Vendredi 19 décembre 2025

Économie

Jean Ndenzako : « Il faut adopter une stratégie régionale plus ciblée et cohérente. »

19/09/2025 Commentaires fermés sur Jean Ndenzako : « Il faut adopter une stratégie régionale plus ciblée et cohérente. »
Jean Ndenzako : « Il faut adopter une stratégie régionale plus ciblée et cohérente. »

Pour cet économiste, la présidence de la CEEAC constitue une opportunité symboliquement significative pour le Burundi d’assumer un rôle moteur en Afrique centrale. Toutefois, il trouve que la transformation de cette opportunité en avantages économiques concrets nécessite l’adoption d’une stratégie régionale plus ciblée et cohérente. Il conviendrait de concentrer prioritairement les efforts sur les organisations présentant les affinités les plus fortes, notamment la Communauté de l’Afrique de l’Est.

Quels sont les gains économiques potentiels pour le Burundi ?

La présidence burundaise de la Commission de la CEEAC s’inscrit dans une logique d’opportunités stratégiques susceptibles de générer des bénéfices économiques substantiels pour le pays.

Cette position institutionnelle confère au Burundi un accès privilégié aux mécanismes décisionnels régionaux lui permettant d’orienter l’agenda économique vers des projets d’infrastructures et des initiatives commerciales alignés sur ses intérêts nationaux prioritaires, notamment le désenclavement économique et le développement de corridors logistiques transnationaux.

C’est une vitrine pour le Burundi ?

L’exercice de cette fonction présidentielle devrait également renforcer l’attractivité du territoire burundais pour les investissements directs étrangers.

En effet, cette visibilité internationale accrue est de nature à améliorer la perception du pays comme destination d’investissement crédible, particulièrement dans les secteurs à fort potentiel que constituent l’exploitation minière, l’agriculture de rente et la production énergétique.

Par ailleurs, la CEEAC constitue un vecteur privilégié de promotion de la libre circulation des biens et des personnes, offrant ainsi au Burundi une plateforme stratégique pour négocier une meilleure intégration dans les chaînes de valeur régionales et réduire les barrières non tarifaires qui constituent actuellement un frein significatif à ses exportations.

Pour y arriver, quel rôle doit jouer M. Nibigira ?

Cette position institutionnelle facilite également la mobilisation des financements régionaux et internationaux destinés aux projets de développement infrastructurel et de stabilisation économique.

Néanmoins, ces avantages potentiels demeurent conditionnés par la capacité de M. Nibigira à impulser les réformes structurelles nécessaires au sein d’une organisation régulièrement critiquée pour son manque d’efficacité opérationnelle, et ce dans un contexte régional marqué par des tensions sécuritaires persistantes, notamment dans les provinces orientales de la République démocratique du Congo.

Quelles sont les retombées concrètes du multilatéralisme organisationnel burundais ?

Le Burundi développe une stratégie d’appartenance multiple aux organisations régionales et internationales, participant simultanément à la CEEAC, à la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), au Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa) et à la Communauté économique des pays des Grands lacs (CEPGL). Cette multiplicité d’adhésions génère des retombées mitigées qu’il convient d’analyser avec nuance.

Pourquoi ?

Les bénéfices économiques réels s’avèrent souvent inférieurs aux contributions financières obligatoires. L’hétérogénéité des cultures, des langues et des niveaux de développement au sein de blocs intégrationnistes tels que le Comesa complexifie considérablement l’exploitation effective des opportunités commerciales théoriquement offertes par ces adhésions. Néanmoins, l’un des bénéfices les plus tangibles réside dans la dimension géostratégique de cette ouverture diplomatique qui permet de réduire l’isolement géographique et politique du pays, comme l’a souligné l’ancien ministre Philippe Njoni.

Du point de vue macroéconomique, ces retombées sont-elles visibles ?

Ces organisations constituent également des plateformes de coopération technique offrant un accès à des programmes spécialisés, à des échanges de bonnes pratiques et à des financements ciblés pour des projets sectoriels spécifiques. Toutefois, l’impact de ces mécanismes à l’échelle macroéconomique demeure limité.

Comment ?

La CEEAC privilégie l’intégration économique et la consolidation de la paix, offrant potentiellement au Burundi un leadership régional et un accès aux processus décisionnels, mais elle reste confrontée à des défis d’efficacité et aux tensions politiques régionales. La CAE, orientée vers la constitution d’un marché commun et d’une union monétaire, facilite le commerce et la libre circulation, bien que le Burundi y soit confronté à la concurrence d’économies plus développées.

Le Comesa, centré sur la création d’une zone de libre-échange, offre théoriquement l’accès à un vaste marché, mais l’hétérogénéité économique des États membres limite les gains réels. Enfin, la CEPGL, dédiée à la coopération dans la région des Grands lacs, se concentre sur des projets de développement local mais elle reste entravée par l’instabilité sécuritaire chronique.

Quid de la rationalité du multilatéralisme malgré des retombées limitées ?

Le maintien de ces adhésions multiples, malgré un rapport coût-bénéfice souvent défavorable, s’explique par plusieurs facteurs structurels inhérents à la situation géopolitique du Burundi. Pour un État de petite dimension et enclavé, l’appartenance à plusieurs blocs régionaux constitue une stratégie de survie diplomatique fondamentale. Cette diversification institutionnelle permet de ne pas concentrer exclusivement les relations extérieures sur une seule plateforme et de multiplier les canaux de dialogue et de coopération internationale.

Toutefois, des tensions subsistent dans la région ?

Dans une région caractérisée par des rivalités géopolitiques entre puissances régionales tels que le Rwanda, la République démocratique du Congo, l’Ouganda et la Tanzanie, le multilatéralisme organisationnel offre au Burundi une marge de manœuvre diplomatique appréciable et constitue un contrepoids efficace contre les risques de domination par un voisin unique. L’appartenance à ces organisations constitue fréquemment un prérequis pour accéder à certains mécanismes de financement international ou à des programmes d’aide au développement pilotés par ces instances régionales.

Et sur le plan de politique intérieure ?

La participation active à de nombreuses organisations internationales confère un prestige et une visibilité qui peuvent être instrumentalisés pour renforcer la légitimité du gouvernement auprès de l’opinion publique nationale.

Néanmoins, il faudrait une approche plus pragmatique consistant à concentrer les efforts sur l’organisation présentant le potentiel le plus élevé, notamment la CAE qui partage davantage d’affinités historiques, linguistiques et culturelles avec le Burundi, et y consacrer pleinement les ressources politiques et financières disponibles plutôt que de les disperser.

Le Burundi enregistre des arriérés de contributions. Quelles sont les conséquences ?

Le non-paiement des contributions statutaires, estimées à plus de 140 milliards de francs burundais en 2022, génère des conséquences préjudiciables pour la diplomatie et l’influence régionale du pays. Cette situation entraîne la suspension des droits de vote et l’inéligibilité aux postes de direction au sein de nombreuses organisations, privant ainsi le Burundi de sa capacité d’influence sur les décisions qui le concernent directement.

Un État qui ne respecte pas ses engagements financiers internationaux voit sa crédibilité et son pouvoir de persuasion s’éroder dans les négociations diplomatiques. Ce qui affaiblit son autorité morale pour promouvoir l’intégration régionale ou solliciter des solidarités. Cette situation limite également l’accès aux projets financés par les organisations, aux postes au sein des secrétariats ainsi qu’à l’assistance technique, annulant de facto les rares bénéfices de l’adhésion. La situation actuelle présente un paradoxe stratégique particulièrement problématique.

Lequel ?

Alors que le Burundi vient d’obtenir une position de leadership à la CEEAC, son incapacité à honorer ses contributions financières dans d’autres organisations risque d’entacher sa réputation et de limiter sa marge de manœuvre dans l’exercice de cette nouvelle fonction. Cette incohérence pourrait être interprétée comme un manque d’engagement authentique envers l’intégration régionale.

Que faire alors ?

La présidence de la CEEAC par M. Nibigira constitue une opportunité symboliquement significative pour le Burundi d’assumer un rôle moteur en Afrique centrale. Toutefois, la transformation de cette opportunité en avantages économiques concrets nécessite l’adoption d’une stratégie régionale plus ciblée et cohérente.

Il conviendrait de concentrer prioritairement les efforts sur les organisations présentant les affinités les plus fortes, notamment la CAE, d’honorer scrupuleusement les engagements financiers pour restaurer la crédibilité diplomatique du pays, et d’utiliser stratégiquement ce nouveau leadership à la CEEAC pour impulser des réformes bénéfiques à l’ensemble de la région, y compris au Burundi, tout en œuvrant à la résolution des conflits qui compromettent l’intégration régionale.

Cette approche permettrait de maximiser les retombées de l’intégration régionale tout en consolidant la position géostratégique du Burundi dans un environnement régional en mutation.

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