Lundi 18 août 2025

Économie

Paiements en yuan : une ouverture qui interroge

Paiements en yuan : une ouverture qui interroge
Edouard Normand Bigendako : « Disposer du yuan dans notre portefeuille nous permettra de payer directement les importations, sans passer par d’autres devises. »

Alors que le pays fait face à une pénurie de devises étrangères, le yuan chinois devient une monnaie autorisée pour les importations à partir de la Chine. Une décision inédite qui suscite autant d’espoirs que d’interrogations sur ses véritables enjeux économiques, monétaires et géopolitiques. Des gens du domaine s’expriment.

Dans une correspondance adressée aux banques commerciales le 31 juillet 2025, la BRB autorise désormais les paiements en yuan chinois (CNY) dans les transactions d’importation avec la Chine. Une phase pilote impliquant une vingtaine d’entreprises sélectionnées a été lancée. Ces entreprises productrices vont ouvrir le bal de l’expérimentation.
« Le dollar est une monnaie puissante à travers le monde, loin d’être remplacé au Burundi », a affirmé Edouard Normand Bigendako, gouverneur de la BRB tout en assurant que l’institution s’efforce de mobiliser des dollars américains afin de garantir l’accès à des produits et services à moindre coût.

Selon lui, la diversification des devises vise à réduire les coûts liés au taux de change. « Cette décision a été prise après avoir constaté une augmentation des importations en provenance de la Chine. Disposer du yuan dans notre portefeuille nous permettra de payer directement ces importations, sans passer par d’autres devises qui engendre un double coût », a-t-il expliqué.

Dr Innocent Bano, géopolitologue et professeur d’universités met en garde contre une interprétation simpliste qui verrait dans cette décision une prise de distance du Burundi avec ses partenaires traditionnels au profit de la Chine.

Il défend la légitimité de l’approche de la BRB tout en soulignant que l’institution a « la pleine latitude de faire usage de n’importe quelle stratégie pour mener à bien » sa mission de définition et de mise en œuvre de la politique monétaire du pays.

Il estime que la lettre est « plus explicite par rapport à une autre éventuelle interprétation que cela pourrait susciter » et que sa décision s’inscrit dans une approche de souveraineté économique.

Dr Bano rejette l’idée que le Burundi s’alignerait davantage sur la Chine. Pour lui, la décision de la BRB est « une mesure inclusive dans la diversité des choix en termes d’échanges commerciaux pour promouvoir le développement économique du Burundi ». Il ajoute que la Chine a été choisie en premier, mais « non exclusivement », dans ce processus de facilitation monétaire.

Il s’interroge sur la pertinence de l’étiquette de stratégie chinoise. « Et si demain la BRB, dans ce même processus, optait pour procéder aux paiements en Euros ou en d’autres monnaies, comment appellerait-on cela ?»

Le géopolitologue reconnaît que le contexte mondial pourrait inciter à des interprétations géopolitiques, mais il affirme que cela reviendrait à « s’inscrire en faux contre l’esprit de cette lettre ».

Dr Bano conclut en insistant sur le respect de la souveraineté économique du Burundi tout en déclarant que ce serait « minimiser la rationalité des choix du Burundi » que de penser qu’il aurait été influencé par la Chine.

Faustin Ndikumana appelle à la prudence

Pour Faustin Ndikumana, président de Parcem, le sujet mérite une analyse approfondie. Il souligne que les pays en voie de développement comme le Burundi reçoivent généralement les devises étrangères à travers plusieurs canaux : les exportations, la coopération internationale, les financements des ONG, les emprunts bilatéraux ou multilatéraux, les transferts de la diaspora, les investissements directs étrangers ou encore les flux touristiques.

Mais, face à une balance commerciale structurellement déficitaire, avec la Chine, il met en garde. « Il faut s’assurer que ces autres sources de devises (transferts, dons, aides) suffisent à combler le déficit. » Il rappelle que les principales exportations du Burundi, à savoir le café, le thé et l’or peinent à équilibrer les échanges, surtout avec un partenaire aussi dominant que la Chine. « On parle de 30% de déficit dans la balance commerciale avec ce pays ».

Il s’interroge également sur la capacité de la BRB à disposer de suffisamment de réserves en yuan pour permettre aux banques commerciales d’assurer les paiements à l’international. « Le yuan n’est pas encore une monnaie dominante. Seulement 2 à 3% des réserves mondiales sont libellées dans cette devise, contre près de 60% pour le dollar ».

M. Ndikumana craint une dépendance excessive vis-à-vis de la Chine, semblable à un néocolonialisme déguisé. « Si les aides publiques au développement chinoises sont exclusivement libellées en yuan, alors tous les équipements devront être achetés en Chine. Cela rappelle tristement les anciennes logiques coloniales ».

Il redoute également un recul de la souveraineté économique. « La Chine garderait la main sur la convertibilité, le taux de change et même les priorités commerciales. Le Burundi risquerait de devenir une zone rattachée économiquement à la Chine, avec une marge de manœuvre réduite sur la scène internationale. » tout en ajoutant que « ce type de choix pourrait provoquer des tensions avec les partenaires occidentaux dans un contexte géopolitique tendue ».

Il invite le gouvernement à réfléchir sérieusement sur les impacts internes. « Il ne faudrait pas que l’État impose aux opérateurs économiques burundais d’importer uniquement depuis la Chine sous prétexte de disposer de réserves en yuan. Cela limiterait le choix des produits, nuirait à la diversité de consommation et pénaliserait les entreprises locales ».

L’économiste appelle à la prudence. « Avant d’opérer un virage aussi stratégique, une étude sérieuse doit démontrer l’intérêt réel pour le pays. Autrement, les conséquences économiques, diplomatiques et sociales risquent d’être lourdes ».


Interview avec Jean Ndenzako

« L’impact immédiat de cette stratégie sur la pénurie générale de devises reste à nuancer. »

L’économiste Jean Ndenzako se pose une question. Le renminbi peut-il alléger durablement la pénurie de devises au Burundi ? Il analyse le rôle croissant de la monnaie chinoise dans le commerce sino-burundais et de ses limites économiques.

Que pensez-vous de la dernière décision de la BRB d’autoriser l’utilisation du yuan ?

Le Burundi, comme plusieurs économies africaines, fait face à une contrainte aiguë sur ses réserves de change. Cette situation découle de la fois d’un déséquilibre structurel de sa balance commerciale et de la dépendance à l’égard du dollar américain et de l’euro pour le règlement de ses importations stratégiques.

Dans ce contexte, la récente décision de la Banque de la République du Burundi (BRB) d’autoriser et d’encourager l’utilisation du renminbi (RMB) pour financer les transactions commerciales avec la Chine suscite un débat de fond quant à sa pertinence et son impact potentiel sur la stabilité monétaire et les équilibres extérieurs du Burundi.

Que disent les chiffres sur le commerce sino-burundais ?

En 2024, le commerce sino-burundais a atteint environ 804 millions de renminbi, soit un volume d’un peu plus de 110 millions de dollars américains. Il revêt une importance stratégique croissante pour Gitega, la Chine étant désormais l’un des tout premiers fournisseurs du pays, représentant près de 14 % de ses échanges extérieurs.

Les exportations du Burundi vers la Chine, composées principalement de thé, de minerais et de produits agricoles, restent modestes au regard de ses importations largement dominées par des biens d’équipement, des machines, du matériel électronique et divers produits manufacturés issus du marché chinois.

L’excédent écrasant en faveur de la Chine implique que la BRB doit en permanence trouver des devises pour couvrir ces importations, et donc mobiliser ou protéger ses réserves de change, déjà notoirement insuffisantes par rapport aux standards internationaux. Début 2025, elles ne couvraient tout au plus que deux mois d’importation, en deçà du seuil de sécurité recommandé.

Donc, l’utilisation du yuan est une excellente stratégie

Face à cette pénurie persistante, la stratégie de conduire une partie des échanges en renminbi apparaît comme une tentative pragmatique de diversification monétaire et de réduction de la demande en dollars et en euros dans les réserves officielles.

L’utilisation du renminbi vise à fluidifier les règlements commerciaux bilatéraux en évitant la conversion systématique par devises occidentales, une opération coûteuse et chronophage dans un contexte de marché mondial tendu. Cette approche s’inscrit dans la dynamique de l’internationalisation du renminbi, promue activement par Pékin et déjà amorcée dans d’autres économies émergentes, avec le soutien des institutions multilatérales, notamment la prise en compte du renminbi dans le panier des droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international (FMI).

Quid de l’impact ?

L’impact immédiat de cette stratégie sur la pénurie générale de devises du Burundi reste à nuancer. Seuls les partenaires chinois accepteront des paiements en renminbi limitant ainsi la portée du dispositif à la sphère sino-burundaise alors que les principaux produits stratégiques importés -tels que les hydrocarbures, les médicaments ou certains intrants industriels- exigent encore un règlement en dollar ou en euro. De plus, la convertibilité internationale du renminbi, notamment en Afrique orientale, demeure restreinte sur les marchés secondaires.

Ce qui limite son potentiel de diversification des réserves à d’autres postes de la balance des paiements. Si la dynamique des échanges commerciaux avec la Chine devait s’intensifier, le stock de renminbi détenu par la BRB pourrait jouer un rôle d’amortisseur partiel, mais le risque demeure que cette devise ne soit guère valorisable sur d’autres marchés extérieurs ou auprès d’autres créanciers que les acteurs chinois.

Que faire alors pour que cette stratégie réussisse ?

La réussite de cette politique de diversification monétaire dépendra aussi de la capacité de la BRB à gérer le risque de taux de change, la stabilité du renminbi/BIF étant essentielle pour éviter une nouvelle volatilité sur les prix à l’importation.

Il sera également crucial d’analyser, sur le moyen terme, si les investissements étrangers ou les financements provenant de Chine seront libellés en renminbi, une condition essentielle pour accroître l’offre de cette devise sur le marché burundais. À défaut, la mesure ne pourrait constituer qu’un levier ponctuel, sans effet majeur sur la vulnérabilité externe du pays.

Est-ce que le yuan peut-il devenir un véritable levier de souveraineté monétaire et économique pour le Burundi ?

L’adoption progressive du renminbi dans les échanges extérieurs du Burundi constitue une innovation qui répond à une nécessité conjoncturelle de diversification et d’optimisation des capacités de paiement du trésor public.

Elle s’inscrit dans une tendance internationale de montée en puissance de la devise chinoise dans le commerce mondial. Cependant, son potentiel pour transformer fondamentalement la situation des réserves de change burundaises demeure limité en l’absence d’une dynamique robuste d’exportations compétitives et d’investissements structurants soutenus par la Chine et d’autres acteurs internationaux.

Pour que le renminbi devienne un véritable levier de souveraineté monétaire et économique pour le Burundi, il devra s’intégrer dans une stratégie globale incluant la transformation structurelle de la production nationale, la diversification accrue des partenaires commerciaux, et la sécurisation des transactions sur les marchés de capitaux internationaux.

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