Dans la commune Cibitoke, certains cultivateurs ont abandonné la culture du coton. D’autres se plaignent du retard dans l’achat de leur production par la Compagnie de Gérance du coton (Cogerco). Ils réclament en outre la révision du prix offert par kilo.
« J’ai cessé de cultiver le coton car cette culture n’avait plus de valeur. Le kilo s’achetait à 500 FBu à l’époque. Et même si le prix a été revu à 1000 FBu, je ne peux plus m’y engager compte tenu de la valeur actuelle de la monnaie burundaise », regrette un habitant de la colline Rusiga, en commune Cibitoke, province de Bujumbura. Il explique qu’une tonne de coton graine nécessite aujourd’hui une superficie d’au moins cinq hectares. Selon lui, le coton n’est plus une priorité pour le pays.
« Autrefois, les agronomes nous accompagnaient de près. Des fonds conséquents étaient injectés dans le secteur. Des avions assuraient la pulvérisation de nos champs, on nous accordait des crédits pour couvrir les premières dépenses liées au coût de production, etc. À présent, plus rien de ces avantages », déplore-t-il. Il ajoute que les récoltes ne sont plus satisfaisantes. Les terres sont devenues arides et nécessitent beaucoup de fumier pour optimiser la production. « Avant, sur un mètre, je pouvais récolter environ 700 kg. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. De nombreux cotonculteurs se lamentent. La filière coton n’offre plus rien de motivant. J’ai même abandonné ma parcelle située dans la réserve cotonnière », confie-t-il.
D’autres agriculteurs menacent d’abandonner
« Le coton que nous avons cultivé risque de pourrir dans nos maisons, surtout avec la saison pluvieuse qui s’annonce. La Cogerco ne commence ses achats qu’à partir du 15 juillet. Jusqu’à présent, nous n’avons aucune nouvelle de leur part », déplorent des cultivateurs de Cibitoke.
Ces derniers expriment leurs inquiétudes et redoutent des pertes énormes dues à la détérioration de leurs récoltes. « Nous craignons que la Cogerco nous impose ces pertes, alors que ce n’est pas de notre faute. Nos récoltes étaient prêtes à temps. Si cela se produit, j’abandonnerai définitivement la culture du coton », s’indigne l’un d’eux. Ils demandent également la révision du prix jusqu’à au moins 3500 FBu le kilo. Ils rappellent qu’il s’agit d’une culture exportable et coûteuse en efforts tout au long du processus de production. Contactée, la Cogerco n’a pas réagi.
D’après Pierre-Claver Nahimana, ancien directeur général de la société, l’institution souffre de sérieux problèmes de gestion. « C’est un établissement à caractère industriel et commercial. À ce titre, il se heurte aux mêmes difficultés de gestion que l’on retrouve dans la plupart des institutions publiques ». Et d’ajouter que, quelle que soit la compétence des responsables désignés, son fonctionnement reste soumis aux règles contraignantes des entreprises publiques à vocation commerciale. « Cela réduit forcément leur efficacité dans la prise de décision et leur compétitivité sur le marché », regrette-t-il.
Des réserves cotonnières réduites
M. Nahimana déplore également la baisse continue de la production cotonnière. « Les statistiques montrent que depuis 1970 jusqu’à aujourd’hui, la production a diminué progressivement pour atteindre des niveaux très faibles. En 1970, le Burundi produisait environ 8 500 tonnes de coton graine contre seulement 3 000 tonnes en 2018 ».
La principale cause de cette chute, selon lui, est la réduction continue des réserves cotonnières. « Cela s’est fait à travers diverses cessions de terres par l’État à des tiers ainsi que la récente décision du gouvernement de céder définitivement les terres des paysannats de la plaine de l’Imbo aux populations occupantes ».
Il rappelle que les superficies cotonnières dépassaient 9 000 hectares entre 1960 et 1971, atteignant même 11 500 ha en 1961. Depuis 1971, elles ont régressé pour tomber en dessous de 2 500 ha actuellement. À cela s’ajoute l’absence d’investissements financiers conséquents.
Les faibles recettes de la Cogerco ne permettent pas de réinvestir dans des technologies modernes comme la mécanisation ou l’irrigation, pourtant essentielles pour accroître la production. « La structure même d’encadrement et de production du coton reste étatique. Elle n’est pas suffisamment libre pour prendre des mesures de relance efficaces », estime l’ancien DG.
Il estime également que le prix payé au producteur est un facteur déterminant. « Il peut être motivant ou décourageant. Même si le prix a augmenté en francs burundais ces dernières années, en valeur réelle (US$), il a très peu varié ».
D’après M. Nahimana, les chiffres disponibles indiquent que le prix du coton graine, fixé à environ 10 FBu/kg en 1965, est passé à 600 FBu/kg en 2017, puis à 1 000 FBu/kg aujourd’hui. « Cependant, ce prix reste très relatif lorsqu’on l’analyse à travers l’évolution de la monnaie burundaise face aux devises étrangères. En 1965, il équivalait à 0,11 US$/kg ; en 2017, il atteignait 0,33 US$/kg. Actuellement, au taux officiel, il demeure fixé à 0,33 US$/kg. Mais, si l’on se réfère aux taux de change réels sur le marché des devises, il retombe à 0,13 US$/kg, soit presque le niveau de 1965. Il reste donc faible », explique-t-il. Pour lui, le cotonculteur ne peut qu’en être mécontent au regard du coût de la vie actuel.
Des stratégies de relance sont nécessaires

M. Nahimana fait observer que pour redynamiser la filière coton, la Cogerco doit appliquer les recommandations formulées dans la Stratégie nationale de redynamisation de la filière coton-textile-habillement du Burundi, adoptée en 2019. Cette stratégie fixe plusieurs objectifs, notamment « l’augmentation de la production nationale de coton fibre jusqu’à 5 000 tonnes, la maîtrise par l’État des terres cotonnières avec récupération des parcelles indûment affectées à d’autres usages, le renforcement et la modernisation des capacités technologiques à travers la mécanisation et l’irrigation ainsi que la modernisation de l’usine d’égrenage ».
Pour que le secteur puisse véritablement redémarrer, il estime qu’il ne doit plus être considéré uniquement comme une simple structure agricole de production. « Il doit être envisagé comme une filière agro-industrielle, agro-textile et commerciale. Cela suppose que le gouvernement en fasse un objectif prioritaire dans sa planification future ». Il encourage également la mise en place de partenariats « gagnant-gagnant » entre investisseurs privés et État.
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