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Rwagasore, un fin stratège

17/09/2011 Commentaires fermés sur Rwagasore, un fin stratège

Si l’Uprona a pu gagner les élections de septembre 1961, c’est grâce à la personnalité et au génie organisationnel de Rwagasore, qui a su rallier tout le monde. Et la victoire a été accueillie avec modération. Iwacu a recueilli quelques témoignages.

Pour arriver à la victoire, ses collaborateurs et les membres du parti avaient une discipline remarquable. « Vétérinaire, j’étais responsable du parti dans la région de Ngozi et j’avais travaillé tellement dur qu’à la veille des élections, sur le chemin de retour, je me suis endormi dans ma voiture à moins d’un km de chez moi. Je n’avais plus de force pour arriver à la maison », se souvient Félix Katikati, ancien compagnon du prince.

Il se rappelle avoir travaillé jours et nuits, parfois sans manger, pour s’assurer que les gens avaient bien assimilé comment élire, et qu’ils avaient appris par coeur les symboles du parti sur les bulletins de vote. Pour ne pas être taxé de communiste ou de républicain, Rwagasore, grand tacticien, avait changé la devise du parti.
Au lieu de l’unité, travail et progrès, on disait « Dieu, le roi et le pays » (Imana, Umwami, Igihugu). Et pour s’attirer les faveurs du clergé burundais, il a mobilisé tout son état-major pour aller en pèlerinage à Mugera, cette année-là.
Félix Katikati se souvient également que les élections se sont déroulées calmement, les membres ayant reçu la consigne de rester calmes pour ne pas irriter les Belges : « Et nous n’avons pas fêté la victoire avec liesse, car nous ne savions pas ce qui allait suivre. »

Un homme évolué

Le prince Rwagasore comprenait les gens et savait attirer leur adhésion. La preuve est cette sympathie qu’il suscitait chez la communauté musulmane et les femmes, qui ont joué un rôle très important dans la victoire de l’Uprona.

<doc1246|left>« Pour le prince Louis Rwagasore, il n’y avait pas de différence fondamentale entre les genres : tout Burundais avait le droit d’œuvrer pour son pays. Il n’était pas question d’écarter les femmes, que Rwagasore considérait au même pied d’égalité que les hommes », se souvient Mme Bernadette Bankumuhari. Elle indique que les Belges avaient refusé le droit de vote aux femmes, mais que Rwagasore l’a exigé et ils ont cédé, ce qui lui a attiré le soutien de l’électorat féminin.

Il avait demandé que sur chaque liste, par province, figure le nom d’une femme parmi les candidats, mais les hommes ne l’entendaient pas de cette oreille : « Je me suis inscrite comme candidate à Bujumbura, mais je n’ai pas été mise sur la liste bloquée, ce qui a provoqué l’indignation de Rwagasore. » Le prince ne comprenait pas qu’on puisse écarter la seule femme candidate dans tout le pays et a exigé qu’elle soit mise sur la liste, en remplacement d’un homme : « J’ai été la deuxième à être élue, et Rwagasore a demandé au premier de me céder sa place pour que je sois député. Cependant, je n’ai jamais siégé puisqu’après la mort du prince, cette directive n’a pas été suivie. »

Un prince proche du peuple

« Pour intéresser les musulmans, Rwagasore leur a promis des indemnisations sur les propriétés perdues à Kabondo. Rwagasore a même initié une coopérative à Buyenzi pour aider la population musulmane », souligne Mukandama Salum Bicuka, fils de Salum Bicuka, ancien compagnon de lutte de Rwagasore. Agé de 16 ans à l’époque, il se souvient que ce sont les fils Baranyanka qui ont présenté le prince à son père, qui était leur ami. Il fut intéressé par les idées du prince et, convaincu sur l’importance de l’indépendance, accepta de financer le projet : « Quelques mois avant les élections de 1961, Rwagasore a rencontré les responsables du parti dans toutes les communes chez mon père, à la 14ème avenue n° 16, à Buyenzi, pour leur donner des directives en vue de la campagne électorale. »

Pour M. Mukandama, le jour de la victoire de l’Uprona, les gens étaient certes contents à Buyenzi, mais sans trop le manifester, l’enjeu majeur étant l’indépendance. Son père est mort le 23 septembre 1961, cinq jours après la victoire de l’Uprona, sa voiture ayant explosé alors qu’il conduisait : « Nous avons toujours suspecté les ennemis de l’Uprona d’être auteurs de ce meurtre, comme ils assassineront le prince Rwagasore quelques jours plus tard », déclare-t-il.

Un jubilé ailé

Toutes ces personnes sont unanimes pour reconnaître l’exceptionnelle personnalité du prince Louis Rwagasore qui avait une extraordinaire aura, en plus du fait qu’il était fils de roi. Elles reconnaissent que la principale arme de Rwagasore fut sa proximité avec la population, car il savait être à son écoute, travaillait avec elle, sans différence de classes : « Il nous a incités à nous regrouper en association de femmes, pour que notre voix soit plus entendue. C’est de là qu’est née la première association de ce genre, l’Association Culturelle des Femmes Barundi (ACFB), dont j’étais la présidente », déclare-t-elle.

« Rwagasore était d’une humilité et d’une sociabilité hors du commun. Il mettait au même pied d’égalité toutes les personnes, sans distinction aucune. Il ne se considérait en aucun cas comme fils de roi », ajoute Mukandama Salum Bicuka.

Mais la désillusion est totale à la veille du cinquantenaire de la victoire de l’Uprona aux législatives de 1961. « En vérité, il n’y a plus d’Uprona, puisque le parti semble avoir des ailes, alors qu’une aile ne peut pas faire voler un oiseau, à moins que les deux soient ensemble », souligne M. Katikati. Même constat pour Mme Bankumuhari, pour laquelle le parti est d’abord basé sur l’unité. Elle se souvient de Mme Asha Rukara, qu’on nommait Maman Sanura, et qui était sa camarade au sein de l’ACFB : « Alors que l’Uprona était divisée entre Casablanca et Monrovia, Maman Sanura invita les ténors du parti chez elle pour la fête de fin du ramadan. Après un excellent repas, elle leur demanda : « Si le prince ressuscitait, dans quel groupe irait-il ? » Et il semble que cette question ne trouverait pas de réponse à la veille du cinquantenaire de la victoire de l’Uprona.

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