Le lancement officiel des travaux de construction du chemin de fer Uvinza-Musongati, le 16 août 2025 en commune Musongati par le président Evariste Ndayishimiye en compagnie du 1er ministre tanzanien, a suscité enthousiasme et espoirs pour certains et scepticisme pour d’autres. Les économistes relativisent : « Un projet plein d’opportunités, mais exigeant pour sa réussite. »
C’est la colline Rubara de la commune Musongati en province de Burunga qui a eu la chance d’abriter les toutes premières festivités du genre au Burundi depuis son existence. Différents hauts cadres du pays avaient fait le déplacement. Côté tanzanien, la délégation était conduite par Kassim Majaliwa, Premier ministre. Des équipes d’investisseurs venus du Nigeria et du Qatar étaient également là.
A cette occasion, le président Evariste Ndayishimiye a souligné que Musongati est un lieu « béni ». « Cette région regorge du nickel. Selon les experts, il y a ici plus de 200 millions de tonnes du nickel, plus de 1000 tonnes du fer, plusieurs tonnes de platine, etc. Ici, il y a une diversité de minerais. »
Des éloges aux Tanzaniens
Pour le président Ndayishimiye, le début de ces travaux est une preuve des bonnes et anciennes relations fraternelles entre la Tanzanie et le Burundi. « Ce projet de chemin de fer n’était pas facile. Nous avons travaillé jour et nuit. Et voilà, nous arrivons au jour J du début des travaux. »
Le président Ndayishimiye rappelle qu’un projet du genre a existé en 1921 avec la construction du chemin de fer qui devait relier Caire (Egypte) et Cap Town (Afrique du Sud). « Mais comme c’était un consensus entre les Belges et les Britanniques, le projet n’a pas été exécuté. Les Burundais et les Tanzaniens viennent d’y arriver », s’est-il réjoui.
Ainsi, il a beaucoup remercié les Tanzaniens qu’il a d’ailleurs qualifiés de frères et sœurs des Burundais. « Avec ce chemin de fer, nous partageons désormais le même cordon ombilical. Nous sommes des jumeaux.»
Selon lui, la Tanzanie est restée aux côtés des Burundais plusieurs fois. Il a donné l’exemple de l’accueil des réfugiés et la lutte pour l’indépendance. « La Tanzanie a toujours eu pitié du Burundi pour son enclavement. Elle nous a donné gratuitement des hangars de stockage au port de Dar-es- Salaam, un hangar à Kigoma, etc. »
Pour le président Ndayishimiye, ce chemin de fer constituera un levier majeur pour la réalisation de la Vision d’un Burundi émergent en 2040 et pays développé en 2060. « C’est un projet stratégique pour booster le commerce, l’intégration régionale et le développement durable de l’Afrique de l’Est. »
Il estime que ce chemin de fer permettra l’ouverture du Burundi sur d’autres parties de l’Afrique. Il a d’ailleurs mentionné qu’il va continuer jusqu’à Kindu, en République démocratique du Congo (RDC).
Pour sa part, Kassim Majaliwa a appelé à l’unité africaine. « Tant que les pays africains resteront unis, le développement de tout le continent africain sera à portée de main. Nous espérons que la Tanzanie continuera à soutenir les projets de développement du Burundi. »
S’exprimant lors du lancement de ce projet, Nestor Ntahontuye, Premier ministre burundais, a précisé que de janvier à juin 2025, 43 147 tonnes de marchandises ont transité par le port de Dar-es-Salaam vers le Burundi par mois. « Si une telle quantité de marchandises est acheminée par voie ferroviaire, on récupère 70 dollars par tonne. Ce qui fait 3 millions de US par mois. Cela équivaut à plus de 362 millions de dollars de gain en dix ans », a-t-il mentionné notant que ce projet va booster le commerce et créer aussi de l’emploi.
Selon les prévisions, le chemin de fer Uvinza-Musongati s’étalera sur une longueur de 282 km entre le nord-est de la Tanzanie et le sud du Burundi. Le tronçon Uvinza-Malagarazi s’étend sur 180 km. De Malagarazi à Musongati, c’est 102 km.
Pour un coût de 2,14 milliards de dollars américains avec la BAD comme principal bailleur, la durée des travaux est de 6 ans.
Après, il est prévu une extension sur une distance de 824 km de Gitega-Bujumbura-Uvira-Kindu. Débutée en 2023, son étude de faisabilité se terminera en 2026.
Un projet louable mais exigeant
Pour l’économiste Diomède Ninteretse, ce projet a beaucoup de retombées économiques visibles. « La première chose qu’il faut considérer, c’est la réduction du temps de transport. Aujourd’hui, les camions peuvent faire facilement 96 heures, autrement dit, plus de quatre jours, voire cinq jours souvent. »

Maintenant, souligne-t-il, il est prévu que le transport pourra durer facilement 20 heures. Ce qui est déjà une réduction importante du temps de transport. « Un autre avantage, c’est la baisse du coût de transport d’un conteneur. Aujourd’hui, un conteneur de 20 pieds est payé à 3 800 dollars. Mais, avec le chemin de fer, les transporteurs pourront payer 2 000 dollars. Donc, il y a un avantage de plus de 1 800 dollars, presque la moitié. » D’après lui, il est prévu que le Burundi pourra gagner plus de 70 millions de dollars par an.
Une autre chose qu’il faut souligner, poursuit M.Ninteretse, c’est la valorisation des ressources minières. Il s’agit notamment du nickel, du lithium et du cobalt de Musongati. « On dit que cette partie-là regorge de beaucoup de millions de tonnes de minerais. Ça va être une opportunité pour le Burundi de pouvoir exploiter son nickel dont on parle depuis 20 ans. »
Il mentionne aussi que c’est un projet de plus de 3 milliards de dollars. « Vous comprenez bien qu’il va y avoir création d’emplois au niveau local. C’est-à-dire qu’il y a d’autres projets, notamment industriels, qui vont se développer. »
D’après lui, il y aura beaucoup de main-d’œuvre, de consommateurs. « Vous comprenez qu’un trajet de plus de 240 km, ce n’est pas un travail facile. Cela demande beaucoup d’ouvriers. »
Des obstacles ne manquent pas
Malgré ses multiples avantages pour le pays une fois réalisé, M. Ninteretse trouve qu’il existe plusieurs éléments pouvant freiner le projet. « Le Burundi est compté parmi les pays qui ne respectent pas nécessairement les procédures. Là, je pense qu’il va y avoir le problème de complexité des procédures de passage sur le marché. » Il se réfère aux autres projets de la Banque mondiale et du Fida. Il prévient que la Banque africaine de développement (BAD) exige beaucoup de procédures.
Il trouve qu’il faut qu’il y ait des personnes bien qualifiées pour pouvoir accéder aux procédures et surtout comprendre et éviter la corruption. Il évoque aussi le problème de mobilisation des ressources. « Malgré l’accord, le financement doit être entièrement levé et validé. Alors, je ne vois pas pour le moment que le Burundi sera en mesure de mobiliser rapidement les fonds, même la Tanzanie. C’est un projet de plus de 2 milliards de US. Or, on a déjà mobilisé seulement moins de 700 millions de dollars. C’est un projet qui pourra vraiment traîner si on analyse les chiffres actuels. »
L’autre obstacle est la répercussion sur l’environnement social. « Il va y avoir quand même des répercussions sur la dette publique. Le Burundi devra s’endetter. Certes, il a déjà eu un don de 96 millions de dollars mais, on voit que le chemin est encore trop long par rapport à ce que le Burundi devrait pouvoir mobiliser. »
Ainsi, il souligne que le Burundi devra dépendre absolument de certains bailleurs. « Je fais allusion à la Chine. C’est une société chinoise qui a gagné le marché et naturellement, elle va imposer certaines conditionnalités. Surtout que c’est un projet qui débute timidement avec moins d’argent. » D’après cet économiste, la souveraineté financière n’est pas garantie.
« Comme conseil, c’est de pouvoir suivre un cadre rigoureux de gouvernance. C’est-à-dire mettre en place une autorité de supervision indépendante ». Il mentionne que c’est toujours recommandé d’associer le secteur public, la société civile, les partenaires et surtout garantir la transparence dans le suivi financier. « Il faut que les responsabilités soient claires au niveau des contrats, tout au début. »
Une autre recommandation est de pouvoir bien évidemment intégrer les communautés locales. Là, il fait allusion aux indemnisations. « Au Burundi, cette question entraîne toujours des problèmes. Il faut intégrer la communauté locale, les Burundais, les Tanzaniens et mettre en place un plan de compensation équitable. »
Il suggère aussi de prévoir dès maintenant les revenus liés aux minerais, aux transports et à la logistique. « C’est assurer la viabilité financière à long terme, la viabilité de l’exploitation et prévoir un montant important de ce chemin de fer. »
Respect des engagements
D’après lui, il faut analyser les pertes liées au terrain, les pertes environnementales, l’impact sur la fertilité des sols, les plantations, etc. « Techniquement, je crois qu’il faut que le Burundi puisse négocier un traçage qui pourrait quand même préserver certains points de transit à l’intérieur du pays. Cela permettra que ce chemin de fer soit profitable au niveau du transport même interne. »
Résolution des tensions entre pays
M. Ndikumana soulève aussi l’insécurité au niveau sous-régional qui crée des tensions, surtout à la frontière entre le Burundi et le Congo. « Il faut après tout régler les tensions diplomatiques liées à la guerre civile qui secoue la RDC. Car, l’existence d’un chemin de fer doit créer des externalités positives ou un effet d’entraînement. »
Normalement, détaille-t-il, la construction d’un chemin de fer va de pair avec une industrialisation et une transformation active d’une économie. « Cela s’est remarqué au moment de l’industrialisation et de la révolution industrielle en Europe ou aux Etats-Unis. »
Si l’économie burundaise reste fragile, précaire, il trouve qu’il sera difficile de créer directement des externalités de façon visible, sauf peut-être au niveau des coûts de transport. « Il faut que l’économie burundaise engage des investissements colossaux ; réaménage sa politique économique et son environnement des affaires pour que ce chemin de fer s’accompagne avec une transformation économique visible et une industrialisation. »
Faustin Ndikumana trouve qu’il faut aussi prévoir les fonds pour son entretien, car le coût d’entretien d’une telle infrastructure est élevé. Sinon, ce sera comme un ménage à revenu précaire qui se voit accorder une Jeep V8 sans aucun pouvoir de la revendre. « Il sera difficile au ménage de l’entretenir au lieu d’y trouver des bénéfices immédiats. Or, on sait que même le réseau routier simple nous est difficile à entretenir. Beaucoup d’infrastructures publiques sombrent dans un délabrement total, au vu et au su de tout le monde. »
Le directeur national de Parcem trouve que la réussite de ce projet dépendra de l’engagement du gouvernement. « Parce que depuis longtemps, on a vu des projets comme Jiji-Murembwe qui démarrent et qui durent des années sans être finalisés. »
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