Samedi 27 avril 2024

Économie

Enquête sur l’eau de la Regideso/Alimentation en eau potable : Un secteur presque oublié

23/02/2024 Commentaires fermés sur Enquête sur l’eau de la Regideso/Alimentation en eau potable : Un secteur presque oublié
Enquête sur l’eau de la Regideso/Alimentation en eau potable : Un secteur presque oublié
Point de captage Shango en commune Ngozi

Pénuries intempestives d’eau potable ; irruption des maladies des mains sales dont le choléra, … les habitants de plusieurs villes du Burundi vivent le calvaire. Entretemps, le montant alloué à l’eau, l’hygiène et l’assainissement (EHA) est de 45 milliards de BIF, soit 1.1 % du budget général de l’Etat. Installations vétustes, dettes et factures impayées, zones d’ombre dans l’attribution des marchés pour différentes fournitures, la Regideso semble avoir jeté l’éponge. D’aucuns se demandent si l’alimentation en eau potable est une priorité pour le gouvernement. Enquête.

Dossier réalisé par Fabrice Manirakiza (Journal Iwacu), Parfait Nzeyimana (Yaga), Dona Fabiola Ruzagiriza (Burundi Eco) et Cosette Akimana (Jimbere Magazine)

Ngozi : Soif d’eau et de bonne gestion

Ngozi, comme d’autres chefs-lieux des provinces du pays, fait face à la pénurie d’eau potable. La population urbaine désespère devant les robinets secs alors qu’un point de captage se trouve à moins de 5 km de cette ville. Des châteaux d’eau ont été construits depuis des années pour faciliter la distribution. Mais ce n’est que dernièrement que le réseau commence à être installé, suite aux remontrances du chef de l’Etat. A qui la faute ?

Ngozi, avec son sol rougeâtre, donne l’impression d’une terre aride même si elle est accueillante. Plus loin de Burengo, ’’Kuri Ferme’’ grouille toujours de monde. Il est par contre difficile d’y trouver un robinet public où l’eau coule à flots. De quoi inciter les journalistes à faire un tour dans la ville de Ngozi et ses faubourgs, leur éternelle curiosité est sans pareille.

A quelques kilomètres de la ville, l’Ecofo Gacekeri n’a pas d’eau courante. Les tanks installés derrière les salles de classe pour recueillir l’eau de pluie ne sont plus fonctionnels.

Et pour cause, les robinets sont tombés en panne depuis un certain temps. Comment les 974 élèves, plus les 120 écoliers de la Maternelle font-ils pour se désaltérer ? On leur demande d’amener leur eau dans de bidons ou des bouteilles.

Au Centre de santé de Gacekeri, qui se trouve à une cinquantaine de mètres de l’école, la situation n’est guère reluisante. Ils engagent un taxi-vélo pour aller puiser de l’eau. « On utilise 20 bidons par jour, à raison de 500 BIF/bidon », a fait savoir le gestionnaire du centre de santé, joint par téléphone.

A Muremera, après avoir sillonné le quartier, une trouvaille : une borne fontaine fonctionnelle. Il faut débourser 50 BIF pour avoir un bidon d’eau. Mais parfois, les coupures de courant viennent interrompre ce petit business, nous a appris l’exploitant.

A Kugisagara, les femmes rencontrées nous apprennent que les coupures d’eau sont récurrentes. Une borne fontaine se trouvant plus loin est à sec depuis longtemps.

Devant l’enclos familial, une fille nous affirme que le quartier peut passer deux semaines sans eau dans les robinets. A Kurubuye, la situation est presque la même. Les coupures d’eau font partie du quotidien des habitants de cette localité.

Pourtant, Ngozi devrait être bien servi

Après ce constat, pas très reluisant, la question qui se pose est de savoir si la ville de Ngozi manque de sources d’eau pour son approvisionnement. Une pêche aux informations s’est avérée nécessaire et a abouti à une surprise : curieusement, il y a un point de captage d’eau à moins de 5 km du centre.

Sur la colline Shango, zone Mubuga de la commune Ngozi, des bâtisses en dur, une clôture en tubes de fer. Coup de bol, les gardiens des lieux nous laissent entrer. Le plus ancien nous propose même une visite des lieux.

Nous découvrons des installations presque neuves. Nous découvrons de grosses turbines en action dans l’un des bâtiments. Un bruit sourd emplit les lieux. L’eau est captée à partir des huit stations près de la rivière Nyakijima.

Elle est aspirée par des pompes imposantes. Elle est ensuite refoulée vers le 1e château d’eau qui se trouve à quelques mètres plus loin. C’est à partir de là qu’elle est traitée. Plus loin, un autre appareil y ajoute du chlore. Après traitement, elle est pompée vers le 2e château qui se trouve dernière le camp militaire de Ngozi.

C’est à partir de là qu’elle doit être distribuée aux habitants de la ville de Ngozi. La question est de savoir pourquoi elle n’est pas distribuée alors que toutes ces installations sont prêtes depuis des années. Que s’est-il passé donc ? Une question à 1 million de dollars.

Là où le bât blesse

Nous avons voulu savoir dans quel cadre ce projet d’action d’eau a été exécuté et pourquoi il n’est pas allé jusqu’au bout. Nous nous sommes adressés au responsable de la Regideso chargé de l’eau à Ngozi. Ce dernier n’a pas souhaité nous parler, mais il a préféré nous référer à la Direction générale de Bujumbura.

Dans la quête de savoir ce qui s’est réellement passé, nous nous sommes adressés au coordinateur provincial de promotion de la santé à Ngozi. S’il a accepté de nous parler, ce n’était pas pour dénoncer les manquements ou les responsabilités, parce que ce n’est pas dans ses attributions ou compétences, mais plutôt de nous parler du projet en soi.

Le projet LVWATSAN II, puisque c’est lui dont il s’agit, a été financé par la BAD à hauteur de 87 millions USD, dans le cadre de l’EAC. Il concernait 15 villes de 5 pays de l’EAC : le Burundi, le Rwanda, la Tanzanie, le Kenya et l’Ouganda.

Du côté burundais, il concernait les villes de Kayanza, Ngozi et Muyinga pour un montant de 22 millions USD. Il devait permettre l’augmentation de l’approvisionnement en eau potable jusqu’à 3 fois dans la ville de Kayanza, 6 fois dans la ville de Ngozi et 5 fois dans la ville de Muyinga.

Pour l’approvisionnement en eau potable (AEP) dans les mêmes villes, le marché a été attribué à l’entreprise Sogea Satom, le 14 décembre 2015, pour un délai d’exécution d’une année. Les travaux devaient avoir été terminés au 31 décembre 2016. C’est dans ce cadre que le point de captage de Shango et les châteaux d’eau ont été construits.

A la fin des travaux, ces infrastructures ont été remises à la Regideso, qui devait se charger de la seconde phase du projet, en l’occurrence l’installation du réseau et la distribution de l’eau.

En qualité de maître d’ouvrage, c’est elle qui devrait rendre des comptes. Pourquoi a-t-elle attendu la mise en demeure du président pour commencer l’installation du réseau de distribution ?

C’est elle qui devrait répondre à cette question. Toujours est-il que d’après les projections de ce projet, les besoins de la ville de Ngozi auraient été couverts jusqu’en 2035, selon notre source.

Le gouverneur de Ngozi a fait une autre précision importante qui explique pourquoi l’eau du projet LVWATSAN n’arrive pas encore dans les robinets publics et dans les ménages : « Le réseau de distribution est vétuste. Il date de l’époque du prédisent Bagaza. Il est fait de tuyaux de petit calibre. Il n’a pas suivi l’augmentation de la population et l’extension de la ville. Les travaux de remplacement de ce réseau sont en cours. Ils en sont à 80 %. Nous espérons qu’avec la fin du mois de février 2024, la ville de Ngozi sera entièrement servie ».

Parmi d’autres raisons qui expliquent le retard de l’installation d’un nouveau réseau de distribution, le gouverneur a mentionné le fait que les matériaux nécessaires viennent de loin, sans oublier le fait que les différents services comme l’Obuha, l’ARB et le Regideso, doivent se concerter avant le début des travaux pour savoir qui fait quoi. Il arrive qu’une route doit être coupée. Dans ce cas, il faut s’assurer de l’entité chargée de la remise en état.

Selon les estimations du gouverneur de Ngozi, le taux de desserte en eau de cette province est de 55 %.

Mairie de Bujumbura : Des habitants désemparés

Dans certains quartiers de la ville de Bujumbura, la pénurie d’eau est devenue une routine. Les habitants peuvent passer trois jours voire plus sans eau dans les robinets. Dans certaines localités, l’eau de forage est venue comme une solution, mais son impact reste minime.

En zone urbaine de Gihosha, il s’y observe un manque d’eau au minimum 3 jours sur 7. Comme tous les habitants ne sont pas sur une même ligne, certains se rabattent sur leurs voisins chanceux. Des robinets publics existent, par exemple à la rue communément appelle « Iryo kwa Ntiba » où l’eau est gratuite, mais quelques fois, deux jours passent sans une seule goutte.

Le contraire se constate en zone urbaine de Kamenge où il n’y a même pas de régularité dans l’alimentation en eau. Les habitants de cette zone s’approvisionnent chez ceux qui en ont. Très peu d’eau de forages et pas de robinets publics de la Regideso.

Des bidons alignés sur un robinet à sec en attente d’eau potable en zone
Cibitoke

Ils achètent l’eau par bidon amenée par des conducteurs de taxi-vélos reconvertis en distributeurs d’eau. Le prix varie entre 500 et 1.000 FBu.

Au quartier Carama, une semaine peut passer sans eau dans certains coins. De longues files d’attente se remarquent sur les points d’eaux de forage qui y sont nombreux et à de courtes distances.

Au quartier Carama II, il y a 3 robinets publics d’eau de forage à environ 100 m d’espacement. Le raccordement n’a pas encore été étendu à tous les coins. Pour acheter l’eau, la somme varie entre 500 et 1 500 FBu par bidon de 20l.

A Maramvya, l’eau est disponible 24h/24 dans certains coins comme derrière les industries « La branche d’Azam ». Dans d’autres parties, la pénurie est une réalité. Soit il y a l’achat par bidon soit il y a recours aux eaux des bornes fontaines et des robinets publics.

Une pénurie qui est aussi visible dans le sud de la capitale économique. Au quartier Musama de la zone urbaine de Kanyosha, ils peuvent passer entre 5 jours et une semaine sans que l’eau n’apparaisse dans les robinets. Un bidon d’eau potable coûte entre 700 et 1 000 FBu pour ceux qui possèdent des vélos pour les transporter.

Au cas contraire, ils font recours à des eaux des rivières. « Nous avons peur d’être contaminés par les maladies causées par le manque d’hygiène », confie un habitant désespéré.

C’est le même constat dans le quartier Nyabugete III. Les ingénieurs en construction se lamentent de cette pénurie : « J’ai marchandé cette maison de la fondation au linteau sans avoir mis le devis d’eau dans le budget et j’ai déjà dépensé 900 mille FBu, ce qui est une grande perte ».

Dans les périphéries de Kinindo, la pénurie d’eau est une évidence. Ils préfèrent utiliser l’eau de la rivière Mugere et des fois, ils vont puiser de l’eau propre dans les collines avec plus d’une heure de trajet.

Ceux qui ont des moyens achètent l’eau à boire, d’autres utilisent l’eau des caniveaux pour la construction et l’arrosage des champs surtout de légumes.

Le constat est que, la situation est intenable pour les élèves des établissements à régime d’internat. Au lieu de réviser les cours, ils vont puiser de l’eau, ce qui les perturbe énormément. Ainsi, cette pénurie d’eau quasi permanente n’avantage surtout pas les femmes et filles en rapport avec la propreté.

De plus, les familles dépensent beaucoup d’argent pour acheter l’eau alors que la vie devient de plus en plus chère. Les habitants de la ville de Bujumbura rencontrés demandent à l’Etat et à la Regideso de faire une étude approfondie sur les stratégies pouvant permettre une distribution d’eau suffisante dans toutes les localités pour faciliter les activités quotidiennes.

Gitega : L’eau disponible ne couvre qu’un tiers des besoins

Comme dans presque tous les centres urbains du pays, la capitale politique vit au rythme des pénuries d’eau. La Regideso est obligée de rationner les quartiers une fois les trois jours.

« Nous pouvons passer une semaine sans avoir de l’eau dans nos robinets. En cas de pénurie, nous allons puiser dans des rivières ou bien, nous louons les services des taxi-vélos. Nous avons peur que cette eau ne soit impropre. Nous n’avons pas d’autres choix », se lamente, Irène Dusengimana, coiffeuse du quartier Magarama dans la ville de Gitega.

Elle fait savoir qu’elle accuse un manque à gagner lorsqu’ il y a des coupures d’eau de la Regideso. « Vous savez que la vie est difficile, impossible de rester là sans rien faire. Nous nous contentons de ces miettes. » De plus, indique-t-elle, l’hygiène laisse à désirer à cause de cette pénurie. « Les robinets pullulent dans Magarama mais l’eau se fait attendre ».

Dans la ville de Gitega, les robinets publics sont à sec depuis belle lurette

Pour Léonce Nzoyihiki, la question de l’eau est problématique dans la ville de Gitega. « La ville s’est agrandie ces dernières années, mais la Regideso n’a pas suivi le rythme. Elle doit évoluer avec le temps. Aujourd’hui, c’est impossible que tous les quartiers aient de l’eau en même temps ».

Cet habitant de Gitega craint des maladies des mains sales pouvant surgir. « L’eau, c’est la vie. Passer deux semaines sans eau, cela montre que la situation est gravissime. C’est paradoxal, car la ville de Gitega est la capitale politique. Il faut y mettre beaucoup de moyens pour ne pas écorner l’image de la ville et du pays ».

Cet habitant lance un appel au gouvernement de doter la Regideso des moyens suffisants afin que cette dernière puisse suivre le rythme de l’agrandissement des villes. « Il faut que des sources d’eau soient proportionnelles au nombre d’habitants qui peuplent ces villes. Si le gouvernement n’a pas les moyens, il peut solliciter l’aide de ses partenaires techniques et financiers ou contracter des crédits ».

Les écoles secondaires ne sont pas épargnées par cette situation. Selon le directeur du Lycée Notre Dame de la Sagesse, Abbé Simon Nzigirabarya, son établissement est touché. « Il nous arrive de manquer de l’eau, car la fourniture de la Regideso peut être une fois les trois jours. Fort heureusement, au niveau de notre école, nous avons bénéficié de l’aide de forage des anciens de l’école vivant en Belgique. La difficulté est que les installations de ce forage utilisent de l’énergie solaire. Lorsqu’il n’y a pas de soleil ou s’il y a beaucoup de pluies, la machine ne fonctionne pas et c’est la pénurie d’eau ».

D’après ce directeur, cela a des conséquences néfastes sur le fonctionnement de l’école. « Les élèves sont obligés d’aller puiser de l’eau en utilisant des seaux. Le temps utilisé devait plutôt servir aux élèves de revoir leurs cours et de renforcer leurs capacités intellectuelles ».

Particulièrement, comme nous sommes une école à vocation inclusive, poursuit-il, nous avons des enfants qui vivent avec un handicap. « Quand il faut aller puiser de l’eau, la difficulté qui se pose est que les malvoyants ne parviennent pas à arriver aux endroits où l’eau est puisée. C’est une difficulté majeure du moment que notre école ne dispose pas d’un véhicule capable de nous aider à aller chercher de l’eau afin de satisfaire les besoins qui nécessitent de l’eau en permanence ».

Annie Princia Niyoncuti, vice-doyenne au Lycée Notre Dame de la Sagesse (Ex-CND), indique que cette pénurie d’eau perturbe tout. « Lorsqu’il y a pénurie d’eau, nous allons puiser de l’eau à la borne fontaine. Tout l’établissement y va. Cela nous prend beaucoup de temps, ce qui a un impact sur nos études ».

D’après cette élève, ils font un trajet de quinze minutes. « Nous y allons à 15 h et on revient à 18 h. C’est une grande perte. Nous sommes venus étudier et non pas puiser de l’eau ».

Le gouverneur de la province de Gitega, Venant Manirambona, reconnaît ce problème de manque d’eau potable. « Les infrastructures de distribution d’eau ne suivent pas l’accroissement de la population. Nous le voyons dans de nombreux centres urbains. Dans la ville de Gitega, les techniciens avaient estimé, il y a quelques années, que le taux de desserte en eau potable était à moins de 50 % ».

D’après lui, ils se sont mobilisés, suivant les moyens dont dispose le pays, pour remédier à cette situation. « Plusieurs forages ont été réalisés. Mais comme la population s’accroît du jour au jour, l’eau reste insuffisante ».

Venant Manirambona indique qu’il n’y a pas, dans la province de Gitega, beaucoup d’organisations œuvrant dans le secteur de l’eau. « Nous n’avons pas encore de partenaires qui peuvent financer un projet de grande envergure. Ils financent de petits projets d’adduction d’eau en dehors de la ville de Gitega ».

Selon Jean-Claude Manirakiza, directeur de la région centre-est à la Regideso (Gitega, Ruyigi et Cankuzo), l’eau disponible dans la ville de Gitega couvre un tiers des besoins en eau potable.

« Suite à l’extension de la ville de Gitega, nous sommes obligés de pratiquer le rationnement et les quartiers ont de l’eau une fois les trois jours. Nous avons un calendrier de distribution. Comme la production est très faible, on favorise les écoles, les hôpitaux, les camps militaires parce que ce sont des endroits de grand rassemblement ».

Selon lui, le changement climatique a également eu un impact, car dans plusieurs endroits, les sources d’eau ont tari. « Pendant la saison sèche, l’eau diminue considérablement ». Jean Claude Manirakiza réfute les allégations de favoritisme dans le rationnement de l’eau.

D’après M. Manirakiza, la Regideso a des projets à court et à long termes afin de combler ce déficit en eau suite à l’extension de la ville de Gitega. « Nous allons multiplier les forages, car 85 % d’eau utilisée dans la ville de Gitega proviennent de ces installations. Il y a un budget prévu pour cela ».

Concernant les projets à long terme, explique-t-il, la Regideso compte commencer le traitement des eaux des rivières environnantes de la ville de Gitega. « Des études sont en cours pour la rivière Ruvubu avec l’aide de la France. C’est le seul projet de grande envergure qui est prévu et qui demande beaucoup de moyens ». D’après lui, le coût d’un forage est évalué à plus de 600 millions de FBu et il y a à peu près 113 bornes fontaines fonctionnelles.

Cibitoke : Une province martyrisée.

Le manque criant d’eau potable est devenu le quotidien des habitants de la province de Cibitoke. L’administration provinciale estime à moins d’un tiers la quantité d’eau disponible par rapport à la quantité nécessaire pour répondre aux besoins de la population. Les initiatives de raccordement en eau potable tardent alors que la population alerte sur la gravité de la situation.
Les eaux de la rivière Nyakagunda servent la population des quartiers Karama et Rubuye dans la cuisson, la propreté,etc.

Il était 15 h à Rubuye en commune Rugombo, les habitants de ce quartier considèrent les robinets publics comme des épouvantails. Certains sont à sec depuis des mois, voire une année ou même plus.

Pour répondre à leurs besoins en eau, les habitants parcourent des kilomètres pour se rendre dans les marais et dans les ruisseaux à la recherche de l’eau.

Les habitants de ce quartier racontent que l’eau qu’ils utilisent provient de la rivière Nyakagunda sur les bordures de laquelle est installé le quartier Karama, Rubuye de la commune Rugombo.

Dans cette rivière, des femmes font la lessive, les autres font la vaisselle. Non loin de là, les enfants nagent, les autres jouent, les chèvres s’abreuvent… Les champs de riz surplombent l’autre rive. Cette eau provenant de Nyakagunda est utilisée pour étancher la soif, à faire la cuisine, bref elle satisfait tous les besoins.

« Nous avons des robinets à la maison et nous venons puiser cette eau infectée dans cette rivière. Nous sommes fatigués », martèle Régine, une dame venue faire la vaisselle à la rivière. Ceux qui veulent utiliser l’eau potable doivent payer 500 BIF pour un bidon de 20 l, ce qui est un luxe, que tout le monde ne peut pas se payer.

Comme tout le reste du pays, la ville de Cibitoke s’urbanise à une grande vitesse. Toutefois, la situation est que pour certains nouveaux quartiers de Rugombo et Cibitoke aucune goutte d’eau n’a jamais coulé dans les robinets depuis qu’ils existent.

« Amasogea », une manne tombée du ciel

Dans d’autres localités, comme la colline Binyange, en zone Rukana de la commune Rugombo, le hasard leur a procuré une manne. Il s’agit d’un large et profond fossé qui s’est créé quand la société Sogea Satom dynamitait les pierres sur cette colline en vue de la construction de la RN5. La population environnante témoigne que, de ce fossé, a jailli de l’eau jusqu’à constituer un bassin d’eau stagnante.

A première vue, l’eau de ce bassin est malsaine, verdâtre, mais pour les habitants de la localité, ces eaux qu’ils appellent « Amasogea » sont venues régler le problème d’accès à l’eau. Ils ont trouvé une alternative en lieu et place de se rendre dans les marais puiser de l’eau qu’ils estiment très sale comparée à celle dite « Amasogea », l’eau obtenue grâce à Sogea Satom.

Toutefois, ce fossé profond de plus de 20 mètres, selon la population environnante, a endeuillé beaucoup de parents. Les habitants rencontrés sur le lieu font savoir que depuis l’apparition de ce fossé, six enfants y ont été noyés. Ils jettent leur colère sur l’Etat qu’ils jugent démissionnaire face à cette problématique de non-accès à l’eau potable.

Des alternatives de fortune

Suite à ce manque criant d’eau potable à Cibitoke, les maladies liées au manque d’hygiène font souvent rage dans cette province. Le médecin chef du district sanitaire de Cibitoke, craint le pire si la situation reste telle qu’elle est actuellement.

Pour atténuer les conséquences de cette pénurie d’eau potable, des initiatives privées ont été engagées. Dans les périodes où le choléra a fait des ravages, la plateforme nationale de lutte contre les risques de catastrophes a installé des bladers dans les quartiers les plus touchés.

Lors de notre reportage, nous avons pu constater que la Croix Rouge a continué la campagne. Sur la colline Rubuye, à l’un des endroits où est installé un blader, un camion-citerne de la Croix Rouge le remplit tous les jours sauf les week-ends.

Les habitants de cette localité nous indiquent qu’ils ont droit à deux bidons de 20 l par jour, mais que cette quantité est insuffisante au vu des besoins. « Elle ne nous sert qu’à boire seulement. Les autres tâches, nous continuons à utiliser l’eau des rivières », s’expriment-ils.

Le gouverneur parle aussi des initiatives de l’ONG Amazi Water, qui a commencé à installer des forages qui fonctionnent à l’énergie électrique ou avec des plaques solaires. Toutefois, il y en a qui ne fonctionnent plus. Un autre souci relevé par les habitants de Cibitoke est que l’eau de ces forages ne serait pas propre.

Un seul captage pour toute la province

Carême Bizoza, gouverneur de la province Cibitoke, affirme qu’au moins un tiers de l’eau potable dont on a besoin est disponible dans sa province. D’après lui, les parties qui souffrent le plus sont Rugombo, Buganda et les communes situées dans la plaine de l’Imbo. Pour comprendre cette situation, il suffit de se rendre sur la colline Butaramuka de la commune Mugina, là où est implantée la centrale de dispatching des eaux provenant d’un seul captage qui alimente les trois lignes des zones urbaines à savoir : Cibitoke, Rugombo et Ruhwa.

Pour Carême Bizoza, ce point de captage donne entre 20 m3 et 30 m3 par seconde. Mais sur terrain, la réalité est toute autre. Un agent de la Regideso présent sur les lieux, nous explique que pour le moment, le tuyau faisait couler un débit de loin inférieur à 20m3 par seconde.

Il nous montre les deux tanks, un d’une capacité respective de 315 m3 et l’autre de 150 m3. Sur les 10 échelles de graduation du premier, l’eau n’arrive qu’à la deuxième échelle tandis que l’autre tank est vide depuis très longtemps.

C’est cette quantité d’eau à distribuer dans toutes les trois lignes avec une alternance entre le jour et la nuit. Là aussi, il y a des endroits où l’eau n’arrive pas suite à une faible pression de l’eau.

Certains techniciens de la Regideso ne comprennent pas pourquoi, la Regideso n’engagent pas des projets d’adduction en eau potable alors que les montagnes qui surplombent la plaine regorgent d’eau. Ils disent même que certains techniciens ont repéré une source à Nyamashoro qui pourrait donner 39,7 m3 par seconde mais qu’aucune initiative n’a été engagée de la part de la Regideso.

Outre la quantité insuffisante de l’eau provenant de ce point de captage, les techniciens de la Regideso diront que certaines lignes ont des tuyaux vétustes qui occasionnent des pertes et qui nécessitent un remplacement.

Le gouverneur de Cibitoke fait savoir que le secours attendu proviendrait du projet de l’Union Européenne en cours de négociation. Il fait savoir qu’une fois exécuté, ce projet permettra de satisfaire les besoins en eau potable pour les communes Rugombo et Buganda avec une source dont le débit est de 37,5 m3 par seconde. Mais il ajoute : « Nous ne sommes pas sûrs à 100% que ce projet sera exécuté ».


Un budget presque insignifiant

 

Selon une analyse du budget général de l’Etat exercice 2023/2024, faite par l’Unicef, le montant alloué à l’eau, l’hygiène et l’assainissement (EHA) est de 45 milliards de BIF, soit 16 millions de USD, contre 36,4 milliards de BIF en 2022/2023 (18 millions d’USD). Un budget très minime au regard des défis qui gangrènent ce secteur.


Ce budget représente 1,1 % du budget total contre 1,5 % en 2022-2023. « Cette baisse relative s’explique par l’augmentation des dépenses des autres secteurs (infrastructures, production, défense et sécurité, etc.) engendrant une forte augmentation du budget global et ainsi une diminution de la proportion des dépenses dédiées à l’EHA. »

Selon cette analyse, les diverses interventions du secteur EHA sont réalisées par des ministères et institutions, dont le ministère de l’Hydraulique, de l’Énergie et des Mines, le ministère de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Élevage, le ministère des Infrastructures, de l’Équipement et des Logements Sociaux, le ministère de la Santé Publique et de la Lutte contre le Sida et la Regideso qui en absorbe une part importante.

L’analyse indique que depuis l’exercice budgétaire 2021-2022, les allocations budgétaires au secteur de l’EHA intègrent le budget de la Regideso, avec une part importante d’environ de 47 %.

Répartition des allocations budgétaires par ministères et institutions pour le secteur EHA, en %

Concernant les sources de financement, l’analyse montre qu’ils provenaient essentiellement des ressources externes. Les choses ont changé, car depuis l’année budgétaire 2019-2020 jusqu’à aujourd’hui, le gros des financements du secteur provient des ressources domestiques (97.5 % pour l’exercice 2023-2024).

« Les moyens de financements figurent parmi les défis en matière d’amélioration des conditions d’accès aux services de l’EHA, mais il y a des programmes adaptés grâce aux efforts du gouvernement et ses partenaires au développement », indique l’Unicef.

Selon cette Agence onusienne, le Burundi a besoin de moyens importants pour financer la construction et l’entretien des infrastructures durables et résilientes du secteur EHA.

« Il est crucial d’augmenter les allocations budgétaires »

« Pour améliorer l’accès à l’eau potable, à l’hygiène et à l’assainissement comme prévu dans la « Vision Burundi, Pays Émergent en 2040 et Pays Développé en 2060 », il est crucial d’augmenter les allocations budgétaires pour ce secteur EHA qui pourraient contribuer à l’amélioration du taux d’accès et à la gestion des infrastructures en eau et assainissement en faveur de la population bénéficiaire », plaide l’Unicef.

D’après cet organisme onusien, cette augmentation peut provenir de ressources internes ou de ressources externes et devrait se focaliser sur les dépenses d’investissement nécessaires pour développer les infrastructures du secteur.

« Le gouvernement devrait revisiter les politiques et stratégies sectorielles afin de mettre en place un cadre unique pour améliorer la coordination sectorielle ainsi que le suivi budgétaire, étant donné que le secteur est couvert par plusieurs ministères/institutions ».

Un schéma directeur jeté aux oubliettes

Dans le cadre du partenariat entre la Regideso et le Comité international de la Croix Rouge (CICR), un schéma directeur d’alimentation en eau potable de la ville de Bujumbura a été réalisé en 2018. L’objectif était de doter de la Regideso d’un document de planification puis de l’aider à mobiliser les bailleurs pour le financement. D’aucuns se demandent pourquoi ce schéma directeur, qui a coûté 1,5 milliards de BIF, a été ignoré.

D’après cette étude, le réseau d’alimentation d’eau potable (AEP) de la ville de Bujumbura est constitué d’un réseau dense avec 28 réservoirs, 33 stations de pompage et près de 1000 km de conduites.

De nombreuses stations de pompage permettent de remonter l’eau, essentiellement produite à partir du lac, vers les réservoirs répartis en altitude en direction de l’est. L’usine du lac produit 92 % des ressources en eau potable de la ville, complétées par le traitement d’eau de rivières et des sources en provenance des reliefs environnants.

Le diagnostic montre que les réservoirs sont globalement en bon état. « La grande majorité des pompes fonctionnent normalement, mais certaines sont actuellement hors-service, ce qui réduit les capacités de certaines stations de pompage. Le système d’eau potable s’appuie principalement sur la ressource du lac, transférée par pompage vers les zones de distribution. »

Cette configuration rend la distribution d’eau potable très dépendante du bon fonctionnement des stations de pompage ainsi que de la ressource en électricité. « Les premiers résultats de la modélisation confirment l’état des lieux : à l’heure actuelle, le système n’est pas en capacité de délivrer l’eau potable 24h/24 à l’ensemble de la ville ».

Quid du fonctionnement du système d’AEP de la ville de Bujumbura ?

La ville de Bujumbura est alimentée par des ressources superficielles et souterraines : l’eau du lac Tanganyika, la rivière Ntahangwa, 3 sources en provenance des reliefs de l’est de la ville, 2 forages au nord-ouest de la ville (dont un seul en fonctionnement à l’époque de l’étude).

Au départ de l’usine du lac, 4 stations de pompage refoulent l’eau : le SP2b (4 000 m3) en direction de la partie nord, réservoirs R2, le SP2a et SP2d en direction de la partie centrale, réservoirs R1 et le SP2c : en direction du sud de la ville et du réservoir R10.

L’alimentation de la partie nord-ouest de la ville fonctionne de manière indépendante. L’eau est produite par les forages de Kajaga (dont un seul est à l’époque fonctionnel) puis est acheminée par la station de pompage de Kajaga vers 3 châteaux d’eau : le premier, à proximité directe des forages, les deux autres sont situés à l’entrée est de Gatumba, sur la rive droite de la rivière Ruzizi.

La production de l’usine du Lac a connu une importante progression de 2013 à 2015, passant de 80.000 à 100.000m3 /jour. Entre 2005 et 2017, les productions des autres ressources présentent des variations importantes et convergent en 2017 vers la moyenne de 2.000m3 /jour.
« L’usine de Ntahangwa reçoit et traite l’eau de la rivière du même nom. Cette eau nécessite un traitement plus important que celui appliqué à l’usine du Lac et la prise d’eau est difficile à maintenir en raison de l’érosion des berges de la rivière. Cependant, elle a l’avantage d’être une source gravitaire puisqu’elle permet de desservir directement le réservoir R1. »

Des problèmes relevés

L’étude a dressé un bilan du système existant. Concernant la production de la ressource, le problème majeur constaté pour l’usine du lac est le colmatage des filtres pendant la saison pluvieuse (liée à l’augmentation de la turbidité) qui diminue la production de l’usine. « Il est à noter qu’il n’existe qu’une seule prise d’eau à 3 km du rivage et à 25 mètres de profondeur, régulièrement obstruée par la présence d’éléments en matière plastique. »

Selon cette étude, la station de traitement de Ntahangwa ne fonctionne pas à 100 % de sa capacité à cette époque. « Un des réservoirs d’eau traitée est hors-service et la station est tributaire des variations de turbidité de la rivière qui augmente en saison pluvieuse. L’érosion des sols menace également la prise d’eau et le canal d’amenée situés à l’amont de la station de traitement. »

Quid de la qualité de l’eau ?

Selon l’étude, le contrôle de la qualité de l’eau se fait par la cellule de laboratoire au niveau de l’eau brute. « Cependant, la qualité de l’eau brute prise dans le lac Tanganyika subit des perturbations ce qui se montre par la variation de la turbidité suite à la teneur élevée en matières en suspension ».

Cette perturbation de l’eau du lac se répercute sur la production de l’eau qui connaît également des perturbations principalement dues au rendement réduit des filtres lents de l’usine du lac.

Concernant la qualité de l’eau de la rivière Ntahangwa, l’étude montre que, pendant la période pluvieuse, cette rivière connaît des écroulements du sol au lieu de prise bouchant le canal d’amenée, mais aussi entraînant le désemboîtement des conduites de l’eau.
« Cela a comme conséquence la réduction de la production de l’eau et l’augmentation du coût de traitement, car l’eau devient trop chargée. La charge bactérienne de l’eau de la rivière Ntahangwa est élevée ».

Un rendement de 55 % en 2017

Selon ce schéma directeur, la majorité de la consommation est attribuée aux ménages (autour de 60%) et à la consommation par les bornes fontaines limitée à 3%. Quant à l’évolution des abonnés, des volumes produits et facturés (2005 – 2017), le nombre d’abonnés a augmenté de 250%, le volume produit a augmenté de 147%, le volume facturé a augmenté de 140% et le rendement commercial stagne autour de 55%.

Concernant le taux de couverture en eau potable, l’étude a montré que, parmi les 13 zones de la ville de Bujumbura, seules 4 zones ne sont pas couvertes à 100% par branchements particuliers (BP). Il s’agit de Buterere (69.7%), Buyenzi (39.6%), Kanyosha (68.7%) et Musaga (79.7%).

Quant à la demande en eau, l’étude montre que, d’après les estimations de la Regideso, le rendement actuel du réseau de la ville de Bujumbura était estimé à 55% et les fuites à 45 %.

Des zones d’ombre

D’après les informations collectées auprès des services techniques de la Regideso et les observations de terrain, souligne l’étude, les problèmes rencontrés sur le réseau sont entre autres : le réseau n’est pas alimenté 24 heures sur 24, l’alimentation est rationnée pour les zones et quartiers de Gatunguru, Gahahe, Gisandema, Muyaga, Gikoto, Gitaramuka et Kamesa ; le rendement technique du réseau est estimé à 55% et les volumes perdus sont très importants ; la zone de Musaga n’avait pas de pression suffisante avant la réalisation du projet de 2017 d’ajouts de captages additionnels, la pression est insuffisante pour les immeubles à étage du quartier Ngagara, …

Pourquoi ce schéma directeur a-t-il été ignoré ?

Selon le CICR, la dernière actualisation de l’étude du schéma directeur en eau potable pour la ville de Bujumbura de 1981 a été effectuée en 1997. C’est pourquoi le CICR, dans le cadre de ses activités de soutien à la population de Bujumbura, a souhaité procéder à l’élaboration d’un schéma directeur pour le développement de l’alimentation en eau potable à l’horizon 2030.

Globalement, le plan directeur système d’alimentation en eau potable de la ville de Bujumbura n’a pas besoin de nouvelles ressources à l’état actuel, mais a besoin plutôt d’une sectorisation effective, mais aussi d’une nouvelle configuration des systèmes de refoulement.

Estimation sur les consommations futures

Selon ce schéma, la consommation totale augmentera de 66 % de 2018 à 2030 alors que la demande augmentera de 30 % sur la même période. Lors de l’élaboration du plan directeur, la population de la ville de Bujumbura était estimée à 755 459 habitants. Elle est à 894 022 en 2022 et serait à 1 252 053 habitants en 2030. Par conséquent, même la demande en eau va suivre une courbe ascendante.

Une station de traitement au sud ou deux stations de traitement au Nord et au Sud

Compte-tenu du bilan des besoins en ressources négatif projeté à l’horizon et de la difficulté d’augmenter la capacité des stations de traitement existantes, la ville de Bujumbura va devoir mobiliser de nouvelles ressources en eau.

Deux scénarios potentiels ont été dégagés lors de l’élaboration de ce schéma : création d’une nouvelle station de traitement d’une capacité de 41 000 m3 au sud de la ville ou création de deux nouvelles stations de traitement au nord avec une capacité de 31 000 m3 et au sud de la ville 10.000 m3.

Un autre scénario est la construction d’une nouvelle station de traitement dans la partie sud de la ville, séparation des systèmes AEP nord et sud de la ville, sectorisation du réseau, réduction des fonctionnements en refoulement – distribution.

Des questionnements

Un des techniciens qui a œuvré dans l’élaboration du nouveau plan directeur d’alimentation en eau potable de la ville de Bujumbura, nous a informé que depuis sa présentation, en février 2020, aux différents intervenants dans le domaine de l’eau et de l’environnement, il est resté dans les tiroirs.

Il fait savoir qu’il y a des initiatives engagées récemment par la Regideso au sud de la ville, mais que les installations n’ont pas respecté les directives du plan directeur.

Au départ, assure-t-il, l’objectif du CICR était de doter la Regideso d’un document de planification puis les aider à mobiliser les bailleurs à le financer. Ce technicien se demande pourquoi un document précieux et qui a coûté environ 1,5 milliards de BIF a été un non-événement et que la Regideso ne veut pas en tirer profit.

Manque de coordination

A côté de ce plan directeur, le ministère de l’Hydraulique, de l’Energie et des Mines dispose d’autres documents stratégiques notamment le document de stratégies sectorielles qui estime le taux d’accès des ménages à une source d’eau améliorée au niveau national à 97 % en 2027.

Le document prévoit également l’extension du système d’AEP dans la partie Sud de la ville de Bujumbura par captage des eaux du lac Tanganyika et dans les nouveaux quartiers viabilisés de la ville de Bujumbura et les centres de l’intérieur du pays et l’interconnexion du palais présidentiel (2ème et 3ème phases).

Cela pour un coût global de réalisation de ces actions évaluées à 132,068 milliards de BIF, soit 71,201millions USD. Aujourd’hui, on peut se demander si l’AEP suit les directives du plan directeur ou le document de stratégies sectorielles du ministère ? Ou encore, si ce dernier a pris en compte les recommandations du premier ?
La Regideso en chiffres

En janvier 2021, le groupement Nodalis a été chargé, par la Banque mondiale, d’une mission de Conseil pour le développement d’options et d’outils pour le redressement financier de la Regideso. Au cours de cette mission, le consultant a procédé à une analyse financière rétrospective de la Regideso sur les cinq dernières années.

Selon lui, le taux d’accès à l’eau potable est beaucoup plus élevé qu’en électricité. En 2020, selon les données commerciales de la Regideso et de l’AHAMR, le taux de desserte est de 74 % (85 % en milieu urbain, 71 % en milieu rural). « Cet accès au service bénéficie d’une ressource en eau suffisante pour couvrir les besoins, et un développement important des infrastructures au cours des dernières années ».

Malgré une stagnation en 2019, poursuit-t-il, les abonnés AEP ont augmenté en moyenne de 5 % sur la période 2016-2020. La consommation unitaire moyenne est également en augmentation sur la période (+14%), ce qui s’explique en partie par la forte réduction des pertes.

L’analyse montre que, dans les deux secteurs, les pertes restent élevées, aux alentours de 30 % pour l’électricité et 45 % pour l’eau potable sur la période 2016-2018. Les pertes en eau connaissent une forte baisse entre 2017 et 2020, passant de 48 % à 27 %. Selon la Regideso, une des raisons de cette amélioration est la sectorisation du réseau d’eau de Bujumbura, ainsi qu’une campagne de remplacement / redressement de compteurs défectueux.


La Regideso en chiffres

 

En janvier 2021, le groupement Nodalis a été chargé, par la Banque mondiale, d’une mission de Conseil pour le développement d’options et d’outils pour le redressement financier de la Regideso. Au cours de cette mission, le consultant a procédé à une analyse financière rétrospective de la Regideso sur les cinq dernières années.

Selon lui, le taux d’accès à l’eau potable est beaucoup plus élevé qu’en électricité. En 2020, selon les données commerciales de la Regideso et de l’AHAMR, le taux de desserte est de 74 % (85 % en milieu urbain, 71 % en milieu rural). « Cet accès au service bénéficie d’une ressource en eau suffisante pour couvrir les besoins, et un développement important des infrastructures au cours des dernières années ».

Malgré une stagnation en 2019, poursuit-t-il, les abonnés AEP ont augmenté en moyenne de 5 % sur la période 2016-2020. La consommation unitaire moyenne est également en augmentation sur la période (+14%), ce qui s’explique en partie par la forte réduction des pertes.

L’analyse montre que, dans les deux secteurs, les pertes restent élevées, aux alentours de 30 % pour l’électricité et 45 % pour l’eau potable sur la période 2016-2018. Les pertes en eau connaissent une forte baisse entre 2017 et 2020, passant de 48 % à 27 %. Selon la Regideso, une des raisons de cette amélioration est la sectorisation du réseau d’eau de Bujumbura, ainsi qu’une campagne de remplacement / redressement de compteurs défectueux.

Analyse du compte de résultat

Cette analyse a dégagé le compte de résultat synthétique de la Regideso sur la période 2016-2020 :

Concernant le secteur de l’eau, il est observé une marge sur la vente très bénéficiaire entre 2016 et 2019 (en moyenne 28 %). La marge nettement plus réduite de 2020 (3 %) s’explique essentiellement par le niveau très élevé des coûts de matériel, lié à une opération ponctuelle de grosse réparation sur le réseau de distribution.

Cette première analyse, même si elle devra être affinée par la suite, permet déjà de constater que, contrairement à ce qu’on observe généralement, le secteur de l’eau potable est en meilleure situation d’équilibre que le secteur de l’électricité, et ce malgré les coûts élevés de pompage dans le Lac Tanganyika.

Entre 2017 et 2019, les ventes d’eau ont permis de dégager une marge substantielle alors que les ventes d’électricité s’effectuaient à perte (en raison notamment du coût d’achat à Interpetrol, supérieur au prix moyen de vente).

Les ressources stables de la Regideso sont quant à elles constituées quasi uniquement, jusqu’en 2019, par des dotations en capital de l’Etat et des subventions d’investissement. La dette financière ne représentant qu’environ 2 % du passif à long terme sur la période 2016-2019.
La Regideso a néanmoins ouvert deux lignes de crédit pour financer deux centrales hydroélectriques, Jiji et Murembwe : Une ligne de crédit de l’IDA (100 M USD) d’une durée 25 ans au taux d’intérêt annuel de 1 % ainsi qu’une ligne de crédit de la Banque Européenne d’Investissement (70 M €), d’une durée de 25 ans au taux d’intérêt de 0,4 % annuel (0,2 % semestriel). Après un premier tirage sur l’emprunt BEI pour le financement des barrages de Jiji et Murembwe, le ratio d’endettement est monté à 23 %.

D’après cette étude, les créances des clients de la Regideso restent toutefois encore très élevées, que ce soit pour les clients publics (gouvernement et communes) mais aussi les ménages et les commerces, impactant sensiblement dans la baisse de la trésorerie disponible.

Le consultant a relevé des facteurs qui fragilisent la santé financière de la Regideso. Il s’agit entre autre du taux de perte élevé, que ce soit en électricité et en eau potable, même si la performance s’est nettement améliorée au cours des 2 dernières années ; du niveau élevé de créances clients, principalement sur l’Etat et les communes, mais aussi les clients privés (ménages et commerces) ; dans une moindre mesure, l’augmentation de la rémunération moyenne du personnel nettement au-delà de l’évolution du coût de la vie au Burundi (+7%/an en moyenne sur la période 2016-2019 en termes réels) et l’absence d’une formule d’indexation des tarifs sur l’inflation.

Quid de la dette et des créances de la Regideso ?

Selon le rapport du ministère des Finances sur l’état de la dette intérieure de 2021 paru en Janvier 2023, les entreprises et institutions devaient à l’Etat burundais 386.838.388.628 BIF. Parmi ces entreprises figure, la Regideso qui doit à l’Etat une somme de 35.914.296.561 BIF avec une dette rétrocédée de 86 834 356 593 BIF.

D’après toujours ce même rapport, le montant total des arriérés intérieurs de l’Etat envers la Regideso s’élevait en 2021 à 1.798.481.776 BIF.

En mars 2019, le ministre de l’époque en charge de l’hydraulique, de l’énergie et des mines, Côme Manirakiza, a fait un diagnostic peu reluisant de la Regideso. D’après lui, la Regideso a un personnel pléthorique inoccupé qui, malheureusement, gonfle la masse salariale de cette société.

De plus, le ratio employé-abonné reste très élevé. « Aujourd’hui, nous avons au moins 110 000 abonnés de la Regideso au moment où le personnel oscille autour de 1200-1300 employés. Les standards de l’EAC recommandent que ce ratio soit d’un employé pour 50 abonnés alors que la Regideso dépasse 80 abonnés par employé », a précisé le porte-parole du ministère en charge de l’énergie de l’époque.

Un stock « mort » de plus de 10 milliards de BIF

La passation des marchés publics est aussi une épine dans le pied de la Regideso. A l’époque, certains fonctionnaires de la cellule de gestion des marchés publics commandaient des équipements obsolètes et le stock « mort » totalisait plus de 13 milliards de BIF.

Aucune transparence dans la passation des marchés. « Après la soumission des offres, les membres de la cellule de gestion des marchés publics retirent certains éléments du Dossier d’Appel d’Offre (DAO) pour favoriser l’un ou l’autre soumissionnaire. C’est pourquoi, ce sont les mêmes personnes qui gagnent les marchés. Des enquêtes sont en cours pour identifier les auteurs de ces magouilles », avait souligné le ministre.

En mai 2018, la Regideso accusait des créances de plus 60 milliards de BIF. Malgré les multiples campagnes de recouvrement, la situation ne s’améliore pas.

Car, deux mois après le volume d’impayés a augmenté. La part des grands consommateurs atteignait 20 milliards de BIF. Cette situation entrave le fonctionnement la Regideso et l’empêche de bien servir ses clients. Le constat est qu’il y a un déséquilibre entre les recettes et les charges de la Regideso.

En avril 2020, le Ministre de tutelle évoquait une santé financière de la Regideso qui laissait à désirer. D’après lui, elle accusait des impayés d’un montant faramineux de 63 milliards BIF et évoquait des difficultés de payer les factures de ses créanciers surtout la dette pour l’Interpetrol qui s’élevait autour de 12 milliards BIF à la fin de février 2020.

Nous avons essayé de joindre le directeur général de la Regideso en vain.


 

Les politiques et la société civile s’expriment

 

Olivier Nkurunziza : « C’est une honte pour le pays »


« C’est très étonnant, car on ne devait pas se lamenter alors que le Burundi a beaucoup de sources d’eau douce. Je trouve que c’est une mauvaise organisation de la Regideso qui devrait tout faire pour que la population burundaise ait accès à l’eau potable », indique le président du parti Uprona. Et d’ajouter : « En mairie de Bujumbura, il y a le lac Tanganyika, mais il s’observe un manque criant d’eau potable. C’est une honte pour le pays. »

Le président du parti Uprona déplore la corruption qui règne au niveau de l’attribution des marchés pour le matériel de raccordement. « C’est un problème très sérieux. » Pour Olivier Nkurunziza, le vrai problème est la corruption, car on attribue des marchés à des personnes incapables. « C’est une perte énorme pour la population. Qui va rembourser cet argent ? Là où le bât blesse, ces personnes ne sont pas inquiétées. Elles se la coulent douce et on trouve cela normal. »

Aloys Baricako : « La Regideso doit savoir que c’est une entreprise commerciale et travailler comme telle. »

Le président du parti Ranac pense qu’il faut une politique adaptée à la situation actuelle. « L’eau est distribuée par la Regideso qui est une entreprise de l’Etat et une entreprise commerciale. Donc, le service devait être excellent et très rapide. »

Aloys Baricako rappelle qu’auparavant, la Regideso distribuait de l’eau dans des quartiers peu nombreux, mais que la ville s’est agrandie. « Des quartiers comme Nyabugete, Ruziba, Kajaga, Gatunguru, Gahahe. Carama, Tenga, … n’existaient pas. La Regideso n’a pas de choix. Elle doit faire face à cette situation. »

Pour lui, il faut augmenter les sources d’eau, réparer ou remplacer les tuyauteries vétustes qui ne peuvent plus supporter la quantité d’eau qu’il faut distribuer.

Selon Aloys Baricako, les dirigeants de la Regideso et ceux des entreprises publiques ne faisaient dans le temps que détourner les fonds, mais il trouve qu’aujourd’hui le gouvernement essaie de mettre beaucoup d’efforts dans la gestion de ces entreprises. « Le gouvernement peut injecter de l’argent dans la Regideso. Il faut prévoir dans le budget de l’Etat des fonds pour redynamiser cette entreprise. »

Le président du parti Ranac fait un clin d’œil à la Regideso : « Elle doit savoir que c’est une entreprise commerciale. Par conséquent, elle doit travailler comme telle. En commerce, il faut satisfaire le client. Je n’aimerais pas que les privés s’incrustent dans ce commerce, car ces derniers mettent en avant leurs intérêts au détriment de la population. Ça pourrait devenir trop cher alors que le pouvoir d’achat des Burundais est encore très bas. »

Agathon Rwasa : « La politique de la gestion de l’eau potable a été mal conçue »


Pour le président du parti CNL, cette politique nécessite des améliorations. « Il faut que les techniciens en la matière et d’autres experts qui peuvent contribuer se mettent ensemble pour redéfinir la politique de l’eau potable au Burundi. »

D’après lui, le pays regorge des sources dans les montagnes qui surplombent la ville de Bujumbura. « Pourquoi ne pas canaliser cette eau-là et alimenter Bujumbura par la gravitation et recourir aux eaux du lac Tanganyika juste comme un palliatif temporaire le temps des réparations s’il y en a et on reprend l’approvisionnement à partir des hauteurs. »

Si c’est question de lésiner sur les moyens, poursuit-il, je pense que des tuyaux sur 10 ou 15 km ne valent pas plus que les machines qu’on utilise pour aspirer l’eau du lac, la purifier ou la pomper vers les hauteurs. « Si on devait capter l’eau à partir de Bugarama, ce n’est qu’une trentaine de kilomètres. Je donne souvent l’exemple de la ville de Dar-es-Salaam, elle est alimentée à partir de la rivière Ruvu qui passe à 80 km de la ville. Si ailleurs, on peut aller à plus de 100 km pour canaliser l’eau potable, pourquoi nous n’arrivons pas à le faire à partir d’une dizaine de kilomètres ? »

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