L’ancien ministre Ezéchiel Nibigira a été dernièrement nommé au poste de président de la Commission de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC). Quid des avantages que le Burundi va tirer de cette nomination ? Le Burundi est membre de plus d’une centaine d’organisations régionales et internationales. A part des millions de USD d’arriérés des cotisations statutaires, nombre d’observateurs s’interrogent sur les retombées économiques et politiques que le pays tire de ce multilatéralisme organisationnel.
Lors la VIIe Session extraordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement (CCEG) de la CEEAC qui s’est tenue le 7 septembre 2025 à Sipopo en République de Guinée équatoriale, l’ambassadeur Ezéchiel Nibigira, a été nommé au poste de président de la Commission de la CEEAC.
Ancien ministre des Affaires étrangères, ministre des Affaires de la Communauté est-africaine, de la Jeunesse, des Sports et de la Culture et ancien ambassadeur du Burundi au Kenya, Ezéchiel Nibigira a été nommé pour un mandat de cinq ans, non renouvelable.
Selon le ministère des Affaires étrangères, de l’Intégration régionale et de la Coopération au développement, le nouveau président de la commission est attendu sur plusieurs axes prioritaires : approfondir l’intégration économique régionale, renforcer la gouvernance institutionnelle, promouvoir la coopération interétatique et positionner la CEEAC comme un acteur central du développement et de la stabilité en Afrique centrale. « Pour le Burundi, cette nomination représente une avancée diplomatique majeure et une opportunité stratégique de contribuer activement à l’essor régional. »
Quid des retombées pour le Burundi ?
Selon Faustin Ndikumana, directeur national de Parcem, le Burundi a adhéré à la CEEAC en misant sur sa position géostratégique charnière entre deux espaces, à savoir l’espace francophone à l’Ouest et l’espace anglophone à l’Est. « Une organisation qui permet le renforcement de la coopération entre le Burundi et la RDC était la bienvenue. »
Toutefois, M. Ndikumana indique que la CEEAC en tant qu’organisation sous-régionale a été marquée par plusieurs scandales financiers de mauvaise gestion et de mauvaise gouvernance. « Plusieurs projets ont échoué. Il n’y a pas eu de politique de planification claire. Il y avait toujours des scandales de détournement des fonds, de recrutements subjectifs. L’organisation a longtemps souffert de ces maux. »
De plus, elle regroupe des Etats qui ont eu des problèmes de gouvernance depuis longtemps, qui ont un passé douloureux qui a pesé lourdement sur leur présent, notamment la Centrafrique, le Tchad, le Cameroun, la Guinée équatoriale, la RDC, le Gabon. « Ce sont des Etats qui ont eu un défi de gouvernance dans leur passé et même aujourd’hui, des problèmes de démocratie, des problèmes de corruption malgré qu’ils regorgent beaucoup de ressources naturelles. »
D’après le directeur national de Parcem, c’est un espace d’intégration régionale qui n’a presque pas d’infrastructures qui lient les Etats entre eux notamment les communications aériennes, terrestres et maritimes. « Cela handicape fortement l’intégration régionale des membres de cette communauté. Et encore plus, la CEEAC n’a pas pu présenter de grands projets ou d’ambitions qui montrent qu’elle veut s’assurer d’une intégration forte entre les Etats qui en sont membres. »
« Il faut une réflexion sur la stratégie d’intégration. »

« On voit mal comment la CEEAC pourrait offrir un avantage beaucoup plus important par rapport à son intégration à l’Est. Dire que le Burundi va profiter de quelque chose avec cette nomination, je ne le vois pas. D’abord, c’est une présidence tournante et c’est une organisation qui avait été à plusieurs reprises en agonie. Peut-être que le Burundi va comprendre les méandres de son fonctionnement beaucoup plus, mais je ne crois pas qu’il y ait un avantage spécial à retirer de cette présidence. »
M. Ndikumana fait savoir que le Burundi s’ouvre maintenant au monde, avec ses communications maritimes, aériennes et terrestres, à partir de l’Est. « Comme le Burundi misait sur la RDC en s’intégrant à l’Ouest et comme celle-ci est devenue membre de l’East African Community, le pays devrait plutôt réfléchir sur la nécessité de continuer d’être membre de la CEEAC. Je crois qu’il faut une réflexion sur ça. »
Il rappelle qu’il y a eu, dans le passé, une commission qui était chargée de réfléchir sur la politique et la stratégie d’intégration du Burundi par rapport aux organisations dont il est membre. « Il fallait réfléchir afin de voir quels sont les avantages et les inconvénients d’adhérer dans telle ou telle autre organisation régionale ; quelles sont les forces et les faiblesses, les opportunités, les menaces de chaque organisation d’intégration régionale, et parvenir à prendre une position stratégique de nature à diminuer le nombre d’organisations régionales dont le Burundi est membre. »
Il ne croit pas que cette commission a pu déposer son travail pour permettre aux décideurs politiques de prendre une solution idoine. « Maintenant, le Burundi enregistre beaucoup d’arriérés dans les organisations régionales. De par ses moyens, il faut miser sur deux ou trois dont il juge que la valeur ajoutée d’adhérer est visible et qui crée des externalités positives par rapport aux stratégies de développement du Burundi. »
Des arriérés de cotisations énormes
Lors du Conseil des ministres du 3 juillet 2022, le ministre des Finances, du Budget et de la Planification économique a alerté sur les arriérés des contributions statutaires du Burundi au sein des organismes internationaux et régionaux. La facture s’élevait à 147 772 824 382 BIF.
« Cette situation est due à une multitude d’organisations internationales auxquelles le Burundi est membre sans nécessairement tenir compte du profit que le pays va en tirer. Entre temps, les ressources financières dont dispose le pays ne permettent pas d’honorer les engagements financiers au titre des contributions statutaires. »
Dans sa note d’information sur la rationalisation de la participation du Burundi dans les organisations régionales et internationales, lors du Conseil des ministres du 16 novembre 2022, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération au développement a fait savoir que le Burundi est membre de plus de 160 organisations et que cette appartenance à plusieurs organisations régionales et internationales implique le respect des droits et obligations d’ordre juridique, financier, etc. « Les contributions annuelles statutaires inhérentes à cette pluri-appartenance pèsent lourdement sur l’économie burundaise, ce qui se manifeste dans plusieurs organisations par le cumul d’arriérés des contributions. Faute d’assez de budget pour honorer ses engagements, le Burundi demeure en situation d’irrégularité dans plusieurs organisations. » Cette situation fait que les arriérés de contributions statutaires annuelles ne cessent de s’accroître.
Le ministre a souligné que certaines raisons qui ont milité en faveur de l’appartenance à certaines organisations ne sont plus d’actualité. De plus, l’appartenance à certaines organisations est obsolète car les intérêts stratégiques qui étaient visés n’y sont plus ou sont autrement compensés. L’autre constat est que certaines organisations demandent de gros montants en termes de contributions alors que le Burundi n’en tire pas grand profit.
Face à cette situation, il est suggéré notamment que le Burundi se retire des organisations jugées non nécessaires pour le pays ; de chercher et de prévoir des moyens suffisants pour pouvoir honorer ses engagements financiers et ainsi être chaque fois à jour dans le paiement des contributions statutaires annuelles ; de négocier des plans d’apurement échelonné des arriérés des contributions pour toutes les organisations retenues ; de négocier des plans de paiement échelonnés pour les arriérés déjà enregistrés au sein des organisations non retenues, et de notifier officiellement le retrait du Burundi ; etc.
Une situation alarmante à l’EAC
Lors des cérémonies de remise et reprise entre le nouveau ministre des Affaires étrangères, de l’Intégration régionale et de la Coopération au développement et l’ancien ministre Gervais Abayeho en charge des Affaires de la Communauté est-africaine, ce dernier a dressé un tableau sombre sur la problématique des arriérés des cotisations du Burundi dans l’East african community (EAC). « Ce que je peux dire au nouveau ministre, c’est que je lui laisse un problème sérieux. Il faut trouver une solution pour le paiement des contributions statutaires que nous devons payer. » D’après lui, les Ougandais et les Kenyans sont remontés en bloc et clament haut et fort que les pays qui ne cotisent pas profitent les autres.
« Je vais vous montrer les chiffres, mais pour des raisons de discrétion, je ne peux pas les annoncer ici. Mais, ce n’est pas facile lorsque ces chiffres sont annoncés dans des réunions. Avant, on ne le faisait pas publiquement. Ils nous donnaient un document sous pli fermé. Ce que je peux dire, nous sommes les premiers à enregistrer des arriérés énormes. Ce sont des millions en dollar. »
Selon Gervais Abayeho, certains pays membres de l’EAC tiennent un langage tolérant alors que d’autres sont intraitables. « Aujourd’hui, certains veulent ôter le droit de veto aux pays qui enregistrent beaucoup d’arriérés de cotisations. Mon arme fatale à chaque fois est le Traité de l’EAC. »
D’après lui, les Ougandais et les Kenyans menacent d’outrepasser le Traité pour nous exclure. Ils menacent même de ne plus recruter des Burundais dans la communauté. « C’est d’autant plus gênant, car il y a des institutions qui sont dirigées par des Burundais notamment l’East African Legislative assembly (EALA), la Cour de justice de l’EAC, le service des finances, … C’est important pour le pays, mais imaginez leur gêne lors des réunions. »
M. Abayeho a rappelé que dans le passé, le Burundi n’était pas catégorisé dans les pays qui ne cotisent pas. « Nous avions des arriérés, mais on les apurait progressivement. Actuellement, ce n’est plus possible à cause de la conjoncture de notre trésorerie. Il y a des priorités et des priorités. Les cotisations à l’EAC sont une priorité, mais il y a d’autres priorités comme le carburant, les médicaments, les engrais chimiques. » Et d’ajouter : « Nous sommes dans plus de 150 organisations. On ne peut pas les quitter, mais il faut choisir les organisations où on peut tirer des bénéfices. On doit multiplier les efforts dans l’EAC en payant les cotisations pour éviter qu’on ne nous mette pas sur la liste noire. »
Iwacu a contacté la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, de l’Intégration régionale et de la Coopération au développement, elle a répondu qu’ils sont disposés à répondre aux questions, mais qu’ils sont très occupés.
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