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Le cri du soldat Gabo Zacharie : « Le pays nous a trahis »

05/05/2013 Commentaires fermés sur Le cri du soldat Gabo Zacharie : « Le pays nous a trahis »

Ils ont été envoyés au Congo par le Burundi avant l’indépendance pour apprendre à manier les armes en vue de former l’armée burundaise. Ils ont vite été laissés à eux-mêmes pour être utilisés, d’abord par l’armée régulière congolaise, puis par des rebelles de Pierre Mulélé qui sévissaient dans l’Est du Congo. Ils n’ont pas été reconnus par le pays, une fois rentrés.

<doc5629|left>Gabo Zacharie habite sur la colline Ntobwe et vit seul dans sa maison. Ce septuagénaire a accepté volontiers de raconter ses mésaventures méconnues par la plupart des Burundais. Une barbe blanche qui lui mange tout le visage, il parle avec une voix claire et autoritaire. Malgré le poids des années, il s’est bien conservé. Il se tient bien droit.

{Qu’est-ce qui vous a poussé à aller au Congo ? }

Avant l’indépendance, Rwagasore disait que le Burundi indépendant aura besoin d’une armée nationale. Je venais de terminer la cinquième année primaire à Mushasha et le titulaire nous a suggérés de nous inscrire parmi les premiers volontaires. Après avoir passé les tests médicaux, on nous a embarqués vers Bujumbura. Une semaine après, un camion de militaires congolais est venu nous prendre pour Kindu, à Kisangani.

{Qui étaient vos instructeurs dans le camp?}

C’étaient des Congolais car ils nous ont d’abord enseignés le lingala et un peu le swahili. Nous les avons utilisées, le temps de notre formation dans un C .I. (Centre d’Instruction).

{Combien de temps avez-vous fait le CI ?}

Trois ou quatre mois. Nous avions prolongé les entraînements car on nous disait que nous devrions attendre la délégation burundaise pour retourner au pays, ce qui n’a pas été le cas. Nous avons attendu en vain et l’armée congolaise nous a d’abord intégrés dans ses rangs. En 1964, les Maï-Maï ont attaqué Kisangani, ancienne Stanleyville, et ont pris notre camp. En débandade, nous nous sommes dirigés vers la forêt.

{Comment avez-vous vécu dans la forêt ?}

Nous tendions des pièges aux animaux. Nous sortions, de temps en temps, la nuit, marauder dans les champs. Beaucoup y ont laissé la vie car celui qui tombait malade avait peu de chance de guérir. Les Maï-Maï grouillaient dans toute la ville et les villages de Kisangani. Les Congolais ont été les premiers à sortir de la forêt. Il m’était impossible de me montrer aux rebelles, étant étranger et militaire. Pendant des semaines le climat et la maladie ont fini par avoir raison de moi. Je me suis rendu à un chef des rebelles. Je voulais mourir dignement au lieu d’être dévoré par des animaux sauvages. Beaucoup de mes compagnons d’armes avaient été sauvagement assassinés. A ma grande surprise, ce chef qui se nommait Général m’a traité avec bonté. Il obligeait les cuisiniers de me servir sur le repas des rebelles. Un matin, le chef m’a intimé l’ordre d’être initié aux rites d’invincibilité avant d’entrer dans leurs rangs. Selon leurs croyances, si un combattant boit une portion magique, les balles de l’ennemi se transforment en gouttelettes d’eau sur son corps. Leur avancée a été stoppée par l’armée de Mobutu appuyés par des mercenaires. On a su par après qu’ils étaient Européens et Sud-Africains. De nouveau, j’ai repris le chemin de la forêt.

{Que sont devenus les rebelles ?}

Ceux qui n’ont pas déposé les armes ont été abattus sur le champ. J’ai été capturé par après et conduit directement chez le commandant à qui j’ai expliqué mon cas. Heureusement, il m’a tout de suite compris et m’a mis sur la liste des étrangers qui voulaient retourner chez eux. Les autorités militaires m’ont alors signé  une feuille de route.

{Comment avez-vous été accueilli au Burundi ?}

Très froid. J’ai demandé à un passant où se trouvait l’Etat Major pour aller me présenter dans l’espoir d’être incorporé dans l’armée. J’étais bercé d’illusions d’être indispensable dans la jeune armée burundaise. A ma grande surprise, personne ne voulait m’entendre malgré mes documents signés. Je me suis expliqué sans succès. Devant ce refus catégorique, je me suis dirigé vers ma région natale. Pour rentrer, j’ai profité du déplacement des tambourinaires de Gishora qui étaient venus pour une exhibition à Bujumbura.Je n’avais pas d’argent sur moi.

{La situation s’est-elle améliorée sur votre colline ?}

Loin de là. Je devais aller me présenter chez le gouverneur et les autorités de base. La crise de 1972 m’a fait regretter mon retour. Il y avait une chasse aux militaires Hutu. On m’a pourchassé parce que je savais manier une arme. Je mes suis caché jusqu’à ce que la situation se normalise. En peu de mots, mon pays m’a trahi.

{En quoi avez-vous été trahi ?}

Dans tout. D’abord, le pays m’a envoyé au Congo et m’a abandonné loin de chez moi. Ensuite, même rentré, il n’a pas jugé bon de m’intégrer dans l’armée. Enfin, il voulait me tuer sous prétexte que je me suis familiarisé avec les armes.

{Qu’est-ce que vous demandez aux autorités du pays ?}

De reconnaître que je suis parmi les premiers qui ont sacrifié leur vie pour le pays. Jusqu’à maintenant, je me considère toujours militaire car je n’ai pas été démobilisé. Dans le cas contraire, que je bénéficie d’une pension comme les autres qui ne sont plus capables d’être sous les drapeaux.

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