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INTERVIEW EXCLUSIVE – Mme Twagirayezu : « A Bukemba, la polygamie est presqu’une coutume »

17/12/2020 Commentaires fermés sur INTERVIEW EXCLUSIVE – Mme Twagirayezu : « A Bukemba, la polygamie est presqu’une coutume »
INTERVIEW EXCLUSIVE – Mme Twagirayezu : « A Bukemba, la polygamie est presqu’une coutume »
Mme Françoise Twagirayezu, administrateur de Bukemba

Aller à la source, faire remonter l’information du Burundi profond, souvent oublié. Cette semaine, lwacu s’est rendu à Bukemba dans l’est du pays. Rencontre avec Mme Françoise Twagirayezu, administrateur de la commune qui entame son deuxième mandat. Elle évoque les défis de sa commune et les projets qu’elle compte mener.

Comment est la cohabitation post-électorale ?

Ici, il y a principalement trois partis politiques : le Cnl, le Cndd-Fdd et l’Uprona. La cohabitation est très bonne. Pas d’incidents à signaler même durant la campagne. Pas d’accrochages entre les jeunes des différents partis politiques.

Et cette grenade lancée chez un membre du Cnl durant les élections collinaires ?

Après des investigations, nous avons découvert que c’était lié aux conflits fonciers. L’information a été mal partagée et les gens ont lié cela aux élections collinaires. Ce n’est pas vrai.

On observe un grand mouvement de retour des réfugiés. Quelle est la situation à Bukemba ?

Ils rentrent massivement, surtout de la Tanzanie. Pour ceux qui avaient fui en 2015, les défis ne sont pas très grands, ils retrouvent leurs maisons, on a veillé sur leurs biens, terres. L’accueil est chaleureux.

Qu’en est-il de ceux 1993 ou 1972 ?

Pour cette catégorie, quelques problèmes se posent. Certains hommes rentrent avec d’autres femmes et enfants. Seulement, dans notre région, nous sommes habitués à la polygamie.

Comment de tels cas sont-ils gérés ?

L’homme doit retourner chez la femme légitime. Ce qui ne signifie pas que la deuxième est chassée. Il doit l’entretenir et subvenir aux besoins des enfants.

Avec plusieurs conséquences sociales n’est-ce pas ?

Oui, c’est une des causes de la pression démographique galopante. Notre commune compte actuellement plus de 71 752 habitants répartis en 13 218 ménages, sur une superficie de 251,3 km2.

La polygamie est presqu’une coutume et difficile à gérer. Avoir une seule épouse semble très difficile pour certains hommes. Nous avons essayé de punir les coupables, mais il reste un long chemin à faire pour décourager cette pratique.

Il semble que la polygamie est encouragée par une bonne production agricole. Vous confirmez ?

Peut-être, car on l’observe souvent pendant la saison sèche après la récolte du manioc et du riz. Après avoir vendu des tonnes de manioc, des hommes se permettent un « deuxième bureau. » Ce qui nous surprend, c’est que les épouses légitimes semblent comprendre cela. Elles ne se plaignent pas.

Quid des conséquences de la crise de 1993 ?

En 1993, comme dans tout le pays, Bukemba a été touchée par la crise. Mais, il n’y a pas eu de tueries interethniques. Seules les collines Gihofi et Kabanga ont été touchées. Des gens ont fui. Pour le moment, nous avons l’impression que ceux qui ont fui ont déjà oublié cela. Car, ils sont bien accueillis sur leurs collines. La réconciliation est en cours.

Remontons sur 1972…

C’est là que nous avons un sérieux problème. Parce que les différents présidents de la CNTB n’ont pas travaillé de la même façon. Au début, on privilégiait l’entente, le partage entre les rapatriés et les résidents. Mais, avec la deuxième équipe, la situation s’est compliquée. Elle a créé beaucoup de problèmes, de conflits.

Comment ?

Au lieu de mettre en avant le dialogue, elle a privilégié une partie des Burundais : les rapatriés. Les résidents étaient directement chassés. Car, ils avaient été installés dans ces terres par l’Etat. Ce qui a entraîné des contestations très musclées. Pour s’opposer à la mise en application des décisions de la deuxième équipe dirigeante de la CNTB. Des destructions des maisons, des jets de pierre ont eu lieu. Côté administration, nous étions pour le dialogue. Heureusement, la troisième équipe gère convenablement la situation. Nous apprécions sa stratégie.

Il apparaît que votre commune a été touchée par différentes crises. Est-ce que la CVR y a déjà mené des enquêtes ?

Pas encore. Nous souhaitons qu’elle arrive sur terrain pour s’enquérir de la situation. La population est prête à témoigner. Les jeunes générations ont besoin de connaître la vérité.

Du point de vue économique, qu’est-ce qui fait vivre les gens de Bukemba ?

Ils vivent de l’agriculture, de l’élevage et du commerce. Le manioc constitue leur première richesse. Cette culture leur permet des s’acheter des véhicules. Ils cultivent aussi le riz surtout dans la plaine de Muramarugwe et Mugiga. Cette culture constitue la base de la richesse pour les habitants de Muramarugwe. Il y a des marais rizicoles bien aménagés. Il y a aussi l’élevage du petit bétail surtout.

La culture du manioc a été frappée par la mosaïque. Bukemba n’a pas été touchée ?

Oui. La commune de Bukemba n’a pas été épargnée. Mais, les agriculteurs ont finalement trouvé des semences qui résistent. Des pertes ont été enregistrées pendant au moins deux ans. La culture du bananier n’est pas très développée. On le déracine même pour y planter du manioc.

Pas de cultures d’exportations ?

Ici, le café n’est pas vraiment cultivé. Il est seulement présent sur deux collines : Ruranga et Rubanga. La plaine n’est pas très favorable pour cette plante. Les gens ont essayé, en vain.

Il paraît que les termites procurent aussi beaucoup d’argent ?

(Rires.) Elles sont très appréciées dans notre région. Leur saison se situe dans les mois de novembre-décembre. Elles sont vendues sur les marchés et sont très chères. 1 kg coûte 10mille BIF. Certaines personnes investissent dans l’achat des termitières. Avec les recettes, certains arrivent à s’acheter t des vaches à chaque saison.

Vous êtes frontaliers avec la Tanzanie. Comment se portent les échanges ?

C’est de la Tanzanie que vient la majorité des vaches abattues ici à Bukemba. Là, elles sont moins chères. En cas de faible production, on s’y approvisionne en manioc, en haricot et en maïs. De leur côté, les Tanzaniens achètent ici de l’huile de palmier, des savons, etc.

On dénonce souvent des fraudes sur la frontière. Et à Bukemba ?

Elle a sensiblement diminué sur notre frontière avec la Tanzanie, car les passeurs sont des Burundais. On surveille nos produits. Avant, la fraude se faisait surtout pour les produits Brarudi. Nous avons expliqué qu’il est strictement interdit de laisser ces produits sortir du Burundi pour éviter leur carence ici à Bukemba et la flambée de leur prix.

Quid des infrastructures sanitaires ?

Nous avons cinq centres de santé (CDS) et le seul hôpital de Gihofi. Ce n’est pas suffisant, les habitants font de longues distances pour se faire soigner. Nous manquons cruellement de spécialistes.

Comment avez-vous accueilli l’annonce de transformer un CDS dans un hôpital dans chaque commune ?

Nous l’avons très bien appréciée, car il y a des collines très éloignées de l’hôpital de Gihofi. Une fois faite, cela va alléger le trajet des patients. Nous avons des ambulances, mais elles tombent souvent en panne, comme tout charroi de l’Etat, elles ne sont pas bien entretenues. La population contribue pour l’achat du carburant.

Aujourd’hui, il y a la pandémie de Coronavirus. Que faites-vous pour prévenir ?

C’est vraiment une situation préoccupante. Ici, nous continuons à sensibiliser la population à observer les mesures barrières. Des équipements de lavage sont installés dans tous les lieux de grands rassemblements. Sur la frontière, nous avons réduit les points d’entrées : de huit, ils sont passés à trois, ce qui facilite le contrôle. Et des équipes médicales sont sur place.

La région est réputée pour ses croyances obscurantistes comme la sorcellerie. Un changement ?

Aujourd’hui, il y a une évolution positive des mentalités. Avant, même en cas de malaria, on disait que c’est de la sorcellerie. Avec des séances de sensibilisation, les gens de Bukemba consultent les médecins. Mais, comme nous sommes proches de la Tanzanie, on dit souvent que les ‘’ sorciers’’, les ‘’ féticheurs’’, se ressourcent là-bas.

On dit souvent que les gens du Kumoso n’aiment pas l’école. Quelle est la situation chez vous ?

Ce n’est pas vrai. On évolue. Par exemple, côté infrastructure, nous avons 25 Ecofo et huit lycées communaux. Les enfants répondent massivement. Ils sont en surnombre dans certaines classes. Même les filles sont très présentes dans les écoles. Avant, elles abandonnaient l’école pour se marier à des motards, des chauffeurs, etc. Il fut un temps où c’était tellement très difficile de trouver une fille universitaire à Bukemba. Il y a actuellement un suivi des parents. Ce qui fait que les bancs pupitres sont largement insuffisants. Les parents essaient de se débrouiller, mais leurs efforts sont limités.

Mais, il semble que le taux d’abandon est très élevé…

Pas de façon générale. Il est élevé sur la colline Muramarugwe. Les enfants abandonnent l’école pour cultiver le riz. Pour limiter les abandons, on s’est convenu avec les responsables de la SOSUMO de ne pas embaucher des enfants dans leurs plantations de canne à sucre.

Avec le système fondamental, l’école de métiers est de plus en plus privilégiée. Combien en disposez-vous ?

Nous avons un centre de métier avec la filière agro-pastorale. Malheureusement, les jeunes sont réticents. Cette année, nous n’avons reçu aucun candidat. Des vaches, des chèvres, des lapins, sont là. Mais, pas d’apprenants pour s’en occuper. C’est finalement la commune qui est obligée de prendre en charge l’école. Les jeunes ne sont pas intéressés par cette filière. Nous avons seulement eu deux promotions, mais actuellement, le centre est boycotté. L’autre école de métier se trouve dans la zone Butare. Mais, elle ne fonctionne pas. Car, il n’y a pas d’électricité.

On a parlé dernièrement des conflits entre les Eglises dans votre commune. Quelle est la situation actuelle ?

Ici, les églises sont nombreuses. Mais, elles cohabitent pacifiquement. Un incident s’est produit dans l’église Pentecôte. En fait, elle s’est scindée en deux : Pentecôte Kayogoro et Pentecôte Kiremba. Alors, les deux ont construit des lieux de culte dans une même localité. Et le différend a eu lieu au moment de leur inauguration. Mais l’administration provinciale s’est rendue sur place et a tranché. Comme c’était impossible de détruire ces églises, on leur a recommandé de cohabiter dans le respect mutuel. Et la situation est calme.

Mme l’administrateur, c’est votre deuxième mandat à la tête de Bukemba après celui de 2005-2010. Quels sont vos principaux projets ?

Nous avons besoin de l’électricité dans la zone Butare. Une université aussi dans notre commune. Il y a beaucoup de lauréats qui peuvent fréquenter l’université. Mais comme c’est très loin, à Bujumbura, ils n’ont pas de familles, de proches là-bas, ils restent à la maison. Nous pensons que si l’Université est proche, elle servira Bukemba et Giharo.

Il faut en outre qu’on canalise la rivière Musasa. Ses crues détruisent la route goudronnée et des champs rizicoles. Nous comptons aussi multiplier les écoles pour désengorger les classes en surnombre. Il faut aussi un autre marché moderne dans la zone Butare.

Propos recueillis par Fabrice Manirakiza & Rénovat Ndabashinze

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