Jeudi 02 mai 2024

Santé

La drépanocytose : la croix est trop lourde à porter

11/07/2023 1
La drépanocytose : la croix est trop lourde à porter

Les témoignages de ceux qui souffrent de cette maladie héréditaire traduite par l’anémie et une plus grande vulnérabilité aux infections font froid dans le dos. Les parents des enfants drépanocytaires crient à l’aide et indiquent qu’ils vivent un calvaire.

« Une personne drépanocytaire se sent rarement en forme », témoignent les patients. E.K. native de la commune Mukaza est née avec cette maladie héréditaire. Elle a été diagnostiquée à ses neufs mois. Le médecin avait prévenu ses parents que ce genre d’enfants vivent rarement jusqu’au-delà de 5 ans. Elle a eu de la chance de se trouver parmi les rares personnes qui ont pu grandir normalement malgré cette maladie.

Néanmoins, elle indique être confrontée à des crises permanentes. « Juste avant la crise, je me sens très faible et les membres inférieurs deviennent trop froids », témoigne-t-elle. Elle fait savoir que les ongles et le blanc de l’œil jaunissent. Dans ce cas, elle se met immédiatement à prendre des médicaments. Dans une fratrie de 5 enfants, c’est elle seule qui est atteinte de cette maladie. Elle indique qu’elle a toujours des médicaments sur elle. Cela fait penser, raconte notre source, au sida pour son entourage. Paralysée après ses études secondaires, elle regrette les larmes aux yeux qu’elle n’a pas pu suivre ses études universitaires.

Un avenir gâché

I.C. a 22 ans. Avant sa crise, elle dit avoir des douleurs dans la bouche et la poitrine. Elle dit aussi prendre des médicaments et est sous un régime alimentaire qui l’aide à faire face à sa maladie et dort beaucoup pour se reposer. Elle aussi est lauréate de l’école secondaire. À sa première année des études universitaires, elle a eu un accident vasculaire cérébral. « J’ai tout oublié. Je ne pouvais même pas parler. J’ai oublié comment écrire et j’ai abandonné mes études ». Il a fallu beaucoup de temps pour que cette jeune fille native de la commune Ntahangwa puisse se rétablir.

I.M. est en 7e de l’école fondamentale. Avoir froid au niveau de la plante du pied est un symptôme éloquent lié à sa crise. Elle prend des médicaments avant d’aller dormir. Cette fille de 13 ans s’est déjà fait opérer de sa colonne vertébrale. Elle a subi un traitement et se sent plus ou moins en forme pour le moment.
Ces drépanocytaires disent qu’ils ne sont jamais contents. Ils se posent toujours des questions : « Pourquoi sommes-nous nés comme ça ? Nous sommes une charge pour nos parents. »

Des parents désemparés

« J’ai trois enfants qui en souffrent. C’est un calvaire », a fait savoir, Salvator Nibigira, un père de trois enfants drépanocytaires. Si un n’est pas hospitalisé, a-t-il témoigné, c’est un autre qui est sur un lit d’hôpital. Pour le moment, confie-t-il, l’hôpital militaire est devenu mon domicile.
Il indique que le coût des médicaments et de l’hospitalisation est devenu un poids trop lourd pour lui surtout que la mutualité de santé et les assurances n’acceptent pas de prendre en charge les drépanocytaires. « C’est une maladie terrible », lâche ce papa.

Pour une maman qui a deux enfants qui souffrent de la drépanocytose, cette maladie est négligée alors qu’elle devrait être une préoccupation pour les autorités sanitaires. Les enfants qui en souffrent sont très vulnérables et souvent, ils suivent les cours très difficilement. « Parfois, ils ne sont pas compris par les enseignants qui ne connaissent même pas cette maladie ».

Elle fait savoir qu’un enfant drépanocytaire ne peut pas faire du sport à l’école. « Or, certains éducateurs sportifs pensent que c’est de la fainéantise. De plus, ces enfants devraient bénéficier d’une attention particulière. Mais la sensibilisation n’est pas encore menée au sein de la communauté ».

Les parents des enfants drépanocytaires qui se sont exprimés, dimanche 25 juin, font savoir que cette maladie leur coûte énormément.
« Certains médicaments prescrits n’existent pas sur le marché burundais », soulignent-ils. Ils déplorent être obligés de faire des commandes dans les pays limitrophes, comme la Tanzanie ou le Rwanda, voire en Europe alors que la plupart d’entre eux disposent de revenus modestes.

 

Dépistage recommandé pour les futurs mariés

 

Christine Ndayishimiye : « Nous demandons au gouvernement d’encourager les futurs mariés à se faire dépister avant le mariage »

Ernest Kazeye, secrétaire exécutif de l’association des personnes Drépanocytaires (APD), regrette que cette maladie ne soit pas prise au sérieux : « Elle est inscrite sur la liste des maladies chroniques au Burundi, mais rien d’autre chose n’a été encore fait.»

Il déplore que le ministère de la Santé Publique et de la Lutte contre le Sida ne profite pas de la journée internationale pour des sensibilisations sur l’existence de cette maladie qui tue et déstabilise des familles : « Nous avions voulu organiser la célébration de la journée l’année passée, mais, le ministère n’a pas accordé les autorisations. » Selon lui, le ministère avait promis de l’organiser lui-même, mais ne l’a pas fait.

De surcroît, M. Kazeye souligne que le ministère oublie souvent son association quand il va plaider pour les drépanocytaires à l’étranger. « Il a envoyé une délégation en France pour la journée internationale, mais l’association n’a pas été représentée. Ils nous ont demandé seulement quelques chiffres avant de partir. »

Son association demande au ministère de faire une prise en charge à l’instar de la tuberculose et du Sida.

Quant à Christine Ndayishimiye, présidente de l’APD, elle demande aux parents d’aller se faire dépister. Au gouvernement, elle demande d’encourager les futurs mariés à se faire dépister avant le mariage. Elle rappelle que la drépanocytose est une maladie héréditaire transmise par les deux parents qui ont des gènes de cette maladie.

Suite à un agenda chargé, la direction du programme chargé des maladies chroniques a promis de s’exprimer ultérieurement.


Dr Tharcisse Gasogo : « Il faut un bilan prénuptial »

 

Ce médecin biologiste clinicien et enseignant à la faculté de médecine recommande un dépistage systématique avant le mariage pour lutter contre la drépanocytose.

C’est quoi la drépanocytose ?

C’est une anomalie de la protéine appelée hémoglobine contenue dans les globules rouges. C’est la protéine qui fixe l’oxygène pour des échanges gazeux au niveau du sang chez les personnes normales. Notons aussi que la drépanocytose est une maladie héréditaire. Elle se transmet de façon verticale. Ce sont les parents qui transmettent la maladie à leurs enfants.

De quelle manière ?

Il y a deux types d’anomalie de l’hémoglobine. L’hémoglobine AS ou l’hémoglobine SS. Les personnes qui ont l’hémoglobine AS sont des personnes appelées hétérozygotes, celles qui ont l’hémoglobine SS sont homozygotes. La forme homozygote est la forme de maladie qui présente beaucoup de signes cliniques. Elle est presque incompatible avec la vie. On aura des enfants qui auront du mal à grandir. Généralement, il faut savoir que les parents qui ont la forme AS sont asymptomatiques. Ce sont ces parents qui vont transmettre cette anomalie à leurs enfants. Un parent AS et un autre parent AS ont beaucoup de risques  de donner naissance à un enfant qui a une hémoglobine SS.

Peut-on lutter contre la drépanocytose ?

Pour la prévention, il faut éviter le mariage entre un garçon et une fille qui ont une anomalie de l’hémoglobine AS. Comme je le disais, l’hémoglobine AS est une anomalie biologique car cliniquement la personne n’a pas de signe. Donc il n’y a pas de souffrance. C’est une personne normale, qui va vivre comme les autres, mais qui va transmettre cette anomalie à son enfant. Ce qui est très important pour éviter la transmission, c’est qu’il ne faut pas que deux individus qui ont la même anomalie, l’hémoglobine AS, puissent se marier.

Comment un drépanocytaire peut-il faire face à sa maladie ?

Le plus souvent, les victimes sont des enfants. Ce sont surtout les parents qui doivent savoir comment s’y prendre. Il faut savoir que quand l’enfant n’est pas malade, quand il n’y a pas une déshydratation, quand il n’y a pas une maladie comme une fièvre ou le syndrome grippal, l’enfant est normal. C’est dans des conditions plus ou moins pathologiques, que l’hémoglobine au niveau des globules rouges forme et déforme en même temps les globules rouges. Et ces globules rouges deviennent comme des corps étrangers au niveau de l’organisme.

Quel comportement adopter ?

Il faut qu’il y ait un suivi médical. Il faut que chaque parent qui a un enfant drépanocytaire sache que dès qu’apparaît une fièvre, il faut consulter le plus rapidement possible. Eviter des situations de déshydratation pour les enfants. S’il y a une fièvre, il faut donner un médicament et aller consulter. Essayer de suivre les conseils des médecins pour éviter justement qu’il y ait d’autres situations pathologiques qui puissent maintenir l’enfant dans des conditions de crise.

Une recommandation à faire au ministère de la Santé ?

Au niveau du ministère, il y a des actions en cours, mais il y a encore à faire parce qu’il y a peu de médecins pédiatres. Or, le taux de prévalence peut varier jusqu’à 25 %. C’est beaucoup. On a beaucoup de cas de drépanocytose actuellement. Il faut beaucoup de médecins pour suivre ces enfants.

Et la communauté ?

Je pense qu’il faut un dépistage systématique si possible avant le mariage pour que deux individus sachent qu’ils n’ont pas cette anomalie. Cela se fait pour d’autres maladies, comme le VIH. Il faut un bilan prénuptial. C’est vraiment important.

Propos recueillis par Emery Kwizera

 

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. Isidore NKUNZUMWAMI

    Il est dit dans cet article qu’un enfant drépanocytaire ne peut pas faire du sport!!
    Idée très fausse.
    La réalité est que : « Les personnes drépanocytaires peuvent pratiquer quasiment tous les sports sauf ceux avec différence de pression (la plongée sous marine, le saut en parachute…) ou associés à un stress intense (saut à l’élastique…). Si vous souhaitez faire de la compétition, parlez-en à votre médecin spécialiste de la drépanocytose. »
    L’enfant drepanocytaire doit faire toutes les activités dès que les encadreurs connaissent qu’il est porteur de cette maladie afin de ne pas le pousser à l’extrême pour certains sports.

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