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Politique

Du passé composé au futur simple : de l’injustice à la radicalisation

11/09/2020 Commentaires fermés sur Du passé composé au futur simple : de l’injustice à la radicalisation
Du passé composé au futur simple : de l’injustice à la radicalisation
Vue partielle des participants au débat de Bukeye sur les événements de Busangana.

55 ans après, le massacre de Busangana en province Muramvya fait toujours débat. Certaines victimes souffrent encore. Que gardent les habitants de Bukeye de ces événements douloureux ?

Busangana, une des collines de la commune Bukeye, province Muramvya, riveraine de la Kibira. C’est de là que sont partis les événements douloureux de 1965. Selon les témoignages des habitants de Bukeye, des maisons des Tutsi ont été incendiées par des jeunes. « Les occupants étaient aussi tués».

Emile Wakana de Kivogero indique que la crise a éclaté un certain mercredi : « Des maisons de Tutsi incendiées. On parlait de la jeunesse Mirerekano comprenant des Rwandais et des Burundais. »

A cette époque, Wakana était en 1ère année de l’Ecole Primaire. Et la première victime a été Barikore, chef de plantation à l’OTB Teza. Il affirme que ses parents étaient parmi ceux qui sont allés combattre ces ‘’rebelles’’. Les assaillants ont tenté d’investir Kivogero, une colline majoritairement habitée par des Tutsi, en vain. Un commandant de l’armée en provenance de Gitega, explique-t-il, les a interceptés aux environs de Mubarazi. « Ils se sont repliés vers Busimba pour regagner la Kibira». Une répression aveugle a suivi leur défaite : des biens, des vaches, des récoltes de Hutu ont été pillés. Des morts aussi.

Ce qui est confirmé par Frederick Ndoricimpa de Gahaga : « Busangana a été, à un certain moment, déserte. Les rescapés Hutu ont fui vers la Kibira à l’arrivée des militaires.» Des emprisonnements à Muramvya pendant sept ans : « Certains ont été relâchés, d’autres ne reviendront jamais. » C’est surtout lors des rondes nocturnes que ces arrestations étaient menées. « Beaucoup de Hutu étaient accusés à tort et à travers d’être des pro-Mirerekano. Parler de lui était mortel », ajoute Egide Ndikumagenge de Gikonge, 38 ans. Et Jonas Nimbona de Bukeye d’ajouter que d’autres étaient amenés ailleurs pour être liquidés à Busangana. D’où l’existence, selon lui, de beaucoup de fosses communes dans Busangana et Busimba.

Paul Mirerekano, commanditaire ou pas ?

La cause est à situer bien avant 1965. Rwagasore avait collaboré avec Paul Mirerekano, un Hutu, pour chercher l’indépendance, témoignent des habitants interrogés à Bukeye. C’est après la mort du Prince que tout va basculer. Selon Emmanuel Hatungimana de Kivogero, avec la mort du Prince Rwagasore, on pensait que Paul Mirerekano devait devenir 1er ministre. Mais, il n’a pas accédé à ce poste. « Je ne sais pas si c’est à cause de son ethnie. Mais c’est André Muhirwa, un Tutsi, qui a été nommé 1er ministre.» Très frustré, déçu, Paul Mirerekano va se réfugier au Rwanda.

M.Hatungimana accuse Paul Mirerekano d’être derrière ces massacres de Busangana : « Influencé par la politique du Rwanda, à son retour au pays, il a commencé à enseigner aux Hutu la manière de détrôner les Tutsi.» D’après lui, il a propagé des enseignements divisionnistes dans sa localité. « Mais, c’est suite à l’injustice subie que Paul Mirerekano est devenu un radical et a cherché à se venger». Il reconnaît qu’il s’était beaucoup donné pour le pays presqu’au même titre que Rwagasore.

Et dans un entretien accordé à Iwacu, en 2013, feu Léon Manwangari, avait dit qu’après l’assassinat du Prince Louis Rwagasore, Paul Mirerekano a été persécuté par l’Uprona et le gouvernement d’André Muhirwa. Ils avaient peur, explique-t-il, de sa popularité. D’où son exil en Tanzanie, en 1961, pour quelques jours.

Selon toujours feu Manwangari, le gouvernement d’Albin Nyamoya ne lui a pas non plus rendu la vie facile. En 1964, il s’est réfugié au Rwanda.
Feu Léon Manwangari a nié son implication dans cette tragédie : « La population se serait soulevée en entendant l’exécution de son idole. Et quelques maisons de Tutsi ont été brûlées. » Ce qui a été suivi par une répression aveugle : « Le gouverneur de Muramvya d’alors, Tharcisse Ntavyibuha, appelle la population de Busangana pour une rencontre. Les Tutsi ayant été avisés, les Hutu vont se retrouver seuls à la rencontre pour être tués par des militaires commandités par le gouverneur. »

Des facteurs exogènes

D’après le politologue Elias Sentamba, ces événements ont des causes profondes. Les conflits internes au sein de l’Uprona, la situation au Rwanda et les antagonismes des blocs Est & Ouest (capitalisme et communisme). Quand le Burundi a accédé à l’indépendance, Paul Mirerekano, était au Congo. Et à l’Uprona, on pressentait que si Rwagasore devenait 1er ministre, Paul Mirerekano serait ipso facto président du parti Uprona. Malheureusement, le Prince est tué, le 13 octobre 1961. A son retour, Paul Mirerekano ne sera ni 1er ministre, ni président du parti. Il se sent humilié, exclu. Il est frustré. M. Sentamba affirme que Paul Mirerekano était un intellectuel caractérisé par un leadership extraordinaire. Il donne l’exemple de son projet des légumineuses dans la région de Muramvya : « Les Blancs n’étaient pas contents de cela, étant donné que c’était une initiative d’un Uproniste et de surcroît un Hutu.»Paul Mirerekano va se réfugier au Rwanda dans la fraîcheur de la révolution sociale de 1959 qui a abouti aux massacres des Tutsi et à la prise du pouvoir par les Hutu.Des rescapés rwandais Tutsi vont fuir vers le Burundi. De temps en temps, des attaques sont menées contre le Rwanda. A son tour, le président rwandais d’alors, Grégoire Kayibanda, va chercher des Hutu burundais réfugiés au Rwanda pour perturber le Burundi. Parmi eux, Paul Mirerekano, un vrai mobilisateur. Ce politologue affirme que des maisons de Tutsi ont été brûlées, dans un premier temps, à Busangana. « Mais, par après, avec l’arrivée des militaires, des Tutsi sont allés se venger et ont tué des Hutu sur simple suspicion de collaborer avec Paul Mirerekano».

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