Samedi 12 octobre 2024

Politique

« Abahuza » : Six mois après, qu’en est-il ?

06/03/2023 1
« Abahuza » : Six mois après, qu’en est-il ?
Les « Abahuza » du quartier 5 de la zone Cibitoke.

Le 13 septembre dernier, avaient eu lieu les élections des nouveaux notables collinaires. Iwacu est allé à la rencontré d’ « Abahuza » qui ont évoqué les défis auxquels ils font face. Pour des citoyens et un militant de la société civile, ce mécanisme est aux mains du parti au pouvoir.

Mardi 28 février. Il est 10h dans la zone Cibitoke en mairie de Bujumbura (commune Ntahangwa). Neuf « Abahuza » sont regroupés dans un ancien local de la police. Une femme voilée portant une robe longue est venue se plaindre aux « Abahuza » pour de nombreux mois de loyers impayés de la part de son locataire, un homme également présent.

Chef des « Abahuza » au quartier 5 de la zone Cibitoke, Espoir Bitangimana indique que l’essentiel des affaires que traitent les « Abahuza » tournent autour des conflits de location (loyers impayés, etc.). Et de nous expliquer le mode de fonctionnement de ces nouveaux notables collinaires : « Le citoyen soumet sa plainte à un des membres de notre Conseil des notables qui me la transmet.

Ensuite, je rédige une convocation à l’endroit de la personne contre qui la plainte est portée. Après avoir tranché sur l’affaire, nous rédigeons un rapport que nous remettons aux protagonistes. S’il s’agit d’une affaire qui n’est pas de notre ressort (affaire pénale), nous faisons suivre l’affaire vers les juridictions compétentes.»

Espoir Bitangimana fait savoir que les défis qui se présentent à eux sont liés au manque de matériel : « L’Etat nous a donné les registres où inscrire les affaires, mais nous manquons cruellement de chaises.» M. Bitangimana soutient que même si les règles régissant le mécanisme des « Abahuza » ne prévoient aucun salaire pour eux, il y a nécessité que l’Etat prenne en charge certains frais liés à l’exercice de leurs fonctions, comme les frais de communication.

Interrogé sur le bilan, le chef des notables de son quartier parle de résultats positifs : « La population a beaucoup recours à nous et les conflits de voisinage ont beaucoup diminué.»

Des accusations d’accointance avec le parti au pouvoir

Même si Espoir Bitangimana estime que les « Abahuza » ont résolu pas mal de conflits dans le voisinage près de six mois après leur mise en place, des citoyens interrogés jugent que les « Abahuza » sont à la solde du parti Cndd-Fdd. C’est le cas de V.N., habitant d’un quartier nord de Bujumbura : « Lors de certaines assemblées de ces notables collinaires, beaucoup viennent habillés en t-shirts portant l’effigie du parti au pouvoir. Le fait qu’ils ne s’en cachent pas m’a heurté profondément.»

Quant à M.S., habitante d’un quartier sud de Bujumbura, elle se dit inquiète de la présence forte d’Imbonerakure, lors de séances tenues par les « Abahuza » : « Une fois, j’ai assisté à une assemblée de ces nouveaux notables collinaires. De nombreux Imbonerakure rôdaient sur les lieux. C’était clairement une forme d’intimidation à l’encontre de ceux et celles contre qui les plaintes sont dirigées.»

Tout en soutenant que l’instauration d’un mécanisme de médiation est bénéfique pour la société, notamment pour résoudre des conflits mineurs, Faustin Ndikumana, président du Parcem, souligne la neutralité qui devrait caractériser les notables collinaires : « Dans pas mal de localités, nous avons observé que ce mécanisme est fortement imprégné par le parti au pouvoir. Une situation qui était palpable dès l’élection des « Abahuza ». C’est un péché originel qui gangrène aussi l’administration.»

Faustin Ndikumana : « L’image de proximité avec le parti Cndd-Fdd qui colle à la peau du mécanisme des « Abahuza » porte atteinte à la crédibilité des notables collinaires.»

Pour le dirigeant du Parcem, l’image de proximité avec le parti Cndd-Fdd qui colle à la peau du mécanisme des « Abahuza » porte atteinte à la crédibilité des notables collinaires. « Cette mauvaise image doit être réparée, sinon ce sont les résultats liés au fonctionnement de ce mécanisme de médiation qui en seront altérés ».

Un conseiller collinaire dans un quartier nord de Bujumbura tempère ces inquiétudes : « C’est vrai que la majorité de ceux qui constituent les conseils des notables sont du parti au pouvoir. C’est le cas en tout cas dans mon quartier. Mais cela n’empêche pas que les Abahuza rendent leurs jugements de manière tout à fait impartiale.»

Mécanisme judiciaire ou mécanisme de médiation ?

Le 13 février dernier, l’Assemblée nationale a voté un nouveau code de l’organisation et de la compétence judiciaires. Parmi les textes qui régissent ce code, l’article 19 stipule que le Conseil des notables peut aplanir un conflit résultant d’une infraction en se prononçant sur l’octroi des dommages et intérêts qui en résultent pour autant que l’action civile y afférente soit de la compétence du tribunal de résidence.

L’article 20 précise que la saisine du tribunal de résidence doit se faire dans le strict respect de la mission générale de conciliation des parties en litige attribuée au Conseil des notables de la colline. De même, l’article 21 prévoit qu’avant toute instruction d’une affaire civile de la compétence du tribunal de résidence, celui-ci vérifie si les parties ont préalablement saisi le Conseil des notables de la colline ou de quartier.

Nous référant à l’article 210 de la Constitution qui stipule que la justice est rendue par les cours et tribunaux sur tout le territoire national, nous avons voulu savoir si les prérogatives octroyés aux « Abahuza » n’entrent pas en contradiction avec le texte constitutionnel.

Pour Me Chris-Darnaud Habonimana, concernant les articles 20 et 21 du nouveau code de l’organisation et de la compétence judiciaires, il est plus question de procédure que de mise en place d’une nouvelle juridiction : « La compétence des Abahuza se limitant juste à des affaires civiles, ils font juste un constat après avoir écouté les protagonistes d’une affaire désireux de recourir aux tribunaux.»

Pour l’article 19 qui prévoit que le Conseil des notables peut aplanir un conflit résultant d’une infraction en se prononçant sur l’octroi des dommages et intérêts qui en résultent, Me Habonimana est formel : « Les mots utilisés sont éloquents. On a utilisé le verbe aplanir. Cela signifie tout simplement que nous ne sommes pas en présence d’une procédure judiciaire mais en présence d’un mécanisme de conciliation.»

Un avis partagé Me Alphonsine Bigirimana qui fait une distinction entre les affaires civiles et les affaires pénales : « Lors d’une affaire pénale, on ne parle pas de dommages et intérêts mais d’amende. Or, les Abahuza ne traitent pas des affaires pénales mais des affaires civiles. Et il est ici question de leurs prérogatives à pouvoir se prononcer sur les dommages et intérêts lors d’une affaire, ce qui est de leur ressort.»

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. Kanda

    Quand on a une plaie, on n’arrache pas le pansement, non pas parce qu’on les aime [pansement et plaie], mais plutôt parce qu’on a encore la plaie. Quand le Burundi va guérir de ses plaies, ses pansements [ses mécanismes imparfaits mais jusque-là encore relativement utiles comme le dit V.N] deviendront inutiles et disparaîtront sans doute.

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