Malgré un cadre légal depuis près de vingt ans, la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme reste largement inefficace. Une étude nationale et les analyses des experts révèlent un système marqué par l’impunité, la faiblesse de la digitalisation, l’économie informelle et une volonté politique insuffisante.
La Cellule nationale de Renseignement financier (CNRF) a organisé, le mardi 2 décembre 2025, une conférence nationale consacrée à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
Selon une étude menée entre 2021 et 2023, plusieurs faiblesses structurelles du dispositif national continuent d’alimenter les pratiques illicites. L’analyse relève notamment des lois dont la portée demeure limitée, comme l’obligation constitutionnelle de déclaration de patrimoine imposée aux membres du gouvernement qui est dépourvue de sanctions en cas de non-respect ainsi que des normes juridiques globalement non conformes aux standards internationaux.
L’étude souligne également le manque d’indépendance de certaines institutions clés ainsi que l’insuffisance ou la mauvaise répartition des ressources humaines. Certains cadres occupant des postes stratégiques sans expertise adéquate. À cela s’ajoute un retard important dans la digitalisation des procédures réduisant l’efficacité opérationnelle des institutions concernées.
En matière de vulnérabilité, le secteur immobilier arrive en tête, suivi du secteur bancaire, des institutions de microfinance et d’autres segments jugés sensibles.
Selon Jean Damascène Bizimana, directeur des Programmes et suivi en douanes au sein de l’Office burundais des Recettes (OBR), le secteur des taxes internes figure parmi les plus exposés, tout comme celui des douanes dans cette institution.
Cette fragilité s’explique, selon lui, par un faible niveau de digitalisation, le développement du secteur informel, la forte utilisation de liquidités ainsi que le manque d’outils technologiques aux frontières pour contrôler efficacement les biens et les personnes. La capacité nationale de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme reste limitée à 30 %.
Le temps des réformes
Dans son allocution, le Premier ministre Nestor Ntahontuye a estimé que le pays ne pourra atteindre sa vision de pays émergent en 2040 et développé en 2060 sans un contrôle rigoureux de l’origine et de la destination des capitaux.
Il a lui aussi pointé la faible digitalisation du pays. « La majorité des Burundais utilisent très peu Internet. Il est difficile de digitaliser efficacement tant que la couverture n’est pas nationale et que les services publics ne sont pas modernisés. »
Le Chef du gouvernement a appelé à des réformes structurelles dans l’administration publique, les ministères, les modes de gestion et le système financier. Il a en outre interpellé la Banque de la République du Burundi (BRB) à veiller au strict respect des lois, notamment en matière de traçabilité des flux financiers.
M. Ntahontuye a exhorté toutes les institutions publiques à surveiller de près toute activité financière suspecte et à appliquer sans défaillance les sanctions prévues contre toute personne impliquée dans le blanchiment d’argent ou le financement du terrorisme.
Réactions
Faustin Ndikumana : « Le blanchiment prospère dans une impunité totale »
Selon le directeur national de Parcem, le blanchiment d’argent prospère dans un environnement où deux infractions majeures « l’enrichissement illicite » et le « blanchiment proprement dit » restent largement méconnues et se développent dans une impunité totale.
D’après lui, l’un des indicateurs les plus visibles de cette dérive est la prolifération des investissements immobiliers, particulièrement à Bujumbura. Il estime que ce boom immobilier ne peut pas être attribué au secteur bancaire classique qui finance essentiellement des activités de court terme comme l’import-export ou la trésorerie. Dans un pays où le marché financier est embryonnaire, il juge difficile que cette multiplication de constructions soit soutenue par le système financier formel. Pour lui, cela révèle l’existence de financements illicites recyclés dans l’immobilier.
Faustin Ndikumana regrette également que certains facteurs clés entravant la lutte contre le blanchiment ne soient jamais mis en avant. Il cite notamment la prédominance de l’économie informelle, qui représenterait près de 70 % des activités économiques du pays.
Dans ce contexte, explique-t-il, la traçabilité financière devient presque impossible, la majorité des acteurs économiques n’étant ni déclarés ni imposés. Il rappelle par ailleurs que le marché parallèle, qui alimenterait plus de 60 % des importations, constitue lui aussi une économie souterraine non taxée, favorisant des enrichissements rapides et opaques. À cela s’ajoute, selon lui, un trafic de minéraux insuffisamment contrôlé.
Le directeur national de Parcem mentionne également le faible taux de bancarisation et d’inclusion financière, qui limite les interactions entre acteurs économiques et banques commerciales. Ce manque de confiance dans le système formel encouragerait la thésaurisation massive, l’épargne en liquide dans des coffres-forts ou encore la fuite des capitaux vers les banques étrangères.
L’économiste pointe aussi « une collision » persistante entre certains administratifs, mandataires politiques et acteurs du secteur privé. Une situation qui, selon lui, compromet sérieusement toute politique de lutte contre le blanchiment. Il estime que cette complicité verrouille l’application de la loi et empêche les contrôles nécessaires.
Il évoque en outre un cadre légal « peu étoffé et mal appliqué », citant l’absence de contrôle réel sur la déclaration de patrimoine, l’absence d’un impôt sur la fortune appliqué de manière systématique ou encore de l’OBR à suivre les transactions illicites pour en tirer des recettes fiscales. M. Ndikumana déplore aussi l’ignorance généralisée des infractions liées au blanchiment et à l’enrichissement illicite, ainsi que l’impunité due à une justice « paralysée ».
Le directeur de Parcem évoque en outre une « culture de l’intimité » profondément ancrée dans notre société, où les citoyens ont tendance à cacher leurs richesses. Ce qui rend difficile toute transparence.
Selon lui, seule une stratégie nationale cohérente, fondée sur une sensibilisation accrue, un cadre légal renforcé et un engagement politique au plus haut niveau, permettrait de relever les nombreux défis qui freinent la lutte contre le blanchiment d’argent.
Gabriel Rufyiri : « Sans une lutte globale contre la corruption, le combat contre le blanchiment restera vain »
Pour le président de l’Olucome, la lutte contre le blanchiment des capitaux ne peut être dissociée de la lutte contre la corruption. Il rappelle que cette infraction fait partie de plus de vingt crimes connexes énoncés dans la Convention des Nations-unies contre la corruption que le Burundi a ratifiée en 2005.
Il souligne que la loi anti-corruption de 2006, tout comme la loi de 2008 sur le blanchiment d’argent, reprenaient déjà ces prescriptions internationales, mais qu’elles n’ont jamais été appliquées de manière effective.
Il cite un exemple simple : la loi impose de justifier tout dépôt bancaire dépassant 20 millions de francs burundais. « Il suffit de demander si cette exigence est respectée aujourd’hui », fait-il remarquer, pour illustrer l’écart entre le texte et la pratique.
Pour Gabriel Rufyiri, il est impossible de lutter contre le blanchiment si les autres infractions associées : enrichissement illicite, recel, détournement des fonds publics, absence de déclaration de patrimoine, non-taxation des signes extérieurs de richesse ne sont pas, elles aussi, combattues. Il estime que la digitalisation, les réformes administratives ou les mécanismes de transparence ne produiront aucun effet tant que l’impunité persiste.
Cet expert évoque également les antécédents du programme « Doing Business » de la Banque mondiale, qui avait introduit au Burundi des outils de modernisation tels que les guichets uniques et certains mécanismes de digitalisation. Mais, une fois le programme arrêté, ces initiatives ont perdu leur élan, une preuve, selon lui, que les réformes ne reposaient pas sur une volonté nationale profonde.
M. Rufyiri explique aussi que l’intensification actuelle des discussions autour du blanchiment est principalement motivée par l’évaluation internationale prévue entre février et mars 2026.
Il estime que « courir parce que des étrangers vont nous évaluer » ne constitue pas une volonté authentique. Selon lui, une véritable réforme devrait être guidée par une vision nationale claire, et non par la pression extérieure.
Il souligne par ailleurs qu’après vingt ans d’existence de la loi anticorruption, aucune sanction significative n’a jamais été prononcée pour blanchiment ou infractions connexes. « La volonté ne se mesure pas aux discours, mais aux actes concrets ». Il regrette l’absence d’exemples de responsables sanctionnés, de biens récupérés ou de fonds retournés à l’État.
Pour lui, la lutte contre la corruption reste illusoire tant que les mandataires publics continuent à s’adonner au commerce, tant que l’éthique politique n’est pas respectée et tant que les signes extérieurs de richesse ne sont ni contrôlés ni taxés.
Il souligne enfin la nécessité de s’attaquer aux « éléphants blancs », ces projets publics coûteux qui enrichissent des individus sans bénéfice pour la nation.
Il rappelle également que le secteur minier, qui devrait être gouverné par des mécanismes internationaux de transparence, demeure dépourvu d’ouverture réelle. Selon lui, malgré les outils existants, presque rien n’est appliqué et le pays reste au niveau des discours.
Pour sortir de cette inertie, M. Rufyiri estime qu’il faut aligner la pensée, la parole et l’acte. « Les principes de l’éthique et de la morale doivent guider les responsables politiques ».









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