Mardi 16 avril 2024

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Opinion| Réflexion sur quelques outils pour lutter contre la corruption

22/06/2021 8
Opinion| Réflexion sur quelques outils pour lutter contre la corruption
Jean-Claude Nzigamasabo

La corruption est un phénomène complexe, l’imagination des délinquants est féconde, évolutive, très souvent difficile à prouver. Dans cette réflexion, l’expert indique quelques pistes intéressantes, comme l’audit du « style de vie ».

Par Jean-Claude Nzigamasabo, Analyste indépendant

Le gouvernement « Nkozi » et « Mvyeyi » multiplie les actions de lutte contre la corruption. En date du 9 décembre 2020, le Conseil des ministres abolit la Brigade Spéciale Anti-Corruption, la Cour Anti-Corruption et le Parquet général Près la Cour Anti-Corruption. Ces instances anti-corruption relevaient de l’ancien ministère de la Bonne gouvernance.

Mais le 14 juin la Cour constitutionnelle a déclaré non conforme à la Constitution de la République du Burundi la loi organique adoptée par l’Assemble nationale portant réattribution des compétences de la Cour anti-corruption.

Au mois de mars 2021, le ministère organise le « mois témoin pour la perception des recettes communales ». Le résultat est une augmentation des recettes de plus de 100% par rapport aux périodes antérieures. La sanction a été la suspension des anciens percepteurs et l’installation de nouveaux.

Le 29 avril 2021, la Chambre basse du Parlement adopte le projet de loi portant suppression des institutions de lutte contre la corruption au Burundi.
Il s’agit en réalité d’un projet d’abrogation de la Loi n°1/12 du 18 Avril 2006 portant mesures de prévention et de répression de la corruption et des infractions connexes.
Si le Gouvernement multiplie les actions de lutte contre la corruption, c’est sans doute qu’il a un agenda pour la prévention et la lutte contre la corruption. Je ne peux que lui souhaiter bonne chance pour la réussite de ce combat noble, mais difficile.
Au mois d’avril 2019, alors que je préparais une présentation sur le thème du recouvrement des biens et avoirs de l’Etat que j’allais faire dans une réunion d’un comité technique dans le cadre de l’EAC, je suis allé au Parquet général Anti-Corruption et à la Cour Anti-Corruption pour demander les données à intégrer dans ma présentation. Les données mises à ma disposition pour les années de références 2017 et 2018 traduisent une situation alarmante.

Pour l’année 2017, sur un montant 3 280 357 789 BIF de dédommagement accordé à l’Etat (Par décision de justice condamnant les délinquants à restituer à l’Etat les montants dus), un montant de 357 053 852 BIF avait pu être recouvré à cette date.

Ce taux de recouvrement était de 10,88%. Pour l’année suivante, le taux était de 20,40 %. Ce taux faible en matière de recouvrement est dû en partie au cadre légal inadapté pour le recouvrement des biens et avoirs de l’Etat, consécutif à des actes de corruption et autres infractions connexes.

La corruption et ses infractions connexes, qu’elle soit « la petite » ou « la grande », n’est pas toujours facile à prouver. Elle se présente sous des visages multiformes: Traffic d’influence, contrat minier, commission, enrichissement illicite, etc.

Les délinquants opèrent souvent en réseau local ou international, et leur « modus operandi », aussi complexe que varié, est parfois indéchiffrable par les pouvoirs publics répressifs.

Les moyens que doit déployer l’Etat pour lutter contre ce fléau doivent être à la hauteur de la menace. Celle-ci est évolutive, dynamique ; elle s’adapte et change de tactique suivant les attaques qu’elle subit, pour survivre. Mais si la volonté de la combattre de la part de l’Etat est réelle, elle n’est pas immortelle.

L’Etat doit adopter une stratégie et investir dans la lutte contre la corruption, en ayant à l’esprit que les efforts doivent être consentis, deux fois ou trois fois plus dans la prévention que dans la répression. Ne dit-on pas que prévenir c’est guérir !

Sensibiliser la population, les médias, les acteurs de la société civile ; informatiser les services publics pour un traçage de toutes les opérations, les recettes et les dépenses ; former, spécialiser et motiver le personnel impliqué dans la lutte contre la corruption ; installer des caméras de surveillance partout où c’est nécessaire ; réformer le cadre légal, l’Administration.

Ce n’est pas tout, il faut établir une coopération avec les Etats dans la lutte contre la corruption ; faire collaborer les services clés de l’Etat dans la lutte contre la corruption, par l’échange d’informations ; donner à la justice plus d’indépendance comme le proclame la Constitution ; …La liste est longue et le champ est vaste. Et cela demande des moyens, il faudra mettre la main à la poche !

Parmi cette panoplie de remèdes contre la corruption, je vais centrer mon propos uniquement sur la réforme légale visant à maximiser le recouvrement des biens et avoirs de l’Etat.

La réforme légale proposée est de séparer, en cas de corruption ou d’infraction connexe, l’action pénale de l’action civile. Ces deux actions peuvent concourir concomitamment, mais de façon indépendante. Aucune de ces deux actions ne doit être suspendue à l’aboutissement de l’autre.

« Si un délinquant poursuivi pénalement pour corruption ou infraction connexe est acquitté pour défaut de preuve ; cela ne devrait pas influencer le procès civil à l’encontre de la même personne, du moment qu’il existe des preuves que son patrimoine dépasse de loin les sources de ses revenus, légaux et connus ».

Et ici la preuve incombe à la partie défenderesse, qui aura à démontrer l’origine licite de ses avoirs. L’instauration d’un système de séparation des actions pénale et civile pour une même personne, dans le domaine spécifique de la corruption, va nécessairement de pair avec l’instauration « des audits de style de vie » ou life style audit en anglais.

La séparation des actions pénale et civile dans la poursuite de la corruption et infractions connexes
Le cadre légal pénal burundais, analysé à travers les textes légaux, dégage un certain nombre de principes généraux, qui sont eux-mêmes des handicaps pour le recouvrement des avoirs et biens de l’Etat. Je nomme ici le principe de la présomption d’innocence et son corolaire, le principe selon lequel « le criminel tient le civil en l’état.

Le principe de la présomption d’innocence est clairement exprimé par l’article 40 de la Constitution du Burundi de 2018. Ce principe implique qu’une personne poursuivie pénalement pour des actes infractionnels est présumée n’avoir pas commis ces faits criminels reprochés, tant qu’elle n’aura pas été définitivement condamnée par la justice.

Autrement dit, tant que la Justice n’aura pas rendu une décision définitive de condamnation, qui ne peut plus être remise en cause, la personne reste présumée innocente. C’est ce que l’on appelle dans le jargon juridique, « une décision coulée en forces de chose jugées.
La présomption d’innocence a comme corollaire, le principe selon lequel « le criminel tient le civil en l’état ». Lorsqu’il y a un crime, celui-ci entraine des préjudices moraux ou matériels pour les victimes ou les ayant-droits de la victime.

Ces préjudices, en vertu du principe de « la présomption d’innocence », ne peuvent être réparés qu’après avoir trouvé et condamné définitivement le coupable par un jugement définitif. Autrement dit, ce serait faire payer un innocent. Ainsi, les victimes ne seront indemnisées qu’après condamnation du criminel.

Le fondement philosophique, qui est par ailleurs logique, est que seul le criminel doit réparer ; et donc s’il n’y a pas un condamné, il n’y aura pas de réparations.

Si ce raisonnement est correct et fondé pour les crimes de droit commun (meurtre, vol, coups et blessures volontaires, etc.), il ne l’est pas en matière de corruption et des infractions connexes comme les détournements, les blanchiments d’argent ou autres crimes économiques ou financiers.

Dans ce domaine bien spécifique, le criminel, qui ne manque pas de moyens pour se payer des avocats, par tous les moyens, jouera les prolongations.

Et entre temps, il aura la latitude de soustraire une partie de son patrimoine illégalement acquis, au recouvrement forcé par la justice le moment venu. Et en définitive, le risque est grand pour que l’Etat n’ait que des miettes, un reliquat insignifiant au moment où viendra le recouvrement.

Dans cette matière bien spécifique de la corruption, sans violer les règles sacro-saintes de notre système légal, il faut l’adapter aux réalités de la corruption qui nous crèvent tous les yeux.

Quand on est confronté à un enrichissement illicite fragrant d’un fonctionnaire ou agent de l’Etat, lorsque son patrimoine excède manifestement son revenu « légal, légitime et connu », il faut séparer l’action pénale de l’action civile. Et la loi doit bien le préciser pour respecter le principe de la légalité.

En séparant les deux actions, il n’y a aucune violation du principe de la présomption d’innocence qui reste garantie à l’agent public poursuivi pénalement. L’action pénale aura comme objectif de faire condamner au pénal, pour corruption ou infraction connexe, le délinquant. S’il est condamné, tant mieux.

Mais s’il ne l’est pas, il ne pourra pas se prévaloir du « principe selon lequel le criminel tient le civil en l’état », s’il ne parvient pas à prouver au civil l’origine licite de son patrimoine qui est au-delà de ce qu’il a raisonnablement et honnêtement gagné.

Ici ce n’est pas une violation de ce principe selon lequel le criminel tient le civil en l’état, c’est tout simplement une exception au principe lorsqu’il s’agit de l’enrichissement illicite.

Quant à l’action civile, intentée par l’Etat ou ses organes devant les juridictions civiles, elle est dirigée contre le fonctionnaire présumé corrompu pour enrichissement illicite.

L’Etat aura à démontrer au juge civil, dans les moindres détails, que son agent a un patrimoine excédant son revenu licite et connu, et donc demander au juge de le constater et rendre un jugement de restitution à l’Etat des biens mal acquis.

La partie défenderesse aura quant à elle, à prouver l’origine licite de ses biens. S’il est incapable de le faire, le juge prendra une décision de restituer à l’Etat les biens détournés.

L’instauration des audits de style de vie

Séparer l’action pénale de l’action civile, dans le but de maximiser le recouvrement des biens et avoirs de l’Etat en cas de corruption, n’aurait aucun effet escompté sans l’instauration des « audits de style de vie ».

Comment en effet savoir les personnes avec un train de vie excédant leur revenu « légal et connu », s’il n’y a pas eu une collecte d’informations le prouvant ?

L’audit de style de vie est une évaluation, qui consiste à déterminer, si le niveau de vie d’une personne est à la hauteur de ses sources de revenus légaux et connus.

L’audit de style de vie est un outil qui peut également être utilisé par les administrations fiscales, pour déterminer si l’impôt sur les revenus payés par un contribuable donné est raisonnable ou pas, si l’on tient compte de son niveau de vie.

L’audit de style de vie est donc un outil d’enquête, utilisé pour prouver qu’un suspect, un agent public ou un employé, a un revenu de source inconnu par son employeur, et donc suspect. La source inconnue peut être la corruption ou une infraction connexe, un crime économique, le blanchiment d’argent, etc.

L’audit de style de vie est plus un processus d’investigation qu’un audit au sens classique. Il vise notamment : identifier les personnes suspectes de corruptions ou infractions connexes, de blanchiment d’argent ; rassembler les preuves contre les délinquants et pouvoir recouvrer les biens et avoirs mal acquis de l’Etat ; payer les taxes non payées. C’est également pour identifier les agents de l’Etat vivant au-dessus de leur source de revenus pour corruption ou infractions connexes.

La réussite des audits de style de vie est subordonnée à une approche participative et collaborative des agences de l’Etat en charge de la lutte contre la corruption.

Et les audits de style de vie doivent être encadrés par un cadre légal et une procédure qui détermine les limites des enquêteurs, ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas faire. L’intervention constante du juge est requise tout au long du processus.

Les organes enquêteurs ont besoin de lui pour leur accorder une ordonnance, qui leur donne le feu vert pour telle ou telle action. De même, les personnes faisant objet d’enquête peuvent faire recours à lui pour la protection de leurs droits.

Ne dit-on pas que le juge est le gardien des droits et des libertés des citoyens ! Mais le juge avec de telles responsabilités doit être compétent et intègre.

La présente analyse est le produit d’une réflexion, inspirée en grande partie par l’expérience du Kenya dans la lutte contre la corruption et le recouvrement des biens et avoirs de l’Etat qui se trouve facilité par le cadre légal.

Mon analyse n’est pas une vérité d’Evangile, elle peut être remise en cause, contredite, discutée. L’important est de susciter un débat. Et du choc des idées jaillit parfois une lumière inspiratrice, pour une lutte efficace contre la corruption et ses effets néfastes sur la vie d’une Nation. A l’Etat d’organiser ce débat !

Forum des lecteurs d'Iwacu

8 réactions
  1. JIGOU MATORE

    Triste et pathétique!

    Ces criminels viennent de commettre un crime pareil dans des circonstances quasi-identiques!
    Qui sont ces criminels, ces tueurs?
    Que cherchent-ils?
    Où sont les résultats des enquêtes de la première attaque?
    Pourquoi les médias ( surtout les radios), ne disent rien ou presque rien?
    Ont ils peur de communiquer là dessus?
    Pourquoi des précautions spéciales ne sont pas prises sur cet axe, par les force de sécurité?
    S’il y a eu faille dans le système de sécurité, sur base de ce qui s’est déjà passé dans des circonstances presque similaires, sur le même axe, des tètes devraient tomber.
    Tant de questions dans les tètes des burundais qui restent sans réponses.

  2. Barekebavuge

    Pour faire simple, biva aho abatwara bashaka gushika mykurwanya igiturire, ubuntonyezi.
    Ibishoboye Tanzania canke u Rwanda, hari volonté politique twohashika.
    Ntawubasavye niveau ya Hollande canke Suisse

  3. Mes chers patriotes,ce ne sont pas les simples citoyens qui sont corrompus ,pourtants des gens qui ont le pouvoir absolu.Nous voyons comment le gouvernement combat et neutralise le les groupes armés,pourquoi le gouvernement n’utilise la meme force pour éradiquer ces corrompus qui sont les enemies les plus dangereux que les groupes armés? Je n’ai jamais vu aucun pays au monde ganglené par la corruption qui se develope.Si le gouvernement decide d’eradiquer ce fléau avec tout moyen possible ,le combat ne durera pas plus de six mois.

  4. Nkebukiye

    Quoi qu’il en soit et on peut dire tout ce qu’on veut, c’est au gouvernement d’agir point c’est tout.

  5. Balame

    A quoi ca sert d’avancer des theories tres compliquee.
    Il faut la volonté. c’est tout.
    Il y a une loi, inscrite dans notre constitution en lettres gras que tout dignitaire nommé doit déclarer ses biens à l’entrée et à la sortie. Barigera babikurikiza?

  6. SAKUBU

    Une réflexion, une contribution d’idées novatrices. Reste à les mettre en pratique par qui de droit

  7. Bavuga

    Le Président de la République devrait immédiatement vous nommer à un haut poste pour piloter cette réforme que je trouve très utile pour notre pays.

    • Rwabuki

      Mon analyse

      Il est pratiquement impossible qu’un individu puisse faire seul, faire basculer la balance. La corruption est un système qui est à mon avis construit par les leaders de la société et qui ne peut être combattu que par les leaders de la même société: « Le poisson pourrit toujours par la tête » disent les Chinois. Le combat par le bas est trop compliqué (société civile), en moins que cette frange de la population d’en bas, réussisse à:
      1.à faire remplacer la tête pourrie;
      2.fasse établir au début un systéme énergique qui combat la philosophie de la corruption avant que la nouvelle tête ne commence à pourrir;
      3.fasse instaurer un systéme éducatif qui inculque la philosophie sociale du respect de la chose commune et d’autrui (l’Ethique sociale dès le très jeune âge);
      4.fasse instaurer un système institutionnel efficace et permanent de contrôle.

      Rappellez vous qu’une personne hônnete ne peut pas rester longtemps en sécurité/impunie parmi un directoire politque/social corrompu. Elle est plutôt en danger réel!

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