Face au désintéressement pour la lecture chez les élèves de Kayanza, les professionnels du secteur tirent la sonnette d’alarme. Entre bibliothèques quasi inexistantes, ouvrages peu adaptés et engouement décroissant pour la lecture, tous appellent à des actions concrètes afin de raviver le goût de lire et promouvoir la littérature burundaise.
Juvénal Mbonihankuye, directeur provincial de l’Education à Kayanza, constate avec regret que la majorité des élèves ne lisent plus. « L’intérêt pour le livre s’est considérablement effondré chez les élèves d’aujourd’hui. Ils sont absorbés par les téléphones, les ligalas et autres distractions », déplore-t-il. Il souligne également que même les rares élèves motivés se heurtent à un accès limité aux livres. La province ne compte que quatre bibliothèques pour 363 écoles. Seules les quatre écoles à régime d’internat disposent d’une bibliothèque.
Les élèves du lycée Oasis du Savoir, récemment primés lors d’un concours de poésie, encouragent pourtant leurs camarades à renouer avec la lecture qu’ils considèrent comme une source inépuisable de savoir.
« La lecture m’a ouvert l’esprit. Elle m’a permis d’enrichir mon vocabulaire et d’améliorer ma manière de m’exprimer », confie l’un d’entre eux. Toutefois, ces jeunes lecteurs regrettent l’absence d’ouvrages contemporains ou proches de leurs centres d’intérêt.
Jimmy Mbarushimana, finaliste en section scientifique et passionné de production cinématographique, raconte comment les livres l’ont aidé à mieux cerner ses ambitions.
« J’aime les ouvrages sur le développement personnel. Depuis que je lis, j’ai une vision plus claire de mon avenir. Malheureusement, ces livres sont introuvables dans les bibliothèques locales », regrette-t-il.
M.Mbarushimana a dû acheter de sa poche certains livres. Un autre élève souligne que les Centres de Lecture et d’Animation culturelle (Clac) sont difficilement accessibles aux élèves qui habitent loin des chefs-lieux des communes.
Même là, le Clac de Kayanza fait face par exemple à un problème de capacité d’accueil avec seulement vingt-cinq places, très serrées. « L’espace que nous occupions avant pouvait accueillir une centaine de personnes. L’administration communale nous a promis une salle plus spacieuse », explique la responsable du centre. Elle déplore également la disparition de nombreux livres malgré les mesures mises en place pour les protéger.
Des pistes de solutions
Le directeur provincial de l’Éducation précise que bon nombre d’établissements qui possèdent une prétendue bibliothèque ne disposent en réalité que de manuels scolaires. Il refuse toutefois que ce manque soit un prétexte pour délaisser la lecture. « Des Clac existent dans chaque commune de la province de Kayanza. »
Il note également que la réforme du programme éducatif a supprimé des leçons qui favorisaient la lecture telles que les dissertations. Il estime que ces activités, tout comme les questions de culture générale à l’examen d’État, devraient être réintroduites pour renforcer les compétences littéraires et intellectuelles des élèves. Il cite également les concours annuels de poésie comme l’une des initiatives de la Direction provinciale pour raviver l’intérêt des jeunes lecteurs.
Face à cette situation peu favorable à la lecture, l’élève Mbarushimana plaide quant à lui pour un meilleur équipement des bibliothèques et la multiplication des concours littéraires afin de stimuler l’intérêt des jeunes pour la lecture.
La responsable du Clac de Kaynaza plaide pour l’acquisition de nouveaux ouvrages, en particulier des romans récents. « Les élèves se lassent de lire uniquement des œuvres anciennes. Bien que nécessaires pour comprendre l’histoire, nos lecteurs préfèrent des livres contemporains. »
Rodrigue Sabiyumva, élève en 6ᵉ année rencontré sur place, réclame plus de livres pour enfants et une diversité accrue :« On se lasse vite de relire les mêmes livres », dit-il.
Pour l’enseignante et écrivaine Inès Mbesherubusa, la lecture va bien au-delà d’un simple passe-temps. « Lire, c’est voyager, découvrir d’autres mondes. Cela stimule l’imagination, le langage et la mémoire. » Elle insiste également sur l’importance de la lecture pour l’analyse des informations et la prise de décisions éclairées. « Aujourd’hui, nous sommes noyés sous un flot d’informations. Seule une bonne habitude de lecture permet de faire le tri, comprendre et apprendre. » Elle rêve d’un Burundi où les livres, la lecture et les écrivains seraient pleinement valorisés, notamment dans les écoles.
Beaucoup de défis chez les écrivains

Plusieurs élèves interrogés déplorent le fait que les ouvrages des auteurs burundais sont rarement disponibles dans les bibliothèques locales. Joseph Butoyi, écrivain et président de l’Association des écrivains du Burundi, dresse un tableau lucide des défis rencontrés par les auteurs. Le premier obstacle est le manque de formation. « Les jeunes écrivains manquent d’ateliers, d’accompagnement et d’opportunités d’apprentissage, faute d’un réel soutien de l’État. »
Le deuxième obstacle concerne les maisons d’édition, souvent trop précaires pour publier les manuscrits. Les auteurs doivent autofinancer leurs publications. Ce qui freine considérablement les vocations.
À cela s’ajoute la faible culture de la lecture au Burundi, où l’oralité reste dominante.
« Peu de gens lisent. Ce qui limite la vente de livres et empêche les écrivains de trouver un lectorat », explique-t-il. Même les livres publiés sont rarement disponibles dans les librairies, à Bujumbura comme dans les autres provinces du pays. Il pointe aussi l’absence de professionnels chargés de promouvoir les auteurs. Ce qu’il appelle les « managers du livre ».
Il évoque enfin un défi plus profond : la mentalité des écrivains eux-mêmes.
« Beaucoup attendent un appui extérieur au lieu de s’organiser, coopérer et prendre en main leur avenir littéraire. » Il conclut que seul un changement d’état d’esprit permettra aux écrivains burundais de surmonter les obstacles qui entravent leur progression.
La lecture permet l’imagination et la critique. De quoi les concepteurs des programmes ont-ils peur ?