Vendredi 19 avril 2024

Environnement

Interview exclusive avec Jean-Marie Sabushimike :« Il faut arrêter l’étalement de Bujumbura en hauteur »

13/07/2022 3
Interview exclusive avec Jean-Marie Sabushimike :« Il faut arrêter l’étalement de Bujumbura en hauteur »

Retards du début des travaux de stabilisation des rives de la Rusizi, les risques des constructions en hauteur, la gestion des déchets, comment rendre Bujumbura plus résiliente… Jean-Marie Sabushimike, géomorphologue et professeur d’universités, fait le point.

Nous sommes en période de saison sèche. N’est-ce pas le moment favorable pour exécuter les travaux de protection de Gatumba contre les crues de la Rusizi ?

En effet, mais, pour cette saison, je pense que c’est trop tard. Il faut un projet costaud pour montrer les coûts et comment les travaux seront faits. Et c’est un projet inévitable. Sinon, on restera toujours dans cette perpétuelle détresse des populations de Gatumba. Je m’interroge : ‘’On attend encore des déplacés jusque quand’’? Si ces travaux ne sont pas exécutés, Gatumba se retrouvera encore une fois les pieds dans l’eau.

Que proposeriez-vous ?

Il faut appeler les experts pour se pencher sur ce dossier techniquement et financièrement. Il faut intégrer la gouvernance dans la gestion des risques. Et la gouvernance renvoie à des outils politiques et légaux. Quand je parle des outils politiques, il faut absolument intégrer les risques d’inondation de Gatumba dans le plan communal de développement communautaire.

Et pour ce genre de projets, si les moyens de l’Etat ne sont pas suffisants, la coopération internationale prévoit cela. Le grand problème est de pouvoir monter un projet pour, par exemple, construire les digues de la Rusizi. Et là, je ne doute pas un seul instant de la nécéssité de recourir à une coopération internationale solide pour donner les moyens suffisants.

Mais pourquoi ces inondations y sont très récurrentes ?

Deux facteurs expliquent cette situation. Il y a des prédispositions naturelles. Gatumba se trouve dans le delta de la Rusizi qui, auparavant, était occupé par les eaux du lac Tanganyika. Consécutivement aux changements du niveau de régulation de la Lukuga, les terres de Gatumba se sont mises en place progressivement.

Cette zone a une topographie plane très favorable aux inondations. Et ses sols sont aussi très propices aux inondations. Ils sont à majorité des sols sableux, fins, mélangés d’argile. Du point de vue hydrographique, la nappe phréatique se trouve presqu’en surface. Ce qui favorise aussi les inondations.

L’autre facteur naturel est le changement climatique déclenchant ces inondations. Pour autant, il ne faut pas ignorer le rôle de l’homme.

Comment ?

Gatumba connaît une pression démographique sur son environnement. La croissance de la population est impressionnante. En 1979 avec le premier recensement, Gatumba compte 3. 200 personnes, en 2008, elle était à 27361 personnes et en 2021, elle atteignait presque 33 mille personnes.
Cette croissance devient donc un facteur aggravant, car elle entraîne des aménagements spontanés sans règles d’urbanisme.

Gatumba n’a pas de plan local d’aménagement. En même temps, on y observe une croissance démographique, même dans les zones à très haut risque d’inondation. Elle n’est pas viabilisée. Il existe des pistes de communication, mais sans aucun système de drainage des eaux pluviales rassurant. Ce manque de viabilisation découle de l’absence de ce plan local d’urbanisme. Et les constructions sont très anarchiques, ce qui crée un problème sérieux d’assainissement et d’hygiène. Tous ces facteurs anthropiques exacerbent les impacts du changement climatique.

Et la rivière Rusizi ?

Il ne faut pas oublier que cette zone est coincée entre les deux Rusizi. Et c’est la grande Rusizi qui est à l’origine des inondations récurrentes.
Il est important aussi de souligner que les inondations, au cours de ces dernières années, sont aussi provoquées par l’augmentation du niveau des eaux du lac Tanganyika. Ce qui entraîne le phénomène de diffluence. Jusqu’à aujourd’hui, les quartiers de Mushasha I et II se trouvent dans une situation de détresse.

Les Mirwa aussi ne sont pas stables, ces derniers mois. Qu’est-ce qui se passe ?

Là, on observe des glissements de terrain, des ravinements. La vulnérabilité des Mirwa n’est autre que ces glissements de terrain qui nous coûtent cher avec les coupures des routes de façon régulière. Je donne l’exemple de la RN3 bloquée depuis presque deux semaines.

Malgré la vulnérabilité de ces montagnes, des constructions en hauteur se multiplient. Est-ce sans conséquences ?

L’aménagement du territoire est un facteur qui déclenche des risques naturels voire des catastrophes naturelles. La croissance incontrôlée de la ville de Bujumbura dans les escarpements des failles des Mirwa me fait peur. Ces constructions se retrouvent dans un contexte géologique très vulnérable. Ce sont des coupes de roches très altérables et encore fracturées.

C’est cet étalement en hauteur qui accélère le ravinement de la ville de Bujumbura. Et ces ravins sont à l’origine des catastrophes comme celle de Gatunguru en 2014, Cari, Kuwinterekwa, etc. Sur la route Bujumbura-Rumonge, il y a beaucoup de ravins naissants. Ce qui va coûter cher à l’entreprise qui va construire cette route.

Que faire alors ?

Il faut arrêter l’étalement de Bujumbura en hauteur. Cela peut compromettre son développement urbain. Parce que ces problèmes qui se posent en amont ont des répercussions en aval qui sont à l’origine des catastrophes que nous observons aujourd’hui.

La situation telle qu’elle se présente aujourd’hui devrait interpeller les pouvoirs publics. Il faut absolument que l’on commence à porter une attention particulière sur ce phénomène de croissance urbaine vers les montagnes.

Mais ce n’est pas interdit de construire en hauteur ?

C’est possible de construire dans les montagnes, mais il faut s’assurer que l’on construit dans des zones stables. Car il y a des personnes qui se suicident en s’installant dans les ravins. Dans les quartiers périphériques de Gihosha, on voit qu’il y a des maisons installées dans les ravins. Idem à Gikungu. On voit qu’il y a des maisons suspendues sur des mégas glissements.

J’observe l’absence d’une cartographie des risques naturels qui devraient générer un plan de prévention des risques sous forme d’une loi. Une loi pour la prévention des risques et la prévention des catastrophes. Cela existe ailleurs, pourquoi pas ici ?

Des initiatives de ramassage des sachets, des bouteilles en plastique se remarquent surtout en commune Mukaza. Votre commentaire.

C’est une bonne chose de voir une autorité sensible à la gestion des déchets solides et liquides. Il faut l’encourager.

Ce qui m’intéresse surtout c’est que ces autorités travaillent avec des plans précis pour la gestion des eaux usées, des eaux pluviales, des ordures ménagères, etc.

Il faut un plan d’assainissement. Il y a un rapport national sur l’assainissement, mais il dort dans les tiroirs. Pourtant il contient des informations extrêmement importantes. Pourquoi les autorités ne peuvent pas, à partir de ce plan, construire leurs propres documents de travail qu’elles intégreraient dans leurs plans communaux de développement communautaire ?

En outre, je pense que les contributions des organisations de la société civile peuvent être très utiles si les pouvoirs publics acceptent leurs contributions, leur complémentarité.

Est-ce normal qu’une ville comme Bujumbura n’ait pas des décharges publiques fonctionnelles ?

Non. Et c’est lié à cette absence de planification. S’il y avait un plan d’assainissement de la ville de Bujumbura, ledit document devrait indiquer les lieux des décharges publiques. Aujourd’hui, j’ai l’impression que ce sont les ravins et les rivières qui traversent la ville de Bujumbura qui ont été transformés en décharges publiques. C’est vraiment dommage! Il existe des associations qui ramassent les ordures ménagères mais elles les mettent où ?

Que faire pour rendre Bujumbura résiliente avec un développement durable ?

Il faut conjuguer beaucoup de facteurs. Le premier facteur : la disposition des outils d’urbanisme dans leur ordre d’importance, c’est-à-dire le schéma directeur d’aménagement de la ville de Bujumbura. Il nous manque cruellement. On dispose du code de l’urbanisme. Ce dernier devrait en principe découler du schéma directeur d’aménagement de la ville de Bujumbura. Ce n’est pas le cas.

Le deuxième facteur est un plan local d’urbanisme. Chaque commune devrait avoir son plan local d’urbanisme en fonction de ses objectifs de développement dans un environnement viable. Aujourd’hui, en France, on parle de schéma de cohérence. Il s’agit d’actions de développement qui doivent être cohérentes pour résoudre les inégalités sociales, pour l’aménagement durable, pour la viabilité environnementale… Et ce en fonction des besoins de la population de la région.

Enfin, il faut avoir un plan de prévention des risques et de gestion des catastrophes.

Est-ce qu’il n’y a pas de bons textes qui dorment dans les tiroirs ?

Il y a eu des tentatives d’application des lois et textes en matière de protection de l’environnement, de l’assainissement, etc. Au regard des constructions dans les différents quartiers de Bujumbura, des étages qui naissent dans le désordre, il n’y a pas de chemin local d’urbanisme. Chaque personne se lève et construit en étages à trois niveaux, quatre niveaux, etc. Personne ne l’arrête pour lui dire qu’il faut, dans tel quartier, construire de façon homogène. Or, l’esthétique est un élément de viabilité d’une ville.

Propos recueillis Rénovat Ndabashinze

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. Jambo

    Ça faisait 20 ans ntaje au Burundi.
    Les constructions que j’ai vues dans les contreforts, au dessus de Mutanga et Gihosha m’ont tout simplement glacé.
    Nous préparons now tombes. Hariho abatwara?

  2. Biyago

    Merci Mr le professeur pour ces différentes analyses. Vous évoquez plusieurs documents qui permettraient de cadrer l’utilisation des sols, et évoquer notamment la nécessité d’avoir des « plans locaux d’urbanisme ». Permettez moi d’ajouter que ces plans locaux d’urbanisme ne peuvent être effectif que lorsque les communes ont des compétences en matière d’aménagement, d’urbanisme et de construction. Or aujourd’hui ces différents domaines sont très centralisé, ce qui a pour conséquences qu’on n’a pas d’outils adaptés aux spécificités des différents territoires. C’est pourquoi il serait opportun d’aller plus loin par rapport « au Projet de Loi portant délimitation des Provinces, Communes, des Zones, des Collines / Quartiers de la République du Burundi ». Ne pas se contenter d’une loi de délimitation administrative, mais faire de cette loi une véritable « LOI DE DÉCENTRALISATION » avec une véritable refonte des compétences et pouvoirs qui seraient transférés aux communes, notamment en matière d’urbanisme. Il est temps que les autorités publiques prennent les choses en main, fassent intervenir des experts ingénieurs, géomètres, juristes, compétents en matières d’urbanisme, d’aménagement, et gestion des risques afin de faire de ce « Projet de loi portant délimitation … » un véritable outil de décentralisation et de définition d’objectifs ambitieux en matière d’aménagement et d’urbanisme pour l’ensemble du territoire.

  3. Mbariza

    Monsieur le professeur, urakoze cane wavuga nuko atawo ubwira.
    Proposition : Pourriez-vous approcher le PNUD et lui demander un financement pour organiser une conférence de sensibilisation des différents intervenants dans l’organisation urbaine ?
    Nous avons l’habitude de voir la société se dégrader au vu et au su de tout le monde, hanyuma tugakoma induru amazi yamaze kurenga inkombe. D’où vient cette passivité dans la gestion administrative de nos institutions ? Incompétence généralisée ou manque de vision ?

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