Samedi 20 avril 2024

Économie

Qui a tué l’Onatel ?

04/12/2020 Commentaires fermés sur Qui a tué l’Onatel ?
Qui a tué l’Onatel ?
Alain Guillaume Bunyoni : L’Onatel ressemble à une maison sans toit, sans portes ni fenêtres. Son chiffre d’affaires est en dessous de zéro ! »

Cette société nationale des télécommunications traverse une crise économique sans précèdent. Tous les indicateurs sont au rouge depuis 2009. Le gouvernement évoque une mauvaise gestion de l’entreprise au cours de ces dernières années. La direction avance un problème structurel.

L’Office national des télécommunications (Onatel) « ressemble à une maison sans toit, sans portes ni fenêtres. Son chiffre d’affaires est en dessous de zéro ! » C’est le constat fait par le Premier ministre Alain Guillaume Bunyoni lors de la réunion tenue avec les hauts cadres de cette entreprise publique de téléphonie mobile, le 19 novembre dernier.

Le chiffre d’affaires est passé en effet de 10 milliards BIF en 2015 à 5 milliards en 2020. L’Etat burundais, seul actionnaire, n’a perçu aucun dividende, d’après le Premier ministre. Dans cette réunion, les responsables de l’Onatel expliquent cette crise par des problèmes « structurels. » Une explication qui ne convainc pas le gouvernement.

Le Premier ministre affirme que ce motif avancé n’est pas fondé. « Les causes de la régression de l’Onatel se situent au niveau interne. Il est étonnant qu’un personnel qualifié et compétent ne puisse pas s’adapter à la concurrence et à l’évolution technologique. Si cela est arrivé, c’est-à-dire que les employés ont failli à leur mission. »

Alain Guillaume Bunyoni estime de surcroît que l’instabilité des directeurs généraux prouve à suffisance que les dirigeants de l’Onatel qui se sont succédé ont fait une mauvaise gestion. Il affirme que des remplacements à la tête de cette entreprise pouvaient s’opérer en moins de 7 mois…

Une « mauvaise gouvernance »…

Pour le Premier ministre burundais, c’est donc la mauvaise gouvernance à la tête de l’Onatel qui est à l’origine de sa crise financière. D’après lui, les dirigeants qui se sont succédé à la tête de l’Onatel n’ont pas pensé à diversifier et à moderniser les services, qui auraient pu générer des recettes : « Viabiliser et moderniser le dispositif de l’Onatel, canaliser les recettes de manière sécurisée vers le trésor public et non les poches des individus. »

D’après M. Bunyoni, ils n’ont pas aussi respecté la loi en ce qui concerne l’octroi des primes et indemnités diverses. Le personnel a acquis indûment les salaires du 13ème et 14ème mois sans se soucier de l’état financier de l’entreprise. Il évoque aussi l’augmentation des salaires en violation des lois et règlements en la matière. « Cela gonfle la masse salariale qui représente 75 % du chiffre d’affaires. » Selon le Premier ministre, les dettes ne sont pas remboursées et ne cessent d’augmenter. L’entreprise fait recours au découvert pour payer les salaires du personnel. » Il se demande où est passé le capital que l’Etat a octroyé à cette entreprise, il y a 41 ans. Même interrogation pour les 30 milliards que l’Onatel a empruntés en 2017. Il demande à la direction et au personnel de faire un regard critique afin d’établir des responsabilités. Les droits mal acquis seront révoqués.


Un « mariage » raté avec Telecel Zaïre

Surendettement, inexistence du budget d’investissement depuis 2009, concurrence farouche dans le domaine des télécommunications, départ des techniciens expérimentés vers d’autres sociétés de téléphonie mobile privées. Mais surtout, une union ratée avec Télécel Zaïre, ce sont les quelques facteurs à l’origine de la crise de l’Onatel, expliquent des employés de l’entreprise.

Vue du siège de l’ONATEL.

Créé en novembre 1979, l’Onatel a été doté par le gouvernement de l’époque d’un budget de démarrage de 285 millions de BIF. Au début de ses activités en 1979, l’Onatel était le seul opérateur œuvrant dans le secteur des télécommunications au Burundi, selon A.N., un syndicaliste de la société. Cette dernière exploitait uniquement le réseau de télécommunication fixe. « L’entreprise était florissante », se souvient cet employé.

Avec la mondialisation et la révolution technologique des années 90, la technologie mobile analogique a vu le jour. « L’Onatel comme service public veut avancer au rythme de la technologie mobile. Pour atteindre cet objectif, l’Onatel a choisi de s’associer avec la société Télécel Zaïre pour former Télécel Burundi, la première société de téléphonie cellulaire au Burundi, à hauteur de 1 million de dollars de capital libéré. » Premier accroc : Télécel Zaïre a amené du matériel de seconde main.

Le « mariage » n’a pas apporté une valeur ajoutée à l’entreprise. Le capital d’1 million USD n’a jamais généré des dividendes à l’Onatel. Face à cet échec, en novembre 1994, l’Etat a pris la décision de privatiser l’Onatel.

Conséquence directe : la suspension des investissements dans la société. Une année plus tard, le gouvernement décide d’introduire l’internet au Burundi et libéralise les entreprises privées.

Les conséquences de cette privatisation ratée étaient liées aux nouvelles technologies axées sur l’internet et surtout le manque de restructuration de l’Onatel pour faire face à la concurrence de taille qui prévalait à cette époque. C’était le début des crises répétitives qui secouent l’Onatel jusqu’aujourd’hui.

L’hémorragie des meilleurs techniciens

Les sociétés privées, avec des salaires plus attractifs, ont embauché les techniciens les mieux formés de l’Onatel, entraînant ainsi un problème du personnel qualifié, témoigne une source bien informée. « Malgré le départ de ses employés vers d’autres sociétés privées actives dans le secteur de la téléphonie, l’Onatel a continué ses activités. Mais sa situation financière s’est dégradée progressivement. En 2003, c’est le divorce entre Onatel et la société Télécel Zaïre. »

Télécel Zaïre remet à l’Onatel 460 millions de BIF après la séparation. Une remise de fonds qui a donné un peu de souffle à l’Onatel. Ce dernier va se lancer à nouveau dans l’internet.

Pour donner un coup de pouce à ses activités, explique un syndicaliste, l’Onatel a tenté, entre 2003 et 2004, de négocier un crédit auprès des entreprises sud-africaines. Ces dernières ont exigé à l’Onatel un transfert d’un acompte de 1 million USD. Un financement qui s’est transformé en une escroquerie. Malgré le transfert d’un acompte de 600 000mille USD, le crédit n’a pas été octroyé à l’Onatel. « Le montant transféré n’a jamais été restitué jusqu’à ce jour. » Une autre perte sèche pour la société.

En 2005, l’Onatel a commencé l’exploitation du réseau mobile ainsi que la transmission de données.

Suite à l’intégration du Burundi dans la communauté est africaine en 2007, l’Onatel participera au projet de financement de la fibre optique. Pour construire la dorsale nationale, l’Onatel était obligé de faire un consortium avec d’autres compagnies de télécommunication exerçant au Burundi comme Africel, U-COM, Cbinet et Econet. Ses contributions sont estimées à 800 000mille USD de capital. Le consortium a donné naissance à Burundi Back Bone (BBS). Comble de malheur, le capital n’a jamais produit de dividendes à la caisse de l’Etat, déplore A.N.

2009, une année maudite pour l’Onatel

« En 2009, l’Onatel se portait bien. Il a donné 3 milliards de BIF de dividendes à l’Etat. Mais à cette époque le matériel était vétuste. Comme l’Etat n’a pas recapitalisé, investi dans un nouveau matériel performant et moderne, l’Onatel s’est retrouvé dépassé techniquement par ses concurrents, » se souvient A.N.

Pour pallier ce défi, l’Etat a instauré une taxe de 42 BIF par minute pour tout appel vers l’extérieur du pays. « C’était trop cher. Mais aussi, les gains obtenus grâce à cette taxation n’ont pas profité à l’Onatel », regrette A.N.

Le gouvernement du Burundi a initié sans succès un projet de privatisation de l’Onatel en 2009. Le rapport de privatisation est sorti en 2012. Ses conclusions n’ont pas été mises en application. C’est le début de la crise financière aigüe que traverse l’Onatel jusqu’aujourd’hui.

Le coup de grâce sera l’arrivée de Viettel en 2010. Le gouvernement a exonéré cette société asiatique des taxes pour 20 ans. « L’Onatel qui n’a pas investi dans l’internet alors que les clients s’intéressaient aux datas a vu le nombre de ses clients s’effondrer. La concurrence était très dure avec trois sociétés de téléphonie mobile œuvrant aussi dans l’exploitation de l’internet. »

L’Onatel ne résiste pas. Pour tout compliquer, sa structure paraétatique l’oblige de suivre les procédures du marché public, de solliciter les devises à la Banque centrale… La société n’est pas capable de tenir la concurrence, face à des sociétés dynamiques, plus réactives. La privatisation est un échec.
L’Etat a alors adopté un autre projet : un crédit en Chine. Le crédit est octroyé en 2017. Mais la société va très mal car depuis 2009 à 2017, il n’y a pas eu d’investissement au sein de l’Onatel et les recettes d’exploitation ont considérablement diminué.

Dès 2014, les auditeurs internes et externes avaient tiré la sonnette d’alarme. Pour alléger au moins ses dettes, les auditeurs ont proposé la suspension de nouveaux recrutements et de ne pas remplacer les employés partis à la retraite. Ils ont adressé une note de redressement au gouvernement. Mais ce dernier a tardé de réagir. C’est finalement en novembre 2017 que le conseil des ministres a adopté un plan de redressement de 30 millions de dollars financé par un crédit octroyé par la société chinoise Huawei.

Mais c’était presque trop tard. La société était déjà trop mal en point. Ce crédit chinois ne va pas sauver l’entreprise. Dans son plan de redressement, explique un bon connaisseur du dossier, l’Onatel pensait moderniser les équipements de l’Onamob, sa branche de la téléphonie mobile.
L’Onatel est incapable de payer ses dettes. Ses recettes d’exploitation ne permettent pas à la société d’honorer ses engagements.

N.H., un employé de l’Onatel donne une autre raison de la crise : l’incompétence de certains employés. « Les employés recrutés en 2005 n’ont pas passé un test. Leur compétence était très limitée. » D’après lui, c’est le « favoritisme » qui a aussi gangrené la boîte. Des employés ont été recrutés à l’Onatel par l’entremise des hauts cadres du pays.

Ce n’est pas tout. En 2013, raconte une source, certains employés ont reçu des primes et des indemnités exorbitantes sans aucune justification. La source donne l’exemple d’un employé qui avait un salaire de 100 000 BIF mais qui a reçu 250 000 BIF d’indemnité de fonction et 190 000 BIF de frais de déplacement.

En 2014 témoigne un employé de longue date interrogé par Iwacu, le directeur général de cette époque a mis en place un nouveau syndicat nommé SYLTO dans « le but de protéger des primes exagérées octroyées à quelques membres du personnel ». Il voulait réduire ainsi la force du syndicat SPTT, qui a vu le jour en 1993 avec le multipartisme.

Le contrat entre l’Onatel et Huawei, l’entreprise chinoise, prévoyait que les recettes de l’Onamob devraient être déposées sur un compte logé à la Bancobu pour le remboursement du crédit chinois. Mais les recettes demeurent insuffisantes.

Les dépenses d’exploitation pour maintenir le réseau et le carburant plombent aussi les finances de l’Onatel. D’après les employés, la structure financière de la dette de l’Onatel permet de comprendre comment s’est développée cette situation de crise de plus en plus complexe.
« Le chiffre d’affaires affiche une tendance à la baisse de 2014 à 2019. La création des richesses par la société a évolué en dents de scie pour atteindre le point le plus faible en 2019 : plus de 443 milliards BIF. »

Le résultat net a également détérioré jusqu’à engloutir le capital social. Le fonds de roulement qui traduit l’évolution de l’équilibre financier de l’entreprise est dans le rouge depuis 2009. En langage simple, cela veut dire que l’entreprise est dans une situation de déséquilibre structurel extrême. En d’autres mots, l’Onatel n’est pas solvable, ce qui signifie que sa capacité de recourir au crédit auprès des institutions financières est de plus en plus réduite.

Les indicateurs de gestion montrent que l’Onatel n’est plus capable d’honorer ses dettes à court terme. Entre 2014 et 2019, s’il vendait tout son actif circulant, la vente ne permettrait que de payer 28 % de ses dettes à court terme. Les 72 % restant devraient provenir de la vente de ses actifs immobilisés.

Au cours de 5 dernières années précise notre source, l’Onatel ne dispose plus de liquidité. « S’il devait payer les dettes à court terme par des disponibles à la caisse et dans les banques, seuls les 4 % des dettes à court terme en 2019 pourraient être payés. »

Pire. Notre source révèle que l’Onatel a accumulé les dettes envers ses fournisseurs de sorte que sur le marché local les bons de commande requis pour la procédure normale sont rarement acceptés. « Des paiements au cash sont de plus en plus exigés. » Les fournisseurs étrangers accusant des créances non honorées se désintéressent des appels d’offres de l’Onatel. Les impayés dus autres opérateurs locaux pour l’interconnexion représentent plus de 40 % de la dette totale. »

Mais pourquoi le plan de redressement n’a pas fonctionné ? Les syndicalistes expliquent en partie l’échec par le prolongement de la fibre optique en mairie de Bujumbura par la BBS. Elle a installé son réseau métropolitain de Bujumbura parallèlement à celui de l’Onatel, donc deux réseaux financés par le même gouvernement. Cela a mis à mal le projet de réseau de l’Onatel qui a coûté environ 15 millions de dollars américains de crédit accordé par la société chinoise Huawei.

La BBS devrait travailler comme une entité qui gère les capacités des opérateurs, un grossiste fournissant l’internet. Cela n’a pas été le cas fulminent les syndicats. « La BBS s’est donné le droit de faire la commercialisation de l’internet comme les autres opérateurs du secteur. Une décision qui a mis sérieusement en difficulté financière l’Onatel. « On ne peut faire la concurrence avec un grossiste lorsqu’on est détaillant », a commenté un des employés de l’Onatel.

Le BBS s’en lave les mains

Des allégations rejetées par la direction de la BBS. Jérémie Hageringwe, Directeur général de l’entreprise Burundi black bone system (BBS) et ancien directeur technique de l’Onatel, estime que les griefs formulés par les employés de l’Onatel contre la BBS ne sont pas fondés : « La BBS dispose du droit de vente des capacités et dispose d’une grille de tarification. Les raisons qui ont poussé l’Onatel à s’endetter sont à chercher ailleurs et pas dans la concurrence. L’Onatel est l’un de nos clients comme Smart, CBINET, ECONET, etc. Nous le considérons comme d’autres partenaires commerciaux. »

M. Hageringwe assure, par ailleurs, que les sociétés entretiennent de bonnes relations et sont liées entre elles par des contrats -types. » La BBS fournit des capacités à l’Onatel et, en contrepartie, ce dernier offre certains services comme les téléphones fixes. À la fin de l’échéance convenue, les deux entreprises établissent des factures et procèdent à la compensation.


La direction de l’Onatel se défend

La diminution du nombre d’abonnés, le manque des investissements, une rude concurrence seraient à l’origine des difficultés de l’Onatel.

Privat Kabeba : « Si on compare les salaires des informaticiens de l’Onatel, ils sont de loin inférieurs aux salaires des informaticiens des autres sociétés privées. »

Privat Kabeba, Directeur général de l’Onatel explique la crise financière de son entreprise par plusieurs facteurs structurels. Il évoque notamment la diminution du nombre d’abonnés (réseaux fixe et mobile), le faible taux ou le gel des investissements par le gouvernement, la vétusté des équipements, la concurrence ainsi que la loi sur les marchés publics qui prévoit une procédure longue.

M. Kabeba indique, par ailleurs, qu’avec la libéralisation du secteur des télécommunications, le nombre des abonnés de l’Onatel a considérablement baissé. Les clients de la téléphonie fixe sont estimés actuellement à 14 000. Ceux de la téléphonie mobile oscillent autour de 250 000. « Suite à cette diminution des clients, le chiffre d’affaires a fondu. En 2019, il était de 5 milliards de BIF contre plus 20 milliards de BIF en 2008. »

Le directeur général de l’Onatel rejette les accusations de ses employés selon lesquelles certains d’entre eux auraient bénéficié des primes et indemnités indûment. D’après lui, seuls les informaticiens bénéficient d’une petite prime qui n’affecte en rien les finances de l’entreprise. De 2003 à 2007, indique-t-il, l’Onatel comptait 15 informaticiens. « Il ne reste que 5 en 2012. Les informaticiens sont très importants dans une entreprise de télécommunication. Les primes accordées aux informaticiens ne sont pas exorbitantes. Si on compare les salaires des informaticiens de l’Onatel, ils sont de loin inférieurs aux salaires des informaticiens des autres sociétés privées. » Mais à cause des maigres salaires, explique le DG, le service informatique a connu plusieurs départs des informaticiens vers d’autres sociétés privées qui paient mieux. En 2010, pour y remédier, le conseil d’entreprise a pris la décision de les encourager avec cette prime dénoncée.

L’Onatel compte actuellement 462 employés contre 705 en 2007. Le directeur général souligne que cet effectif reste élevé par rapport aux autres opérateurs de la téléphonie. Ce nombre élevé serait justifié par la spécificité de l’Onatel basée sur le service des lignes qui emploie un grand nombre d’employés. Ainsi, les manœuvres qui creusent les passages des câbles gonflent le nombre des employés. La masse salariale mensuelle des employés de l’Onatel s’élève à 350 millions de BIF.

Il fait savoir que l’’Onatel a procédé à deux recrutements depuis 2005. L’un en 2007 au cours duquel 85 employés ont été engagés. Le dernier recrutement a été fait en 2014 et 20 informaticiens ont été recrutés. Depuis 2015, il n’y a plus de recrutement.

Le patron de l’entreprise minimise, par ailleurs, l’impact de la commercialisation de l’internet par la société BBS. C’est un concurrent comme tant d’autres. Le seul avantage de la BBS est qu’elle a la dorsale nationale au moment où l’Onatel n’a que le réseau métropolitain de Bujumbura.

M. Kabera espère que l’Onatel va retrouver sa place de leader dans les années à venir. Sa société compte augmenter la masse des ventes et surtout investir dans les nouvelles technologies afin d’avoir plusieurs services à valeur ajoutée. L’Onatel compte aussi s’aligner sur les nouveaux projets en vogue comme l’exploitation du mobile money. Le directeur général de l’Onatel espère que la situation financière de l’Onatel va bientôt s’améliorer. Il explique que son entreprise a récemment modernisé son réseau Onamob et a acquis des équipements modernes.


« Onatel, mauvais élève des sociétés publiques »

Gabriel Rufyiri : « Elles reçoivent des responsabilités parce qu’elles sont militantes politiques ou proches du pouvoir en place. »

Pour Gabriel Rufyiri, président de l’Observatoire de lutte contre les malversations économiques (Olucome), il y a un problème de leadership visionnaire et transformationnel.

La mauvaise gouvernance, les arriérés de dettes 75 milliards non payées par le gouvernement et certains opérateurs privés sont les causes majeures de la faillite de l’Onatel, accuse l’Olucome.

M. Rufyiri explique qu’à la tête des sociétés publiques étatiques sont nommées des personnes non compétentes. « Elles reçoivent des responsabilités parce qu’elles sont militantes politiques ou proches du pouvoir en place. Dans leur gestion quotidienne, elles augmentent des charges fixes en recrutant un personnel non nécessaire et en s’octroyant beaucoup d’avantages. Elles procèdent souvent à la surfacturation de marchés publics pour détourner le surplus et commandent du matériel défectueux en vue de profiter des commissions. »

Le président de l’Olucome pointe du doigt le gouvernement. Comment l’Onatel a pu subir autant de pertes alors qu’il y a les organes d’inspection chargés de gérer l’utilisation des fonds publics, s’interroge M. Rufyiri.

Comme solution, il propose au gouvernement d’exiger à l’Onatel de faire un audit financier interne chaque année et externe une fois les trois ans et de faire passer un test de recrutement aux candidats qui vont diriger les sociétés publiques sur base des critères objectifs sans oublier de sanctionner sévèrement les responsables accusés de la mauvaise gestion des entreprises.

« Négligence et mauvaise gestion »

Jean Marie Vianney Ndoricimpaye : « Ils gagnent toujours leurs salaires chaque mois sans tenir compte du résultat ou de l’évolution du chiffre d’affaires. »

Des experts économistes imputent cette crise à la négligence, la mauvaise gestion et l’ingérence de l’Etat dans l’entreprise Onatel.

Jean Marie Vianney Ndoricimpaye, professeur d’université, explique les raisons de la faillite des entreprises publiques par des facteurs d’ordre institutionnel et organisationnel. « Du point vu institutionnel, les sociétés étatiques comme l’Onatel et la Regideso ont des fragilités liées à la négligence. Les responsables des sociétés publiques ont l’habitude de dire que l’Etat ne peut pas tomber en faillite. Ils gagnent toujours leurs salaires chaque mois sans tenir compte du résultat ou de l’évolution du chiffre d’affaires. »

Pour lui, la situation est différente pour les sociétés privées. Quand il y a une perte ou bien une diminution du chiffre d’affaires, le salaire peut être impacté par le résultat de l’entreprise. « Mais, au niveau des sociétés publiques, il n’y a pas de rigueur ».

L’état injecte souvent des fonds dans ces sociétés afin qu’elles ne tombent pas en faillite. Mais, à un certain moment, on constate qu’il y a beaucoup de pertes. C’est un problème, dit-il, généralisé dans beaucoup de pays africains.

M. Ndoricimpaye évoque également la mauvaise gestion des ressources financières des entreprises étatiques. Les gestionnaires gaspillent souvent des liquidités à leur disposition. Contrairement aux entreprises privées où l’audit est souvent organisé avec des objectifs précis, on entend des discours politiques des gestionnaires des entreprises publiques que « les choses vont bientôt marcher. »

Cet économiste parle de certains gestionnaires des sociétés étatiques qui détournent les fonds de ces entreprises. « Après leurs nominations, ils commercent à ériger des maisons en étages alors que leurs salaires ne le permettent pas. » Cela prouve à suffisance qu’il y a des détournements de fonds soit au niveau des marchés publics soit même au niveau de la gestion de la caisse.

L’économiste espère que la majorité des sociétés publiques vont bientôt reprendre la bonne voie. « Depuis ces derniers temps, le gouvernement a pris les choses en main surtout qu’il a commencé par l’audit. Ce dernier va aider l’Etat à identifier et sanctionner les responsables qui gaspillent les fonds des entreprises publiques. »

Selon Jean Marie Vianney Ndoricimpaye, le rôle de l’auditeur est de garantir la qualité, de devoir remettre en ordre les personnes qui sont en train de déraper. « Quand on voit le chiffre d’affaires baisser, les pertes, les dettes, on constate qu’il y a un problème des auditeurs internes ». Il recommande à l’Onatel d’organiser un audit externe qui puisse faire des analyses, vérifier et donner des recommandations.

« Une fragilisation due à des fins politiques »

Jean Prosper Niyoboke : « La crise de l’Onatel serait due à l’ingérence de l’Etat. »

Un autre économiste, Jean Prosper Niyoboke, estime pour sa part que la crise de l’Onatel serait due à l’ingérence de l’Etat ou le manque d’indépendance de l’appareil de décision.

D’après lui, l’Onatel devrait normalement avoir une expertise avérée sur le marché des services de télécommunication, issue de son statut d’opérateur historique. La société est propriétaire des lignes fixes du pays et ses infrastructures devaient procurer la meilleure couverture réseau du territoire. « Malheureusement, elle n’avait pas la vision claire sur le renforcement de sa compétitivité et sur les chantiers à mettre en place pour atteindre ses objectifs et être compétitif. »

D’après M. Niyoboke, l’Onatel pouvait dégager une capacité d’autofinancement confortable pour financer une partie de ses investissements, comprimer son endettement et distribuer des dividendes.

M.Niyoboke estime que la situation de crise socio-politique, de vulnérabilité vis-à-vis des enjeux macroéconomiques aggravée par l’ingérence et l’instrumentalisation de l’Onatel à des fins politiques ont davantage fragilisé l’entreprise. D’après lui, les arriérés de l’Etat et d’autres dignitaires sont la cause principale de l’échec de l’Onatel.

Il évoque d’autres défis : un environnement réglementaire et fiscal instable qui ponctionne régulièrement les résultats des opérateurs télécommunications. Un état de sureffectif dont la résorption demandera du temps. Une mission de service public imposée par le régulateur pour continuer à fournir aux services de l’Etat et le téléphone fixe est souvent utilisé à des fins personnelles et non professionnelles ce qui gonfle les frais que ces services n’arrivent pas à payer.

 

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