Vendredi 26 avril 2024

Politique

Suspension des ONG : Clarification ou revirement ?

08/10/2018 Commentaires fermés sur Suspension des ONG : Clarification ou revirement ?
Suspension des ONG : Clarification ou revirement ?
Pascal Barandagiye : « Celui qui va fermer l’hôpital sera tenu responsable des conséquences. »

Le conseil national de sécurité (CNS) a suspendu, jeudi 27 septembre 2018, pour trois mois, les activités des organisations non gouvernementales à partir du 1er octobre, soulevant un tollé. Mardi 2 octobre, le ministre de l’Intérieur rencontre les représentants des ONG étrangères pour clarifier la mesure controversée. Retour sur un feuilleton qui a défié la chronique.

Initialement prévue le 1er octobre, la rencontre du ministère de l’Intérieur avec les représentants des ONG a finalement lieu le lendemain dans une des salles de l’Hôtel source du Nil pleine à craquer. Les représentants des ONG ont répondu massivement à l’invitation.

Prenant la parole, Pascal Barandagiye, ministre de l’Intérieur et de la Formation patriotique, n’y va pas par le dos de la cuillère. « Nous ne sommes pas ici pour modifier quoi que ce soit sur la communication du Conseil national de la sécurité. C’est un organe suprême qui est au-dessus des ministères et dirigé par le chef de l’Etat.» Pour lui, l’objectif de la réunion est de donner des précisions sur la mise en application de la mesure prise le 27 septembre par le CNS.

M. Barandagiye estime que la mesure survient suite à un « constat amer » de ce Conseil. En effet, certaines organisations n’existent que de nom. Donnant ainsi l’exemple d’une ONG qui, durant trois ans, « n’a donné que trois poules » dans la province de Ngozi. D’autres travaillent sous la couverture d’autres ONG sans toutefois être agréées. « Le moment est venu d’en découdre avec toutes ces irrégularités » assène-t-il.

En outre, poursuit le ministre, « beaucoup » d’organisations ne respectent pas la loi régissant les ONG. Il rappelle que depuis la promulgation de cette dernière en janvier 2017, les concernés avaient 6 mois pour s’y conformer. Cependant, jusqu’à maintenant la plupart demeurent « hors la loi ». Il affirme que désormais, leurs activités doivent être en harmonie avec le plan national de développement du Burundi 2017-2027.

Conditions pour la réouverture

M. Barandagiye fustige aussi le non-respect des équilibres ethniques tout en se montrant compréhensif. Selon lui, le gouvernement est tout à fait conscient des difficultés qui peuvent survenir, si ces organismes les appliquent dans l’immédiat. « Nous vous demandons de mettre dans l’esprit des recrutements la correction de ces déséquilibres sur une période de trois ans ».Par ailleurs, le ministre a pris le soin de mentionner que les déséquilibres concernent les ethnies et le genre.

Sur ce même point, le sénateur Martin Ninteretse, président de la commission des affaires institutionnelles complète le ministre. «En matière de recrutement du personnel, les ONG étrangères sont astreintes au même principe que l’administration publique. »Le sénateur rappelle que la représentativité ethnique dans le secteur est de 60 % pour les Hutus et 40% pour les Tutsis. Il estime que c’est l’esprit d’Arusha qdontue les mêmes partenaires ne cessent de réclamer haut et fort son respect effectif. S’agissant de la mise en application d’Arusha en tout et partout, l’élu remarque un laxisme patent chez ces organismes étrangers.

Ainsi, la réouverture des ONG étrangères présentes au Burundi sera conditionnée par la présentation de la convention de coopération, le protocole d’exécution des programmes en accord avec le nouveau plan national de développement, l’acte d’engagement de respect sur la règlementation bancaire en matière de change et le plan progressif de correction des déséquilibres. .

Cependant, M. Barandagiye affirme que la réouverture des activités n’attendra pas nécessairement les trois mois. Aussitôt les documents déposés au ministère de l’Intérieur, le redémarrage est automatique. Du reste, le gouvernement décline toute responsabilité si les organisations humanitaires ferment les hôpitaux ou les écoles. « Celui qui va fermer l’hôpital sera tenu responsable des conséquences », fait-il savoir.


Une mesure controversée

L’annonce de cette suspension a été différemment appréciée. Toutefois, le porte-parole du Président s’est illustré en lançant des accusations graves à l’endroit de certaines ONG sans pour autant produire des preuves.

Jean-Claude Karerwa Ndenzako : « Ces ONG enseignent aux jeunes burundais le mariage entre des
personnes de même sexe, ce qui est contraire à notre culture et nos lois. »

C’est à travers un communiqué lu par le général Silas Ntigurirwa, secrétaire exécutif dudit conseil à la télévision nationale que la nouvelle est tombée dans la soirée du 27 septembre dernier. « Après avoir analysé le fonctionnement des ONG œuvrant au Burundi, le Conseil national de sécurité a constaté que la plupart d’entre elles ne se conforment ni à la loi ni aux textes qui les régissent », a-t-il affirmé.

Et d’annoncer que « Le CNS décide la suspension de toutes les activités de ces ONG pendant une période de trois mois, à compter du 1er octobre 2018, pour permettre aux institutions chargées de ces dernières de vérifier leur conformité avec la loi et le règlement en vigueur. »

Ce texte, promulgué en janvier 2017, prévoit notamment un strict contrôle de leurs finances, des frais administratifs et des quotas ethniques (60 % Hutu et 40 % de Tutsi) comme dans l’administration.

Le lendemain, au cours de l’émission des porte-paroles des institutions tenues en province Ruyigi, Jean-Claude Karerwa Ndenzako, porte-parole du Président de la République n’y est pas allé par le dos de la cuillère. Il a accusé certaines ONG sans les nommer de faire l’apologie de l’homosexualité : « Elles enseignent aux Burundais, surtout les jeunes le mariage entre des personnes de même sexe. Tout cela est contraire à notre culture et nos lois. »

De fortes accusations

Bien plus, avance M. Ndenzako, même si elles se disent indépendantes, la plupart d’entre elles sont dans le trafic d’armes, dans la création des conflits et des guerres pour que les fabricants d’armes de leurs pays d’origine aient des marchés : « D’autres sont utilisées pour créer des pathologies pour le compte des industries pharmaceutiques, d’autres encore créent des conflits pour paralyser ou détruire les pays afin qu’il y ait des marchés de reconstruction… »

Tout ceci est connu, a-t-il encore martelé, avant de préciser que cette décision vise à assainir le secteur afin que ces ONG travaillent dans la sérénité tout en respectant les lois burundaises et la dignité des citoyens burundais.
Le porte-parole du Président de la République a conclu son propos en soulignant que parmi les ONG frappées par cette suspension, aucune ne se plaindra de cette décision du Conseil national de sécurité : « Elles savent très bien que ce qu’elles font au Burundi ne se fait nulle part même dans leurs pays d’origine. » Et de leur suggérer de bien accueillir cette suspension de trois mois parce que cette période est suffisante pour qu’elles se conforment à la loi.

Par Arnaud Igor Giriteka & Christian Bigirimana

Quid de la loi ?

La loi sur les organisations non gouvernementales étrangères en son son article 15, oblige ces ONG de disposer et de maintenir des comptes complets et précis sur leurs avoirs, leurs revenus et leurs dépenses en conformité avec les pratiques usuelles comptables. Elle réserve au ministre des Relations extérieures le droit de vérification sur leur gestion financière. «Ce dernier peut exiger à l’ONG un rapport d’audit externe».

1/3 du budget sur les comptes de la BRB

En son article 16, cette loi exige le respect de la règlementation bancaire en vigueur en matière de change. Elles doivent virer un tiers de leurs budgets sur les comptes de la BRB avant la signature de la convention de coopération. Et de préciser que les salaires du personnel non expatrié doivent être libellés en monnaie locale.

Des quotas ethniques

L’article 18 appelle les ONG au recrutement du personnel local. «Tout engagement du personnel expatrié est conditionné à la demande et à l’obtention d’agrément». Ce recrutement doit, de surcroît, respecter les quotas ethniques et de genre prévus par la Constitution du 7 juin 2018. Pour rappel, 60% de Hutu et 40% de Tutsi avec un minimum de 30% de femmes. D’après cette loi, les ONG étrangères doivent respecter les domaines et zones d’intervention arrêtés de commun accord avec Bujumbura.

Les sanctions

S’agissant des sanctions, la suspension de la Convention générale de coopération fait suite au manquement par une ONG aux obligations prévues par cette loi. Ainsi prévoit l’article 26, le ministère des Relations extérieures peut retirer son accord d’agrément suite aux «irrégularités graves» en rapport avec la gestion des projets et programmes. Les activités qui ne correspondent plus aux buts et objectifs définis dans les statuts peuvent également causer l’arrêt de l’accord.

Le comité national des aides et coopération décide également de l’arrêt d’une ONG. Il le fait sur base d’un rapport du comité de suivi-évaluation des ONG relevant du ministère de l’Intérieur. Cependant, la décision est prononcée par le ministre des Relations extérieures et de la Coopération internationale. Les ONG étrangères avaient six mois pour être en conformité avec cette loi.

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Une mesure différemment appréciée

Dans la foulée de cette mesure, les réactions ne se sont pas fait attendre.

Au lendemain de cette mesure, Léonce Ngendakumana, vice-président du parti Frodebu, a estimé qu’il s’agissait d’une proposition : «Ce conseil a un rôle consultatif comme d’autres conseils nationaux». Il ne prend pas de décisions. Selon lui, le Conseil national de sécurité conseille le président de la République et le gouvernement dans l’élaboration de la politique nationale en matière de sécurité. Il produit un rapport qu’il soumet au chef de l’Etat, au gouvernement et aux deux chambres du Parlement. «Cela n’a pas encore été fait. C’est pourquoi nous affirmons que la décision n’a pas encore été prise». Cet ancien président de l’Assemblée nationale affirme que «cette proposition de mesure» va entraîner des conséquences néfastes pour la population. Ces ONG travaillent sur des projets qui profitent aux Burundais. «Imaginez les dommages que cette décision causera si l’ONG Médecins sans frontières ferme pendant trois mois». Il conseille aux autorités de ne pas mettre toutes les ONG dans un même sac. «Elles n’ont pas commis la même erreur et ne peuvent pas être punies de la même manière». Le gouvernement devrait se réunir pour traiter cas par cas.

Jean de Dieu Mutabazi, président du parti Radebu, a quant à lui, indiqué que la décision est forte, mais normale. Elle vise à inciter les ONG étrangères à travailler légalement et à respecter leurs engagements. Cependant, il recommande que la mesure soit abandonnée pour certaines organisations : «Nous nous attendons à ce qu’elle soit levée pour les ONG qui prouveront qu’elles travaillent dans le strict respect de la loi». D’après M. Mutabazi, il est encore tôt pour évaluer l’impact de la mesure du Conseil national de sécurité.

Pour Faustin Ndikumana, cette mesure est surprenante à plusieurs titres. Le Conseil de sécurité national a un rôle consultatif. Certes, il peut donner des orientations, mais une telle mesure doit passer par le gouvernement : « Ce sont les ministères de tutelle qui gèrent ces organisations, qui doivent faire des enquêtes fouillées, donner des rapports écrits épinglant l’une ou l’autre association pour n’avoir pas respecté la loi. » Ensuite parce que le secteur des ONG est vital dans la vie socioéconomique de notre pays : « Le Burundi est dans une situation grave de pénurie des devises avec un déficit commercial de -20%, se passer de l’approvisionnement en devises dans le cas des ONG n’est pas une bonne mesure. » Outre ces devises, souligne M. Ndikumana, d’autres rentrent au pays dans le cadre des visiteurs. Et pour cause, explique-t-il, les récentes publications d’une étude sur le tourisme prouvent qu’actuellement 60% des visiteurs étrangers viennent au Burundi dans le cadre des ONG : « Ils viennent avec tout le financement destiné à aider le peuple burundais. » Et de préciser qu’en contrepartie en BIF, ce sont plus de 100 milliards injectés dans le budget sans oublier qu’elles contribuent à animer le secteur privé, etc.

Contactés, certains responsables de ces ONG n’ont pas voulu s’exprimer Toutefois, dès l’annonce de cette mesure, CARE Internationale Burundi a décidé de suspendre toutes ces activités. Dans une note interne, cette organisation américaine a appelé son personnel, à ne pas se présenter au travail ni circuler ave les véhicules de service, tout en soulignant que ses bureaux resteraient fermés même aux partenaires. Et au moment où nous mettons sous presse, la direction de l’International Rescue Committee (IRC) a décidé, ce mardi 2 octobre, de mettre en place une période de chômage technique avec un effet immédiat jusqu’à nouvel ordre afin de répondre à la demande du gouvernement burundais.

Editorial de la semaine

Une responsabilité de trop

« Les décisions prises par la CVR ne sont pas susceptibles de recours juridictionnels. » C’est la disposition de l’article 11 du projet de loi portant réorganisation et fonctionnement de la Commission Vérité et Réconciliation analysée par l’Assemblée nationale et le Sénat (…)

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