Entre les 9 et 10 décembre 2025, plus de 10 000 réfugiés en provenance de la République démocratique du Congo ont franchi la frontière Gatumba–Kavimvira, en province de Bujumbura, fuyant l’insécurité grandissante dans l’est du pays. À leur arrivée au Burundi, ils sont accueillis et regroupés dans la cour de la brigade de Gatumba, un site non aménagé pour recevoir un tel afflux.
Sur place, la situation reste critique. Aux environs de 8 h du matin ce 10 décembre 2025, la foule entassée dans la cour de la brigade de Gatumba tente de forcer la sortie pour aller acheter de quoi manger. La faim, la chaleur et la fatigue rendent l’attente insupportable.
Parmi eux, des Burundais travaillant en RDC, mêlés aux réfugiés congolais lors des mouvements de panique, exigent qu’on les laisse rentrer chez eux.
« Nous ne sommes pas des Congolais. Nous avons nos cartes d’identité. Qu’on nous laisse rentrer. Nous avons des enfants à allaiter », s’indigne une femme burundaise, visiblement épuisée.
Un besoin urgent de tentes, de toilettes et d’eau potable s’impose. Les réfugiés, livrés à eux-mêmes, ont passé la nuit à la belle étoile, exposés au froid, à la pluie et à l’insalubrité.
Sous un soleil de plomb, les signes de fatigue, de faim et même d’évanouissements se lisent sur leurs visages. « Nous n’avons ni eau, ni nourriture, ni abri. Nous dormons à même le sol. Qu’ils nous viennent en aide. À cause du petit nombre de latrines, nous nous soulageons dans les herbes qui nous entourent », lance une mère de trois enfants, épuisée.
Hommes, femmes et enfants, assoiffés, affamés et sans assistance, implorent l’intervention urgente des autorités burundaises et des organisations humanitaires. Leur cri de détresse souligne l’urgence d’une réponse rapide pour éviter une crise sanitaire et humanitaire plus grave.
Vers 9 h du matin, un camion-citerne distribuant de l’eau potable arrive sur les lieux. L’apparition de cette ressource vitale provoque aussitôt des bousculades, chacun tentant de se frayer un chemin pour recevoir quelques gouttes.
Ce n’est qu’aux environs de 10 h 30 que les autorités locales, accompagnées de quelques organisations humanitaires, commencent à organiser la séparation des Burundais (présents par erreur parmi les réfugiés) afin de les laisser rentrer chez eux. Parallèlement débute le processus d’enregistrement des réfugiés congolais.
L’urgence des besoins primaires

Un Congolais âgé témoigne du manque criant de nourriture :
« Nous sommes arrivés hier vers la fin de l’après-midi et nous n’avons rien mangé jusqu’à maintenant. Apparemment, c’est l’enregistrement qui occupe les autorités. »
Il indique qu’il vient de Luvungi :
« Nos déplacements en masse ont commencé après que le quartier général de l’armée burundaise a été la cible d’un bombardement qui a fait plusieurs victimes. »
Il raconte avoir marché des heures, passant par Uvira jusque dans la brigade, la faim et la fatigue au ventre. Ceux qui ont de quoi acheter un peu de nourriture s’en sortent, mais les autres « ne font que somnoler sous le soleil en attendant les âmes charitables ».
Il lance un appel :
« La majorité est venue avec des enfants. Pour éviter qu’ils ne meurent de faim, qu’on nous donne à manger. »
Cibitoke
À Kansega, une situation très alarmante

Depuis l’intensification des combats dans les localités de Kamanyola, Gatogota, Luvungi, Lubarika, Bwegera, Luberizi, Mutarule, Sange et Kiliba, des milliers de civils fuient vers le Burundi. Plusieurs centaines ont trouvé refuge à Kansega, une zone reculée de Bukinanyana.
Mais leur accueil s’est transformé en calvaire : aucune nourriture, aucun abri, presque aucun soin. Depuis leur arrivée, aucune aide alimentaire ne leur a été fournie.« Nous n’avons rien donné depuis le premier jour », confie un responsable d’association. L’absence d’infrastructures sanitaires aggrave les risques. « Aucun centre de soins n’est opérationnel, et les rares interventions des équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) restent insuffisantes. »
Un médecin de MSF, sous anonymat, ajoute que des « toilettes mobiles d’urgence » ont été installées, mais que l’insalubrité y règne. Les risques d’épidémie sont élevés : « Si l’on n’intervient pas rapidement, des maladies liées à la promiscuité vont éclore. »
Décès de trois enfants et d’une mère
La conséquence la plus dramatique est le décès de trois enfants et d’une mère, tous réfugiés congolais arrivés récemment à Kansega. Malnutrition, absence d’eau potable, manque de soins : autant de facteurs ayant conduit à ces drames. Sans intervention rapide, le nombre de victimes pourrait augmenter, notamment parmi les enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées.
Les réfugiés s’indignent : « Aidez-nous ou renvoyez-nous ! »
Ils réclament des mesures immédiates du HCR et des autorités. « Donnez-nous au moins de quoi nourrir nos enfants, ou facilitez notre retour vers la RDC », lancent-ils.
Selon un responsable du HCR, les recensements sont en cours, mais aucune mesure concrète d’aide alimentaire ou de relogement n’a encore été annoncée.
Appel pressant à l’aide internationale
Le ministre burundais de l’Intérieur, Léonidas Ndaruzaniye, s’est rendu sur place le 9 décembre et a constaté la gravité de la situation. Il a demandé aux ONG de s’activer pour organiser l’évacuation ou la prise en charge des réfugiés dans des camps équipés.
« Le temps presse. Chaque jour, c’est un risque mortel qui plane sur ces réfugiés. ONG, gouvernement et communauté internationale doivent agir immédiatement, avant que l’indifférence ne fasse davantage de victimes innocentes », confie un responsable d’association.
Rencontre
Brigitte Mukanga-Eno, représentante du HCR au Burundi : « Nous lançons un appel urgent à nos donateurs »
Vous venez de faire un tour de ce site de transit des réfugiés congolais. D’abord, quelle est la situation générale aujourd’hui ?
Nous avons commencé à recevoir les réfugiés en provenance de la RDC à partir du vendredi 5 décembre. Et depuis ce moment-là jusqu’à maintenant, nous avons déjà dépassé les 40 000 personnes en l’espace d’une semaine. Cela est dû aux combats très sérieux du côté du Congo.
D’abord du côté de Kamanyola, puis dans d’autres zones d’où beaucoup de gens ont fui pour venir chercher la sécurité au Burundi. Comme vous pouvez le voir, il y a beaucoup d’enfants, de personnes âgées, de personnes malades, mais également des personnes blessées suite à ce qui s’est passé du côté du Congo.
Et quelles sont les actions en cours ?

Le HCR, avec l’ensemble du système des Nations Unies au Burundi, essaie d’organiser une assistance provisoire. Tout vient juste de commencer, parce que c’est un très grand nombre de personnes arrivées d’emblée, en seulement quelques jours. Nous remercions d’ailleurs le gouvernement du Burundi qui a accordé le statut de réfugié à tous les Congolais venant du Congo.
Il a mis à disposition ce site temporaire, mais comme il se trouve encore proche de la frontière, les réfugiés seront transférés vers un nouveau site donné par le gouvernement : le site de Bweru, vers Ruyigi. C’est là que tout le monde sera transféré pour bénéficier de meilleures conditions de sécurité et de protection. Nous travaillons bien sûr avec le service de l’immigration, avec l’ONPRA — la structure gouvernementale en charge des réfugiés — mais aussi avec la Direction générale du rapatriement. Car parmi les personnes qui traversent, il y a également un nombre important de Burundais, anciens réfugiés en RDC, qui reviennent à cause de cette crise.
Quels sont les fonds disponibles pour venir en aide à ces réfugiés ?
Pour le moment, il n’y a pas de ressources. Nous arrivons à la fin de l’année, ce qui correspond à la fin des budgets pour la plupart des organisations. Nous sommes en train de lancer un appel inter-agences pour obtenir le soutien de nos donateurs. L’Union européenne, à travers son agence humanitaire ECHO, a déjà débloqué une première assistance pour permettre d’assurer les services les plus basiques, notamment l’accès à l’eau.
Quelles sont les actions concrètes mises en place ici à Kansega ?
Vous avez vu que nous avons commencé par installer de l’eau. Les services de santé sont aussi en train de s’organiser. Avec autant de personnes ayant parfois marché plusieurs jours avant d’arriver ici, nous avons déployé des médecins qui ont commencé des campagnes de vaccination, notamment contre le choléra présent dans la région et contre la polio parmi certains arrivants.
Nous en sommes vraiment au tout début, mais nous devons garantir de l’eau potable, au moins un repas par jour et un abri temporaire. Ensuite, une fois transférées au site de Bweru, les familles pourront bénéficier d’abris plus décents, où chacune aura un minimum de dignité.
Qu’en est-il des réfugiés se trouvant à Gatumba ?
Il y a eu deux points d’entrée essentiels. Du côté de Sange, nous avons presque 30 000 personnes sur le site de Ndava. Au centre de transit de Cishemere, toujours en province Cibitoke, près de 4 000 personnes. Et depuis avant-hier, avec la crise au niveau d’Uvira, entre 10 000 et 15 000 personnes sont arrivées à Gatumba.
Qu’est-ce qui est en train de se faire là-bas ?
Un espace a été mis à disposition par le gouvernement pour accueillir ces personnes. La première étape consiste à les séparer, car parmi elles se trouvent des Burundais et des réfugiés congolais. Nous réalisons ce travail avec les services du gouvernement, en espérant que la situation se calme du côté de la RDC pour pouvoir passer aux étapes suivantes.
Quel est votre message à la population environnante de ces sites de transit ?
À la communauté d’accueil ici à Ndava, nous disons d’abord un grand merci. Vous avez accueilli vos frères et sœurs qui fuient une situation de crise à l’est du Congo. Merci pour les appuis que vous leur donnez. Nous savons que la population hôte est toujours la première à accueillir les gens et à partager le peu qu’elle a.
Nous vous remercions sincèrement pour votre hospitalité. Nous vous demandons de continuer à soutenir ces familles. N’oubliez pas que personne ne décide de devenir réfugié.
Une guerre aussi médiatique

Dans une interview accordée à la RFI, le ministre burundais des Affaires étrangères, Edouard Bizimana, a affirmé que la ville d’Uvira est menacée depuis le 2 décembre, lorsque l’AFC/M23 a intensifié ses offensives. « Bien sûr, c’était avec le renfort venu du Rwanda. On a vu des camions remplis de militaires : la première fois 17, la deuxième fois 22, qui traversaient de Bugarama, au Rwanda, vers la frontière congolaise. »
Selon lui, les rebelles ont utilisé des armes lourdes, de l’artillerie et même des drones kamikazes de fabrication turque. « Ce que nous regrettons, c’est que ce sont des armes qui tuent à l’aveuglette. Ils ont lancé des bombes sur les populations civiles, obligeant les gens à fuir. »
Il avait également averti : si les rebelles et leurs alliés rwandais entrent dans Uvira, « toutes les options sont sur la table », car Uvira et Bujumbura sont deux villes côtières. « Ce qui menace Uvira menace aussi Bujumbura. Le Burundi est prêt à user de tous les moyens pour protéger sa population et ses frontières. »
Le Rwanda pointé du doigt
Pour le ministre burundais Edouard Bizimana, sans le président Paul Kagame et sans le Rwanda, le M23 « n’est rien ». « Le Rwanda est devenu un facteur de déstabilisation. Il suffirait que les États-Unis mettent un peu de pression sur Kagame pour que la situation évolue. Si l’accord signé n’est pas appliqué, alors que c’est Washington qui a encouragé les deux chefs d’État à s’y engager, ce serait une humiliation pour les Américains. »

Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement congolais, partage ce point de vue. « La situation dans l’Est est inacceptable, surtout après la signature de l’accord du 4 décembre. Nous savions que le Rwanda n’était pas de bonne foi, mais il fallait aller au bout du processus. »
Selon lui, les offensives intervenues après la signature confirment les mises en garde du président Tshisekedi. « Le Rwanda ne peut pas se permettre de faire un camouflet au président américain. En sapant un accord salué par le monde entier, il prouve une nouvelle fois son mépris du droit international. » Le gouvernement congolais appelle les facilitateurs des processus de Washington et de Doha ainsi que la médiation africaine à user de tout leur arsenal diplomatique pour faire cesser les hostilités. « Nous restons engagés au respect des accords, mais nous ne renoncerons jamais à notre droit légitime à la sécurité et à la défense de notre territoire. »
Le Rwanda accuse à son tour ses deux voisins

Olivier Nduhungirehe, ministre rwandais des Affaires étrangères, affirme que depuis la signature de l’accord du 27 juin, l’armée congolaise bombarde quotidiennement les positions de l’AFC/M23, violant ainsi le cessez-le-feu. « C’est étonnant que le président Tshisekedi se pose en victime alors qu’il viole chaque jour le cessez-le-feu. » Concernant les tirs qui auraient atteint le Burundi depuis le Rwanda, il nie catégoriquement. « Ce sont des accusations miroir. Le problème, ce sont les interventions burundaises au Sud-Kivu qui menacent la sécurité régionale. Il ne peut y avoir de paix sans retrait de ces forces burundaises. »
Pour lui, de nouveaux accords ne sont pas nécessaires : « Nous avons déjà des accords valides. Il faut seulement les mettre en œuvre, avec bonne foi. La communauté internationale doit comprendre qu’il ne pourra y avoir de paix sans cessez-le-feu de la part de Kinshasa et de Bujumbura. »
La position de l’AFC/M23
Lors d’une conférence de presse à Goma, le 9 décembre 2025, Bertrand Bisimwa, coordinateur adjoint du mouvement rebelle, a déclaré que l’AFC/M23 n’a « aucune intention d’attaquer le Burundi ». « Nous avons toujours vécu en paix avec le peuple burundais. Nous demandons seulement le retrait des troupes burundaises du sol congolais. »
L’ICG préoccupé par l’escalade
Dans un communiqué du 9 décembre 2025, le Groupe de contact international pour la région des Grands Lacs (ICG) exprime sa « profonde préoccupation » face à la nouvelle offensive du M23, soutenu par le Rwanda, autour d’Uvira. Il estime que la situation risque de « déstabiliser toute la région ».
L’ICG appelle le M23 et les Forces de défense rwandaises (FDR) à cesser immédiatement les opérations offensives et les exhorte à respecter les résolutions onusiennes, notamment la 2773, ainsi que les engagements pris dans le cadre de l’accord de Doha et des Accords de Washington.
« Des accords déconnectés de la réalité »

Pour Thierry Virculon, spécialiste de la région des Grands Lacs, tous ces accords sont « déconnectés de la réalité » et « ne permettront pas de la changer ». « Le premier accord du 27 juin n’a pas été appliqué. Il n’y a donc aucune raison que les autres le soient. Aucun belligérant n’a envie de paix. »
Concernant l’engagement du Burundi dans l’Est de la RDC, il estime que celui-ci « s’inscrit dans une logique ancienne ». « Pour le Burundi, le Sud-Kivu est un espace stratégique : sa sécurité et une partie de son économie en dépendent. Toutefois, la prise d’Uvira constitue le risque d’un affrontement direct à la frontière. »









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