Samedi 27 avril 2024

Économie

Hausse des prix : De mal en pis

Hausse des prix : De mal en pis
Des shops fermées suite à la suspension des activités par les commerçants au marché de Ruvumera

Le carburant, les produits Brarudi, le sucre, le ciment Buceco, les documents administratifs … Pour augmenter ses ressources, l’Etat a décidé de revoir à la hausse les prix de plusieurs produits et d’introduire de nouveaux taxes et impôts.  La vie devient de plus en plus chère et la population trinque. Pour certains économistes, tous les ingrédients sont réunis pour que la bombe sociale éclate.

Par Fabrice Manirakiza, Rénovat Ndabashinze, Alphonse Yikeze et Stanislas Kaburungu

Après des pénuries récurrentes du sucre et la spéculation des commerçants, le gouvernement a finalement décidé de revoir à la hausse le prix d’un kilo. Le communiqué de la SOSUMO du 27 juillet est sans équivoque. Il annonce que le prix est revu à la hausse conformément à la lettre du cabinet civil du président de la République du 24 juillet et celui du ministre du Commerce du 26 juillet.

Selon ce communiqué, le prix de vente par la Sosumo, toutes les taxes comprises, est de 3190 BIF le kilo ou 159500 BIF par sac de 50 kg. Le prix de vente pour les grossistes, toutes les taxes comprises, est 3240 BIF le kilo ou 162000 BIF par sac de 50 kg. Le prix de vente par le détaillant au dernier consommateur est de 3300 BIF le kilo ou 165000 BIF par sac de 50 kg.

Le prix au dernier consommateur est augmenté de 800 BIF soit 32%. C’est la plus haute augmentation jamais enregistrée.  La dernière augmentation du prix du sucre datait de mars 2017.

La hausse du prix du sucre a été décidée dans le Conseil des ministres du 7 juin 2023.  « La structure actuelle du prix du sucre date de mars 2017 et ne permet plus à la SOSUMO de couvrir toutes les dépenses compte tenu de la conjoncture économique actuelle. Etant donné que la source principale des recettes de l’entreprise provient de la vente du sucre, toute variation à la hausse des prix dans l’acquisition des intrants agricoles, équipements et produits intervenant dans le processus de production engendre des retombées négatives sur la vie de l’entreprise », peut-on lire dans le communiqué du secrétariat général du gouvernement.

Selon le communiqué, sur les 36 000 tonnes de sucre estimées être produites par la Sosumo pour satisfaire les besoins annuels de la population, la quantité produite oscille autour de 20 000 tonnes seulement. Cette quantité reste en deçà de la demande locale. « Compte tenu du cours de change actuel, elle vend le sucre à perte, surtout le sucre importé. Cela affecte très négativement ses activités et risque de conduire l’entreprise à la faillite si des mesures d’accompagnement ne sont pas prises à temps », conclut le conseil des ministres.

Le hic, la pénurie de ce produit persiste dans la ville de Bujumbura. Dans certains quartiers, des consommateurs font des queues devant le peu de magasins ou boutiques disposant  d’une quantité même pas suffisante.

Le ciment Buceco est aussi concerné. Selon le communiqué de l’entreprise Burundi Cement Company (Buceco) de ce 29 juillet 2023, les prix du ciment sont revus à la hausse depuis le 1 aout. Le prix par sac de 50 kg du ciment 32.5 R passe de 28 500 BIF à 38000, soit une hausse de 33,3% le ciment 42.5 R passe de 34500 BIF 48000, soit une augmentation de 39,1%. Selon cette entreprise, cette hausse des prix fait suite à la conjoncture actuelle sur la chaîne d’approvisionnement des matières premières.

La dernière variation du prix date du 17 octobre 2022. La hausse du prix par sac de 50 kg était comprise entre 24 500 BIF et 30 mille BIF selon la qualité. En moins d’une année, le prix du ciment a connu une hausse exponentielle comprise entre 55,1% et 60% selon la qualité du ciment.

Une énième hausse pour le carburant

Hausse des prix du carburant après la pénurie qui a paralysé le transport

Le prix du carburant a connu une hausse de prix à deux reprises en 2022. Dans la structure du prix du carburant sortie par le ministère de l’Hydraulique, de l’Energie et des Mines, ce 21 juillet, le prix à la pompe a été revu à la hausse. En mairie de Bujumbura, le prix est fixé à 3 985 BIF pour l’essence super, de 3 795 BIF pour gasoil (mazout) et 3 930 pour le pétrole.

Les prix varient selon les localités. Depuis le 28 avril, le prix de l’essence à la pompe en mairie de Bujumbura était jusqu’ici de 3 250 BIF, celui du mazout à 3 450 BIF et celui du pétrole à 3 150. En moins de trois mois, le carburant connaît une augmentation de 22% pour l’essence, 10% pour le mazout et 24,7 pour le pétrole.

 « Pour nous, le problème majeur n’est pas la revue à la hausse des prix du carburant. Le problème est que malgré cette hausse des prix, les stations-service restent malgré tout à sec. Et nous pouvons passer 2 à 3 jours en file d’attente. C’est vraiment catastrophique », se lamente un chauffeur de bus desservant la ville de Bujumbura

Comme conséquences, les prix du ticket de transport en mairie de Bujumbura et à l’intérieur du pays ont également augmenté. Dans un communiqué de ce 24 juillet, la ministre du Transport, Marie Chantal Nijimbere a annoncé la hausse des prix du ticket de transport dans tout le pays « conformément à la nouvelle structure du prix du carburant ».

Ainsi, le prix du ticket de transport par bus en mairie de Bujumbura est fixé à 600 BIF. Ce dernier était jusqu’ici à 550 BIF. Les prix de transport entre le centre-ville et les quartiers périphériques sont plus élevés et varient selon le trajet.

La ministre des Transports a appelé les transporteurs à respecter ces prix et à les afficher dans leurs véhicules à vue des passagers. Elle a demandé à l’administration locale et les services de la police de roulage de veiller au strict respect de ces prix du ticket de transport.

L’année passée, le ministère de l’Hydraulique, de l’Energie et de Mines a décidé de réviser les prix du carburant à la pompe le 28 avril 2022. Le ministre Ibrahim Uwizeye avait fait savoir que la hausse des prix du carburant sur le marché international causés par le conflit russo- ukrainien et la pandémie de Covid -19.

Cette nouvelle hausse des prix du carburant intervient après de longues semaines de pénurie que les hautes autorités attribuaient aux problèmes logistiques. « Le carburant est stocké dans les entrepôts nationaux se trouvant en Tanzanie. Le seul problème qui hante le pays est son transport jusqu’au Burundi », affirmait Rosine Guilène Gatoni, porte-parole du président de la République lors de l’émission publique animée par les porte-paroles des institutions le 13 juillet 2023 à Muramvya.

Et les boissons Brarudi ne sont pas en reste

Depuis le 1er août 2023, la Brarudi a procédé à la hausse des prix de ses produits. Pour elle, ce changement est motivé par l’augmentation des matières premières. Il s’agit de la deuxième hausse du prix en moins d’une année, car la dernière variation date du 16 octobre 2022.

Le prix des boissons gazeuses passe de 100 à 1500 par bouteille, soit une augmentation de 50%. Viva malt pomme passe de 1000 à 1500, soit une hausse de 50%. Viva Tangawizi passe de 1000 à 1500, soit 50%. Nyongera 72 cl passe de 1200 à 1700, soit une hausse de 41,7%. Le Primus 72 cl passe de 1700 à 2200, soit une hausse de 29,4%. Le Primus 50 cl passe de 1200 à 1700, soit une augmentation de 41,7%. L’Amstel blond de 65 cl passe de 2500 à 3000, soit une hausse de 20%. L’Amstel blond de 50 cl passe de 2100 à 2600, soit une augmentation de 23,8%. L’Amstel bock 33 cl passe de 2100 à 2600, soit une hausse de 23,8%. L’Amstel royal 50 cl passe de 2600 à 3100, soit une augmentation de 19,2%.

Les documents administratifs sont montés de prix

Dans une ordonnance conjointe du ministre des Finances et celui de l’Intérieur du 12 juillet 2023 le gouvernement du Burundi a décidé de revoir à la hausse le prix des documents délivrés par la police judiciaire. Du jamais vu !  La hausse peut atteindre plus de 3323%. Des services qui étaient gratuits, sont facturés avec des sommes exorbitantes.

Le prix du casier judiciaire et l’attestation de perte ou de vol passent désormais de 1000 BIF à 3000 BIF chacun, soit une hausse de 200%. Ces documents sont facturés à 5000 BIF pour un ressortissant africain et à 10000 BIF pour un non africain.  Le transfert Véhicule passe de 40000 BIF à 120000 BIF, soit une augmentation de 200%.  L’expertise judiciaire qui était gratuit est à 30000 BIF. Les empreintes digitales qui étaient faites gratuitement sont facturées à 30 mille BIF pour les nationaux, 40 mille BIF pour les ressortissants africains et 50 mille BIF pour les ressortissants non africains.

L’attestation d’autorisation d’immatriculation était de 1500 BIF pour tricycles et quadricycle à moteur et tous les véhicules et engins. Il est désormais de 10000 BIF pour les tricycles et quadricycles à moteur, soit une augmentation de 566,6%. Les tarifs diffèrent selon le poids du véhicule ou engin. Pour les poids inférieurs ou égaux à 1400 kg, 100000 BIF, soit une augmentation de 6566,6%. Le tarif pour un poids allant jusqu’à 2500kg, 150000 BIF, soit une hausse de 9900%.

Pour le poids allant jusqu’à 3500 kg, le prix de l’attestation est 200000 BIF, soit une hausse de 13233,3%. Pour un pesant jusqu’à 9000 kg, On doit débourser 250000 BIF, soit une hausse de 16566,6%. L’attestation d’immatriculation pour un véhicule ou engins 9001 et plus vaut 500000 BIF, soit une augmentation de 33233,3%.

Les loyers des places dans les marchés à des prix exorbitants

Selon l’article 63 de la loi budgétaire 2023-2024, toutes les recettes issues de la location des stands ou des shops dans les marchés faisant partie du patrimoine de l’Etat, sont versées sur les comptes ouverts au nom de l’OBR dans les institutions financières et nivelés chaque jour vers le compte général du trésor public. 90 % de ces recettes reviennent au trésor public et 10 % aux communes.

Ce transfert n’est pas passé inaperçu. Les frais versés avant à la mairie de Bujumbura viennent d’être brusquement revus à la hausse. Les loyers qui étaient jusqu’ici de 17 000, 25 000 et 35 000 BIF ont été magistralement portés à 450 000 et 600 000 BIF. La descente effectuée dans les marchés publics de Bujumbura par l’Office burundais des recettes (OBR) et la mairie de Bujumbura, mercredi le 26 juillet 2023 a marqué un tournant décisif.

Au marché de Ruvumera en zone Buyenzi, ils sont procédés au lancement des activités de signature et d’octroi des contrats de location aux occupants des stands et shops dans les marchés publics.  Dans ces contrats, les commerçants s’engagent à payer le loyer avant le 25e jour du mois. Le loyer ne peut pas être payé en tranches. De surcroît, les commerçants ont jusqu’au 10 août 2023 pour payer en même temps les loyers du mois de juillet et d’août.

Selon Jimmy Hatungimana, maire de la ville de Bujumbura, les commerçants doivent signer un acte d’engagement pour respecter la mesure mise en place. « Ceux qui ne peuvent pas payer la somme demandée devront déguerpir, aller chercher la place ailleurs. C’est la loi et elle doit être appliquée ».

Les commerçants désemparés

Les commerçants exerçant dans certains marchés publics dans la ville de Bujumbura dont celui de Ruvumera et de Jabe ont suspendu les activités ce 31 juillet. Ils disent manifester leur mécontentement suite à la hausse des prix de location des shops et stands par l’Etat. Ils demandent au gouvernement de revoir à la baisse le loyer.

A 9 heures ce 31 juillet, presque tous les shops et stands dans le marché de Ruvumera étaient fermés. Les commerçants sont restés aux alentours du marché discutant dans de petits groupes. D’autres sont restés assis  devant leurs shops ou stands fermés. Seuls les vendeurs de friperies ont travaillé. Pour ces commerçants, cette hausse des prix de location est insupportable compte tenu de leurs capitaux et leurs revenus.

« L’Etat a revu à la hausse les prix de location des shops et stands dans le marché d’une façon exponentielle. Pour les shops de l’intérieur du marché qu’on payait 14 mille BIF, on doit présentement payer 450 mille BIF par mois. Pour les shops de l’extérieur du marché, on doit payer 600 mille BIF par mois là où on payait 110 mille BIF. On ne peut pas trouver cet argent », fustige Egide, un commerçant exerçant au marché de Ruvumera dans la zone urbaine de Buyenzi.

Indigné, Egide explique que la majorité des commerçants disposent de petits capitaux qui ne leur permettent pas de s’acquitter de cette somme : « Nous avons fait des calculs et avons constaté qu’on doit avoir un capital de 50 millions BIF pour pouvoir payer un loyer de 450 mille BIF par mois. Très peu de commerçants ont un tel capital ».

Pour lui, les shops sont très étroits pour contenir les marchandises de 50 millions BIF, pour ceux qui parviendraient à avoir ce capital. Il rappelle qu’en plus du loyer des stands, les commerçants doivent payer pour l’hygiène et le gardiennage, ce qui augmente les dépenses. Et d’appeler les autorités de revoir à la baisse ces nouveaux prix de location afin qu’ils soient proportionnels aux capitaux des commerçants.

Une autre commerçante dénonce qu’il n’y a pas eu de réunions pour recueillir les doléances des commerçants, avant de revoir à la hausse les prix de location : « Nous avons signé ces contrats proposés par l’OBR pour ne pas perdre nos stands. On nous disait que le refus de signer le contrat signifiait l’abandon de son stand ».

Pour elle, les commerçants doivent être écoutés, car ils ont aussi investi et contribué dans la construction de ce marché : « Nous avons payé beaucoup d’argent pour construire ces shops avec des tôles métalliques. Que les autorités ne cherchent pas à nous chasser de ce marché en imposant des loyers intenables ».

La situation est la même au marché de Jabe dans la zone urbaine de Bwiza à 10 heures ce 31 juillet. Les shops étaient fermés. Seuls les commerçants des denrées alimentaires travaillaient.

Selon le représentant des commerçants au marché de Jabe, Edouard Ngendakumana, les commerçants ont décidé de suspendre les activités suite à la hausse exponentielle des prix de location des shops et stands : « Les shops qui payaient 10 mille ou 15 mille BIF par mois vont désormais payer 200 mille BIF de loyer. Cela est insupportable pour la majorité de commerçants ».

Il réclame une réunion entre l’OBR, la mairie de Bujumbura et les commerçants pour étudier ensemble les loyers à payer favorables aux commerçants.

Selon lui, certains commerçants risquent d’abandonner le commerce suite à cette mesure : « Les commerçants ont payé chacun 690 mille BIF pour la construction des shops en tôles métalliques. Ils ont aussi contribué dans différentes constructions pour que le marché soit tel qu’il est aujourd’hui. On essayait encore de regagner les moyens investis ».

Certains commerçants proposent que les prix de location dans ce marché de Jabe soient à 20 mille BIF par stand ou shop.

Dans un point de presse animé ce 31 juillet matin, le ministre de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique, Martin Niteretse a entendu les plaintes. Il a recommandé à l’OBR de réanalyser les prix de location des stands dans les marchés faisant partie du patrimoine de l’Etat. Il a invité à le faire en concertation avec les commerçants, les commissaires des marchés et l’administration pour que les activités continuent normalement dans ces marchés.

Au nord du pays, les vendeurs déchantent

A Buye dans la commune Mwumba, les vendeurs ne savent plus à quel saint se vouer. Ils vendent, mais, ils ne gagnent rien. Les acheteurs se raréfient et ceux qui résistent grognent. Une vendeuse des produits Brarudi assure que bientôt elle va se rabattre au vin de banane. « Le déplacement de Ngozi à Mwumba est de 1200 BIF par chaque caisse de bière ou de limonade. Une caisse qui devrait te rapporter 1300 BIF ne te donne que 100 BIF. Une somme qui n’achète qu’une petite sucette », témoigne une vendeuse

Un boutiquier non loin de là estime que certains produits de sa boutique n’ont plus de clients. « Nous constatons les dégâts de la hausse des prix. Les clients sont devenus rares et ceux qui viennent ne font que grogner. Le déplacement des produits qu’on amène est un casse-tête et puis les produits aussi ont monté. »

Un motard qui fait Buye-Sabanegwa, une distance d’une trentaine de kilomètres, fait payer 70 mille BIF et il explique que cela est dû à la cherté du carburant qui manque aussi. « J’achète 1.5 litres de carburant à plus de 15 mille BIF. Pour récupérer l’argent, je suis obligé de faire monter le prix et le client n’a pas de choix. »

Un cabaretier de la localité de Buye indique qu’il va finir par ne plus vendre les produits Brarudi parce qu’il est toujours en palabres avec ses clients. « J’amène ces produits de loin et je suis obligé de payer leur déplacement. Mais, si je ne vends pas au prix imposé par la Brarudi, les clients vont même jusqu’à me dénoncer. Je travaille à totalement perte.»


Vivons-nous au-dessus de nos moyens ?

Plusieurs économistes dénoncent un budget 2023-2024 orienté vers la consommation. L’investissement est relégué à la seconde place. Pour certains observateurs, il faut voter, dans les plus brefs délais, un budget d’austérité. De plus, investir dans la production et l’exportation des biens et services, les infrastructures routières, énergétiques et technologiques …

Selon le ministère des Finances, le budget 2023-2024 a été préparé dans un contexte marqué par l’engagement du Burundi dans un programme de réformes macroéconomiques et budgétaires soutenu par une facilité de crédit élargie. « Ce programme devrait se traduire par une mobilisation accrue des ressources extérieures pour soutenir les efforts du gouvernement de stabiliser le cadre macroéconomique et budgétaire et déclencher la relance économique. »

Du coup, les recettes et dons sont passés de 2 194,8 milliards de BIF en 2022/2023 à 3 224,07 milliards de BIF en 2023/2024 soit une augmentation de 46,9 %. Cette hausse découle des impacts budgétaires enregistrés sur les nouvelles dispositions des recettes fiscales et non fiscales. Les recettes intérieures (fiscales et non fiscales) hors exonérations en 2023/2024 sont estimées à 1 929,3 milliards de BIF contre 1 769 milliards de BIF en 2022/2023, soit une augmentation de 9,05%.

Les dépenses totales de l’Etat sont passés de 2 392,3 milliards de BIF en 2022/2023 à 3 952,9 milliards de BIF pour l’exercice 2023/2024, soit un accroissement de 65,23% qui est dû d’une part à l’augmentation de l’investissement sur ressources nationales passant de 794,03 milliards BIF à 1 058,9 milliards BIF pour la mise en œuvre des projets prioritaires du Gouvernement et d’autre part, aux dépenses courantes qui passent de 1 204,5 milliards de BIF en 2022/2023 à 2 027,8 milliards de BIF en 2023/2024, soit un accroissement de 68,3%. Dans la foulée, le déficit global budget général 2023/2024 a augmenté en passant de 728,9 milliards de BIF contre 197,4 milliards de BIF en 2022/2023.

Austérité pour la population sans changer le train de vie du gouvernement

« On demande à la population de se sacrifier, est-ce que nos dirigeants ont diminué leur train de vie ? », s’interroge un habitant de la zone Musaga en mairie de Bujumbura. « Ils devaient d’abord montrer l’exemple en supprimant des dépenses farfelues dans le budget général de l’Etat comme les voyages qui ne sont pas nécessaires, les fêtes non essentielles, les croisades de prières qui coûtent beaucoup d’argent, les festivités du parti au pouvoir … », ajoute un habitant de la zone Bwiza. « Ils continuent à vivre comme si de rien n’était et on demande aux pauvres citoyens de payer. C’est insensé », renchérit une vendeuse de fruits.

Pierre Nduwayo : « C’est insupportable que le train de vie des autorités reste le même et que le consommateur souffre »

« C’est insupportable que le train de vie des autorités reste le même et que le consommateur souffre », réagit Pierre Nduwayo, président de l’Association burundaise des consommateurs (ABUCO). Il se dit inquiet de la flambée des prix de presque tous les produits et services. Pour lui, cette hausse exponentielle est liée à la mise en application de la loi budgétaire qui est en vigueur. « Il est prévu la hausse des taxes sur presque tous les produits. Certaines autorités administratives et certains ministres ont déjà pris des mesures allant dans ce sens. Nous constatons également que certains acteurs économiques et les entreprises qui, profitent justement de ces prévisions budgétaires pour revoir à la hausse les prix. »

Pour cet activiste de la société civile, les efforts sont consentis par la partie la plus faible qui est le consommateur. « Si des prix sont revus d’une façon exponentielle dans tous les domaines, c’est le petit peuple qui est pénalisé. Il s’appauvrit davantage ».

Nduwayo considère que les pouvoirs publics doivent montrer leurs efforts en abandonnant certains privilèges qu’ils s’octroient. Pour lui, ce serait équitable. « Dans le cas contraire, si la partie la plus faible porte seule le fardeau, à un certain moment, il sera insupportable. » Et d’avertir que le gouvernement risquera de perdre ce qu’il espérait.

Il appelle le gouvernement à augmenter la production pour ne pas recourir à la hausse des prix et des impôts. Cela permettra, dit-il, à enregistrer des recettes sans que la population souffre.

Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome, relève certains facteurs qui contribuent à la hausse généralisée des prix. Selon lui, le premier facteur est la pénurie des devises. « De plus, il y a un problème des spéculateurs. Même le peu de devises qui existe n’est pas distribué équitablement. Ce qui est pire, c’est que ces devises ne sont pas utilisées pour importer ces produits stratégiques. Ils trouvent qu’importer n’est pas rentable que de vendre ces devises sur le marché noir. »

Gabriel Rufyiri : « Il faut une révision budgétaire d’urgence afin de voter un budget d’austérité. Diminuer les véhicules de l’Etat, le carburant, les frais de mission, … »

Gabriel Rufyiri rappelle qu’avec la récente hausse des produits pétroliers, le gouvernement a revu à la hausse le taux de change avec un dollar à 2883 BIF (une augmentation de plus de 800BIF). « C’est à ce moment que les prix ont flambé. Le gouvernement a retiré sa main sur les produits sensibles. »

L’autre facteur, d’après le président de l’Olucome, ce sont les taxes et impôts. D’après lui, les 50 nouvelles taxes que le gouvernement a introduites viennent encore « sucer » à tout prix le citoyen lambda. « Parmi elles, seule la taxe minime sur la fortune de 5% concerne les riches. Ils ont également revu à la hausse la TVA et comme vous le savez, elle est payée par le citoyen lambda. »

Ce qui est grave, ajoute-t-il, c’est que les membres du gouvernement ne veulent pas perdre leurs avantages en renonçant à leur train de vie. « En principe, le gouvernement devait diminuer le budget de fonctionnement en faveur du budget d’investissement pour booster les secteurs porteurs de croissance. Il y a un décalage dans le budget actuel, car 33% ont été injectés dans l’investissement alors que le fonctionnement est à 68%. »

« Certains veulent vivre au-dessus de tout le monde ! »

« Ce qui est grave, les généraux veulent vivre au-dessus de tout le monde. En 2010, la société civile avait combattu les avantages qu’on voulait accorder aux généraux. D’après les informations à notre disposition, ces généraux auraient décidé d’avoir ces avantages liés à leur grade qu’on leur avait refusés. Vous savez le nombre de généraux que nous avons dans ce pays ? Avoir 100 ou 200 généraux dans un pays comme le Burundi, c’est hypothéquer le pays. »

Et d’ajouter que généralement, les avantages sont liés aux fonctions. « Regardez les véhicules qui se trouvent derrière le président de la République, le vice-président, le Premier ministre, les ministres, les DG, … Chacun veut avoir 3 ou 4 véhicules avec des sirènes. Souvenez-vous, on avait coupé le charroi zéro, mais il est revenu en force. On oublie que le Burundi est le pays le plus pauvre au monde. Les citoyens ne savent plus à quel saint se vouer. »
Pour lui, il faut que le président de la République prenne des mesures drastiques. « Il faut une révision budgétaire d’urgence afin de voter un budget d’austérité. Il faut diminuer les véhicules de l’Etat, le carburant, les frais de mission … Avec ce budget qui est orienté vers la consommation, je crains qu’on risque d’arriver à décembre avec une situation catastrophique. »

Budget (BIF) 2021-2022 2022-2023 2023-2024
Frais de formations du personnel et frais de missions 15.924.272.826 18.205.924.026 27.187.471.369

Source : Budget ministère des Finances

Concernant la rubrique le charroi de l’Etat, les montants ne cessent de monter.

Budget (en BIF) Entretien & réparations des véhicules Assurances des véhicules Lubrifiants &Carburants
2022-2023 10.118.487.277 745.669.807 15.656.887.625
2023-2024 10.815.356.002 794.958.188 16.982.840.470

Source : Budget de l’Etat

Une autre rubrique interroge : « Entretien de l’avion du gouvernement ». Dans les budgets antérieurs, le montant était de 675.371.171 BIF. Dans le budget actuel, le montant est de 337.685.586 BIF. « De toutes les façons, il n’y a pas d’avion à entretenir depuis 2007 », réagit Gabriel Rufyiri.

Quid des exonérations ?

D’après le ministère des Finances, le total des exonérations sur les 5 dernières années s’élève à 260.213 610.425 BIF. 71% de ce montant ont été octroyés à 7 secteurs. Dans le budget actuel, le montant s’élève à plus de 135 milliards.

Lors de la présentation du projet de loi au Sénat, les sénateurs ont demandé, au ministre des Finances, la valeur ajoutée de ces exonérations en termes de production des biens et services et de création d’emplois compte tenu de leur hausse continuelle. « Les exonérations qui sont comptabilisées sont destinées aux investisseurs qui œuvrent dans les secteurs jugés prioritaires et porteurs de croissance économique. Normalement, l’entreprise bénéficie des exonérations après avoir démontré dans son plan d’affaires le nombre des emplois qu’elle va créer ainsi que l’impact de ses activités dans l’économie nationale », a répondu le ministre.

Les sénateurs sont revenus à la charge : « A quand l’initiation de la révision des textes et de la procédure d’octroi des exonérations énoncée parmi les mesures importantes qui permettront d’augmenter les recettes pour cet exercice budgétaire ? »

La réponse du ministre : « Les exonérations sont du domaine de la loi ou d’autres textes ayant rang de loi. Certaines dispositions régissant les exonérations sont révisées annuellement à travers la loi budgétaire et les autres textes fiscaux l’ont été récemment, entre autres le Code des investissements, la loi relative à la TVA et à l’Impôt sur le revenu. »

Selon Gabriel Rufyiri, le dossier des exonérations est très délicat car des intérêts des individus sont en jeu. « Dans les budgets des années passées, le gouvernement mettait 18 milliards de BIF comme exonérations. Toutefois, le montant oscillait autour de 200 milliards de BIF. Le pire est que ceux qui demandent ces exonérations détournent toujours le projet présenté. Au lieu de construire un hôpital ou un hôtel, on construit des bureaux. De plus, comme nous sommes dans un pays où le vol est organisé, on gonflait les exonérations. »

D’après Gabriel Rufyiri, ces exonérations n’ont aucun impact positif sur la vie des citoyens burundais.

« Là où le bât blesse, c’est que ces exonérations sont toujours données aux mêmes individus qui, bien-sûr, travaillent avec les dirigeants. « Depuis 2006, ce sont les mêmes individus. Le gouvernement est hypothéqué par ces commerçants. Ces bandits de la République ne devaient pas avoir de la place dans la société burundaise. C’est important de les nommer individuellement, car ce sont les citoyens qui sont en train de payer le lourd tribut. »

Peut-on compter sur les dons ?

D’après Faustin Ndikumana, directeur exécutif de la Parcem, le Burundi compte rembourser, au cours de cette année budgétaire, 241 milliards de BIF. « Le poids de la dette commence à peser lourdement sur le financement budgétaire. » Pour M. Ndikumana, l’endettement intérieur pourra aller crescendo. « C’est là que le gouvernement a des facilités. Il y a un asséchement intérieur des capitaux par les dépenses publiques. De plus, les opérateurs économiques privés ne sont pas financés alors qu’ils sont là pour payer les impôts. Quand ils n’accèdent pas aux financements intérieurs, ils ne peuvent plus étendre leurs activités et partant accroître l’assiette fiscale. »

Pour financer son budget, le Burundi compte mobiliser plus de 930 milliards de BIF comme dons budgétaires et dons sur projets avec financements extérieurs. Gabriel Rufyiri reconnaît qu’il n’est pas expert en relations diplomatiques, mais il craint que la visite du président de la République en Russie et les discours prononcés risquent d’avoir des effets contre-productifs. « Depuis 2015, c’est la première fois qu’on comptabilise dans le budget les aides des partenaires comme l’Union européenne, les Etats-Unis, la Banque mondiale, FMI et autres. Est-ce que la Russie va nous donner cet argent ? Etait-il le moment de faire ce voyage ? Pécuniairement, quels sont les gains ? En tant que citoyen, j’ai le droit de me poser ces questions. Les autorités doivent réfléchir doublement lorsqu’ils agissent au nom des citoyens. »

Un politologue et spécialiste de la politique étrangère de l’Union européenne fait savoir que cela risque d’irriter les fonctionnaires de Washington et de Bruxelles. Et de nuancer : « Cependant, la participation d’autres chefs d’Etat africains à la conférence de la semaine dernière à Saint-Pétersbourg n’a pas été des plus élevée, c’est pourquoi je ne suis pas sûr qu’une simple visite présidentielle puisse saper le soutien financier de l’UE et des Etats-Unis. »

Pour Faustin Ndikumana, les dons sont toujours problématiques. « Ce n’est pas un emprunt que tu vas avoir directement. Ces appuis budgétaires exigent une certaine transformation de la structure pour en bénéficier. L’endettement qui m’intéresse est celui qui nous amène du cash en devises directement. Mais, nous n’avons pas la force de mobiliser des financements extérieurs, car notre économie n’est pas assez crédible pour bénéficier des financements extérieurs. » M. Ndikumana fait savoir que c’est cette capacité de rembourser qui fait défaut au Burundi.

Faustin Ndikumana soulève un autre problème : la capacité d’absorption des dons qui nous sont offerts. En mars dernier, la Banque mondiale a indiqué que le taux de décaissement des projets financés par la Banque mondiale était de 21% seulement pour les 1,3 milliard USD du portefeuille de la Banque mondiale destiné au gouvernement du Burundi sur la période 2019-2023. « Le chief economist de la Banque mondiale, responsable du Burundi, de la RDC et de l’Ethiopie a dit que le Burundi devait bénéficier de la part de la Banque mondiale d’un don équivalent à 1 milliard de dollars USD. Il faut changer d’approches et mettre les hommes qu’il faut à la place qu’il faut. » Pour Faustin Ndikumana, il faut bien choisir les projets de développement et aller plus vers le financement extérieur.

Selon un spécialiste en charge du Burundi auprès d’une institution internationale, le Burundi reste l’enfant pauvre de la région. Déjà, en 2019, le Secrétariat de la Communauté est-africaine estimait que le Burundi avait reçu 1 million $ d’investissements directs étrangers, le Kenya 1332 millions $, l’Ouganda 1266 millions $, le Rwanda 420 millions $, et la Tanzanie 1112 millions $.

Concernant cette gestion des projets des partenaires financiers, l’économiste André Nikwigize indique que la première action consisterait à renforcer le leadership. « Le Chef de l’Etat et son équipe doivent renforcer les systèmes de contrôle du programme gouvernemental. Il faudra, d’abord, cesser, immédiatement, la politisation clientéliste du recrutement dans le secteur public, et mettre les hommes qu’il faut aux places qu’il faut dans les administrations publiques, dans la transparence la plus totale. »

La deuxième action consisterait à promouvoir une administration qui rend des comptes, et à tous les niveaux. « Les ministres, les responsables des projets doivent rendre des comptes de leur gestion, et lorsque l’un ou l’autre se rend coupable de mauvaise gestion ou de corruption, il soit poursuivi et sanctionné. » De plus, le gouvernement devrait autoriser un audit de ses fonctionnaires et de la façon dont ils se sont acquittés de leurs missions respectives.

Enfin, il faut engager des actions de concertation régulière avec les partenaires de développement en vue de déceler les goulots d’étranglement éventuels et les corriger à temps, que ce soit au niveau de l’administration bénéficiaire du financement, ou du bailleur de fonds.


« Il faut un alignement entre les besoins des citoyens et les fonctions et activités du gouvernement. »

Pour J.K, économiste et chef d’entreprise, le budget 2023-2024, permettait déjà de prévoir ce qui se passe en ce moment.

Comment interprétez-vous cette hausse les prix de plusieurs produits ?

Le budget 2023-2024, présenté dernièrement au parlement, permettait déjà de prévoir ce qui se passe en ce moment. Plusieurs activistes, commentateurs et analystes ont d’ailleurs levé le drapeau pour signaler les conséquences fiscales désastreuses qui pouvaient découler de ce budget revu à la hausse dans des proportions insoutenables.  Pour être plus précis, la part intérieure des recettes escomptées semblait exagérément optimiste, étant donnée la stagnation, voire la détérioration, de l’assiette fiscale, due à la récession économique, en termes réels, que traverse le pays. Il était donc envisageable que le gouvernement augmente la pression fiscale pour arriver à collecter les recettes intérieures envisagées, soit en augmentant les barèmes existants soit en créant de nouvelles taxes et redevances.

Et la flambée des prix ?

Il s’agit, en partie, d’un rattrapage suite à la dépréciation du BIF par rapport au dollar américain et à l’inflation. L’inflation qui affecte notre économie est d’origine diverse. Parmi les facteurs sous-jacents de cette inflation, se trouve la chute de la productivité des entreprises, et autres acteurs économiques burundais due aux pénuries de carburant. Les effets sur l’économie sont dévastateurs et, malheureusement, très difficiles à évaluer. Pensez à toutes ces personnes qui passent leurs journées à attendre qu’on leur serve du carburant. Toutes ces heures d’attente sont des heures perdues pour l’économie nationale et ne seront jamais rattrapées. Même lorsque ces personnes arrivent à être servies, leur esprit n’est pas pleinement disponible au travail, car il est occupé à identifier la prochaine source de carburant. La quête du carburant est devenue une activité à plein temps pour bon nombre de nos concitoyens. La chute de productivité que je décris ici est une première dans l’histoire du pays. Elle a des conséquences ravageuses sur nos coûts de production, et pousse ainsi les prix des produits et services à la hausse.

Le gouvernement demande des sacrifices à la population. Quid de son train de vie ?

D’une manière générale, je trouve paradoxal le fait qu’un gouvernement demande des sacrifices à sa population sans justifier l’extrême nécessité de ces sacrifices et surtout sans montrer l’exemple. La fonction première d’un gouvernement n’est pas de demander des sacrifices à la population, mais plutôt de créer les conditions du bonheur de ses citoyens. Afin de réussir cette mission, le gouvernement doit s’attacher à réaliser un alignement parfait entre les aspirations et les besoins des citoyens, d’une part, et les fonctions et activités du gouvernement, d’autre part. Lorsque les circonstances l’exigent, le gouvernement peut demander aux citoyens de renoncer, temporairement, à une partie de leurs aspirations et besoins, afin de réussir ensemble la réalisation d’un certain nombre d’objectifs intermédiaires, dont l’importance est capitale.

Cet alignement a-t-il été respecté ?

Je trouve que cet alignement fait défaut pour le cas de notre pays. Les efforts consentis par la population n’ont pas cessé d’augmenter, au fil des années, sans qu’il y ait de véritables impacts positifs sur les conditions de vie de la population burundaise. Au contraire, je trouve que le gouvernement exige des sacrifices de plus en plus importants, alors que les conditions de vie du citoyen lambda ne cessent de se détériorer. Cerise sur le gâteau, le rythme de vie du gouvernement et de ses fonctionnaires, lui, n’arrête pas d’augmenter. Comme l’alignement et l’exemplarité font tous les deux défauts, le discours du gouvernement devient inaudible lorsque celui-ci parle d’éventuels sacrifices à consentir.

Restreindre certaines dépenses de fonctionnement, comme les frais de déplacement, serait une bonne chose. Cette réforme serait extrêmement impopulaire bien sûr, car les frais de mission sont devenus, petit à petit, une manière détournée de rémunérer les fonctionnaires privilégiés. Il s’agit même d’un fonds de commerce au sein de certains services de l’Etat, où jouir d’une place dans une équipe partant en mission à l’étranger se monnaie. Dans un tel contexte, les budgets alloués à cette activité ne peuvent qu’enfler.

Que faire alors ?

Afin de garantir un alignement entre la performance du gouvernement et les besoins de la population, toutes les activités gouvernementales dont l’impact ultime sur le bien-être de la population n’est pas visible devraient être examinées de près. Les activités dont l’impact est inexistant ou faible devraient faire l’objet d’une réduction budgétaire. Les dépenses de l’Etat devraient être orientées vers l’atteinte d’un impact concret sur la population et non vers la satisfaction des intérêts d’une petite minorité au sein de la fonction publique. Le président de la République s’est d’ailleurs exprimé plusieurs fois dans ce sens. Cependant, je n’en vois pas le reflet dans le budget 2023-24.

Quid des exonérations ?

Afin de booster l’investissement au Burundi, les exonérations sont nécessaires. Il s’agit d’un formidable outil fiscal visant à accélérer le retour sur investissement. Néanmoins, il n’est efficace que si son octroi est systématique et automatique. Par exemple, si le Code des investissements prévoit qu’une société opérant dans la transformation industrielle bénéficie d’une franchise de droits de douane sur les équipements, il faut que toute société opérant dans ce secteur puisse en bénéficier de facto. Le manque de transparence des règles et des procédures d’octroi des exonérations conduit presque toujours à la concentration de ces avantages aux mains de certains privilégiés seulement. En conséquence, au lieu d’être un facteur favorisant l’investissement, les exonérations deviennent plutôt un facteur discriminant qui confine l’investisseur potentiel dans le doute et l’hésitation. Or les investisseurs, tous comme les entrepreneurs, ont besoin de se sentir en confiance avant de passer à l’action.

Pour ce qui est du budget des exonérations prévu pour l’exercice 2023-2024, il est ridiculement bas. Nous devons être plus ambitieux si nous voulons que les investisseurs sérieux s’intéressent à notre pays. Stratégiquement, je préfèrerais renoncer à 1000 milliards de BIF en droits de douane mais rajouter le double en équipements de production à l’économie nationale. In fine, la valeur ajoutée créée par ces équipements de production additionnels sera de toute façon taxée. Et là, je n’ai même pas parlé des emplois créés, et autres effets induits, comme le transfert de technologie et le développement de nouvelles compétences.

Pour certains, le budget actuel est plus orienté vers la consommation qu’à l’investissement. Qu’en pensez-vous ?

C’est vrai. Mais ce n’est pas un fait nouveau. Depuis que le gouvernement du Burundi a renoncé à la priorisation d’objectifs ambitieux à long-terme, les budgets accordent davantage la priorité aux dépenses de consommation. Celles-ci s’inscrivent dans le court-terme, en effet.  Aujourd’hui, je constate que le gouvernement du Burundi essaie de renouer avec une planification à très long-terme. Les choix stratégiques restent à affiner en tenant bien compte des forces et faiblesses du pays, et surtout des opportunités offertes, entre autres, par les technologies avancées, telles l’intelligence artificielle, et la reconfiguration du monde en un espace multipolaire. Tant que ces choix stratégiques ne seront pas clairement définis, je ne m’attends pas à une transformation de la structure du budget de l’Etat.


Réactions

 

Francis Rohero : « Les autorités produisent moins et consomment considérablement. »

Le président du ‘’mouvement Orange” se dit ne pas être surpris par la hausse des prix qui s’observe actuellement. “Du moment que la population saura que c’est elle-même qui finance les impôts et les taxes, elle comprendra qu’à chaque fois qu’il y a une augmentation du budget, les impôts et taxes doivent augmenter leurs capacités à financer l’Etat. Donc, c’est tout à fait ordinaire”.

Et de rappeler. ‘’Il y a un mois, le Gouvernement a annoncé que le budget a été majoré de 65%. Cela signifie que le montant des recettes devait être revu dans les mêmes conditions”.

Ce qui est inquiétant, estime cet ancien candidat à la présidentielle des élections de 2020, c’est que ce sont des décisions prises alors que les revenus des ménages ne s’améliorent pas.

D’après lui, il faut craindre des lendemains encore plus durs. “J’avais annoncé en 2020 que pour avoir un bon budget, il faut avoir les moyens de le financer. A chaque fois que le budget est voté, la part réservée à l’investissement est toujours minime par rapport à la part réservée au fonctionnement. Le budget du fonctionnement a été majoré de 69% alors que le budget de l’investissement a été majoré de moins de 30%”.

Dans ce budget, souligne-t-il, il n’y aura pas assez de création d’emplois et de création de grands projets de développement. “Pour moi, c’est inquiétant parce qu’on sera dans les mêmes difficultés l’année prochaine car le budget aura été naturellement majoré sans qu’on ait créé les capacités de la population de payer ses impôts”.

Pour M. Rohero, la production est inversement proportionnelle à la consommation. “En général, en Afrique et au Burundi en particulier, les autorités produisent moins et consomment considérablement”.

Pour Francis Rohero, la part de l’investissement doit revue à la hausse. “Quelle est la part de l’investissement dans l’Agriculture, dans les sociétés d’Etat notamment les sociétés de développement régional, quelle est la part de l’investissement dans l’exploitation des minerais, … la part de l’investissement dans toutes ses activités devrait être revue à la hausse pour dégager des revenus à offrir à la population et des bénéfices pour l’Etat. La solution ce n’est pas de demander que les prix diminuent, mais que le budget soit rabaissé”.

Phénias Nigaba : « Nous devons tous serrer la ceinture, l’Etat y compris. »

Le vice-président du parti Sahwanya Frodebu considère qu’avec cette montée exponentielle des prix, le pouvoir d’achat de la population diminue du jour au jour. “Si on gouverne une population qui est à l’agonie, ce sont tous les secteurs de la vie du pays qui seront paralysés. Si on n’a pas d’argent pour se procurer du ciment, comment peut-on construire des maisons, si on n’a pas d’argent pour le transport, comment pourra-t-on se déplacer ? Sans parler des prix du logement qui vont aussi partir en hausse ! Ça sera généralisé ! ”

Selon lui, le Gouvernement doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour améliorer ses moyens sans que la population en soit affectée. “Il faudrait notamment la surtaxation des produits de luxe et assainir les relations bilatérales et multilatérales”

Et d’appeler le Parlement à jouer pleinement son rôle : “Dans son rôle de contrôle de l’Action gouvernementale, l’Assemblée nationale aurait dû veiller à ce que le budget qu’il allait voter réponde aux besoins de la population. Nous devons tous serrer la ceinture, l’Etat y compris. »

A ce propos, joint au téléphone, le président de la Commission des Comptes publics et des Finances, des Affaires économiques et de la Planification à l’Assemblée nationale, le député Nestor Ntahontuye, a accepté de nous accorder une interview dans un premier temps avant de se désister.

Abdul Kassim : « L’espoir d’atteindre la vision du chef de l’Etat du Burundi émergeant en 2040 et développé en 2060 est hypothétique. »

Le président du parti UPD-Zigamibanga dit s’inquiéter “d’une course frénétique à la hausse des prix” de tous les produits de première nécessité sans pour autant que le pouvoir d’achat de la population augmente. “Atteindre la vision du chef de l’Etat du Burundi émergeant en 2040 et développé en 2060 est hypothétique dans la mesure où non seulement les prix montent de façon exorbitante, mais les produits restent introuvables sur le marché”.

Et de conclure : « Nous n’avons pas de mots pour qualifier la situation. »

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. Jereve

    J’avais pensé que la récente et spectaculaire décision de retirer de la circulation les vieux billets de 10’000 et 5’000 allait booster la santé financière du pays et des populations. C’est en tout cas ce qu’on nous avait promis. Cette décision comme vous le savez avait suscité beaucoup d’espoir chez certains, beaucoup de doutes et de grincements de dents chez d’autres. Avec la persistance de pénuries de toute sorte (carburant, devises…) et la hausse en flèche des produits sur le marché, nous devons malheureusement nous rendre à l’évidence que les effets escomptés ne sont pas encore là. Ce sont plutôt les effets inverses ou même pervers, surtout la détérioration du pouvoir d’achat, qui plongent encore plus les populations dans la misère.

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