Vendredi 29 mars 2024

Politique

Du passé composé au futur simple: L’indépendance du Burundi : (in)opportune ?

14/05/2020 Commentaires fermés sur Du passé composé au futur simple: L’indépendance du Burundi : (in)opportune ?
Du passé composé au futur simple: L’indépendance du Burundi : (in)opportune ?
Vue partielle des participants dans le débat.

Presqu’environ 60 ans sous le joug colonial, le Burundi va recouvrer sa souveraineté le 1er juillet 1962. Néanmoins, cette date ne faisait pas l’unanimité de tous les acteurs : ‘’Précoce’’ pour les uns, ‘’tardive’’ pour les autres. Qu’en pensent les jeunes de Cankuzo ? Débat.

« Il était vraiment temps que le Burundi soit indépendant. Les Burundais étaient fatigués de la maltraitance, de la chicotte », confie Godelieve Ndabagoye, une jeune fille de Cankuzo. Invitée au débat sur le recouvrement de l’indépendance du Burundi, elle ne trouve aucune réalisation positive des colonisateurs. « Les conséquences de leur politique de diviser pour régner restent catastrophiques. L’exclusion, le favoritisme. » Anicet Niyonkuru, un autre participant au débat, abonde dans le même sens : « Les Burundais vivaient dans un situation de servage. Les œufs, le beurre… étaient destinés aux Blancs.» Ce qui va finalement pousser les Burundais à lutter pour l’indépendance, selon Jean-Marie Ntungwanayo. Et ce, pour trois raisons principales. D’abord, la soif de recouvrer leur liberté perdue en 1903 avec le Traité de Kiganda. « Leur dignité humaine n’était pas respectée». Aussi, le Burundi va être motivé par ce courant d’indépendance en Afrique et en Asie. De son côté, Léonard Ndayishimiye trouve que la colonisation n’était même pas nécessaire : « Grand merci à ceux qui se sont sacrifiés pour l’indépendance. Ils ont redonné l’honneur au pays, aux Burundais. »
Ce qui ne convainc pas Divine Muhoza, une autre jeune fille invitée à ce débat. Pour elle, la colonisation a eu certains aspects positifs. Elle cite les écoles, les hôpitaux, les routes, etc. Elle juge que la chicotte était aussi un mal nécessaire, une façon de contraindre les Burundais au travail, à l’école, au développement.  Idem pour Francis Ngabirano, un autre jeune : « N’eût-été la colonisation, les Burundais s’habilleraient en ficus, vivraient de la chasse et de la cueillette en 2020.» D’après lui, la colonisation était nécessaire. Ce contact a permis aux Burundais, explique-t-il, de se développer, d’évoluer.

Cependant, ces deux jeunes reconnaissent que l’indépendance était une nécessité. « Mais à condition que les Blancs ne soient pas chassés. Qu’ils restent au pays dans le cadre de la coopération », glisse M.Ngabirano. Il donne l’exemple de l’Afrique du Sud : « Je suis convaincu que si les Noirs avaient chassé tous les Blancs après la fin de l’Apartheid, ce pays aurait régressé. »

Un autre son de cloche. Albert Bimenyimana, un autre participant au débat, rappelle qu’avant l’arrivée des colonisateurs, le Burundi était un des rares royaumes bien organisés administrativement, économiquement, militairement, etc. Les Burundais fabriquaient des houes, des machettes, des flèches, des habits en ficus, etc. Des Intore (les soldats du roi) étaient là pour protéger et défendre le pays. « Je ne doute pas que cette technicité aurait progressé».

Des acteurs et des obstacles

Selon Emile Mworoha, l’indépendance sera d’abord une affaire des intellectuels. Il y a les lauréats du Groupe Scolaire d’Astrida, dont des  assistants agronomes, des vétérinaires et des administratifs et des séminaristes. Le deuxième groupe comprend des chefs  Bezi et Batare. Les autres acteurs sont l’ONU et la Belgique. Cependant, leurs positions sont divergentes. Pour l’historien Mworoha, les Belges ne voulaient pas que le Burundi soit indépendant. « Ils y ont été obligés». Et avec la Deuxième guerre mondiale, deux superpuissances vont émerger: USA et URSS. Au moment où les Belges avaient comme principe ‘’ pas d’élites, pas d’ennuis’’, les deux puissances vont plaider pour l’autodétermination des peuples colonisés. Pr Mworoha évoque aussi la Conférence de Bandoeng en 1955 en Indonésie. Cette dernière va rassembler 29 pays africains et asiatiques nouvellement indépendants.

Les Belges vont tenter de faire obstacle à l’Uprona, un parti rassembleur fondé par Paul Mirerekano, un agronome. On y trouve toutes les catégories sociales (les Bahutu, les Batutsi, les Baganwa, les Baswahili, les protestants et des catholiques). Pour l’Uprona et ses fidèles, il faut une indépendance immédiate. Les Belges vont soutenir les adeptes de l’indépendance tardive. D’où la fondation du Parti Démocrate-Chrétien (PDC) par le chef Pierre Baranyanka. Pour ce parti, il faut l’indépendance au moins en 1980.

Ainsi en 1960, les élections communales vont être truquées et remportées par le Front commun : PDC, PDR (Parti Démocratique Rural) et PP (Parti Populaire). Et l’Uprona va contester cette victoire. De nouvelles élections au suffrage universel vont être organisées sous la supervision de l’ONU. Un scrutin remporté par l’Uprona.

Les Belges vont aussi essayer d’exploiter le conflit Bezi-Batare. Surpris par la popularité et le charisme du Prince Rwagasore, Paul Harroy, le gouverneur, va demander à Ntidendereza, Joseph Birori et Baranyanka de ne pas accepter l’indépendance immédiate : « Il ne faut pas accepter qu’un fils du roi participe dans la vie politique. » Une façon d’empêcher Rwagasore de participer dans la vie politique.


Eclairage

Les Blancs ne sont pas venus pour développer l’Afrique. Ils avaient un triple objectif : coloniser, civiliser et christianiser. Le but ultime était le pillage de l’Afrique de ses richesses minières, sa main d’œuvre pour aller développer l’Europe. L’historien Emile Mworoha donne l’exemple de la Belgique dont son développement est tributaire du cuivre pillé au Katanga en RDC. Insistant sur le Burundi, il montre qu’en 1962, le Burundi ne comptait pas trois licenciés. Il y avait seulement deux lycées complets et 30 km de route macadamisée. M.Mworoha se rappelle qu’à son retour des études en France, il recevait une indemnité de rareté. Or, les colonisateurs venaient de passer au moins 60 ans au Burundi. « C’est après l’indépendance que les Burundais sont allés faire des études dans les universités européennes, asiatiques, etc.»

Pour lui, l’indépendance a débloqué la coopération et le développement. « Elle a permis une collaboration dans le respect mutuel, une intégration internationale».

A ceux qui disent que les Blancs sont partis, cet historien rétorque : « Ils sont encore là. Ils ont seulement changé de stratégies, de méthodes.»

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