Les conditions de travail précaires et la faible rémunération poussent de nombreux enseignants à abandonner leur métier. Cet exode silencieux paralyse les enseignements dans certaines écoles. Les syndicalistes tirent la sonnette d’alarme. Ils demandent au gouvernement d’arrêter cette hémorragie.
Cent trente-huit enseignants sont déjà partis depuis le mois de juin 2025 dans l’ancienne Direction provinciale de l’Éducation à Ngozi. Selon nos sources, trente enseignants sont partis vers des destinations inconnues. D’autres ont été recrutés pour travailler dans les communes et zones, suite au nouveau découpage administratif du Burundi.
Des informations émanant de la Direction scolaire de Ngozi indiquent que bon nombre de ces enseignants sont partis vers Dubaï, le Malawi, la Zambie et ailleurs.
Certains directeurs des écoles concernées disent avoir des difficultés dans leurs enseignements, car ces départs n’ont pas encore été remplacés.
Lors de l’ouverture de l’année scolaire en cours, le 8 septembre 2025, dans la province de Butanyerera, le gouverneur Victor Segasago a fait savoir que plus de trois cents enseignants sont allés dans l’administration des communes et zones.
Les directeurs, parents et élèves demandent aux autorités habilitées le remplacement de ces départs, afin d’occuper les élèves qui, pour le moment, n’ont pas d’enseignants.
Des témoignages poignants
« J’ai décidé de déserter l’enseignement pour diverses raisons. D’abord, c’est un métier qui est aujourd’hui méprisé de tous côtés. Les autorités politiques sous-estiment les enseignants, et les apprenants ne les respectent plus », raconte avec indignation N.J., qui a déserté mais vit encore au pays.
Il fait savoir que son salaire ne lui permettait pas de joindre les deux bouts du mois. Il a décidé de se lancer dans le petit commerce pour survivre.
« Avec la dévaluation de notre monnaie, j’ai constaté que je ne pouvais pas faire vivre ma famille. Le salaire est insignifiant. J’ai préféré me lancer dans le petit commerce et l’élevage. Je vois que ça marche un peu. En tout cas, je parviens à nourrir ma famille. »
Cet enseignant s’insurge contre la politisation du secteur éducatif. Il dénonce la nomination des responsables scolaires sur la base de critères partisans.
« Aujourd’hui, les directeurs d’écoles sont désignés non pas selon leur expérience et leurs compétences, mais parce qu’ils militent activement dans un parti politique. »
Tout comme les autres, cet enseignant se prépare lui aussi à aller tenter sa chance au Malawi.
« Un licencié touche actuellement entre 420 et 450 mille FBu. J’avais une ancienneté de neuf ans. Comment peut-on subvenir à nos besoins avec un tel salaire ? », s’indigne B.N., un enseignant qui vit actuellement à Dubaï.
Il éprouvait des difficultés pour payer le loyer et le transport. « À Gitega, par exemple, le loyer d’une maison de trois chambres revient à plus de 200 mille BIF, soit presque la moitié de mon salaire. »
Le déplacement était un casse-tête pour lui. « Je travaillais dans la Direction scolaire de Makebuko. J’avais un seul congé pédagogique, donc quatre jours de travail. Avant, je payais 4 000 BIF par jour comme frais de déplacement aller-retour. »
Selon lui, les choses se sont empirées avec la pénurie de carburant. Le ticket a triplé, variant entre 6 000 et 7 000 BIF pour un simple aller, soit 12 000 à 14 000 BIF par jour.
« Un simple calcul montre que, pour le déplacement, je payais 48 000 BIF par semaine, soit 192 000 BIF par mois. »
Les syndicats alertent
« Ces derniers temps, on observe un départ massif non seulement des enseignants, mais aussi des jeunes Burundais à la recherche de meilleures conditions de vie », constate Emmanuel Mashandari, vice-président de la Coalition spéciale des syndicats des enseignants pour la Solidarité nationale (Cossesona).
Selon lui, la cherté de la vie et un salaire peu motivant figurent parmi les principales raisons qui poussent certains enseignants à abandonner leur métier pour chercher du travail dans d’autres pays ou dans d’autres secteurs.

« Il y a de cela deux ans, le mouvement se dirigeait vers l’Europe, mais ces derniers temps, il se tourne vers les pays arabes, notamment les Émirats arabes unis, surtout vers Dubaï. »
Selon M. Mashandari, ce départ massif a des conséquences négatives sur le niveau d’apprentissage des élèves.
« Tous ces départs d’enseignants vident le secteur éducatif d’une main-d’œuvre qualifiée, des intellectuels qui étaient en train de préparer l’avenir de ce pays. »
Pour lui, ce phénomène ajoute le drame au drame. Une carence d’enseignants s’observait déjà.
« Cet exode concerne des enseignants qui avaient déjà acquis une certaine expérience. Même si on les remplace, il faudra du temps pour que les nouveaux recrutés se familiarisent avec le contenu des matières à enseigner. Les apprenants vont en souffrir. »
Il demande au gouvernement d’augmenter le salaire des enseignants et de trouver une solution à la dépréciation de la monnaie burundaise afin de les maintenir dans la profession.
Antoine Manuma, président de la Fédération nationale des syndicats du secteur de l’enseignement et de l’éducation du Burundi, fait le même constat. Il fait savoir que les départs du personnel enseignant prennent une allure inquiétante.
« Le nombre d’enseignants, et même d’autres personnels, qui partent augmente de plus en plus. Mais, jusqu’à présent, le chiffre exact reste inconnu. »
Selon lui, la cause de cette hémorragie demeure le salaire dérisoire que perçoivent les enseignants.
« Un enseignant qui termine l’université touche actuellement un salaire qui avoisine 400 000 BIF. Pour ceux qui vivent dans les grandes villes, cette somme ne suffit qu’à couvrir le loyer. »
Ce syndicaliste fait observer que ces départs perturbent le bon déroulement des activités scolaires. Il précise que le remplacement de ces enseignants n’est pas toujours automatique.
« Même si on les remplace, on n’a pas les mêmes profils. On a recours aux bénévoles et aux vacataires, qui sont inexpérimentés, et la qualité des enseignements laisse à désirer. »
Il demande au gouvernement de majorer le salaire non seulement des enseignants, mais aussi de tous les fonctionnaires.
« Sinon, la vision du Burundi — pays émergent en 2040, pays développé en 2060 — restera utopique. »
Rappelons que, pour l’année scolaire en cours, le ministère de l’Éducation a prévu de recruter environ 2 000 nouveaux enseignants. Le test de recrutement a déjà été organisé.
Cependant, selon les syndicalistes, les besoins sont estimés à plus de 10 000 enseignants.







