Samedi 27 avril 2024

Environnement

Interview exclusive avec Dr Athanase Nkunzimana : « Pour sauvegarder Bujumbura, on doit commencer par des travaux en amont ».

23/02/2024 2
Interview exclusive avec Dr Athanase Nkunzimana : « Pour sauvegarder Bujumbura, on doit commencer par des travaux en amont ».

Remontée des eaux du lac Tanganyika ; intensification des mouvements de masse dans les Mirwa ; mobilisation des fonds pour faire face aux catastrophes naturelles, … Dr Athanase Nkunzimana, enseignant chercheur à l’Université du Burundi ainsi qu’expert en prévention des risques et gestion des catastrophes hydrométéorologiques fait son analyse. Il propose aussi des actions pour rendre Bujumbura résiliente.

Quelle est la situation sur les effets des changements climatiques au Burundi ?

Là, il faut noter d’abord qu’au Burundi, les effets des changements climatiques sont une réalité.

Les preuves ?

Depuis un certain temps, vous avez tous observé à des fluctuations des saisons ou variabilités saisonnières.

Que ça soit pour la saison culturale A ou B, les pluies ne tombent plus à une date qui était prévisible dans le passé.

Pour la saison A, on s’attendait à ce que les premières pluies tombent dans les premières dates de septembre. Dans l’ensemble du pays, on commençait à avoir les premières pluies le 15 août, jour de l’Assomption.

Mais, actuellement, depuis quelques années, on assiste à des pluies qui viennent tardivement, c’est-à-dire fin septembre, début octobre.

L’autre élément c’est l’intensité des précipitations. On assiste à des pluies torrentielles et intenses qui causent des dégâts humains et matériels.

Souvenez-vous des inondations de Gatunguru en 2014, de Kuwinterekwa, et de Buterere.

Dans le passé, les pluies étaient régulières. Aujourd’hui, l’intensité et la fréquence ont changé.

L’autre constat est qu’actuellement on connaît souvent la tombée de la grêle.

On l’a même observée dans la plaine de l’Imbo. Mais, dans le passé, cela était inexistant.

Ce qui est plus marquant encore, en 2023, les premières pluies de septembre dans la province de Muyinga, à Mwakiro, c’était de la grêle. Ce qui est vraiment anormal.

Il faut noter aussi qu’il n’y a plus de la petite saison sèche (Umukubezi).

Aujourd’hui, nous sommes au mois de février. Et voilà, il pleut comme si on était en novembre. Avant, on assistait à une diminution sensible des pluies.

Ce qui entraîne des inondations devenues très fréquentes. On assiste à des mouvements de masse, à des glissements de terrain, à l’effondrement des berges des rivières, etc.

Aujourd’hui, les riverains du lac Tanganyika vivent dans la peur. Ils craignent une nouvelle montée de ses eaux. Cette peur est-elle fondée ?

La peur est compréhensible. En effet, à voir le rythme de cette montée, c’est inquiétant. Elle est progressive.

De ma part, je dirais que les riverains et les habitants de la ville de Bujumbura devraient être conscients que notre ville se trouve dans une zone à très haut risque d’inondations.

Si cette allure continue, attendons-nous à une catastrophe naturelle avec des dégâts humains et matériels considérables. Particulièrement, ceux qui habitent à l’ouest de l’avenue du Large devaient se préparer conséquemment.

Existe-t-il un précédent ?

La peur est liée à cela même. En 1964, on dit que les eaux du lac Tanganyika sont arrivées même au niveau du siège de la RTNB (Radiotélévision nationale du Burundi) et qu’elles ont envahi les quartiers asiatiques et Buyenzi.

A cette époque, il n’y avait pas beaucoup de constructions ni de maisons d’habitation.

Ce qui signifie que si cela se reproduit aujourd’hui, les dégâts seraient énormes parce qu’actuellement, l’espace est totalement occupé.

Il faut toutefois attendre les prévisions pluviométriques de l’Igebu (Institut géographique du Burundi) tout en restant en alerte.

Vous dites que l’espace est totalement occupé. Cependant, il y a des textes instituant une zone tampon du lac Tanganyika et celle des rivières qui traversent la capitale économique. Quid de son respect ?

Le constat est amer. Pour le lac, il y a une zone de 150 m qui devait être respectée. Et pour les rivières, c’est 50 m de part et d’autres des rives.

Malheureusement, actuellement, les gens y ont construit des maisons, des hôtels et bien d’autres infrastructures. Et ce, depuis Gatumba jusqu’au sud de Bujumbura.

Des fois, on abuse. A côté de ces zones tampons, il y en a qui construisent jusque dans l’eau. D’autres font l’extraction du matériel de construction.

Tout cela exacerbe le risque des inondations, des crues et fragilise les berges de ces rivières. Or, sur ces distances indiquées dans la loi, il ne devrait y avoir aucune activité humaine.

Actuellement, on constate une tendance à construire dans les Mirwa. Est-ce à encourager ? Est-ce que cela n’accentue pas la vulnérabilité de la ville ?

La vulnérabilité de la ville de Bujumbura est exacerbée par les activités anthropiques qui se réalisent dans les Mirwa.

L’agriculture, les constructions illégales sans respect des lois environnementales rendent très fragile la capitale économique.

Cela amplifie en effet le phénomène d’inondation, de glissement de terrain observé tout autour de la ville de Bujumbura. Dans la plupart des cas, au niveau de ces versants et de ces pentes qui sont longues et raides, lorsqu’il pleut abondamment alors qu’il y a plus de végétation, plus de 70 % de l’eau ruisselle.

Avec les matériaux charriés, les rivières se comportent comme des torrents qui viennent avec des pierres, des troncs d’arbres, des bananiers, etc. Cela fait qu’au niveau des cours d’eau, on a des dépôts qui nécessitent des curages répétitifs.

Aujourd’hui, le pays dispose d’une cartographie des zones à risques. Une avancée ?

Oui. C’est une bonne chose qu’on ait pu avoir cette cartographie multirisque. Mais, il faut aller au niveau local.

Qu’à chaque niveau, on monte une carte à grande échelle qui montre réellement le risque.

Sinon, si on prend dans l’ensemble, une carte de Bujumbura, d’une province, ce n’est pas plus précis. Le mieux serait qu’on ait une carte à très grande échelle pour des zones spécifiques.

Le gouvernement partirait de ces cartes pour faire les PPR (plans de prévention des risques) afin de montrer quelles sont les zones à très haut, à moyen et à faible risque.

Comment évaluez-vous les actions de sensibilisation de la population face aux changements climatiques ?

Je commence par saluer le rôle très important joué par les médias en ce qui est de l’alerte sur ces effets des changements climatiques.

Mais, ce qui est étonnant au niveau de la base, les populations ne reçoivent pas le message comme on le croit. Même si le message est lancé, quand vous allez dans les communautés, vous constatez que les gens s’en foutent presque.

Ils n’ont pas cette culture du risque. La population reste ignorante en la matière.

On voit qu’il y a des effets des changements climatiques mais dans ses pratiques et son comportement, la population est très en arrière. Elle n’est pas sensible.

Même si on leur dit qu’il y aura de fortes précipitations ainsi que des températures élevées, elle vous répond que même dans le passé cela a eu lieu.

Les gens ignorent qu’on est dans les changements climatiques.

Que faire alors ?

Il faut qu’on change de mentalités et qu’on ait cette prise de conscience par rapport aux risques. Il faut des messages de sensibilisation accompagnés par des actions concrètes.

C’est-à-dire ?

Par exemple, on alerte que la semaine prochaine il y aura beaucoup de précipitations.

Mais quand vous allez dans les quartiers, aucune activité n’est entreprise en matière de curage des caniveaux alors que le message est lancé.

Vous passez devant la parcelle de quelqu’un vous trouvez que le caniveau est bouché, il laisse comme ça.

Cela montre qu’on n’est pas encore conscient du danger lié aux changements climatiques.

Dans les Mirwa, le phénomène de ravinement s’amplifie. Pourquoi ?

Cela est lié à plusieurs facteurs dont quatre principaux. C’est d’abord lié à la lithologie ou la structure des roches en place.

Parce que si vous allez à l’intérieur du pays, vous trouverez des régions abruptes mais où il n’y a pas de glissements de terrain. En deuxième lieu, il y a les activités anthropiques.

Il existe des zones où les activités agricoles ; l’installation des maisons ; le traçage des routes, … ne suivent aucune planification. On y trouve donc un désordre sur un terrain pentu, malléable, constitué par des roches qui sont tendres.

Il se produit automatiquement un système de ravinement qui s’intensifie.

Et là, c’est l’Homme qui en est la source en changeant la couverture végétale du sol.

C’est lié aussi à l’économie. Les gens qui s’implantent sur ces hauteurs n’ont pas de moyens pour pouvoir canaliser ces eaux ou construire de façon respectueuse de l’environnement avec des constructions en matériaux durables, etc.

Et la part des changements climatiques …

Oui. Les changements climatiques constituent le 4e élément. Ils exacerbent tout.

Quand il tombe abondamment sur un terrain nu, où le système d’évacuation des eaux est absent, où il y a un ravinement intense, automatiquement, ces ravins s’intensifient. A un certain moment, on a des ravins de 30 m, 50 m, etc.

Bref, l’Homme est la cause et en même temps la victime des changements climatiques.

Vos propositions pour rendre Bujumbura une ville résiliente

On peut rendre Bujumbura une ville résiliente. Et là, les Français le disent bien : pour avoir de l’omelette, il faut casser les œufs. Il faut une restructuration des quartiers spontanés.

Et ce, quel que soit le coût que cela va entraîner au gouvernement ou à la population. Le gros des quartiers nés après 1993, c’est dans un désordre total.

Il faut aussi faire appliquer la loi et faire en sorte que la ville de Bujumbura soit une ville verte. A ce sujet, il faut créer des espaces verts. Les routes ne doivent pas être en contact direct avec les maisons.

Il faut laisser des espaces pour la respiration de ces routes. Aussi, il est important de réviser le système d’évacuation des eaux pluviales. Si vous allez dans certains quartiers, vous constatez que les caniveaux sont sous-estimés en termes de dimensions alors qu’ils doivent évacuer beaucoup d’eau.

L’assainissement de la ville et la correction de la voirie urbaine doivent être faits.

Je dois également souligner que pour sauvegarder Bujumbura, on doit commencer par des travaux en amont. Les pratiques agricoles doivent être bien encadrées. Il faut revenir à ce qu’on appelle la restauration des Mirwa.

Il faut aussi la stabilisation de ces terrains à forte et longue pente.

Comment par exemple ?

On peut procéder par le traçage des fossés antiérosifs ou délimiter les zones à très haut risque.

Si on laisse le désordre tel qu’on l’a actuellement, les gens construisent dans les zones marginales ; ils cultivent comme ils l’entendent. Bujumbura en payera alors toujours les frais.

Il faut aussi des travaux en hauteur pour stabiliser les versants et permettre qu’il y ait l’infiltration ainsi que le ruissellement.

Depuis des années, Gatumba est inondée. Actuellement, l’Etat compte délocaliser les habitants et ces derniers résistent. Votre conseil.

Je suis désolé de voir que cette population semble être habituée à ces inondations. Elle commence à banaliser le phénomène.

Malheureusement, je dois leur dire qu’on ne s’adapte jamais aux risques climatiques.

Nous sommes dans un contexte de changement climatique où il peut pleuvoir abondamment, avec un flot d’eau ou un volume d’eau inattendu.

Je dois rappeler que cette population est guettée par deux risques : les crues de la rivière Rusizi et la montée des eaux du lac Tanganyika. Bref, cette population est coincée.

Mon conseil serait de les conscientiser. Ces gens sont dans une zone à très haut risque. Si le gouvernement leur trouve une zone de délocalisation, il faut y aller et revenir, peut-être, après que le gouvernement aura mis en place un système d’aménagement leur permettant d’être à l’abri.

Est-ce que le Burundi bénéficie des fonds suffisants pour faire face aux effets des changements climatiques ?

C’est cela qui est frustrant. Parce que nos pays, y compris le Burundi, ne polluent pas de manière comparable aux pays développés.

La pollution de l’environnement causée par le Burundi est très faible. Malheureusement, ce sont nos pays qui sont les plus vulnérables aux effets des changements climatiques.

Le Burundi n’a pas de moyens pour s’adapter et résister aux changements climatiques.

Même s’il y a un partenariat mondial, le fonds climat et d’autres qui sont là, il se pourrait que le Burundi n’a pas encore bénéficié d’un fonds consistant qui lui permettrait de mettre en place un système d’adaptation.

Il y a encore des lacunes en la matière. Les financements ne sont pas suffisants.

Il faut que le Burundi continue de frapper auprès des bailleurs pour qu’on puisse avoir des fonds consistants et à même d’aider nos populations à s’adapter aux changements climatiques.

Néanmoins, lors de la COP28, certains pays comme le Rwanda, le Kenya, la RDC, … ont bénéficié des fonds. Est-ce que le Burundi aurait gagné quelque-chose ?

Je ne sais pas les critères sur lesquels on se base pour allouer les fonds à un pays ou à un autre.

Mais ce dont je suis sûr, c’est que pour les pays qui sont en voie de développement comme le nôtre, il y a toujours un paquet qui leur est destiné afin de soutenir les activités ou les projets d’adaptation aux changements climatiques.

Pour le cas du Burundi, je crois qu’il faut encore négocier davantage. Car, notre population est très victime des effets des changements climatiques.

Il faudrait qu’il y ait une sorte de compensation parce que nous subissons des conséquences dont on n’est pas à 100% auteur.

Est-ce qu’on ne devrait pas mettre en place une équipe d’experts environnementaux et des cadres de l’Etat pour négocier lors des prochaines COP ?

Je crois qu’à ce niveau, au Burundi, on devrait quand même faire un lobbying et savoir comment d’autres pays font pour pouvoir convaincre les bailleurs.

Quelles sont les stratégies mises en place par d’autres pays afin de nous en inspirer.

Le Burundi devait avoir une équipe technique d’experts qui aiderait à montrer là où on est en termes d’émissions et termes de besoins ; qu’est-ce qu’il faut pour qu’on puisse s’adapter aux changements climatiques, etc.

Donc, il faut y aller avec un bon plaidoyer à utiliser.

Un message au gouvernement

Je le place dans la vision 2040-2060. Dans ce contexte des changements climatiques, le gouvernement devait tout faire pour que, dans tous les secteurs de la vie nationale, les projets soient préparés en tenant compte des changements futurs. Il faut des projets à long terme.

Est-ce que si on aménage cette zone et au cas où il y aurait beaucoup de pluies on pourra par exemple résister ? Telle est l’une des questions qu’on peut se poser par exemple.

Au niveau agricole, s’il pleut abondamment, est-ce que les agriculteurs pourront récolter ou non ?

En ce qui concerne l’élevage, s’il y a des maladies liées aux fluctuations climatiques, est-ce que le peuple pourra continuer à résister ? Dans chaque secteur : la santé, l’énergie, l’éducation, … il faut mettre en place des projets qui intègrent l’aspect changement climatique.

Forum des lecteurs d'Iwacu

2 réactions
  1. arsène

    « Malheureusement, je dois leur dire qu’on ne s’adapte jamais aux risques climatiques. »

    Ce propos venant d’un chercheur et enseignant étonne. Peut-on dire cela aux étudiant? Faudrait-il croiser les bras en se disant que l’on ne s’adapte pas aux risques climatiques? Je suis persuadé que l’on peut et cela est partagé par nombre de spécialistes et le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans ses différentes publications n’arrête de suggérer des techniques d’adaptation.

    A titre indicatif, je lui suggère de jeter un coup d’œil aux publications suivantes:

    Walter Leal Filho et al. (Eds.), 2016. Implementing Climate Change Adaptation in Cities and Communities: Integrating Strategies and Educational Approaches
    cover

    Silvia Macchi, Maurizio Tiepolo (eds.), 2014. Climate Change Vulnerability in Southern African Cities: Building Knowledge for Adaptation

    Rob Roggema & Rob Roggema (eds.), 2012. Swarming Landscapes: The Art of Designing For Climate Adaptation

    Philipp Schmidt-Thome & Johannes Klein (Eds.), 2013. Climate Change Adaptation in Practice: From strategy development to implementation

    Grimsson O. R. (auth.), Igor Linkov, Todd S. Bridges (eds.), 2012. Climate: Global Change and Local Adaptation

    Mark Pelling, 2011. Adaptation to Climate Change: From Resilience to Transformation

  2. Kibinakanwa

    Merçi beaucoup pour l’interview.
    Mbega muhora muraba akamaramaza kari sur les montagnes surplombant Bujumbura?
    Une catastrophe nous guette.

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