Mardi 16 septembre 2025

Économie

Engrais chimiques : Des retards récurrents

Engrais chimiques : Des retards récurrents
Un agriculteur transporte des engrais chimiques livrés avec retard

La distribution des engrais chimiques, notamment de l’urée, connaît des retards récurrents sur tout le territoire burundais. Ce qui fragilise les petits producteurs dont les sols sont de plus en plus acides. Entre monopole de l’importateur Fomi, crise des devises et insuffisance de pouvoir d’achat, les agriculteurs paient le prix fort.

Sur le terrain, les conséquences se font sentir chaque jour. Dans la commune Kayanza, en province de Butanyerera, les agriculteurs s’interrogent sur les raisons du manque d’engrais chimiques alors que l’entreprise Fomi a étendu ses activités dans la sous-région. « Nous avons entendu que l’entreprise s’est installée jusqu’en Tanzanie et là-bas, l’accès serait plus facile qu’ici », regrette l’un d’eux.

Ils soulignent que ces intrants sont devenus indispensables, « car la terre est aujourd’hui appauvrie ». Ils dénoncent en outre des pratiques d’accaparement par des autorités locales : « Il y a celles qui prennent 30 sacs, d’autres 10 sacs » et le reste est distribué aux paysans.

Ces agriculteurs constatent aussi un regain d’intérêt pour ce secteur, notamment de la part des citadins qui se lancent dans l’agriculture. Ils ont compris que le développement passe par la terre. Ils appelent le gouvernement à redoubler d’efforts afin d’assurer une distribution équitable sans les « deux poids, deux mesures ».

Selon eux, l’usage des engrais organiques ne peut, à lui seul, compenser le déficit. « La terre est devenue dépendante des engrais chimiques ». Utiliser uniquement les intrants naturels conduirait à de faibles récoltes, synonyme de famine et de pauvreté, l’agriculture étant leur première source de revenus.

Plus à l’ouest, dans les plaines de l’Imbo, les agriculteurs de la commune Cibitoke regrettent que la distribution de l’engrais chimique de type urée arrivé tardivement ne va rien changer car le mal est déjà fait. « Nous sommes très en colère. Imaginez avoir payé l’engrais chimique depuis août 2024 et, en septembre 2025, nous n’avons toujours rien reçu après plus d’une année d’attente. Il s’agit d’un véritable problème dans notre pays », a regretté un agriculteur.

Les agriculteurs exhortent le gouvernement et l’entreprise Fomi à respecter systématiquement les délais de livraison. Ils soulignent que l’absence de récoltes suffisantes les place dans l’impossibilité de rembourser les crédits qu’ils ont contractés auprès des banques.

Durant une conférence-débat sur les réformes économiques pour la stabilité macroéconomique au mois d’août 2025, le ministre des Finances, Alain Ndikumana, a défendu la stratégie gouvernementale sur les intrants agricoles en soulignant les efforts financiers consentis. « Cette année, 220 millions de kilos de fertilisants sont prévus. Pour 1,5 million de ménages utilisateurs, cela fait plus de 110 kg par ménage. Est-ce que tous les ménages consomment réellement cette quantité ? », fait remarquer le ministère ayant l’agriculture dans ses attributions. Il dénonce une mauvaise utilisation des intrants.

Il a mis en garde contre le détournement au regard des engrais subventionnés qui ne sont pas parfois utilisés localement mais qui sont plutôt exportés. Il trouve qu’il s’agit d’un manque à gagner pour l’économie burundaise.

M. Ndikumana parle aussi de la réorganisation des aides. « Nous catégorisons pour identifier les plus pauvres et les ménages à revenus intermédiaires. Ce sont eux que nous subventionnons davantage ».

Il a souligné l’importance du budget consacré aux engrais. Cette année, 307 milliards de francs burundais ont été alloués à leur production sur un budget total de 400 milliards accordés au ministère de tutelle, soit près de 60 % du montant consacré aux subventions.


Réactions

Emery Ndanga :« Les agriculteurs ne se contentent plus de se lamenter, ils planifient »

Pour le secrétaire exécutif du Fopabu, la voix des agriculteurs, la situation autour des engrais chimiques reste préoccupante mais, des signes positifs sont visibles.

L’agriculteur est prêt aujourd’hui à semer la pomme de terre sur un demi hectare dès le mois de septembre. S’il attend la campagne de la saison A, il serait déjà en retard. C’est la preuve que les mentalités ont évolué : les plaintes ont été remplacées par la planification.

Selon lui, les retards dans la livraison des engrais sont bien connus. « L’engrais arrive toujours en tard, ou qu’il manque complètement. Certes, l’urée a été réceptionnée très tardivement, mais ce n’est pas la faute de l’entreprise Fomi. Le problème est plus complexe car l’engrais est importé. »

Malgré ces contraintes, M. Ndanga souligne l’adaptation progressive du monde paysan. Les agriculteurs planifient leurs saisons à l’avance. Ils cherchent à avoir les engrais nécessaires avant même le début des semis. Ceux qui avaient commandé pour cette saison commencent à être servis, notamment en urée, alors qu’ils n’avaient pas été servis lors des campagnes A et B. Tout cela laisse présager une bonne saison A.

Il insiste également sur les efforts du gouvernement dans ce domaine. « Des pistes existent, comme la digitalisation des commandes et la possibilité pour les agriculteurs d’acheter une fois par an leurs engrais ». Cela facilite la planification des devises pour l’importation. Il permet aux producteurs locaux des engrais et de dolomie d’augmenter leurs capacités, et partant de réduire les retards.

Le secrétaire exécutif du Fopabu livre deux recommandations, à savoir que les agriculteurs doivent toujours se préparer en connaissance de cause. Les acheteurs de leurs produits (café, coton, thé, etc.) doivent à leur tour les payer dans un délai maximum d’un mois.

Il estime que cela leur donnera les moyens d’acheter des engrais. Ces transactions passent par des comptes bancaires. Ce qui renforce la crédibilité du système. Une fois la digitalisation mise en place, il sera plus facile d’effectuer directement les paiements et même de constituer une véritable épargne dédiée à la fertilisation.

Francis Rohero : « Il n’appartient pas à la Fomi de se sacrifier pour le peuple »

Pour le président du parti FPI et professeur d’université, Fomi reste une entreprise privée, motivée par la recherche du profit. Elle n’est pas une société publique. Sa logique est commerciale : Vendre des produits pour générer des bénéfices.

Il trouve que pour fabriquer ses engrais, l’usine dépend quasi totalement de matières premières importées : nitrates, phosphates, sulfates, acquises en devises.

Le problème se situe donc au niveau du taux de change. Le prix des engrais ne se fixe pas en francs burundais mais en devises avant d’être converti. Comme la monnaie burundaise s’est fortement dépréciée ces dernières années, le coût réel doit mécaniquement grimper. Mais, les autorités hésitent à le reconnaître, car cela reviendrait à admettre l’appauvrissement de la population et les limites du prétendu développement.

M. Rohero estime qu’à court terme, la société a peut-être tenté de maintenir un prix stable en francs burundais en diminuant la teneur en éléments nutritifs de ses produits. Passer de 20 % d’azote à 18 ou à 16 % permet de limiter la hausse des prix, mais cela finit par nuire à la rentabilité dans l’agriculture et par ternir l’image de l’entreprise.

Le président du FPI souligne que le manque d’engrais au Burundi ne traduit pas une faiblesse de production, mais bien la difficulté de la population à payer le prix réel. « Des clients tanzaniens ou ougandais, mieux armés financièrement, représentent un marché plus attractif pour Fomi. Son implantation dans la sous-région montre qu’elle s’oriente vers ceux qui ont du pouvoir d’achat. Demain, elle pourrait même délocaliser toute son industrie si les conditions sont plus favorables ailleurs ».

Il appartient donc au gouvernement d’investir massivement dans ce secteur. Affirmer que des milliards de francs burundais sont mobilisés ne suffit pas. Il faut regarder leur valeur réelle en devises, car c’est la seule monnaie qui compte pour importer les intrants nécessaires.

M. Rohero met aussi en garde contre une illusion de richesse. Selon lui, si certains accumulent rapidement des revenus grâce au commerce des minerais ou des matériaux de construction, cela ne garantit rien en sécurité alimentaire. « L’argent ne se mange pas. Sans production agricole suffisante, la population mourra ou fuira. »

KG : « L’urgence est de mettre fin au monopole »

Selon un expert sous couvert d’anonymat, l’accès aux engrais minéraux devient un véritable casse-tête pour les agriculteurs burundais, en particulier les petits producteurs dont les sols s’acidifient davantage chaque année. Ce paradoxe se renforce alors que le gouvernement avait lancé le Programme national de subvention des engrais (PNSEB), censé améliorer la fertilité des terres.

Au début du programme, les paysans passaient leurs commandes en payant une avance puis réglaient le solde avant de récupérer leurs engrais auprès des distributeurs. Mais, la situation s’est détériorée dès que l’importation a été confiée à un seul opérateur, la Fomi. « Le monopole a compromis les espoirs des producteurs. Le rythme a été perturbé et certains, malgré un paiement complet, n’ont jamais reçu leurs engrais. Certains détiennent encore des bons datant de plusieurs saisons ».

Pour lui, l’insuffisance des engrais, notamment de l’urée, connue sous le nom de Totahaza, menace directement les rendements. Les sols acides ont besoin d’un apport constant en nutriments pour maintenir une production acceptable. Face à cette pénurie, des alternatives émergent dans le cadre de la transition agroécologique. Des pratiques comme le compostage accéléré ou l’utilisation des urines de mammifères, y compris humaines, ont déjà été expérimentées au Burundi et dans la sous-région pour compenser le manque d’urée.

Il estime que l’urgence est de mettre fin au monopole actuel. « Si rien n’est fait, le pire pourra arriver. Le secteur doit être libéralisé afin de permettre la concurrence entre fournisseurs, gage de compétitivité et de qualité. »

À cela s’ajoute la crise des devises qui paralyse l’importation. Il regrette que les priorités de l’État se concentrent sur le carburant et les médicaments tout en reléguant les engrais au second plan. Cette situation risque d’asphyxier les petits producteurs qui sont les premiers à payer les pots cassés.

Iwacu a tenté à plusieurs reprises de joindre Fomi et le ministère de tutelle pour des éclaircissements mais sans succès.

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