ont poussés à partir sont toujours là. »

Et c’est la même réponse donnée par Faustin Nibizi, représentant de ces réfugiés Burundais de Lusenda. «Bon nombre d’entre nous étaient menacés voire poursuivis et recherchés. Quand nous leur demandons ce qu’ils pensent des appels de Bujumbura de retourner au pays, cela suffit pour que la réunion se termine en queue de poisson. »

Quand nous évoquons cette question, indique-t-il, il y en a qui nous disent qu’ils ont décidé de s’exiler parce qu’ils étaient accusés d’avoir des « connexions ou des liens avec des gens qui perturbent la sécurité. »

«Je me retrouve sans arguments quand je vois de nouveaux convois venir au camp avec des gens venus de Muramvya, de Gitega et même de Ngozi et de Kirundo. Ils parlent d’intimidations mais la précarité alimentaire sévissant dans certaines régions du pays y est pour quelque chose», conclut-il.

Forum des lecteurs d'Iwacu

14 réactions
  1. Umnyagihugu

    Kuvuga menshi no kwandika kenshi ibinyoma sivyo bizogarukana amahoro mu gihugu nizo mpunzi ziriko zirashinyagurizwa. Guhagarika ivyatumye zihunga bizotuma zihunguka atawurinze kuzihimiriza. Imbonerakure zikwiragijwe mu gihugu cose zigishijwe zigahabwa ibikoresho vyogutera ubwoba abatari CNDD, ntizihisha, zikorera ahabona n’akanyamuneza kenshi kubwo akazi bahawe, no kubona bafise ubushobozi bwo kwica bagakiza. Baza aba Nyagihanga Makamba, Rumonge n’ahandi ayo babonye. Ubuho batanguye no kuzura abapfuye. Igihe bazohagarika ibikorwa bigayitse bakorera abanyagihugu, izo mpunzi zizokwizana. Ikindi aba CNDD n’imbonerakure bagerageza guhisha umwotsi inzu idasiba gusha, les stats des organizations des droits de l’homme locales zerekana ko chaque semaine hicwa 5 a 10 personnes, les disparus, les emprisonnes batarimwo. Toute personne peut avoir une idee d’un nombre de tues, disparus par mois et par an. Genocide est en cours, igihe kizogera ces DD et imbonerakure qui s’activent pour dementir l’evidence berekwa ibirikorwa bariko barakora atah bitaniye na genocide. Les mesures z’urutavanako du gouvernement zihotora abanyagihugu bisonzeye nazonyene zirakwiye kugira abanyagihugu bahunge. Uwiyumvira ko abanyagihugu bokorewra ikibi bakabuzwa kubivuga no guhunga aribesha, uwubabaye niwe abanda urugi.

  2. Ayuhu Jean Pierre

    Chers amis,
    L’exile, pour ceux qui l’ont connu, n’est pas des choses que l’on souhaiterait à quelqu’un, même à ses ennemis…
    Si ma mémoire est bonne, Iwacu a produit un excellent article sur la situation des réfugiés burundais au Rwanda. Ce n’était pas joyeux et dans certaines situation, le départ du pays a été motivé par l’appât d’intérêt: se voir réinstaller ailleurs dans un pays occidental.
    C’est une evidence aussi que quand on entend des hommes et femmes, des institutions, des associations etc.. qui martèlent à longueur de journée et d’année qu’un génocide est tantôt en cour, tantôt imminent on ne peut pas ne pas avoir peur et fuir. Peut-on mettre cela sur le compte de rumeurs? A chacun d’apprécier.
    Oui, il y a eu violation des droits de l’homme et il y en aura d’autres certainement ( le Burundi n’est une exception car on lit que la Belgique, la France et d’autres pays « civilisés » violent, sous une forme ou sous une autre, les droits de l’homme).
    J’avais envie de dire à mes compatriotes en exile de ne pas céder à la peur et de rentrer dans leur pays..On ne trouvera pas mieux au monde que chez soi!

    • Nduwimana pierre-claver

      Mes Cher’s freres et soeurs, l’exil n’est pas du tout bon que can soit led refugees qui se so sont refugees en iccident ou en afrique. Detrompez vous.passes la unit dans ta propre maison, cest totalement different de passer la nuit ailleur. Je vous assure que faute de No’s president ventriotes l’afrique devrait eberger les refugiee dans de bonne condition. Vraiment . n’entendez pas  » oh! Tel est refugie en amerique il est bien place. Je vous assure que non. Ecoute, tel que je reve comment changer le BURUNDI, MEME CHOSE QUE L’AFRIQUE.

      CHANGEONS DE MENTALITE S’IL VOUS PLAIT. AIMONS NOTRE BURUNDI, AIMONS NOTRE AFRIQUE. SI DIEU BENNISSE L’AFRIQUE ET QU’IL CHASSE LES VENTRIOTE, ET QU’IL Y EST DES LEADERS QUI AIMENT LEURS PAYS ET SES HABITANTS, FRANCHEMENT L’AFRIQUE SERA PLUS FORTE QUE CES PAYS QUI SE DISENT FORT.. VOILA.

  3. Voila les gens pensais que le mot genocide devait les propulser au pouvoir sans toutefois passer par les urnes. Quelle betise? Bravo a Monsieur Trump, Dieu vient de repondre la plupart des Burundais. Merci Dieu

  4. Salmia Irikungoma

    Wewe wa muntu wiyita Is. N’Umwana w’Imana yarigeze guhunga. Wewe lero uriko uratamba ku mivyimba y’abarundi bicwa bakangazwa ? Uracari kw’isi, abariko baracurwa bufuni na buhoro mu Burundi n’ahandi kw’isi sibo babisavye !!! Bandanya ushinyaguze.

  5. Fofo

    [Ndlr: On n’a pas fui suite aux rumeurs, mais aux menaces réelles], dire cela est une pure globalisation d’autant plus que certains d’entre eux ont fui avant même l’annonce de la Candidature de Nkurunziza. Cette affirmation c’est sure qu’elle sorte de qlq’un qui veut défendre sa cause! Parmi les gens qui sont à Lusenda, il y a certains membres de ma famille. Dire qu’ils ont fui les intimidations ce sera un pure mensonge. Ils n’ont jamais participé dans la politique et ne s’y intéresse jamais! Par ailleurs, ils entretenaient des bonnes relations avec tous leurs voisins.

  6. KABADUGARITSE

    …Toujours sans arguments comme ces pères des journées noires de l’année 1972 où pères et mères, croyant encore au patriotisme, livraient leurs fils pensant servir la sécurité nationale. Triste!
    J’ignore l’âge de l’auteur de cet article mais il reprend, sans le savoir, les récits de la période 1972-1973. A la seule différence qu’il y avait plus de structures d’accueil et peu de mineurs non-accompagnés à part les scolarisés, les conditions de vie semblent être les mêmes. Les mêmes menaces, les mêmes espoirs et la même image de recherche de secours sont le tableau de ce qui aurait dû faire partie de l’histoire.

    J’avais 15ans et sortait d’une école secondaire. N’ayant pas pu atteindre les centres d’accueil situés au Nord-Est du Rwanda à RIRIMA, j’ai été recueilli par un ex-Pasteur de l’Église protestante de Rubura(Kayanza) pour travailler comme serveur dans son restaurant de fortune avant de reprendre la scolarité une année plus tard. Je dois avouer que j’étais parmi les plus chanceux car j’étais nourri, logé et payé.

    Il y a de cela 44ans et les mêmes images n’ont cessé de s’afficher sur l’écran de ce que devrait être une mère protectrice pour ses filles et fils, ma patrie, le Burundi.

    Que manque-t-il au Burundi(28.730kilomètres carrés), ce petit pays de l’Afrique centrale pour être la sœur jumelle de Haïti(27.750kilomètres carrés), à des milliers de kilomètres dans l’océan Atlantique, pour subir périodiquement les catastrophes naturelles destructrices !

  7. ls

    Quand Hitler a commencé la guerre en 1939, il croyait qu’elle allait être rapide, et surtout qu’il allait la gagner. La suite, tout le monde la connaît : Au bout de longues et dures années des souffrances incroyables pour tout une partie de l’humanité, Hitler perdit la guerre.

    Ceux qui ont déclenché la lutte contre le pseudo-mandat et ceux qui ont fui le « risque de génocide » que d’aucuns ont voulu provoquer pour récupérer le pouvoir, ils croyaient que très vite le système tant haï tombera.

    Il n’y pas eu de « Génocide salvateur » tant espéré et appelé de tous leurs vœux qui devait leur donner le pouvoir à jamais et le système tant haï est toujours là.

    Moralité : Ceux qui ont fui le « Génocide à venir » feraient mieux de rentrer car ce Génocide ne Viendra jamais .De plus, l’histoire est là pour nous rappeler que l’exil est douleureux!

    • Yves

      Vous illustrez à merveille le néant de la réflexion politique cher aux DD et à leurs fanboys. Reprenons vos deux errements.

      De un : vous comparez l’opposition burundaise au régime nazi. C’est énorme puisque vous comparez un pouvoir oppressif, qui dispose de tous les moyens connus de répression, à une opposition en exil ! C’est un non-sens, et on ne parle même pas de l’incohérence entre les époques où les idéologies. En bref, c’est totalement grotesque.

      De deux : les réfugiés ne reviennent pas car ils savent qu’il y a bien un génocide en cours au Burundi. Il s’agit d’un génocide politique, chaque jour confirmé dans les faits (toute forme d’opposition étant systématiquement mise hors d’état de nuire). Ces hommes et femmes savent très bien qu’ils se verront coller cette étiquette s’ils reviennent. Ils savent que la Justice au Burundi est un mirage et qu’ils ne pourront pas compter sur elle. Ils savent enfin que les gens comme vous sont prêts à n’importe quel mensonge pour mieux les cueillir une fois arrivés.

      • Bakari

        @Yves
        « Il s’agit d’un génocide politique, chaque jour confirmé dans les faits (toute forme d’opposition étant systématiquement mise hors d’état de nuire). »

        Suivant votre définition du génocide, toute la région des Grands-Lacs serait en cours de génocide.
        L’Afrique aussi serait en majorité en train d’être génocidée. Nombreux pays du monde aussi.

        Ceci dit, Is a ses convictions et moi j’ai les miennes!

        • Yves

          @Bakari :  » Suivant votre définition du génocide, toute la région des Grands-Lacs serait en cours de génocide « . Oui, on peut le résumer comme ça, encore que le niveau de violence envers les opposants politiques est actuellement plus élevé au Burundi et en RDC que dans les autres pays des Grands-Lacs. J’espère que vous n’êtes pas en train de sous-entendre que ce qui se passe au Burundi est moins grave parce que cela se passe aussi ailleurs…

          • Fofo

            @Yvesn
            encore que le niveau de violence envers les opposants politiques est actuellement plus élevé au Burundi et en RDC … pourquoi vous ne citez pas le Rwanda portant il est plus spécialisé dans ce domaine!

    • Alphonse Habogorimana

      Tu es cynique mon ami ls

  8. BURKA

    Voilà un bon récit. un vrai récit. J’ai les yeux mouillés. Toute une génération, une nième génération sacrifiée à l’autel de la médiocrité de nos dirigeants. Je pensais que 50 ans avaient suffi pour comprendre. On n’a pas de leaders mais une bande de pauvres dirigeants! Moi j’ai plus de 40 ans et je n’ai jamais passé une année en paix. Et cela me rappelle tristement, un historien qui me disait qu’au Burundi chaque homme ou femme qui a moins de 60 ans n’a jamais connu 10 ans de paix. Et voilà le paroxysme:  » Les gens fuient la paix- Barahunga amahoro »!

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